DANS un récent « Journal du Dimanche », immense publi-reportage sur Gérald Darmanin, à présent garde des sceaux, avec la distance et la nuance du journal de Bagdad sous Saddam Hussein. Lisons cela. D’abord, les usuelles rodomontades : « Avec la détermina-tion que vous me connaissez… Sous mon autorité… » Abordons le concret : « Pour la pre-mière fois, la justice a établi une cartographie précise des prisons françaises » – Non : le Renseignement pénitentiaire sait cela de longue date.
Le reste de l’entretien est du déclaratif pur, en mode plan d’appartement témoin pour programme immobilier : « J’ai constitué une commission… elle devra organiser… je de-mande que… nous devrons et allons… J’ai engagé des discussions… je suis cela de près… Nous allons lancer… Je vais donner des instructions… Nous devons nous imposer… Il faut changer…
Éternel débutant, M. Darmanin : Réclame… Exige de son administration… Entame une discussion… Suivent des critiques, comme si M. Darmanin & co n’étaient pas aux af-faires depuis des décennies et lui-même, l’antérieur ministre de l’Intérieur trois ans du-rant : « Cela devient inacceptable… il faudra dénoncer… L’État est très défaillant… Honte absolue… Échouer là-dessus est un scandale…
Peu après, autre publi-reportage du « Figaro », pleine page sur le trafic de cocaïne : « Plon-gée au cœur d’une traque hors norme »… Voyons cela : quelques chiffres confus, contra-dictoires et anciens, des anecdotes vingt fois entendues ; enfin, piteuse conclusion au détour d’une phrase « La puissance financière des mafias (??) de la drogue est telle qu’elles peuvent quasiment tout se permettre » Une pleine page et un tel aveu d’impuis-sance officielle …
Dans ses « Contributions à la critique de l’économie politique » (1859) Karl Marx définit les rap-ports sociaux entre infrastructure et superstructure ; un siècle et demi plus tard, rap-ports inversés, on le voit bien ; ce qui relève de la superstructure médiatique s’impose toujours plus à la base sociale ; par médias interposés, les gouvernants pèsent toujours plus lourd sur les gouvernés.
Mais cette chape est pour l’essentiel fictive : tous les précités publi-reportages n’affec-tent en rien ou presque le réel du terrain ; ces articles masquent, occultent, tentent de chasser cette réalité de la conscience populaire – elle n’en persiste pas moins.