Sécurité globale – Hors-série n°1

Introduction

Dans “La Société du risque”, son prophétique ouvrage sur une société de l’information alors balbutiante, Ulrich Beck souligne ceci : “L’horizon chronologique de la perception que l’on a de l’existence se rétrécit continuellement, jusqu’à ce que l’histoire, dans les cas limites, finisse par se réduire au présent”. De fait, l’instantanéité du cybernétique nous assigne toujours plus le très court terme, voire l’immédiateté, comme norme temporelle.
Le travail, les communications, la vie privée même, subissent l’envahissement et la prédominance de l’instantané.

A l’ère de l’éphémère, de la mobilité constante et du provisoire permanent, rien bien sûr n’est vraiment assuré, sauf ceci : pour survivre, tout spécialiste doit désormais devenir prévisionniste ; pour triompher, toute stratégie doit intégrer une cruciale phase amont ; partout, l’essentiel consiste toujours plus à savoir devancer.

Filant sur la crête des vagues, le surfeur tire son équilibre et sa vitesse d’un minime devancement du retournement du rouleau. De même et chaque jour plus assurément, l’expert ne peut être qu’un devancier. Qu’il se laisse rattraper et le voilà (socialement) disqualifié.

Or si son champ d’expertise concerne ce qu’on appelle aujourd’hui la sécurité globale, l’expert déplore une situation paradoxale : dans son domaine, la phase du pré-alable – celle où l’on pré-voit, pré-pare ou pré-conise ; celle où le décèlement pré-coce des menaces permet de les pré-venir, cette cruciale phase du “pré”, est soit négligée, soit réduite à des incantations proférées par de brave gens n’ayant pas idée de comment, ensuite, passer à l’acte.

Partout ailleurs dans l’existence humaine, cette phase du préalable est tellement banale qu’on n’y songe même plus. Quel chirurgien opère son patient sans avoir d’abord réclamé maintes explorations radiologiques ou biologiques ? Quelle ménagère néglige encore de brancher son compteur électrique avant d’utiliser son réfrigérateur ? Quel cuisinier omet de se munir d’huile avant de faire une mayonnaise ?

Eh bien, l’aisance avec laquelle l’homme s’ébat dans ce que la philosophie nomme “champ préalable d’inspection” s’évanouit dès lors qu’il affronte un problème de sécurité – domaine dans lequel la charge aveugle du taureau dans le magasin de porcelaine est encore trop souvent la norme. Tout de suite, on songe ici aux navrantes guerres néocoloniales type Irak ou Afghanistan, mais ce sont loin d’être des cas isolés.

D’où l’idée de cette étude, consacrée à la “phase amont” du décèlement précoce. Toujours fécond, le concept (lui aussi philosophique”) de “conditions constitutives” nous fournit celles de cette étude : détecter précocement un danger ou une menace consiste d’abord à voir clair mais aussi à voir tôt.

VOIR CLAIR (décèlement) : d’abord, examiner et assimiler ce qui nous empêche de percevoir, pour y remédier ensuite. Cette première phase traite de l’aveuglement.

VOIR TÔT (précoce) : recouvrer la vue ne suffit pas ; encore faut-il que cette lucidité advienne à temps. Cette seconde phase traite donc de la temporalité.

Xavier Raufer
Criminologue, enseignant, essayiste

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