LE "FRONT ANTI-IMPERIALISTE EN EUROPE OCCIDENTALE"

L'échec d'un projet internationaliste de la RAF

Comme nous l'avons vu, entre 1982 et 1983, alors que toute l'Allemagne ou presque célébrait la "fin des années de plomb", la Fraction armée rouge travaillait à sa reconstitution, et préparait une offensive majeure. Le "Cours nouveau" de la RAF comportait un volet international important qu'à la manière bolchevik elle résume, à partir de 1982, par un slogan : "La guérilla en Europe occidentale ébranle le centre impérialiste".

Ce projet obéit à des considérations idéologiques : l'impérialisme, désormais unifié, doit se voir opposer une riposte unique sur le champ de bataille principal : l'Europe occidentale. Dans son jargon, la RAF parle de riposte du "prolétariat international" à la "bourgeoisie impérialiste". Mais n'oublie pas pour autant la stratégie : la RAF ne veut plus supporter seule la répression, elle est fatiguée de voir concentrer sur le seul "front" allemand, contre elle seule, l'essentiel des forces anti-insurrectionnelles de l'impérialisme.

Que faire ? Unifier contre une cible unique - l'OTAN - la résistance anti-impérialiste en Europe - lire les groupes Euroterroristes ; les groupes nationalistes - révolutionnaires d'Irlande, du Pays Basque, etc. ; les divers groupes rebelles, "autonomes"- coordonner les assauts lancés dans chaque pays en de vastes campagnes à l'échelle de toute l'Europe occidentale. D'ou des effets positifs, pour la RAF, dans trois domaines :

- Cela frappera les opinions publiques occidentales;
- Cela donnera des exemples concrets de luttes aux prolétariats des "métropoles impérialistes-capitalistes;
- Cela désorganisera un appareil répressif occidental peu habitué aux attaques multiples et coordonnées.

A partir de la mi 1984, le processus connu, classique mais imparable se déroule irrésistiblement : une douzaine de "sympathisants" de la RAF, qui vivaient jusqu'alors légalement, passent à la clandestinité ; une vague d'attaques à main année frappe des armureries et des banques ; enfin une déclaration solennelle, le 4 décembre 1984 sort de la prison de Stammheim. Signée de deux cadres éminents de la RAF, Christian Mar et Brigitte Mohnhaupt, au nom de "tous les prisonniers de la Guérilla", elle s'achève par cette menace : "aujourd'hui, pour la guérilla des métropoles, commence la seconde phase du combat Progressivement notre stratégie se développera à l'échelle de toute (Europe occidentale." Immédiatement apis, comme à la parade, débute une grève de la faim collective. Voici donc les groupes de "résistance anti-impérialiste" d'Europe occidentale devant leurs responsabilités. Quelle va être leur attitude vis-à-vis du front voulu par la. RAF ?

. Du côté des nationalistes Irlandais, Basques et Corses, silence radio.
. Quelques groupes "autonomes" en RFA se déclarant solidaires des prisonniers de la RAF ; rien au delà.

Restent les groupes communistes combattants.

ACTION DIRECTE

Le moins que l'on puisse dira est que l'affaire ne se fait pas sans mal. Dans un premier temps AD travaille (en 1981-83) en liaison étroite avec un groupe italien issue de Prima Lira, les "Communistes organisés pour la libération du prolétariat" (COLP) qui est plus "mouvementiste" que "militariste". Bref, la "ligne italienne" a des partisans solides. Mais Régis Schleicher a des liens anciens avec la RAF, Cipriani a vécu dix ans à Francfort... au total l'avocat principal de la "ligne allemande" sera Jean Asselmeyer, vieux routier des comités de soutien à la RAF qui s'appelaient, vers 1975, les Comités internationaux de défense des prisonniers politiques en Europe occidentale (CIDPPEO). Resté proche de la guérilla allemande il va rallier, au bout du compte, AD à sa logique. D'autant plus aisément qu'il réalise, avec le mensuel 't'internationale" le seul travail de propagande communiste combattante un peu cohérent en France.

Et puis, la alité s'impose : fin mars 1984, les COLP sont anéantis dans leur fief milanais et à Bruxelles, Carette est décidément trop rigide, trop intégriste dans son marxisme-Léninisme. Oui, vraiment en ce second semestre de 1984, le sérieux doctrinal, technique et militaire est bien du côté de la fraction armée rouge.

De son côté la RAF n'est pas franchement enthousiaste envers ces français qu'elle trouve brouillons, bavards, manipulables mais, si front il doit y avoir, pas questions de faire la fine bouche...

Et comme la RAF est forte, et AD faible celle-ci va graviter désormais dans l'orbite idéologique et méthodologique de celle-là. Au tout début de janvier 1985, deux cadres de la RAF dont, sans doute, Ingrid Barabass viennent à Paris sceller l'alliance. Dix jours plus tard, c'est le communiqué "Pour l'union des révolutionnaires en Europe occidentale", suivi d'un numéro spécial du bulletin clandestin de la RAF "Zusammen Kämpfen". Le grand jeu.

Alors, une coopération multiforme se développe entre la RAF et AD : idéologie, logistique, renseignements sont mis, à des degrés divers, en commun. On trouvera dans la ferme de Vitry aux Loges plusieurs ampoules d'un narcotique, le Ketan, destiné sans doute à chloroformer une personne lors d'un kidnapping. La notice est allemande et les instructions d'emploi détaillées - en allemand toujours - sont vraisemblablement de la main d'Eva-Sybille Haule-Frimpong. Toujours en possession d'AD la carte grise de la camionnette qui a servi à l'attentat sur la base US de Rhein-Main-Francfort au mois d'août 1985. Il est en revanche moins sûr - la RAF est extrêmement méfiante - que les actions "militaires" aient été, elles, co-produites.

LES CELLULES COMMUNISTES COMBATTANTES

D'entrée de jeu, les belges des Cellules Communistes Combattantes, qui soutiennent la RAF depuis des années par solidarité anti-impérialiste, sont hostiles au projet allemand de Front. Maoïstes extrêmement rigides, les CCC voient avec une totale réprobation -ne serait-ce qu'en théorie- des "anarchistes" comme Action directe, des "bourgeois" comme l'INLA entrer dans le front, et opposent - querelle sans fin - la pureté du "front de classe" aux compromissions du "Front populaire". La brouille va si loin qu'au Front RAF - AD concrétisé le 15 janvier 1985, les CCC tentent d'opposer le leur, à partir d'éléments français et allemands hostiles à AD, ou scissionistes de la RAF. Réponse du berger à la bergère, Action Directe suscite en Belgique un groupe rival des CCC . Cela nous donne :

. Fraction Année Rouge + Action Directe + Front Révolutionnaire d'Action Prolétarienne (FRAP, belge) d'une part;

. Cellules Communistes Combattantes + Groupe Communiste Internationaliste (GCI, France) + Action Prolétarienne (AP, RFA), de l'autre.

Comme on ne constitue pas une structure de guérilla urbaine en claquant dans ses doigts, le FRAP, le GCI et AP ne dépassent jamais le stade ectoplasmique : un attentat (modeste) par ci, un bulletin (unique) par là, tous observent un prudent silence après le démantèlement du groupe central des C et d'Action directe.

LES BRIGADES ROUGES

A partir de 1984, les groupes italiens, en pleine débandade depuis quatre ans, commencent à souffler : le plus gros des forces répressives étant désormais réorienté vers la grande criminalité organisée, il devient possible de songer à l'avenir : les Brigades Rouges - Parti Communiste combattant (BR - PCC) marquent leur rattachement au projet anti-OTAN et distribuent ensemble - symboliquement agrafés - à partir de Mars 1985 leur résolution stratégique N° 20, et le communiqué de fusion AD - RAF de Janvier.

Dès la rentrée de 1984, ce rapprochement était perceptible : dans son bulletin (en langue française) "Lutte de classe et répression" le "Comitato contro la repressione" qui regroupe les réfugiés brigadistes "irréductibles" de France et qui n'est sans doute pas loin de constituer un relais français pour les Br-PCC, signe le texte suivant : il faut, dit-il : "unir les organisations prolétariennes et révolutionnaires françaises (lire : AD) aux organisations et groupes de réfugiés" et faire un "effort pour dépasser leurs spécificités propres même si elles sont importantes (c'est nous qui soulignons) afin de mettre en avant des actions et des mots d'ordre communs et de les faine vivre et mûrir à l'intérieur de l'affrontement de classe". Dans un texte revendiquant l'attaque d'un transporteur de fonds, à Rome en février 1987, les BR-PCC continuent d'approuver l'alliance RAF-AD :

"La pratique du combat mené par la RAF et AD en vue de constituer le Front [ anti-impérialiste en Europe occidentale N.D.T.]
marque une étape importante qui nous intéresse; une telle pratique peut signifier une convergence objective sur des bases politiques; d'une façon générale pour le renforcement et la consolidation du Front combattant".

Cela dit rien, par la suite, ne vient concrétiser ce rapprochement qui reste tout théorique : il n'y a toujours pas, en 1988, de section italienne du "Front".

DANS L'EUROPE DU SUD

Au Portugal, les "Forces populaires du 25 avril" ont bien montré des attentats audacieux et graves contre l'OTAN, mais elles sont très isolées et, au moment où la RAF repart à l'offensive, les FP25 voient leur appareil politique (les "Forces de l'unité populaire") démantelé, subissent une répression qui devient plus efficace et connaissent une scission : elles gardent donc le silence et ne réagissent pas, officiellement du moins, aux propositions de la RAF.

En Grèce, l'organisation "Lutte populaire révolutionnaire" (ELA) réagit, elle, plus favorablement. Le 22 mai 1985, elle publie un communiqué (à Athènes) qui déclare notamment :

"A côté des forces politiques [révolutionnaires] légales (...) il existe [en Grèce] une résistance année dont les objectifs vont de l'internationalisme anti-impérialiste aux objectifs socialo-révolutionnaires. Ces groupes sont toujours attentifs à la lutte qui se déroule en RFA, et au combat de la RAF'. Cette "attention" ne date pas d'hier, et est payée de retour : en 1986, un attentat de la RAF a été revendiqué par 1"'Unité combattante Christos Kassimis". Ce militant grec fondateur en 1974 de PELA, est tué par la police lors d'une tentative d'attentat dans la banlieue d'Athènes en octobre 1977 : une manifestation de solidarité de PELA avec la RAF, au moment du suicide collectif des "quatre de Stammheim".

Mais la gifle la plus retentissante assénée à la RAF lui vient des GRAPO espagnols. Moins connus que les BR et la RAF, les Groupes Révolutionnaires Anti-fascistes Premier Octobre ont, dans l'Europe révolutionnaire, une réputation immense. Ils sont auréolés de leur lutte sanglante contre lé franquisme : dix fois "anéantis" ils sont dix fois repartis à l'assaut ; des généraux, des banquiers, des ganses civils figurent à leur morbide tableau de chasse. Des prisonniers par dizaines mais pas de repentis notoires et, surtout, un travail théorique considéré comme très rigoureux par les autres groupes euroterroristes. C'est en mars 1986 qu'est lancé l'anathème. Il émane de l'instance doctrinale suprême des GRAPO, la "commune Kart Mari" de la prison de Soria. Le titre : "Deux tendances irréconciliables au sein du mouvement révolutionnaire européen", seize pages dactylographiées tes denses, où le projet de la RAF est condamné sans appel : "chimère franco-allemande ...motivations petites - bourgeoises et anarchistes... réformisme armé... parodie des mouvements de libération du tiers-monde". Au passage, les dirigeants de la RAF sont aimablement traités de "prussiens à l'imagination bornée" et même -horreur !de "Kroutchéviens" !

Décidée, malgré ce maigre résultat, à reprendre l'initiative - pour mobiliser ses sympathisants allemands mais également pots populariser son projet de front à l'échelle européenne - la RAF fait organiser par ses échelons légaux le congrès de Francfort (voir p.14). rien de concret n'en ressort hors de la RFA et le congrès a plus l'allure d'une ultime tentative de regroupement que de la célébration d'une affaira réussie. Coup de grâce du Front européen, le quasi anéantissement d'Action directe en février 1987, et l'arrestation de son noyau central Depuis, la RAF est restée silencieuse. Inactive ? C'est une autre histoire ...

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