(voir également le texte répression/1987)
En janvier, arrestation à Rome, après une fusillade,
de trois cadres de l'UCC, Paolo Casseta, Fabrizio Melario, et Geraldina
Colotti. Deux de ceux-ci, âgés de 25 et 30 ans, sont totalement
inconnus des services de police.
FEVRIER
TEXTES THEORIQUES
Lors du "Procès Moro/ter" des militants détenus des B.R.-PCC
font circuler un document très intéressant, qui déclare
notamment :
" La stratégie de la lutte armée, la pratique de la guérilla
leur rôle historique irremplaçable pour le prolétariat
révolutionnaire, dans le cadre d'une lutte de classes prolongées
pour écraser l'Etat et fonder la société socialiste".
(…)
"Cela unit chaque jour davantage les intérêts de notre
révolution à ceux de tous le peuples et forces révolutionnaires
qui combattent dans l'espace méditerranéen et au Proche-Orient
contre un même ennemi, l'impérialisme occidental aux ordres
des Etats-Unis. Aux côtés de la guérilla européenne
(…) les B.R.-PCC ont l'intention de développer leur processus révolutionnaire,
avec la conviction que leur victoire dépend étroitement du
renversement du rapport des forces, et de la défaite de l'impérialisme
dans cette région.
(…)
- Renforçons le front anti-impérialiste en Europe Occidentale
et autour de la Méditerranée !
- Solidarité avec le combat du peuple Palestinien !
- Guerre à la guerre ! Guerre à l'OTAN !
- Contre la guerre impérialiste, guerre de classes pour affirmer
le pouvoir et la dictature du prolétariat ! (17.02.1987)
[texte signé en premier par Barbara Balzerani, qui semble avoir
regagné le bercail P.C.C.]
ACTIONS MILITAIRES
- Trois jours avant la publication du texte ci-dessus, un commando
des B.R.-PCC (7 hommes, 1 femme) attaque un fourgon postal à Rome,
au cours d'une action spectaculaire menée avec un sang-froid et
un professionnalisme digne de la "Campagne de printemps" 1978. Deux policiers
sont tués. Butin : 7 millions de francs. Le commando visible était
fort de 9 personnes, dont plusieurs, en uniforme blanc, se sont fait passer
pour des policiers en embuscade. Il n'est pas impossible que cette opération
ait mobilisé près de 15 personnes du côté terroriste.
La police craint que Rome ne serve de "ville laboratoire" avant un
redéploiement des B.R. dans leurs anciens fiefs du "triangle de
fer" Milan-Gênes-Turin.
MARS
ACTIONS MILITAIRES
- Assassinat à Rome, par deux jeunes hommes à moto, du
Général Licio Giorgeri, chef du département des armements
aéronautiques et spaciaux de l'Armée de l'air. Revendication
de l'UCC.
Textes théoriques
Peu après l'assassinat du Général Giorgeri, l'UCC
publie, dans un premier temps, un communiqué de 14 pages, distribué
simultanément à Rome, Milan et gènes; puis un opuscule
de 149 pages intitulé "Comment sortir de la situation d'urgence".
Sur la couverture, l'étoile encerclée des B.R. et, autour
les mots UNION COMMUNISTE COMBATTANTE.
A la fin, les mots d'ordre suivants :
"Non à l'adhésion italienne à la guerre des étoiles"!
"L'Italie hors de l'Otan"!
"Non à la politique de gendarme de l'Italie en Méditerranée
! Unité à la base de toutes les forces opposées aux
néo dictatures des gouvernements bourgeois"!
"Hommage à la Camarade Wilma Monaco "Roberta"!
Ce sera le dernier texte de l'UCC qui va être anéantie
entre avril et octobre 1987.
POINT D'ORGUE
Peu à peu, les éléments détenus désespèrent
et craquent : en avril 1984, quatre des chefs historiques des B.R., Renato
Curcio, Mario Moretti, Maurizio Janelli et Piero Bertolazzi publient dans
"Il Manifesto" une "lettre ouverte" où ils prennent leurs distances
avec une lutte armée désormais inutile, "les conditions internationales
qui avaient favorisé cette lutte sont désormais dépassées";
ils demandent une large amnistie.
En octobre 1987, et cette nouvelle fait l'effet d'un coup de tonnerre,
c'est au tour de chefs "irréductibles" parmi les plus farouches,
dans la ligne des B.R.PCC de publier un document qui constitue une renonciation
de facto à la lutte armée (sans qu'il sont pour eux
question de "repentir"). Barbara Balzerani, Luigi Novelli, Giuseppe Scirocco,
Piero Vanzi sont très clairs :
"Les transformations politiques et sociales à l'intérieur
du pays, tout comme l'évolution des relations internationales, rendent
caduques notre projet révolutionnaire et la stratégie qui
l'appuyait."
Ils vont même jusqu'à dire que :
"Là où la révolution ne triomphe pas, c'est la
bourgeoisie qui résout en sa faveur les contradictions de la société
et ce d'autant plus aisément quand il en découle un quelconque
développement social."
Plus loin, ils qualifient leur ancien projet d'"ostensiblement
antihistorique" et de "rituels meta-historiques d'éducation des
masses… peu sérieux."
Quand on sait le rôle majeur de l'idéologie pour le militant
clandestin (voir Notes & Etudes N°1) de telles condamnations par
le "Vatican collectif brigadiste" incarcéré ne peuvent qu'avoir
un effet ravageur sur les noyaux encore actifs. Cela signifie-t-il la fin
de la guerilla communiste combattante en Italie ? Non, sans doute.
Mais le fait est que si fin il doit y avoir, nous n'en avons jamais été
si près.
CONCLUSION
Après mai 1968, un joyeux drille fit la remarque suivante :
les groupes gauchistes - les trotskistes en particulier - se reproduisaient
soit comme des amibes, par scissiparité ; soit comme des artichauts,
en éléments évoluant du centre vers la périphérie,
avant de se détacher. En bon stalino-maoïstes les brigadistes
vomissent les sectateurs du "vieux" mais, dut-on leur causer une peine
immense, la comparaison, dans leur cas, demeure valide ; et, ne nous le
dissimulons pas, le mode de reproduction de l'artichaut est le garant d'une
certaine longévité.
Pendant encore quelques années, de ce fait, y aura-t-il encore
en Italie des scissions au sein d'un "parti armé" résiduel,
quelques hold-up, quelques meurtres, hélas, quelques "résolutions"
bien indigestes, mais - les brigadistes s'en doutent-ils seulement ? -
Quelque chose s'est produit vers la fin des années 70, qui a fait
sentir deux ou trois ans après ses effets ravageurs et sans doute
incurables.
Ce phénomène, terrifiant les B.R., est des plus simples
à exprimer, encore que seul un Italien, ou un Français, puisse
le comprendre intimement ; en envisager toutes les conséquences
: la guérilla, la lutte armée, le culte du Pi'trent'otto,
tout cela, un beau jour, tout bêtement, est passé de mode.
Cela ne diminue en rien le mérite immense des juges, des carabiniers,
des policiers qui ont durement combattu, mais ce qui faisait briller les
yeux des étudiantes en sociologie, ce qui poussait les jeunes de
Sesto San'Giovanni à menacer les voitures de police d'un revolver
simulé fait du pouce et de l'index a cessé de les exciter
; s'est mis à les faire bailler ; a fini par rejoindre le tiroir
aux vieilles chimères : le charme était bel et bien rompu.
Les brigadistes incarcérés, ceux qui sont encore tapis
dans leurs bases et tremblent quand ils entendent des pas dans l'escalier,
ont devant eux tout le temps nécessaire pour méditer là
dessus avec amertume. Et c'est, après tout, aussi bien ainsi.
Xavier Raufer
11-87