SECTION 1 : Le processus de blanchiment

1- Première étape : Le placement, prélavage ou immersion

La technique du placement ou du prélavage permet de se débarrasser matériellement d'importantes sommes d'argent en numéraire. Les méthodes d'écoulement les plus utilisées sont entre autres : les dépôts ou achats d'instruments monétaires dans des établissements financiers, l'investissement dans des secteurs brassant beaucoup de liquidités (casinos, négociants en métaux précieux, services d'encaissement des chèques, hôtellerie, restaurants, bar, etc.) ou l'acquisition de biens mobiliers ou immobiliers.

Outre les services des institutions financières bancaires (IFB), les techniques de placement utilisées dans les institutions financières non bancaires (IFNB) tels que les bureaux de change, les courtiers en valeur, les services postaux et télégraphiques ainsi que les casinos conservent les mêmes caractéristiques dans l'organisation et la structuration du circuit financier et reposent sur les mêmes complicités internes.

L'une des techniques de placement les plus courantes est celle de la fourmi ou (shtroumphage), qui semble à première vue relever du bricolage, permet d'utiliser les outils du système bancaire pour les opérations de placement des capitaux illégaux ainsi que leur transfert à l'étranger, grâce au fractionnement ou la structuration des dépôts en opérations de petites sommes, par la multiplication des prête-noms afin d'éviter les contrôles.

Lorsque la première étape du placement est réussie pour le blanchisseur, la détection de son activité sera presque impossible sans informations dites ( privilégiées ). C'est en effet au stade du placement que le processus de blanchiment est le plus vulnérable, dans la mesure où les dépôts de grosses sommes en numéraire sont plus facilement détectables, et où la preuve de leur origine illégale peut aisément être apportée par les autorités policières, judiciaires ou fiscales.

Cependant, comme nous l'examinerons par la suite, l'existence de paradis bancaires et fiscaux de par le monde, contribue largement à la réalisation à terme des opérations de placement. Étape essentielle dans le processus de blanchiment, les institutions financières bancaires et non bancaires qui la réalisent apparaissent comme les principaux agents de la transmission de fonds occultes, assurant ainsi la jonction de l'informalité au reste de l'économie.

2- Deuxième étape : Empilage, dispersion, brassage ou lavage

Cette procédure consiste à empêcher toute identification de l'origine illicite des revenus occultes, en créant un système complexe de transactions financières successives telles que la conversion de sommes à blanchir en outils de paiement, comme les chèques de voyage, les lettres de crédits, les billets à ordre, les chèques de caisse, les obligations ou les bons du Trésor, l'achat d'or ou de biens destinés à la revente hors du territoire, ainsi que le transfert électronique ou télégraphique des fonds illicites vers différentes places financières.

La conversion des capitaux occultes en outils de paiement rend leurs transports, dépôts et placement plus discrets et moins détectables par les autorités chargées de leur contrôle, tandis que l'acquisition d'or ou d'oeuvre d'art permet la dissimulation de l'identité de l'acquéreur ainsi qu'une meilleure couverture des produits d'origine illégale.

L'utilisation des transferts électroniques ou télégraphiques est actuellement une technique très prisée dans le recyclage, dans la mesure où elle garantit la rapidité et l'anonymat, compte tenu des milliards de dollars échangés quotidiennement dans le monde, par les systèmes SWIFT, Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications (Compagnie de télécommunication mondiale pour les transactions financières interbancaires) et CHIPS, Clearing House Interbank Payments System (Chambre de compensation des systèmes de paiement interbancaires) faisant ainsi passer les techniques de blanchiment de ( l'âge de pierre à la génération de l'atome ). Nous reviendrons en détail sur les techniques du blanchiment dans la troisième partie.

3- Troisième étape : Intégration, recyclage ou essorage

Cette méthode revient à réintroduire les sommes blanchis dans l'économie après leur avoir donné une légitimité. En effet, l'intégration permet de réinsérer le produit des opérations d'empilage dans l'économie de manière à ce qu'ils apparaissent comme les profits légaux d'une activité économique officielle. A ce stade, la preuve de l'illégalité des revenus devient quasiment impossible à démontrer si les deux précédentes opérations ont été brillamment menées à leur terme par les recycleurs. La réinsertion des capitaux blanchis, qui dépend de l'ingéniosité du recycleur, peut prendre diverses formes et utiliser des techniques sans cesse renouvelées, notamment les sociétés écrans et les prêts adossés.

Toujours novateurs, les blanchisseurs de capitaux interviennent de plus en plus souvent sur les marchés à terme de marchandises. Extrêmement spéculatifs, très déréglementés et dépourvus de bases matérielles stables, les échanges s'effectuant sur des contrats anticipant l'évolution des cours. Les marchés à terme fournissent un cadre propice pour le blanchiment de grosses sommes. La détection de ( transactions miroirs ) noyées dans la masse des transactions légitimes qui se réalisent quotidiennement sur ces marchés devient dans ces conditions irréalisable.

Aujourd'hui basé sur les subtilités des techniques financières internationales ainsi que sur les dysfonctionnements des législations bancaires, le blanchiment de l'argent illégal exige la complicité des banques et des institutions de dépôts aux stades initiaux de son processus. L'utilisation des centres Offshore et des paradis bancaires et fiscaux, qui garantissent aux utilisateurs de leurs infrastructures le strict respect du secret, dans le montage des circuits de recyclage de l'argent, apparaît comme le principal obstacle dans l'identification et la saisie des capitaux d'origine illégale.

De plus le potentiel financier de certaines activités économiques informelles liées aux activités criminelles et illégales internationales exerceront toujours une fascination irrésistible sur une multitude d'affairistes et de banquiers. Le blanchiment apparaît désormais comme la condition sine qua non à la réalisation et à la viabilité économique des activités informelles marchandes, dans la mesure où les investissements permettant leur reproduction dépendent en partie de la réintroduction des capitaux illégaux dans le circuit économique officiel.

LE PROCESSUS DE BLANCHIMENT32

Page précédente | Sommaire | Page suivante


32Le Monde, Dossiers et Documents, n°174, février 1990, p. 12