SECTION 1 : Classification des techniques selon leur niveau

Jean de Maillard35 a mis au point une classification des techniques selon leur niveau de développement et selon l'implication financière des blanchisseurs. Sa classification se présente comme suit :

1 - Le Blanchiment élémentaire :
C'est celui qui vise à transformer par le ci
rcuit le plus court des liquidités sales ou noires en argent légal. Il s'agirait d'opérations ponctuelles, épisodiques ou d'assez faible importance, destinées surtout à réaliser des dépenses de consommation immédiate ou des investissements peu coûteux. Pour ce qui est des contraintes, ce mode de blanchiment concerne des zones de faible pression légale ou des utilisations dans des secteurs marginaux de l'économie formelle. Les techniques mises en _uvre seront peu complexes puisqu'il ne sera pas nécessaire de faire intervenir de nombreux leurres : faux gains au jeu, introduction de l'argent sale dans les recettes en liquide d'un commerce, échange de devises dans un bureau de change, etc.

2 - Le blanchiment élaboré :

Il correspond au désir de réinvestir le produit de l'argent criminel dans les circuits légaux de l'économie. Ce mode implique des montants importants et de périodicité régulière, ce qui justifie des circuits stables de recyclage. En outre, il concerne des zones de pression légale élevée ou des utilisations requérant une forte crédibilité.
A ce niveau, pourront aussi être traitées des sommes provenant de sources diverses, ayant déjà subi un premier blanchiment élémentaire. Par exemple, un revendeur de drogue ayant un trafic florissant sera vite embarrassé de justifier l'origine de ses ressources.

Pour pallier à ce problème, il pourrait, dans un premier temps, en blanchir une partie en déclarant des faux gains de jeu et mélanger le reste aux revenus d'un petit commerce ou aux loyers de quelques appartements qu'il aurait achetés dans son quartier au nom des membres de sa famille. Si son commerce illicite continue à se développer, viendra le moment où il devra réunir les fonds de ces diverses origines et les revenus criminels qu'il continue d'accumuler, en utilisant d'autres moyens plus élaborés pour recycler l'ensemble.

Il pourrait alors se livrer à des spéculations immobilières simulées qui justifieront les rentrées soudaines plus importantes qui sont désormais les siennes. Il pourrait, également entre temps, créer plusieurs sociétés commerciales, s'entourer de juristes et de financiers avisés, ouvrir des comptes bancaires dans des paradis fiscaux, bref se doter de tout un éventail de structures et de conseillers pour faire fonctionner l'ensemble de ses activités dont les unes sont devenues légales et visibles.

3 - Le blanchiment sophistiqué :

A partir d'un certain niveau, le blanchisseur ne peut plus recourir aux moyens traditionnels de l'économie pour justifier la provenance de ses ressources, d'autant qu'elles sont amassées dans de très brefs délais. Or, il est bien rare que des fortunes importantes se créent honnêtement sans qu'on sache, au moins à peu près, de quelle manière elles se sont formées. Il est certes facile, quand on dispose de sommes élevées, de les faire fructifier sur les marchés financiers où, moyennant quelques précautions élémentaires, personne ne vous demande d'où vient votre argent. Pour blanchir quelques centaines de millions de francs sur le Matif (Marché à terme d'instruments financiers), le faux épicier de Catane ou l'ancien coiffeur de Corleone, vrais parrains mafieux, pourront se contenter de faire passer leurs ordres par une société-coquille de droit panaméen ayant un compte aux îles Vierges, où est déposé l'argent sale, et un autre dans une banque à New Delhi où il est ensuite transféré pour les besoins de l'opération.

La banque indienne adressera les ordres à sa correspondante parisienne ou londonienne, et personne ne pourra remonter la filière. Mais, comment peut-on récupérer les fonds versés par la chambre de compensation du marché financier ? L'opération aura-t-elle lieu à Catane ou à Carleone ? Évidemment pas. Le mieux est de les laisser sillonner les marchés financiers, d'un placement à un autre. Le tout est de disposer d'un réseau dense de sociétés commerciales éparpillées à travers le monde, comprenant si possible des banques ou des compagnies d'assurance.

L'argent y circulera au gré des spéculations réelles ou supposées, en irriguant les comptes en banque des administrateurs représentant en sous-main l'épicier de Catane ou le coiffeur de Corleone, dont les enfants terminent leurs études à Harvard ou à Sciences Po. Autant dire que, désormais, l'argent du crime peut affronter sans crainte l'examen pointilleux des autorités dans les pays du G7, où la pression légale est généralement élevée, son utilisation devenant même d'autant plus crédible qu'il a mieux franchi les étapes de sélection que le GAFI impose à ces pays modèles.

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35Jean de Maillard & Pierre-Xavier Grézaud, "Un monde sans loi", op-cit, p. 98.