SECTION 1 : La définition du sens empirique et juridique du blanchiment

Le blanchiment de l'argent est une expression qui a été employée pour la première fois aux États-Unis pour définir la mainmise de la mafia sur des laveries automatiques. A l'époque de la prohibition, les gangsters américains mirent cette technique au point en investissant leurs revenus illicites dans une chaîne de laveries automatiques, les ( laundromats ). Les revenus étant exclusivement encaissés en monnaie fiduciaire, les chiffres d'affaires de ces entreprises devenaient incontrôlables, offrant ainsi la possibilité d'investir des revenus occultes et illicites dans des entreprises légales et ( respectables ).

En effet, dans les années 1920, le gangster AL CAPONE (chef de la famille mafienne de Chicago) racheta une chaîne entière de laveries automatiques où les ménagères payaient leur lessive en argent liquide. L'objet du projet était de camoufler la provenance de ses capitaux. Les recettes étant incontrôlables, il ne restait plus qu'à ajouter l'argent sale du trafic d'alcool à l'argent propre des blanchisseries pour en faire des sommes complètement licites.

En outre, l'expression ( blanchiment d'argent ) a été utilisée pour la première fois dans le cadre juridique en 1982 lors d'une affaire intéressant les États-Unis et impliquant la confiscation de fonds provenant de la cocaïne colombienne. Il est important de souligner que le terme ( blanchiment ) l'a emporté sur ( blanchissage ) après une longue lutte sémantique.

Ce vocable est utilisé avec des sens quelque peu différents selon les latitudes et la nature de ses utilisateurs : politiciens, économistes, juristes, sociologues, financiers ou encore les spécialistes des phénomènes mafieux...

1 - Définitions empiriques :

Selon le dictionnaire le Petit Robert, le blanchiment est une opération qui consiste à donner une existence légale à des fonds dont l'origine est frauduleuse ou illicite. Dans d'autres dictionnaires, tel que le Petit Larousse, le blanchiment est désigné comme l'action de faire disparaître toute preuve de ses origines irrégulières ou frauduleuses.

Le Conseil de l'Europe définit le blanchiment à partir de sa finalité qui se résume dans  « la transformation de fonds illicites en argent licite, donc réinvestissables dans des secteurs légaux ou utilisables à des fins personnelles. »2

Pour d'autres auteurs, le blanchiment signifie « l'existence d'un argent sale que l'on veut nettoyer, blanchir ou laver de sa saleté  (voir annexe 1) »3

Dans le langage moderne, il s'agit d'un processus plus complexe, recourant souvent aux derniers progrès de la technique, qui a pour objectif d'assainir l'argent de façon à camoufler sa véritable source. Le but est de justifier le contrôle ou la possession d'argent blanchi.

La notion de blanchiment repose sur l'existence d'argent « sale » ou « noir », c'est-à-dire de fonds qui, laissés tels quels, sont susceptibles de permettre de remonter aux auteurs d'une activité illégale. Nous reviendrons sur la distinction entre argent « sale » et argent « noir » dans la deuxième section.

« Considéré comme concept délinquantiel, le blanchiment se caractérise par la recherche des effets suivants : l'effacement de toute trace d'identification, la garantie de l'anonymat des déposants, l'assurance de récupérer rapidement les fonds propres.

 Le délinquant recherche les ressources suivantes : la fiabilité, par le recours au système bancaire à la fin du processus, la rapidité, en privilégiant les circuits les plus courts possibles, la discrétion, en choisissant les pays d'accueil des opérations aux législations favorables. »4

En effet, l'un des principaux théoriciens dans ce domaine, Paolo Bernasconi a rappelé dans l'une des ses publications, les trois types de raisons pour lesquelles des capitaux peuvent être blanchis :

« Le blanchiment de fonds désigne couramment le recyclage par l'intermédiaire du système financier de l'argent (sale), habituellement des espèces provenant d'activités criminelles, en argent (légitime) de sorte qu'il est impossible de retracer l'auteur de l'opération ou de prouver l'origine illicite des fonds. »6

Cette définition semble réductrice et incomplète puisque, comme nous le verrons, le système financier n'est pas le seul circuit emprunté par les blanchisseurs et que pour certains auteurs et économistes, le blanchiment ne renvoie pas forcément à une activité criminelle.

2 - Définitions juridiques :

« La notion juridique de blanchiment est précisée dans des textes conçus par des organisations interétatiques à vocation universelle, comme les Nations Unies, ou à vocation régionale comme le Conseil de l'Europe, ou encore par des entités d'intégration comme l'Union Européenne. »7

« La particularité du blanchiment est qu'il se définit par rapport à une infraction préalable, comme par exemple un trafic de stupéfiants. Mais, le problème majeur est de rapporter la preuve des liens unissant les deux infractions, la preuve que le blanchisseur connaissait l'origine de l'argent qui lui avait été confié. »8

C'est à partir de 1980 que les premiers textes anti-blanchiment sont apparus et que le contrôle d'identité aux guichets des banques, lors de l'ouverture d'un compte a été institué.

a) La recommandation du Conseil de l'Europe du 27 juin 1980 :

« La recommandation du comité des ministres du Conseil de l'Europe du 27 juin 1980, relative aux mesures de lutte contre le transfert et la mise à l'abri des capitaux illicites, vise le blanchiment des capitaux provenant de n'importe quelle activité criminelle, sans se limiter au trafic international de stupéfiants. »9

b) La déclaration de Bâle du 12 décembre 1988

« Cette déclaration, également appelée (déclaration du principe du comité des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires), insiste sur le renforcement de la surveillance des banques et incite celles-ci à ne pas accepter d'opérer avec des fonds d'origine illicite. La déclaration de Bâle a joué un rôle très important dans la mesure où elle représentait une des premières dénonciations directes, et sur un plan international, des problèmes posés par le blanchiment de l'argent des organisations criminelles. Le fond restait le même que la recommandation du Conseil de l'Europe. »10

c) La convention de Vienne du 20 décembre 1988

Cette convention, votée par les Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, porte à la fois sur la production et la vente de stupéfiants, sur la confiscation des avoirs des trafiquants et leur extradition. Elle complète la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 et la convention sur les substances psychotropes du 21 février 1971. L'article 3 de la convention de Vienne définit et incrimine le blanchiment.  « Les principes généraux de cette convention sont établis en ces termes :

d) Groupe d'Action Financière Internationale (GAFI)

Pour sa part, le GAFI (Groupe d'Action Financière créé en 1989 à l'initiative des pays du G7) a mis en place une définition triale du blanchiment. Celui-ci serait composé de trois éléments constitutifs :

Il convient ici de constater que la définition du GAFI prend aussi bien en compte les sommes issues des fraudes fiscales et douanières que celles provenant directement d'activités criminelles.

e) La convention du Conseil de l'Europe du 8 novembre1990

Cette convention est relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime. Le blanchiment de l'argent de la drogue n'est pas le seul cas prévu par la convention du Conseil d'Europe. Elle vise les opérations de blanchiment liées à toutes les formes d'activités de la grave criminalité. Elle apporte une différence très importante par rapport à la convention des Nations Unies de 1988.

f) La directive de la CEE du 10 juin 1991

La directive du Conseil de la Communauté européenne du 10 juin 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux, faisant référence aux accords internationaux précédents notamment la Convention de Vienne du 20 décembre 1988. Elle incite la Communauté européenne à mettre en place des outils juridiques de surveillance en matière de blanchiment, et à la participation aux travaux du GAFI. Ce qui distingue ce texte c'est qu'il prévoit que les informations transmises le seront par des personnes spécialement désignées dans les institutions financières.

g) Définition du code pénal français

L'article 222-38 du nouveau Code Pénal Français définit le blanchiment comme « le fait, par tout moyens frauduleux, de faciliter la justification mensongère de l'origine des ressources ou des biens de l'auteur de l'une des infractions de trafic établies aux articles 222-34 à 222-37 ou d'apporter sciemment son concours à toutes opérations de placement, de dissimulation, de conversion du produit d'une telle infraction. »
Malgré les divergences que l'on pourrait constater dans les définitions du blanchiment, les auteurs et spécialistes s'accordent sur la provenance ou la source des fonds blanchis. Ils évoquent les termes ( argent sale ) et ( argent noir ). Il convient donc de dégager le flou qui entoure ces deux concepts.
 

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2Jean-Louis Hérail & Patrick Ramael,"Blanchiment d'argent et crime organisé", PUF, 1996, p .50.

3Ahmed El Amri, "Le crime du blanchiment d'argent", Édition Raidh, n° 74, janvier 2000, p.13.

4Les cahiers de la sécurité intérieure, "Noir, gris, blanc : les contrastes de la criminalité économique", n° 36, 2ème trimestre 1999, p. 56 -57.

5Paolo Bernasconi, " Flux internationaux d'origine illicite : la Suisse face aux nouvelles stratégies ", Tiers-Monde-IUED, Genève 1990.

6Internet, "Mécanismes efficaces de repérage et d'élimination des opérations de blanchiment de fonds", Bureau de surintendant des institutions financières Canada, septembre 1996, p. 1.

7Jean-Louis Hérail & Patrick Ramael, "Blanchiment d'argent et crime organisé", op-cit, p. 17.

8Jean-Louis Hérail & Patrick Ramael, "Blanchiment d'argent et crime organisé", op-cit, p. 18.

9Jean-Louis Hérail & Patrick Ramael, "Blanchiment d'argent et crime organisé", op-cit, p. 61.

10Jean-Louis Hérail & Patrick Ramael, "Blanchiment d'argent et crime organisé", op-cit, p. 62.

11Olivier Jerez, " Le blanchiment de l'argent ", Banque Éditeur, octobre 1998, p. 146.