DEPUIS début décembre 2024, les médias occidentaux/européens informent mal sur le séisme du Proche-Orient, se bornant d’usage à reprendre ce qu’énonce l’administration sortante de Washing-ton (en mode néo-conservateur) ; parfois aussi, l’Ukraine-Zelensky. Or l’opinion publique fran-çaise mérite d’être informée sur ces événements qui marqueront les décennies à venir. Partant de sources et forces actives sur le terrain, voici donc une chronologie des évolutions proche-orien-tales ; rapide car bien sûr, il faudrait un livre entier pour suivre toute l’affaire dans ses détails.

– Ankara, novembre 2024 : ce qui alors débute en Syrie est longuement préparé par R. T. Erdogan, son durable chef des services spéciaux (le MIT), Hakan Fidan (depuis juin 2023 ministre des Af-faires étrangères) et Ibrahim Kalin, son successeur au MIT. Dès 2012, début de la guerre civile en Syrie, l’armée turque occupe la zone frontière d’Idlib (± 6 000 km2), qu’elle connaît comme sa poche : là réside le gros des rebelles syriens et s’opère le séculaire trafic entre mondes turc et arabe. Là, le MIT et ses milices envoie des centaines de jeunes islamistes étudier dans les universi-tés turques. Dès 2016, sur « conseil » turc, al-Qaïda en Syrie rompt avec sa centrale et prend un nom sans écho islamique : « Organisation pour la libération de l’Orient », Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Ainsi, dit un expert, le pouvoir installé à Damas à la mi-décembre 2024 est truffé de cadres que Hakan Fidan, alors patron du MIT, a « choisi un par un » ; tous parlent turc aussi bien qu’arabe.
– Dès novembre 2024, avant l’assaut sur Damas, les Russes négocient avec HTS ; alors que Bachar al-Assad demande à voir V. Poutine : refus ; la décision de le « débrancher » est sans doute prise. Comment l’établir ? Quand les rebelles syriens foncent d’Idlib sur Alep (27 novembre) l’aviation russe les bombarde ; mais, notent des observateurs, seules les colonnes de moudjahidine de l’ex-URSS (« Ajnat al-Kavkaz ») ou de la Chine (islamistes ouighours) sont frappées – celles de HTS avancent indemnes. Aussi, le caïd tchétchène Ramzan Kadyrov, voix de l’islam politique en Rus-sie, exige le retrait de HTS de la liste des entités terroristes…
– Réunis au Qatar (1e et 2 décembre) les ministres des Affaires étrangères de Russie, Turquie et Iran, dépècent la Syrie de Bachar. Celui-ci est alors « débranché » par deux piliers de son régime : son propre frère, Maher al-Assad, général commandant la 4e division blindée vouée à protéger le pouvoir ; et le puissant Ali Mamlouk, durable patron-coordinateur des services spéciaux du ré-gime. Exfiltrés de Damas par des hélicos des commandos russes vers la base de Hmeimin, Bachar et sa famille s’envolent pour Moscou.
– Le 3 décembre, Erdogan a longuement Poutine au téléphone – exclu, disent les experts, qu’il lui cache l’offensive du lendemain ; bien plutôt, on se concerte pour la suite. Signe que tout est ar-rangé : la Chine est muette ; la Ligue arabe, aux abonnés absents ; même à Moscou, tout le person-nel reste en poste dans les ambassades de Syrie, seul change le drapeau à l’entrée.
– Le 4 décembre, assaut de HTS vers le sud, l’armée syrienne recule sans tirer un coup de canon, cé-dant ville après ville jusqu’à Damas.
– Le 8 décembre, Erdogan déclare aux cadres de son parti que Poutine et lui sont les derniers grands géopoliticiens et que sous peu, le monde sera sidéré de ce qu’il advient au Levant…
– Le 12 décembre, Ibrahim Kalin, chef du MIT, arrive à Damas et fonce prier à la mosquée des Omeyyades, pôle spirituel majeur du Levant : depuis trois millénaires, temple araméen du dieu Hadad, puis cathédrale byzantine ; enfin, mosquée sunnite – mais tolérante, car abritant la tombe de Saint-Jean-Baptiste. L’empire ottoman est de retour…
– Le 13 décembre, Hakan Fidan reçoit (fraîchement) Anthony Blinken, ministre sortant des Affaires étrangères de Joe Biden : qu’il laisse faire les grands – et bons vœux pour sa retraite…
– Mi-décembre : le partage est fait : Erdogan contrôle la Syrie utile, de sa frontière à Damas ; il pourra chasser du nord-est du pays les milices kurdes alliées de Washington ; le djihadi en cos-tume-cravate Ahmed al-Shara (Abu Mohamad al-Jolani), nouveau maître de Damas, regarde ail-leurs quand l’armée d’Israël occupe jusqu’à Kuneïtra le plateau du Golan : peut-être, l’accord de dépeçage de la Syrie de Bachar comptait-il un partenaire muet…

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