I.1.2.. Les pratiques de blanchiment de Cosa Nostra

En 1993, une enquête de la Garde des Finances sur les activités de blanchiment d’une famille mafieuse de Sicile avait mis en lumière l’étroite imbrication entre économie légale et illégale dans les stratégies de blanchiment de Cosa Nostra . Les fonds délictueux de cette famille avaient ainsi été réinvestis selon la répartition suivante : 60 % vers des placements financiers (bons du Trésor, actions et obligations), 17 % vers le secteur de l’immobilier, 11 % dans l’achat de commerces et 4 % dans des sociétés industrielles et agro-alimentaires. Cet exemple illustre la répartition globale estimée des capitaux de l’organisation mafieuse sicilienne et montre la part primordiale qui revient au secteur financier dans le blanchiment des fonds mafieux.

I.1.2.1. LE BLANCHIMENT AU TRAVERS DU CONTRôLE DES ACTIVITéS AGRICOLES EN SICILE.

Née historiquement du système féodal des grands domaines agraires, Cosa Nostra resta longtemps farouchement hostile aux syndicats agricoles. Ces derniers invitaient les paysans siciliens à s’organiser en coopératives, ce qui contrariait le système des grands domaines, sous-traités aux gabelotti de la mafia. Entre 1911 et 1920, la plupart des grands leaders syndicaux siciliens furent assassinés par la Mafia : Lorenzo Panepinto, instituteur et fondateur d’une coopérative agricole (16 mai 1911), Bernardino Verro, militant socialiste, élu maire de Corleone en 1914 (3 novembre 1915), Giuseppe Rumore, Nicolo Alongi et Salvatore Bonfiglio (entre 1919 et 1920). En 1947, suite à l’élection d’une majorité de gauche lors du vote des régionales, 12 paysans furent assassinés le 1 er mai à Portella della Ginestra par les hommes d’honneur de Cosa Nostra. Cette action visait à empêcher que se mette en place la réforme agraire et le démantèlement des vastes domaines privés agraires. Elle marqua les débuts de l’alliance tacite entre l’organisation criminelle et la Démocratie Chrétienne, qui, forte de cet appui occulte, obtint la majorité à tous les autres scrutins électoraux régionaux et nationaux (élections du 18 avril 1948). En décembre 1950, l’adoption de la réforme agraire entraîna toutefois le démantèlement progressif des latinfundi, ces gigantesques propriétés agricoles co-gérées par la Mafia et les grands propriétaires. 500 000 hectares de terres changèrent de mains. Cette réforme à laquelle Cosa Nostra s’était toujours opposée, entraîna un changement de stratégie de la part de l’organisation mafieuse qui entreprit d’infiltrer les coopératives et les institutions agricoles.

Exemple caractéristique de cette infiltration du secteur agricole, Michelangelo Aiello, maire de 1970 à 1973 de la commune de Bagheria, et fondateur en 1976 de l’Industrie des Dérivés d’Agrumes (IDA), utilisa pendant dix ans son activité agricole comme couverture pour ses opérations criminelles. Quatre ans après sa création, l’IDA avait multiplié son chiffre d’affaires par 200 en devenant le carrefour de toutes les fraudes aux subventions européennes. En relation avec l’URSS, la Bulgarie et la Roumanie, Aiello avait organisé un vaste réseau de fraude au remboursement de la TVA, notamment avec la société roumaine ICE-Frutex Port. Par la suite, Aiello fut confondu par la Garde des Finances pour ses activités de direction d’une autre société, la Derivati Elaborati di Agrumi (DEA), dont la comptabilité servait à blanchir les fonds issus du trafic d’héroïne. Aiello était associé à Leonardo Greco, chef de la famille de Bagheria et important producteur d’héroïne, et Michele Greco, chef de la famille de Cicaculli Croce Verde et secrétaire exécutif de la commission régionale de Cosa Nostra. En sur-déclarant des exportations hors de la CEE de productions agricoles, les sociétés d’Aiello dégageaient auprès des acheteurs étrangers un déficit qu’Aiello comblait par des versements sous forme de liquidités provenant de la commercialisation de l’héroïne sicilienne. Par la suite, Aiello vendit fictivement ses chargements d’agrumes à Raymond Charles Kingsland, un intermédiaire britannique installé à Londres, qui devint progressivement un nouveau relais pour le blanchiment des fonds dégagés par la Pizza Connection. Le système de blanchiment mit en place par Greco et Aiello se complexifia encore un peu plus lorsqu’il utilisa les services d’assurance-crédit de l’ Italtrade, la société publique chargé du soutien au développement économique du Mezzogiorno. Cet établissement était alors présidé par Gaetano Liccardo, membre de la P2. Le 25 janvier 1985, Aiello fut arrêté. Libéré pour raisons médicales, il est décédé en décembre 1988.

En 1981, Cersuso, secrétaire de la fédération du PCI de la commune de Ficarazzi, adressa un mémoire à la Commission nationale de contrôle du PCI pour dénoncer les irrégularités de gestion et les détournements de subventions européennes pratiqués par certaines coopératives agricoles communistes. Lorsqu’il devint secrétaire régional du PCI pour la Sicile, le député Pio La Torre s’attaqua à l’infiltration mafieuse de certaines de ces coopératives, en particulier celles de Villabate, Ficarazzi et Bagheria. Ces coopératives étaient en fait tombées sous le contrôle de la famille mafieuse de Ciaculli Croce Verde, dirigée par Michele Greco. Les coopératives sous influence mafieuse pratiquaient la fraude aux subventions européennes destinées à la stabilisation des prix des agrumes. La CEE indemnisait à l’époque les coopératives pour qu’elles détruisent leurs surplus de production. Les mafieux profitaient de ce dispositif pour alourdir en eau et en sable les chargements de fruits destinés à être détruits afin d’augmenter indûment les indemnisations. Fin avril 1982, Pio La Torre se sentit de plus en plus menacé. Il fut assassiné à Palerme le 30 avril 1982 ainsi que son garde du corps. L’enquête du procureur de Palerme sur cet homicide désigna les Corleonesi comme les exécutants de ce contrat mais n’excluait pas que les commanditaires véritables aient pu être en réalité certains responsables communistes mafiosés du PCI sicilien 35 comme Elio Sanfilipo, secrétaire de la fédération communiste de Palerme ou un sénateur communiste de Sicile, proche de la confrérie des Chevaliers du Travail de Catane, infiltrée de longue date par Cosa Nostra. A la même époque, des capitaux mafieux furent investis dans le quotidien communiste L’Ora. Autant d’affaires troubles qui expliquent l’élimination de Pio La Torre, co-auteur de la première loi véritablement efficace pour la répression anti-mafia.

Les institutions européennes restèrent longtemps apathiques face aux pratiques frauduleuses massives des mafias italiennes : en 1986, 150 millions d’oliviers siciliens étaient subventionnés alors que moins de 110 millions d’arbres avaient été réellement décomptés par les autorités de contrôle, 220 000 têtes de bétail bénéficiaient également de primes d’élevage alors que le troupeau réel était estimé à moins de 80 000 bêtes. A la fin des années 1980, les scandales se multiplièrent autour de la gestion de l’ Azienda di Stato per gli Interventi sul Mercato Agricolo (AIMA). Cet organisme public italien était le récipiendaire des subventions européennes versées par la CEE à l’Italie au titre du Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA). L’AIMA gérait toutes les interventions sur les marchés agricoles à l’exception des productions de sucre et de riz, placées sous la responsabilité respective de la Cassa Conguaglio Zucchero et de l’Ente Nazionale Risi. Du 13 avril 1988 au 19 mai 1989, l’AIMA fut présidé par le démocrate chrétien Calogero Mannino, par la suite ministre de l’Agriculture et des Transports. Comme le révélèrent plusieurs repentis, Mannino appartenait à Cosa Nostra. Ami avec Giuseppe Settecasi, chef de la famille d’Agrigente, Mannino fut même le témoin de mariage du boss mafieux Gerlando Caruana 36 avec Maria Parisi le 10 octobre 1977 en l’église San Crucifisso de Siculiana 37 . Sous la présidence de Mannino, l’AIMA se « siciliannisa » à grande vitesse : douze des dix-huit employés du service des inspections de l’AIMA étaient siciliens et originaires de la circonscription électorale de Mannino 38 .

Cosa Nostra n’hésita pas non plus à utiliser les établissements bancaires du secteur agricole à des fins de blanchiment. La Caisse rurale et artisanale de Monreale (CRAM), un établissement bancaire coopératif de Sicile, était utilisée par Raffaele Ganci, chef mafieux proche de Salvatore Riinà, pour le blanchiment des capitaux de Cosa Nostra 39 . Suite à l’arrestation des dirigeants de la CRAM à l’automne 1996, la Guardia di Finanza mis à jour le réseau de prête-noms utilisé par Ganci. Entre 1993 et 1996, plus de 3,5 millions de dollars avaient transité par cet établissement. Plus de 2600 transactions suspectes ont également été relevées par les enquêteurs.

I.1.2.2. L’INTERNATIONALISATION DES INVESTISSEMENTS DE COSA NOSTRA.

Outre les Etats-Unis au début du siècle, la Tunisie dans les années 1920 et les pays concernés par la contrebande de cigarettes et le trafic d’héroïne dans les années 1950 (Maroc, Liban 40 , Turquie), les premières implantations de Cosa Nostra à l’étranger furent étroitement liées aux opérations de blanchiment des revenus du trafic de stupéfiants.

La Suisse fut le premier pays « bénéficiaire » de cette internationalisation du fait de la proximité entre Milan, la capitale économique et financière italienne, et l’enclave italophone helvétique du Tessin, à quelques dizaines de kilomètres, qui offrait toutes les conditions de confidentialité et de technicité bancaire pour servir de coffre-fort à Cosa Nostra. Depuis la fin des années 1960, le Tessin et ses deux principales places financières, Chiasso et Lugano, ont connu une croissance exponentielle de l’activité des banques privées et des sociétés de gestion financière. Plus d’une vingtaine d’établissements bancaires italiens prospèrent ainsi depuis cette région 41 . Autre place financière appréciée par Cosa Nostra, le Liechtenstein a été dénoncé en novembre 1999 dans un rapport rendu public du Bundesnachrichtendienst (BND) - le service de renseignement extérieur allemand – comme étant largement utilisé pour les opérations de blanchiment des mafias italiennes42 . La Principauté monégasque est également très souvent concernée par des affaires de blanchiment liées à la criminalité organisée italienne.

Dès l’ouverture des pays de l’Est, Cosa Nostra comme les autres organisations criminelles italiennes, a voulu profiter des opportunités offertes pour se développer dans ces pays. En mars 1992, une enquête judiciaire sur les familles palermitaines dirigées par Giovanni Lo Cascio et Partanna Mondello, mit en évidence des circuits de blanchiment très importants (plusieurs dizaines de millions de dollars) avec la République Fédérale de Yougoslavie. Les trafics réalisés avec ce pays portaient sur des ventes d’armes, le rachat de bons au porteur d’origine sud-américaine, des roubles soviétiques, des stocks d’or et des faux dollars produits dans une imprimerie d’Agrigente (Sicile). Au cœur de ce réseau, les familles palermitaines utilisaient depuis le début des années 1980, les services d’Ulrich Bahal, un financier allemand qui vécut à Palerme de 1980 à 1985. Ce dernier utilisait les contacts bancaires de Silvia Hartweger, sa compagne autrichienne. Ulrich Bahal a notamment été impliqué dans la négociation pour le compte des familles siciliennes d’un chargement d’armes comprenant 300 AK-47 Kalashnikov, 300 pistolets automatiques, 10 viseurs de nuit et 10 lance-roquettes RPG-7, destinés à la RFY. Ce sont les importants dépôts réalisés par Bahal pour cette transaction auprès de la Yugobank qui seraient à l’origine de son interpellation aux Etats-Unis 43 .

Autre pays de prédilection pour Cosa Nostra, la Roumanie a fait l’objet depuis 1989 d’importants investissements criminels de la part des Corleonesi. Par l’intermédiaire de Paul Brener, né en 1926 à Foscani (Italie), un homme d’affaires italien naturalisé roumain, de nombreuses sociétés d’import-export ont été mises en place en Roumanie : Euro Agri Srl (1994), Inca 2000 Prodcom srl (1994), Habitat Srl, Erre 2 International Srl (1999), Process Romania Srl et Brai-Cata SA (2000). Dans la plupart de ces sociétés, Brener est associé à des personnalités telles que Giacinto Scianna, né le 14 janvier 1943 à Bagheria et membre de la famille des Corleonesi, Antonino Fontana, né le 31 octobre 1947 à Villabate, en relation d’affaires avec des membres de Cosa Nostra, Giuseppe Mattina, né le 14 novembre 1959 à Porto Empedocle, lieutenant de Pietro Aglieri, Rosario Raneri, consultant des sociétés Aversa et Rartel, utilisées pour le blanchiment de fonds de Cosa Nostra, Florian Chiriac, ancien consul de Roumanie à Rome, Nunzio Psalia, Vicenzo Antonutti et Rocco Alabiso, proches de Cosa Nostra 44 . Cette implantation s’est accompagnée de la corruption de plusieurs responsables politiques et administratifs roumains dont Gheorge Fulga, actuel chef du Service d’Information Extérieur (SIE), Gheorghe Paunescu, ex-député PDSR et secrétaire d’Etat à l’Industrie, Constantin Nita et Alexandru Popa, responsables du PSD ainsi que de nombreuses autres personnalités de la vie économique de Brasov.

Les pays européens d’accueil de la diaspora sicilienne ont également vu se développer des formes de criminalité mafieuse, reliées à certaines familles siciliennes. En Allemagne, à la fin des années 1980, le BND estimait que près de 500 siciliens soupçonnés d’appartenance à la Mafia s’étaient installés sur le territoire allemand, ouvrant des dizaines de commerces, principalement des restaurants et des hôtels, servant à la fois au commerce de stupéfiants et à son blanchiment. En Belgique, la présence d’une forte diaspora sicilienne s’est traduite par l’implantation durable de familles originaires des provinces occidentales de la Sicile, liées pour la plupart à la Stidda, une organisation criminelle dissidente de Cosa Nostra. En Espagne, l’implantation de Cosa Nostra remonte au début des années 1980, lorsque certains membres des familles « perdantes » de la guerre des mafias à Palerme se réfugièrent sur la Costa del Sol. Le littoral espagnol est depuis devenu un des bastions de l’organisation mafieuse sicilienne au point d’obliger les autorités judiciaires et policières espagnoles à signer un accord de coopération spécial avec leurs homologues italiens.

En France, il fallut attendre le rapport de la commission parlementaire de 1993, présidée par François d’Aubert, pour que l’on s’inquiéta de la présence de capitaux mafieux sur le territoire. Parmi les affaires évoquées dans ce rapport figurent notamment les investissements immobiliers réalisés sur l’île de Cavallo (Corse du Sud) par Lillo Lauricella 45 , un intermédiaire palermitain proche de Cosa Nostra utilisé par le blanchisseur Fausto Pellegrinetti 46 . En 1988, Lauricella prit le contrôle de la Compagnie des Iles Lavezzi (CODIL), la société gestionnaire du port de Cavallo et du complexe immobilier attenant 47 . Il noua des relations d’affaires étroites avec le leader indépendantiste Alain Orsoni, chef de file du Mouvement pour l’Autodétermination (MPA) et de son émanation clandestine, le FLNC-Canal Habituel 48 . Dès le début des années 1980, Lillo Lauricella tissa également des liens avec les frères Julien et François Filipeddu49 qui devinrent les intermédiaires de Lauricella dans le milieu des machines à sous et développèrent pour son compte des affaires et des projets au Panama, au Brésil et au Proche Orient. Avec l’aide de Julien Filipeddu, Lauricella tenta, en 1996, de racheter la caserne désaffectée Montlaur à Bonifaccio. Début septembre 1998, les frères Filipeddu cédèrent tous leurs actifs dans le domaine des machines à sous au groupe franco-catalan Pefaco, contrôlé par des intérêts français, actif notamment en Afrique et en Amérique centrale. Parmi les consultants utilisés par Pefaco figure notamment Alain Orsoni, installé depuis 1997 au Nicaragua. En 1998, le préfet Bonnet fit fermer la piste aérienne des îles Lavezzi, longue de plus de 1000 mètres et large de 50 mètres, exploitée sans aucune autorisation. Des vols nocturnes non identifiés y étaient signalés.

Le démantèlement partiel de la Pizza Connection au milieu des années 1980 provoqua le début d’un travail de longue haleine de la part des forces de police américaine, canadienne, italienne, helvétique, vénézuélienne et brésilienne sur les réseaux de blanchiment mis en place à travers le monde par les familles des Cuntrera, Caruana et Vella, toutes originaires de la ville de Siculiana dans la province d’Agrigente. Ces trois familles « mineures » de Cosa Nostra , à l’écart des rivalités entre familles palermitaines et corléonaises, s’imposèrent dans les années 1960-1970 comme les spécialistes de la mise en place des filières de trafic d’héroïne puis de cocaïne, grâce à leurs liens avec le Canada et l’Amérique latine où une partie de la famille était partie s’installer. Dans les années 1980, les Caruana-Cuntrera mirent en place le réseau des sociétés nécessaires à la fois à l’acheminement de la drogue, à son paiement et au blanchiment de ses revenus : le premier réseau de la famille fut constitué principalement par des sociétés de négoce agro-alimentaire (Elongate Ltd, Ital Provisions Ltd et Fauci Continental Import Ltd). Dès 1974, un autre réseau de sociétés, beaucoup plus étendu, fut bâti entre Montréal et Caracas. Le blanchiment des revenus du trafic de stupéfiants était réalisé aux travers de compagnies relevant de secteurs aussi différents que l’immobilier, la construction, l’élevage, l’industrie agro-alimentaire, la fabrication de meubles, la décoration d’intérieur, les agences de voyage, l’exploitation pétrolière, les casinos, le traitement et la distribution d’eau, la distribution de gaz urbain, la vente de voitures, la fabrication de vêtements ou le commerce maritime.

Contrairement aux autres familles siciliennes, les Caruana-Cuntrera n’hésitaient pas à s’associer avec des familles italo-américaines, comme celle de John Gambino à New-York, et sud-américaines. L’énorme capacité financière dégagée par le trafic de stupéfiants permettait d’obtenir des protections de haut niveau. Au Canada, les Caruana-Cuntrera parvinrent sans mal à s’attacher les services d’Alfonso Gagliano, originaire de Siculiana50 , homme de confiance du Premier ministre canadien Jean Chrétien. En 1994, une enquête révéla que Gagliano avait servi de prête-nom à Agostino Cuntrera. En 2001, Gagliano était à nouveau sur la sellette pour avoir facilité la délivrance d’un visa à l’épouse de Gaetano Amedeo, homme d’honneur de Cosa Nostra51 . Au Vénézuela, la collusion avec la classe politique fut encore plus flagrante puisque la famille de Siculiana pouvait compter sur l’appui affiché de Carlos Andres Perez, président de la République du Vénézuela et profita ainsi largement du programme de privatisation des années 1970 52 .

I.1.2.3. TROIS GRANDES FIGURES DE BLANCHISSEURS AU PROFIT DE COSA NOSTRA.

D’extraction rurale, souvent peu éduqués, voire illétrés, la plupart des chefs mafieux n’étaient pas en mesure de gérer techniquement l’immense fortune que leur procurait le trafic de stupéfiants. Le placement et le blanchiment des fonds de Cosa Nostra devint ainsi rapidement l’affaire de spécialistes. Dans les années 1960-1980, trois célèbres figures de blanchisseurs illustrèrent à la fois la puissance économique et politique décuplée que procurait le trafic de stupéfiants en même temps que les vicissitudes de l’activité de conseiller financier de l’organisation mafieuse.

Michele Sindona fut le premier et le plus flamboyant trésorier de Cosa Nostra. C’est lui qui scella les liens inextricables entre l’organisation mafieuse sicilienne et les institutions financières vaticanes. Plusieurs affaires récentes indiquent d’ailleurs que ces liens n’ont toujours pas été rompus 53 . C’est lui, encore, qui domina au début des années 1970 la place boursière milanaise avant de connaître une longue descente aux enfers. Roberto Calvi, autre banquier partagé entre ses accointances maçonniques, ses relations mafieuses et son implication dans les circuits financiers du Saint-Siège, eut une carrière au service de Cosa Nostra encore plus abrupte que Sindona. Licio Gelli, enfin, s’il ne fut pas à proprement parler un des financiers de Cosa Nostra , peut être qualifié de compagnon de route de l’organisation mafieuse et de trait-d’union entre Cosa Nostra et une partie de la classe politico-économique italienne et internationale.

Michele Sindona.

Né le 8 mai 1920 à Patti, près de Messine en Sicile Michele Sindona, a fait ses études de droit à l’université de Messine (Sicile) après avoir été l’élève des Jésuites. En 1942, il parvient à éviter la conscription grâce à une intervention de Mgr Ameleto Tondini alors en poste à la Secrétairie d’Etat du Vatican. Dès 1943, il s’entremet dans le marché noir de la viande à Palerme, une activité traditionnellement monopolisée par les familles de Cosa Nostra. Suite au débarquement des alliés en juin 1943, Sindona s’immisce dans les circuits d’approvisionnement en vivres des forces armées. En 1944, il participe à des trafics d'armes depuis Palerme au profit des séparatistes italiens. Lucky Luciano, le célèbre parrain italo-américain, lui sert d’intermédiaire pour ses contacts avec l'U.S. Army.

En 1946, il quitte la Sicile et part s’installer à Milan. D’abord employé par une petite société d’expertise-comptable, Michele Sindona devient rapidement un conseiller en placements et investissements reconnu dont les compétences sont rapidement mises à profit par ses anciennes relations d’affaires de Palerme. La famille mafieuse italo-américaine des Gambino l’utilise pour blanchir en Italie les dollars de ses trafics réalisés aux Etats-Unis. Fort de la confiance des Gambino, Michele Sindona fait partie le 2 novembre 1957 des convives invités à la réunion de l’hôtel des Palmes à Palerme, véritable sommet entre les familles de Cosa Nostra et leurs cousines implantées aux Etats-Unis. A cette occasion, Sindona se voit officiellement chargé du blanchiment des revenus du trafic d'héroïne entre la Sicile et les Etats-Unis. A lui désormais de gérer les bénéfices énormes générés par le trafic de stupéfiants.

Dès le moi de mai 1959, sous couvert de la Fasco AG, une société-écran enregistrée au Liechtenstein, Sindona achète sa première banque : la Banca Privata Finanziara (BPF) de Milan, un petit établissement fondé en 1930 par un financier proche des fascistes, spécialisé dans les opérations d’évasion fiscale hors d’Italie. En 1961, il parvient à faire entrer au capital de la Banca Privata Finanziara le prestigieux Istituto per le Opere di Religione (IOR) 54 , qui gère pour le compte du Vatican les affaires financières des congrégations religieuses et des paroisses. L’IOR est devenu l'actionnaire majoritaire de la Banca Privata Finanziara de Sindona grâce à la recommandation de l'archevêque de Messine auprès de Monseigneur Giovanni Battista Montini, alors archevêque de Milan et futur pape Paul VI. Afin de s’assurer de la bienveillance de l’Eglise à son égard, Michele Sindona avait fait un don de plus de 2 millions de dollars pour la construction d'une maison de repos pour personnes âgées, la Casa della Madonnina, au profit de l’archevêché de Milan. Mgr Montini et Michele Sindona inaugurèrent ensemble l’établissement. A la suite de ce geste, Michele Sindona obtient la responsabilité des placements financiers du diocèse de Milan. Par l’entremise du cardinal Ameleto Tondini, Sindona est également présenté à Giulio Andreotti, chef de file de la Démocratie Chrétienne. Peu de temps après, Mgr Montini est élu Pape et nomma Michele Sindona au poste de conseiller financier du Vatican.

En 1964, Sindona rachète la Banque de Financement de Lausanne (Finabank), qu’il rebaptisa par la suite Franklin Bank. Au conseil d’administration de cet établissement, Sindona fit cohabité des actionnaires comme le Vatican, la Hambros Bank de Londres et la Continental Illinois of Chicago, un établissement utilisé discrètement par la Central Intelligence Agency (CIA) pour réaliser les transactions nécessaires au financement des différents mouvements anti-communistes répartis à travers le monde.

En février 1965, sur les conseils de Carlo Bordoni, l’ancien directeur de la filiale milanaise de la First National City Bank de New-York, Sindona débute également une activité de courtage monétaire international sous couvert de la société Moneyrex. En 1968, Sindona se porte acquéreur de la Banca Unione de Milan. Bien que l’IOR ne soit que minoritaire au capital de la Banca Unione , Sindona en profite pour resserrer les liens avec le Vatican en offrant le poste de président du conseil d’administration au cardinal Paul Claudius Marcinkus, un écclésiastique proche des milieux italo-américains de Chicago, devenu en 1971 le nouveau président de l’IOR.

Surnommé à l’époque « le Requin », Sindona était déjà devenu l’étoile montante de la place boursière de Milan. En dépit de l’origine mystérieuse des liquidités qu’il injecte dans ses sociétés, on ne veut alors retenir de lui que sa frénésie de rachat d’établissements et ses liens étroits avec le Vatican. Rien ne semblait devoir résister à Michele Sindona : ces trois banques obtiennent d’être associées au capital des trois plus grandes banques publiques italiennes (la Banco di Roma, le Credito Italiano et la Banca Commerciale ). En 1969, le Vatican décide de se défaire d’une partie de l’important patrimoine immobilier qu’il détenait en Italie. Paul VI confia à Sindona le soin de réaliser ces cessions avec l'appui de l'IOR et de l'APSA (Administration du Patrimoine du Saint-Siège) 55 . Fort de cette caution vaticane, Sindona obtient sans mal des lignes de crédits de la part de la place bancaire italienne. Ces opérations spéculatives scellent le sort de Sindona. Dès 1973, le représentant à Rome du Federal Bureau of Investigation (FBI) informe le Vatican de la participation de Sindona à des opérations boursières frauduleuses, réalisées en 1971 sous le couvert de l'IOR et avec la complicité de Mgr Paul Marcinkus.

En 1974, les sociétés de Sindona croulent sous les dettes. La Franklin Bank fait faillite ainsi que la Banca Privata Finanziera . Des milliers de petits épargnants sont ruinés. Le scandale est énorme. Fort de ses contacts avec la Démocratie Chrétienne et le Vatican, Sindona cherche par tous les moyens à sauver son groupe : il use de ses relations auprès de Giulio Andreotti, alors Président du Conseil, de Cossiga, ministre de l’Intérieur, et de Stammati, ministre des Finances et membre de la loge maçonnique Propaganda Due (P2), pour tenter d’obtenir la prise en charge du renflouement de ses dettes par l’Etat. En 1977, il adresse même un ultimatum à Andreotti afin que cessent les différents instructions judiciaires engagées à son encontre. Sindona est condamné pour la faillite de la Franklin Bank mais laissé en liberté provisoire.

Mis en examen pour banqueroute frauduleuse, Sindona est également suspecté d’avoir commandité en 1979 l’assassinat de Giorgio Ambrosoli, le liquidateur judiciaire désigné par les tribunaux pour s’occuper de la Banca Privata Italiana 56 . Au printemps 1979, le tribunal de Palerme inculpe Sindona de complicité de trafic de stupéfiants avec les parrains Stefano Bontate (Palerme) et John Gambino (New-York). Sindona panique. et menace de tout révéler. A l'automne, il est contraint de simuler un faux enlèvement pour tenter de se faire rembourser. Plusieurs personnes soutiennent discrètement Sindona afin de sauver ce qui pouvait l’être encore : les chefs mafieux siciliens Salvatore Inzerillo, Micelli Crimi, Salvatore Macaluso et Rosario Spatola, ainsi que Gaetano Piazza, membre de la loge P2, qui hébergera Sindona à Caltanisetta.

En réalité, ces appuis occultes ne peuvent plus rien pour Sindona. Les fonds qu’il gérait proviennent pour la plupart des activités de trafic d’héroïne des familles palermitaines de Bontate et d’Inzerillo. Or ce sont précisément ces familles que les Corleonesi sont résolus à exterminer pour prendre le contrôle complet sur Cosa Nostra. La reprise en main par les Corleonesi est brutale : interpellé aux Etats-Unis et extradé vers l’Italie, Sindona est empoisonné à la strychnine dans sa cellule de la prison de Voghera le 22 mars 1986. Quelques mois auparavant, Boris Giuliano, le chef de la police de Palerme, et Cesare Terranova, le magistrat instructeur, chargés de l’affaire Sindona, ont été assassinés afin de clôre définitivement le dossier Sindona.

Roberto Calvi

Né le 13 avril 1920 à Milan, Roberto Calvi est issu d’une famille originaire de Valtellina à proximité de la frontière helvétique. Après des études à l’université des sciences économiques de Bocconi à Milan et une campagne militaire sur le front russe pendant la seconde guerre mondiale, Roberto Calvi entre dans la banque en 1947. Il est recruté par la très catholique Banco Ambrosiano de Milan, surnommée la « Banque des Prêtres ». Pour devenir client de l’Ambrosiano, il fallait à l’époque être en mesure de présenter un certificat de baptême attestant de sa foi catholique.

Dès le début des années 1960, Roberto Calvi entreprend de transformer à marche forcée la respectable institution bancaire diocésaine en une banque internationale, dotée de filiales et de succursales enregistrées dans des paradis fiscaux. Dans un premier temps, la Banco Ambrosiano prend le contrôle de la Banca del Gottardo, installée à Lugano dans le canton du Tessin en Suisse. En 1963, Calvi créé ensuite au Luxembourg la société Compendium, qui deviend la Banco Ambrosiano Holdings SA. En 1971, Roberto Calvi devient directeur général de l’Ambrosiano, date à laquelle il fait la connaissance de Mgr Paul Marcinkus et de Michele Sindona. La même année, il installe à Nassau aux Bahamas la Banco Ambrosiano Overseas Ltd qui accueille dans son conseil d’administration Mgr Marcinkus. En mars 1972, Calvi obtient le contrôle de la Banca Cattolica del Veneto .

A partir du début des années 1970, Roberto Calvi lance la Banco Ambrosiano dans de complexes opérations financières de compensation inter-bancaire qui visaient à faire sortir le maximum de capitaux d’Italie vers les structures off-shore de la banque catholique. Dès 1974, la Banco Ambrosiano doit faire face à la crise boursière et monétaire. Roberto Calvi se lance alors dans des opérations illicites de soutien des cours de l’action de l’Ambrosiano par le biais de la société milanaise Suprafin SA. Entre 1974 et 1978, cette société rachète inlassablement les titres de l’Ambrosiano. Officiellement contrôlée par deux autres sociétés enregistrées au Liechtenstein, la Teclefin et l’Imparfin, Suparfin était en fait une société-écran dont Calvi était l’unique actionnaire et qu’il finançait par la souscription d’emprunts auprès de l’Ambrosiano.

En 1977, Roberto Calvi est placé dans une situation très inconfortable. Entraînée dans des transactions suspectes, la Banco Ambrosiano est contrainte de couvrir à fonds perdus deux débiteurs particulièrement gênants : d’un côté, Michele Sindona et ses créanciers mafieux, de l’autre, Licio Gelli et sa clientèle de la P2. A partir de 1978, la Banque d’Italie commence à enquêter sur les opérations suspectes menées par la Banco Ambrosiano . Calvi est contraint d’opérer des virements et des transferts financiers massifs vers des sociétés enregistrées au Nicaragua et au Pérou (ouverture de la Banca Ambrosino Andino en 1979). A la fin de l’année 1979, Calvi avait accumulé plus de 500 millions de dollars de dettes mais parvenait encore à tenir à distance la Banque d’Italie. En janvier 1980, la Banco Ambrosiano de America del Sud ouvre ses portes à Buenos Aires.

Le 18 juin 1982, le corps de Roberto Calvi est découvert pendu sous le pont des Black Friars à Londres. Quelques heures auparavant, la secrétaire personnelle de Roberto Calvi venait d’être défénestrée depuis le 4 e étage de la Banco Ambrosiano. Le 2 octobre 1982, Giuseppe Dellacha, directeur de la la Banco Ambrosiano , était à son tour « suicidé » depuis une fenêtre du siège de la banque à Milan. Comme put l’établir par la suite l’enquête du magistrat italien Otello Lupacchini, Roberto Calvi fut étranglé par Vincezo Casillo 57 , un membre de la Camorra agissant sur les ordres de Francesco Di Carlo 58 , homme d’honneur de Cosa Nostra et ancien chef de la famille d’Altofonte, impliqué dans le trafic de stupéfiants et exilé au Royaume-Uni depuis 1979.

En mai 1982, une rencontre se serait tenue en Sardaigne entre l’homme d’affaires sarde Flavio Carboni 59 , Vincenzo Casillo et un représentant de l’Istituto per le Opere di Religione (IOR) pour décider du sort de Roberto Calvi. A l’issue de cette réunion, Flavio Carboni aurait pris contact avec Francesco Di Carlo pour commanditer le meurtre du banquier italien. Quelques jours avant sa mort, ce dernier cherchait toujours à recouvrir auprès de l’IOR plus de 400 millions de dollars que Mgr Paul Marcinkus avait promis de commencer à rembourser à compter du 30 juin 1982. Le 5 juin 1982, Roberto Calvi eut l’imprudence d’adresser un courrier directement au Saint-Père, menaçant de révéler les pratiques occultes de financement de partis politiques et de mouvements anti-communistes à travers le monde couvertes par les institutions financières vaticanes. Une semaine plus tard, Calvi était assassiné à Londres. Par l’intermédiaire de Mgr Pavel Hnilica, prélat d’origine tchèque, le Vatican déploiera par la suite tous ses efforts pour racheter à la Mafia les documents récupérés dans les bureaux de Roberto Calvi par ses assassins.

Sur l’insistance de son fils, Carlo Calvi, l’enquête sur les circonstances de la mort du banquier se poursuivit une vingtaine d’années. En mai 2002, après une nouvelle autopsie du corps de Roberto Calvi, un groupe d’experts en médecine légale dirigé par le professeur allemand Bernd Brimkmann rendit ses conclusions définitives. La thèse de l’homicide fut largement confortée et l’hypothèse du suicide définitivement écartée.

Licio Gelli

Né le 21 avril 1919 à Pistoia, Licio Gelli quitte l’école à l’âge de 15 ans pour rejoindre quelques mois plus tard, sous le pseudonyme de Livio Gommina, la division italienne des Chemises noires qui partait combattre en Espagne pour soutenir l’armée du général Franco. Anti-communiste virulent, Licio Gelli combat par la suite en Albanie avant de devenir à l’automne 1943 officier de liaison du régime de Salo auprès des Allemands avec rang de sous-lieutenant dans la Waffen S.S. Au cours de cette période, Gelli aurait subtilisé à son bénéfice personnel une partie des trésors nationaux de Yougoslavie, cachés dans la ville italienne de Cattaro.

En 1944, inquiet de la tournure des événements, Gelli fuit la Toscane et facilite l’évasion de résistants communistes, auxquels il fournit également des armes. Ce revirement tardif lui permet d’obtenir d’Italo Carobbi, le président communiste du Comité de Libération Nationale (CLN) de Pistoia, un sauf-conduit qui lui fut utile au moment de l’épuration. Quelques semaines avant la fin du conflit, Gelli devient également un agent du Counter Intelligence Corps, le service militaire de contre-espionnage de la Ve Armée Américaine. Arrêté par les Carabiniers en septembre 1945, Gelli est amnistié en dépit de ses activités de collaboration avec les nazis et le régime fasciste.Il est alors recruté comme le secrétaire de Tomolo Diecidue, député de la Démocratie Chrétienne et responsable important de la franc-maçonnerie italienne. Agent de la nouvelle Central Intelligence Agency (CIA), Gelli profite de son retour à la vie civile pour mettre en place une filière d’évasion pour les anciens nazis qui cherchent à fuir vers l’Amérique latine. Pour couvrir ses activités clandestines, il achète une librairie. A cette époque, la police italienne le décrit comme proche à la fois de la Démocratie Chrétienne, du Parti Monarchiste et du Mouvement Social Italien (MSI).

En 1954, il part pour l’Argentine et devient un proche conseiller du général Juan Peron. Suite au coup d’Etat militaire de 1956 qui destitue Peron, Licio Gelli se rapproche de la nouvelle junte tout en continuant de servir d’informateur aux services soviétiques et roumains. Il développe alors un réseau de contacts et de relations étoffé au Paraguay, au Brésil, en Bolivie et en Colombie. Ayant acquis la nationalité argentine, Gelli n’en continue pas moins de faire des affaires en Italie. Directeur des relations publiques de la société de fabrication de matelas Permaflex, il fait fortune en 1962 en obtenant pour cette société un très important contrat de la part de l’OTAN grâce à l’intervention de son ami, Giulio Andreotti. Il occupe également des fonctions de direction dans la société toscane Remington Trand. Parmi les membres du conseil d’administration de cette société figurent le financier sicilien Michele Sindona.

En novembre 1963, sur la recommandation du Grand Maître Adjoint, Roberto Ascarelli, Licio Gelli est initié dans une loge du Grand Orient d’Italie où il obtient rapidement le 3 e degré de Maître qui lui permet de postuler à la direction d’un atelier. En décembre 1965, le Grand Maître Giordano Gamberini initie Licio Gelli au sein de la loge P2. Inspirée de la dénomination d’une loge du XIXe siècle, la P2 est une loge dite « couverte » du fait de son caractère de stricte clandestinité. Elle est également utilisée comme un lieu de rencontre entre maçons italiens et américains. En 1971, Licio Gelli prend le contrôle complet de la P2 en devenant le secrétaire exécutif de cette loge. Dès 1972, Licio Gelli change le nom de la loge qui devient la Raggruppamento Gelli-Propaganda Due (P2). Une autre loge secrète, Giustizia e Liberta , fondée en 1973 fut associée à la nouvelle P2, qui prenait une importance croissante dans les cercles dirigeants administratifs, militaires et policiers italiens. Très vite, la P2 devient une loge incontournable pour les milieux anti-communistes : industriels, haut-fonctionnaires, magistrats et militaires s’y bousculent. Le Grand Orient d’Italie s’inquiète de cette montée en puissance trop rapide et tente, lors du convent de la Grande Loge de Naples en décembre 1974, de scinder la P2 pour l’affaiblir. Licio Gelli parvient à contrecarrer cette initiative et obtient le 12 mai 1975 la reconnaissance définitive de la P2. Entre 1974 et 1981, Licio Gelli et la P2 sont au faîte de leur puissance. Outre l’Italie, la P2 tisse sa toile en Uruguay, au Brésil, au Vénézuela, aux Etats-Unis, en Suisse et en Roumanie.

Au cours des années 1970, le passé trouble de Licio Gelli, notamment sa collaboration présumée avec les services secrets roumains 60 , et l’implication de plus en plus forte des membres de la P2 dans des opérations de subversion politico-mafieuse, attirent progressivement l’attention de la justice italienne. Le 10 juillet 1976, le magistrat Vittorio Occorsino, qui enquête sur les connections entre la loge P2 et Cosa Nostra, est retrouvé assassiné. Rétrospectivement, l’influence occulte de la P2 fut avancée comme explication pour un grand nombre d’affaires restées inexpliquées des années 1970-1980 : les attentats du train Italicus, de Bologne, d’Ustica, de la Plazza Fontana et de l’express 904, les homicides de Roberto Calvi, de Mimo Pecorelli, d’Olof Palme et de Semerari, la tentative de coup d’Etat de Valerio Borghese, le renversement de Salvadore Allende en Argentine, les activités illicites des réseaux Gladio, le faux enlèvement de Michele Sindona, l’échec des négociations avec les Brigades Rouges pour la libération d’Aldo Moro, les enlèvements de Bulgari, Ortolani, Amedeo, Danesi et Amati, les relations avec la bande mafieuse romaine de la Magliana, etc ... A la fin des années 1980, Licio Gelli sert de blanchisseur dans la capitale romaine pour le compte à la fois de Giuseppe (Pipo) Calo, chef de la famille palermitaine de Porta Nuovà, de Francesco Madonia et de Salvatore Riinà. La majeure partie de ces fonds transite par les filiales de la Banco Ambrosiano de Roberto Calvi 61 .

Le 17 mars 1981, au cours d’une perquisition au domicile de Licio Gelli à Arezzo, dans le cadre de l’instruction sur la faillite des banques de Michele Sindona, les enquêteurs obtiennent une liste de 962 membres de la P2 parmi lesquels figurent plus de 50 généraux et amiraux, la plupart des chefs des services secrets italiens, deux ministres en fonction à l’époque, des industriels (dont Silvio Berlusconi), le directeur du Corriere della Sera et plusieurs de ses journalistes, 36 parlementaires, des artistes de variété, des prélats et des officiers de police. Cette liste ne comportait toutefois pas l’ensemble des membres de la P2 qui compterait en réalité entre 1 500 et 2 000 adhérents (la cotisation annuelle pour ces derniers était fixée à 25 000 dollars par an). A la suite de cette découverte une commission d’enquête parlementaire italienne, présidée par Tina Anselmi, fut mise en place et prononça le 9 décembre 1981, la dissolution officielle de la P2.

Réfugié depuis 1981 en Amérique latine, Licio Gelli revient discrètement en Italie pour tenter de négocier l’acquisition de missiles AM-39 Exocet pour le compte de l’Argentine, alors en pleine guerre des Malouines. Il s’agissait en réalité d’une provocation organisée par les services secrets britanniques. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, Gelli est interpellé le 13 mars 1982 alors qu’il s’apprête à se rendre à l’Union des Banques Suisses (UBS) de Genève. L’Italie réclame son extradition mais le 10 août 1983, Gelli parvient à s’évader de la prison helvétique du Champ Dollon et se réfugie en Uruguay. Le 21 septembre 1987, de retour en Suisse, Gelli est à nouveau interpellé et cette fois extradé vers l’Italie le 17 février 1988. Les autorités judiciaires italiennes décident de le placer en résidence surveillée à son domicile de Santa Maria delle Grazie à Arezzo. En novembre 1991, Gelli est renvoyé devant le tribunal de Rome pour des faits de corruption aggravée. Le procès dure d’octobre 1992 à février 1994. Le 16 avril 1994, Gelli est reconnu coupable et condamné à 17 années de prison. Les avocats de Gelli font aussitôt appel.

Entre temps, en décembre 1993, Charles Poncet 62 , un très influent avocat d’affaires genevois, membre du parti libéral, est inculpé par la justice milanaise pour complicité de blanchiment au profit de la P2 et de Licio Gelli 63 . Suite aux révélations de Christopher Delaney, un expert-comptable de Jersey, Charles Poncet est suspecté avoir réalisé en 1991 de faux documents concernant des ventes fictives d’œuvres d’art servant à dissimuler le virement de 10 millions de dollars des comptes bancaires helvétiques de Licio Gelli vers ceux de Marco Ceruti, un financier italo-brésilien également membre de la P2. En avril 1992, Ceruti avait déjà été condamné par contumace à 9 mois et demi de prison dans le cadre de l’affaire de la faillite de la Banco Ambrosiano. Dominique Poncet, le frère de Charles Poncet, est par ailleurs connu en Suisse pour avoir été l’avocat de Licio Gelli 64 .

Le 19 octobre 1999, la Cour européenne des droits de l’homme rend son jugement concernant une requête en poursuite abusive de procédure pénale soulevée en 1997 par les avocats de Licio Gelli 65 contre l’Etat italien. Défendu par Me Michele Gentiloni Silverj, un avocat romain, Licio Gelli obtient plusieurs millions d’Euros de dédommagements. Le 6 décembre 2000, Licio Gelli est hospitalisé dans le service du professeur Fabbrucci à l’hôpital de Santa Maria Annunziata de Firenze pour un ulcère grave à l’estomac 66 . Dans le même temps, sa résidence sur la Côte d’Azur est mise en vente.

En février 2001, une enquête du journal La Tribune du Mont-Blanc 67 dénonce les activités d’un des fils de Licio Gelli, placé à la tête d’une ONG appelée Agence des cités unies pour la coopération Nord-Sud, inscrite parmi les organisations admises à siéger à la 57e session de la commission des droits de l’homme à Genève du 19 mars au 27 avril 2001. Domicilié au technoparc de Saint-Genis-Pouilly dans l’Ain, cette ONG aurait été enregistrée en Suisse en 1984. Présidée jusqu’à son décès par Henry Blandier 68 , un ancien collaborateur proche de la mouvance templière, l’Agence des cités unies pour la coopération Nord-Sud servait en réalité depuis plusieurs années de couverture pour les activités d’anciens franquistes et d’opposants cubains. En 1997, le gouvernement cubain avait d’ailleurs réclamé l’exclusion de l’agence d’Henry Blandier de la liste des ONG bénéficiant d’un statut consultatif auprès du conseil économique et social des Nations unies. A partir de 1999, l’Agence fut progressivement reprise en mains par Raffaelo et Maria Gelli, le fils et la belle-fille du Grand Maître Licio Gelli. Interdit de séjour à Monaco, Raffaelo Gelli cherchait avec l’aide de l’ONG d’Henry Blandier à obtenir un semblant de statut diplomatique lui facilitant ses déplacements. Son frère, Maurizio Gelli, s’était vu impliquer dans une affaire de blanchiment d’argent survenu à Vienne en Autriche.

I.1.2.4. LE CAS DE SILVIO BERLUSCONI : PROXIMITE OU COLLUSION AVEC COSA NOSTRA ?

Interrogé le 21 mai 1992 par le journaliste français Fabrizio Calvi 69 , sur les liens entre le mafieux Vittorio Mangano et l’entourage de Silvio Berlusconi, le juge Paolo Borsellino considéra comme probable l’instrumentalisation de Silvio Berlusconi par les familles mafieuses siciliennes. Il s’en expliquait ainsi :

Deux jours après cette entrevue, le juge Giovanni Falcone était assassiné. Moins de deux mois plus tard, le 19 juillet 1992, Borsellino était à son tour exécuté devant son domicile à Palerme.

A la veille de l’élection de Silvio Berlusconi à la Présidence du Conseil italien, une polémique particulièrement violente éclata sur l’origine de la fortune du Cavaliere et sur les nombreuses poursuites judiciaires dont il faisait l’objet 71 . On lui reprocha notamment les conditions dans lesquelles ses sociétés finançèrent leur développement à la fin des années 1970 au moyen d’injections massives de liquidités de provenance inconnue. Plusieurs autres indices indiquent à tout le moins une proximité ancienne entre l’homme d’affaires milanais et des membres de Cosa Nostra .

Interwievé en 1985 par Nick Tosches, un journaliste du New-York Times, Michele Sindona indiqua que deux établissements bancaires étaient utilisés pour les transferts de fonds de Cosa Nostra : il s’agissait de la Banco di Sicilia, l’un des grandes banques de Sicile, aujourd’hui propriété du groupe financier Banca Sella, et de la Banca Rasini 72 , un petit établissement bancaire, propriété de Carlo Rasini, installé piazza dei Mercanti à Milan. Parmi les collaborateurs de cette banque figurait Luigi Berlusconi, le père du futur homme d’affaires et président du conseil italien. Or c’est précisément avec l’aide de la Banca Rasini que Silvio Berlusconi finança un partie de la croissance de son groupe à ses débuts. Lors de l’opération policière « Saint Valentin » déclenchée à Milan le nuit du 14 février 1983, plusieurs chefs mafieux furent interpellés (notamment les frères Bono, Gaetano Fidanzati, Vittorio Mangano et Ugo Martello). La plupart d’entre eux était titulaire d’un compte à la Banca Rasini.

Dans l’entourage immédiat de Silvio Berlusconi figurèrent également plusieurs hommes d’honneur, pour la plupart introduits auprès de Berlusconi par son ami et secrétaire personnel Marcello Dell’Utri. Né en 1941 à Palerme, Dell’Utri entra au service de Berlusconi en 1973 lorsqu’il quitta son emploi à la Caisse d’Epargne de Belmonte Mezzagno en Sicile pour rejoindre Berlusconi à Milan. En 1977, Marcello Dell’Utri s’éloigna de Berlusconi pour partir s’occuper du groupe de Filippo Alberto Rapisarda, un sicilien né en 1931, originaire de Sommantino près de Caltanisetta, président de la holding Inim, utilisée par les familles palermitaines pour leurs opérations de blanchiment de fonds. A cette époque, Berlusconi était placé dans une situation financière délicate due au gel d’un certain nombre de ces projets de construction et à des problèmes d’emprunts bancaires.

Après la faillite frauduleuse de la société de Rapisarda, Marcello Dell’Utri revint en 1980 au service de Silvio Berlusconi et devint le directeur de Publitalia 80, l’agence publicitaire du groupe de Berlusconi. Entre temps, entre 1978 et 1979, le groupe de Berlusconi avait été largement recapitalisé. En 1980, Marcello Dell’Utri fut mis en examen en raison de ses relations mafieuses. L’affaire fut classée en 1989 par le juge Giorgio Della Lucia. Dans les années 1990, ce magistrat fut par la suite mis en examen pour corruption. Il avait perçu des fonds de Rapisarda pour étouffer l’affaire Dell’Utri. En 1995, Marcello Dell’Utri fut à nouveau mis en examen dans le cadre d’une affaire de fausses factures de Publitalia. Lors de la perquisition de son bureau, les policiers relevèrent une correspondance professionnelle entre Dell’Utri et le mafieux Vittorio Mangano. Proche de Vito Ciancimino, Marcello Dell’Utri a été un des principaux artisans de la création de Forza Italia à l’été 1993.

Vers 1974-1975, sur la recommandation de Dell’Utri 73 , Berlusconi embaucha Vittorio Mangano 74 comme palefrenier pour les écuries de sa villa San Martino à Arcore près de Milan. Mangano avait été recommandé à Dell’Utri et Berlusconi par Gaetano (Tanino) Cinà, homme d’honneur de la famille de Malasapina 75 . Né le 18 août 1940 à Palerme, Vittorio Mangano était en réalité membre de la famille palermitaine de Porta Nuovà, dirigée par Giuseppe (Pipo) Calo et constituait pour Berlusconi une sorte de garantie pour protéger sa famille des tentatives d’enlèvement en même temps qu’un trait d’union entre l’industriel milanais et l’organisation criminelle sicilienne. Mangano resta plusieurs années au service de Berlusconi. Prétendûment licencié en 1976, Mangano serait en fait resté jusqu’en 1986 dans l’entourage immédiat de Berlusconi. De retour en Sicile, Mangano devint le chef de la famille de Porta Nuovà à la suite de l’arrestation de Pipo Calo. Il fut par la suite interpellé et condamné pour un double meurtre, association mafieuse et trafic de drogue. Il est décédé au cours de l’été 2000.

Dans les années 1970, d’autres témoignages, en particulier de Francesco Di Carlo, chef de la famille d’Altofonte de 1974 à 1978 et commanditaire de l’assassinat de Roberto Calvi, font état de rencontres entre Silvio Berlusconi, Marcello Dell’Utri et les mafieux Gaetano Cinà, Mimmo Teresi et Stefano Bontate via larga à Milan au siège d’Edilnord, une des sociétés du groupe de Berlusconi. Salvatore Cancemi, un repenti, proche de Mangano, déclara même que plusieurs mafieux en fuite, condamnés par contumace, trouvèrent refuge dans les années 1970 dans la propriété de Silvio Berlusconi, notamment les frères Nino et Gateano Grado, Giuseppe Contorno et Francesco Marafa, pour la plupart proches de la famille palermitaine Santa Maria di Gesù.

A la fin des années 1990, le repenti Salvatore Cancemi affirma que des membres du groupe Fininvest de Silvio Berlusconi versaient périodiquement des sommes conséquentes à Cosa Nostra destinés à protéger les émetteurs télévisés de Silvio Berlusconi en Sicile. Ces installations étaient situés sur le territoire mafieux de Raffaele Ganci. Toujours selon Cancemi, Salvatore Riinà se serait employé dès 1990-1991 à entretenir une relation directe avec les dirigeants de la Fininvest, écartant ainsi définitivement Mangano de son rôle d’intermédiaire. L’objectif était de négocier les modalités d’un très important projet de rachat immobilier qu’envisageait la Fininvest dans les vieux quartiers de Palerme. A l’audience du 22 octobre 1999, Cancemi ira même jusqu’à affirmer que Riinà avait rencontré au moins une fois Berlusconi et Dell’Utri pour négocier l’abrogation de la loi sur les repentis.

Au mois d’avril 2000, les doutes sur les origines des financements du groupe de Silvio Berlusconi furent largement étayés par le travail d’enquête réalisé par Francesco Paolo Giuffrida, fonctionnaire de la Banque d’Italie, à la demande du parquet de Palerme dans le cadre de l’instruction judiciaire engagée par la DDA contre Marcello Dell’Utri. Le rapport de Giuffrida, confirmé par un second rapport de contre-expertise réalisé par la DIA, se concentra sur la provenance de près de 970 millions d’Euros injectés dans les sociétés Holding Italiana 1 à 22, à l’origine de la formation du groupe de Silvio Berlusconi à la fin des années 1970. Ces deux rapports démontrèrent l’extrême opacité des 38 holdings constitutives du groupe de Berlusconi. La plupart des très nombreuses augmentations de capital des sociétés de Berlusconi était en effet réalisée par le versement de liquidités. Entre 1977 et 1978, il fut par exemple noté l’injection en 28 versements d’importantes liquidités représentant un montant total de 32 millions d’Euros visant à renflouer deux sociétés importantes du groupe, la SAF et la Servizio Italia. Au cours des années 1978-1985, le flux d’argent qui a transité sur les comptes des 22 holdings Italiana dans la plus grande opacité aurait dépassé 1,7 milliard d’Euros. Sur ce montant, plus d’1 milliard d’Euros sont de provenance inconnue. A partir de 1985, disposant de tout l’appui du président du conseil Bettino Craxi qu’il avait largement contribué à financer à Milan, Berlusconi n’eut plus besoin de cette mécanique financière étrange et reçut le soutien massif de la place bancaire italienne (Cariplo, Comit, Banca di Roma, Credito Italiano) pour continuer à financer l’expansion à crédit de son groupe, notamment dans le secteur audiovisuel.

Une des hypothèses avancées fut que les liquidités injectées dans le groupe de Berlusconi provenaient en réalité du trésor de guerre accumulé par la P2 en Suisse. L’une des banques partenaires de Berlusconi à cette époque, était la Banca Nazionale del Lavoro (BNL), établissement bancaire considéré comme le plus profondément infiltré par les piduistes. Son président, le socialiste Nerio Nesi, fut d’ailleurs l’un des membres éminents de la loge P2. Or, c’est la BNL qui contrôlait les deux fiduciaires à l’origine de la création de la Fininvest et qui resta l’une des banques les plus généreuses à l’égard du groupe en dépit de son endettement massif.

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35 Procura della Repubblica di Palermo. Procedimento Penale contre Greco Michel ed Altri. N°3162/89A.PM.
36 Gerlando Caruana est le fils du capomandamento Leonardo (Nanà) Caruana, membre de la puissante famille sicilo-américaine des Cuntrera-Caruana-Vella, active dans le blanchiment des revenus du trafic de stupéfiants en Amérique du Nord, au Vénézuela et en Europe.
37 Rapport N°6696/19 « P » de la Légion des Carabiniers de Siculiana daté du 17 octobre 1981.
38 « All’Ombra dell’AIMA : frodi, truffe, sprechi, clientellismo negli aiuti all’agricoltua », Rapport du groupe PDS au Parlemeny italien.
39 Dépêche AFP du 24 juillet 1996.
40 Au début des années 1990, plusieurs familles de Cosa Nostra réactivèrent leurs contacts au Liban pour blanchir des fonds dans la reconstruction de Beyrouth.
41 L’annuaire Etablissements bancaires en Suisse 2000, édité par les Publications bancaires à Petit Lancy (Suisse), répertorie la présence à Lugano et à Chiasso de nombreuses banques connues pour leurs liens avec l’Italie, et leur implication fréquente dans des affaires de blanchiment : Banca Adamas, Banca del Ceresio, Banca Commerciale Lugano, Banca di Credito e Commercio, Banca Euromobiliare, Banca del Gottardo, Banca Monte Paschi, Banca Privata Edmond de Rotschild Lugano, Banca del Sempione, Banca Unione di Credito, BDL Banco di Lugano, Finter Bank Zürich, IBZ Investment Bank et Kredietbank (Suisse) Lugano.
42 « Les services secrets allemands accusent le Liechtenstein », in 24 heures du 8 novembre 1999.
43 Dépêche AFP du 18 mars 1992.
44 Evenimentul Zilei, février 2002, Bucarest.
45 Né le 25 août 1945 à Palerme, Lillo Rosario Lauricella est depuis 1993 soupçonné d’être un des blanchisseurs utilisé par Cosa Nostra. Le 9 mars 2001, Lauricella a été condamné en première instance par le Tribunal de Rome à 7 ans et 8 mois de prison.
46 Né le 22 janvier 1942 à Rome, Fausto Pellegrinetti s’était installé à Malaga en Espagne suite à une première affaire de stupéfiants survenue en Italie. En mars 2001, il a été condamné par contumace à 15 ans de prison par la justice italienne.
47 . Cf. « Cavallo : l’île suspecte », par Christophe Deloire, in Le Point, 5 juillet 2002 et « Une île à l’ombre de Cosa Nostra », par Jean Chichizola, in Le Figaro du 26 juillet 2002.
48 L’alliance entre Lauricella et Orsoni entraîna une vague d’attentats de la part du mouvement rival FLNC-Canal Historique de François Santoni : en 1990, deux restaurants de Cavallo furent plastiqués, en 1992, un commando fit irruption sur l’île par hélicoptère, et en 1994, le FLNC-Canal Historique procèda au mitraillage des façades du village. Lauricella fut contraint de faire appel à des bureaux d’études proches de Santoni pour que cessent les actions contre le complexe de Cavallo. D’autre part, 15 millions de dollars auraient également été versés à Santoni et à son mouvement et des membres de la mouvance autonomiste furent recrutés comme agents de sécurité.
49 Julien, alias Jules, Filipeddu, né le 10 février 1950 à La Maddalena Arzachanas (Sardaigne), de nationalité française, est le frère de François Filipeddu, né le 20 mars 1956 à Ajaccio et d’André-Noël Filipeddu, impliqués dans les affaires Carrefour du développement, VA/OM et du golf de Spérone (Corse du Sud).
50 Né en 1942. Député de Saint-Léonard (Québec) depuis 1984, président du Caucus libéral du Québec de 1988 à 1991, porte-parole du gouvernement fédéral canadien de 1993 à 1994, secrétaire d’Etat aux affaires parlementaires de 1994 à 1996, ministre du Travail de 1996 à 1997, ministre des Travaux publics de 1997 à 2000.
51 « Gagliano s’est enquis du dossier d’immigration d’un mafioso » André Cédilot et André Noël, La Presse, Montréal, mai 2001.
52 Les liens du sang. L’apogée et la chute d’une grande famille de la mafia, Nicaso et Lamothe, Editions de l’Homme, Montréal, 2001.
53 Au cours des années 1990, l’Istituto per le Opere di Religione (IOR) a été impliqué dans un trafic d’armes au profit d’une famille mafieuse de Catane et dans une tentative récente de détournement informatique de subventions européennes.
54 Fondé en 1887, l’Administration des Oeuvres des Religions fut transformé en 1942 en Istituto per le Opere di Religione (IOR) à l’initiative de Pe XII qui lui confia un rôle accru dans la gestion des avoirs mobiliers et immobiliers du Saint-Siège. En 1978, l’IOR gérait des actifs bruts supérieurs de plus de 1,2 milliards de dollars répartis sur environ 11 000 comptes dont seulement moins de 5 % appartenaient à des congrégations ou à des diocèses.
55 Présidé dans les années 1970 par le cardinal Villot, l’APSA gérait les biens mobiliers et immobiliers du Saint-Siège. A Rome, le Saint-Siège est par exemple propriétaire de plus de 5 000 appartements.
56 La Banca Privata Italiana résultait de la fusion en 1974 de la Banca Unione et de la Banca Privata Finanziara. Nommé liquidateur judiciaire de cette banque en 1974, Giorgio Ambrosoli avait accumulé depuis 1975 des informations sensibles sur les opérations financières réalisées par Michele Sindona.
57 Membre de la Camorra, Vincezzo Casillo décéda en 1983 suite à l’explosion criminelle de sa voiture.
58 En 1987, Francesco Di Carlo fut interpellé dans le cadre d’une enquête commune à Scotland Yard, la Gendarmerie Royale du Canada, la DEA et le FBI sur un filière de trafic d’héroïne entre la Thaïlande, le Pakistan, le Canada et le Royaume Uni. Francesco Di Carlo fut condamné dans cette affaire à 25 ans de prison. Di Carlo fut interrogé au Royaume Uni par Antonino Cassarà, adjoint au chef de la police de Palerme. Trois jours après son retour à Palerme, Cassarà fut assassiné par les Corleonesi.
59 D’origine sarde, Flavio Carboni était un ami de Pippo Calo, chef de la famille palermitaine de Porta Nuova et chargé d’importantes opérations de blanchiment de fonds issus du trafic d’héroïne.
60 « Ceausescu a fost imbrodit de masonerie prin Propaganda Due », par Viorel Patrichi, in Lumeam, N°4, 2000, Bucarest.
61 « Les assasins du banquier Roberto Calvi », p. 168, in L’Europe des parrains, par Fabrizio Calvi, Grasset, Pari, 1993.
62 Charles Poncet est actuellement avocat de l’une des parties impliquées dans le procès du Fondo (FSCE), un petit établissement financier ayant servi au financement du Parti Républicain français.
63 Le Nouveau Quotidien, 15 janvier 1995.
64 « Affaire Geli : Charles Poncet inculpé à Milan », par Paolo Fusi et Alain Maillard, in L’Hebdo du 6 janvier 1994.
65 Requête N°37752/97 et sentence du 19 octobre 1999.
66 « Gelli operato d’urgenza a Firenze », Quotidiano , 6 décembre 2000.
67 La Tribune du Mont-Blanc, 31 février 2002, Alain Jourdan et Olivier Annequin.
68 Né en 1915 à Lyon, Henry Blandier, alias Bandelair, a été collaborateur du régime de Vichy pendant l’occupation. En 1962, depuis Madrid, il a apporté son aide aux réseaux de l’OAS. Contraint à l’exil, il revient en France en 1979 et s’installe à Ferney-Voltaire (Ain), à proximité immédiate de la ville de Genève. Proche de la mouvance templière, il préside le Conseil International de Recherche Culturel et Spirituel (CIRCES), une couverture utilisée par l’Ordre Rénové du Temple (ORT) dirigé par Julien Origas, un ancien milicien. En 1982, il est exclu de la Fédération mondiale des villes jumelées à la suite de l’élection de Pierre Mauroy à la présidence de cette association. Henry Blandier en profite pour créer l’Agence des Cités Unies pour la Coopération Nord-Sud et le 1er janvier 2000 parvient à faire accréditer par les Nations unies Raffaelo et Marta Gelli, le fils et la belle-fille de Liccio Gelli, par le biais de son Agence. Henry Blandier est décédé le 27 février 2001 à l’âge de 86 ans. Depuis cette date, Raffaelo Gelli est le président exécutif de l’ Agence des Cités Unies pour la Coopération Nord-Sud.
69 Ancien militant d’extrême-gauche, Fabrizio Calvi, de son vrai nom Jean-Claude Zagdoun, fut journaliste à Libération (1976-1981) puis correspondant en Italie du Matin de Paris.
70 Cité pp.51-52, in L’odeur de l’argent, Elio Veltri et MarcoTravaglio, Fayard, 2002.
71 Depuis le milieu des années 1980, 14 procédures judiciaires ont été engagés à l’encontre de Silvio Berlusconi pour faux témognage (loge P2), corruption de la Garde des Finances, financement illégal du PSI de Bettino Craxi (All Iberian 1), faux bilan (All Iberian 2), faux bilan (Medusa Cinematografica), fraude fiscale (Terrains de Macherio), corruption de magistrats (Affaire Lodo Mondadori), corruption de magistrats (Affaire SME-Ariosto), faux bilan (Affaire Lentini), faux bilan (Fininvest), concussion (contrats publicitaires), corruption (versement de pots-de-vin à l’administration fiscale), complicité d’attentats (dénonciations des repentis) et fraude fiscale (Affaire Telecinco).
72 Les actifs de la Banca Rasini ont depuis été rachetés par la Banca Popolare di Lodi.
73 Selon, Mangano, Dell’Utri a fait sa connaissance à la fin des années 1960 au club de foot de l’Arenella à Palerme.
74 L’Intoccabile, Leo Sisti, Milan, Ed. Kaos, 1997.
75 Né en 1930 à Palerme, Gaetano Cinà était lié à Mimmo Teresi, bras-droit du parrain Stefano Bontate. Son épouse était une Citarda, une puissante famille mafieuse qui dirigea un temps la famille de Maspina à laquelle appartinrent des personnalités comme le repenti Francesco Marino Mannoia et le député Salvo Lima.