LA "NOUVELLE RAF", UNE ORGANISATION "ZÉRO TRACES" ?

Les policiers et les journalistes parlent du "noyau dur" ou du "groupe central" de la RAF. Cette dernière préfère l'expression "cadres" - typiquement Marxiste-Léniniste quand elle évoque ses combattants clandestins engagés à 100 % dans la guérilla. urbaine.

Les "cadres" de la RAF ont, dans leur comportement une constante, qui est l'espèce de culte qu'ils vouent à la vie clandestine, et des flexibilités qui leur ont permis d'adapter les méthodes et modalités de leur clandestinité, au point de tenir en échec, depuis maintenant quatre ans, toutes les polices de l'Allemagne fédérale.

LE CULTE DE LA CLANDESTINITÉ

L'exercice d'une activité terroriste en Allemagne fédérale n'implique pas forcément une existence clandestine. A preuve, les Cellules Révolutionnaires, dont les militants vivent "bourgeoisement", utilisent leurs documents d'identité à eux, participent aux activités de mouvements gauchistes et / ou écologistes, tout en multipliant les actes criminels tels qu'attentats à la bombe, incendies, sabotages, tirs aux jambes, etc. On peut même dire que ce statut de "terroristes du week-end" comme le disent avec mépris les policiers allemands, leur permet de mieux assister à la pression que la plongée dans la clandestinité. Il suffit; pour s'en convaincre, de comparer les "scores" : tire arrestation en tout et pour tout côté Cellules Révolutionnaires, depuis leur origine, pis de 80 pour la RAF et ses sympathisants actifs.

Mais la clandestinité, pour les "soldats" de la Fraction armée rouge n'est pas une solution de facilité permettant l'activité illégale / criminelle ; pas plus qu'une contrainte aussi inévitable que peu plaisante : c'est une croisade, une ente en religion, un rite de passage rédempteur et salvateur.

C'est la clandestinité - et la guérilla- qui affranchissent l'être humain de l'éclatement des existences dans les sociétés capitalistes ; le délivrent des contraintes sociales ; brisent les murs entre vie privée, vie professionnelle et vie politique. Grâce à elles la chrysalide devenue papillon refait son unité retrouve son humanité, sa liberté.

VERS UNE ORGANISATION "ZÉRO TRACES"

"Zéro traces" ? Nous avons emprunté cette expression au monde de l'industrie, ou l'implantation ces dernières années de "Cercles de qualité" fait que l'on y vise désormais la production d'objets "zérodéfauts".

Voila donc ce qui est désormais la caractéristique majeure de la "nouvelle RAF" : la capacité de conduire des opérations qui tendent vers le "zéro-traces". Cela pose, pour le moment, des problèmes es sérieux aux instances de répression de la république fédérale d'Allemagne.

Il semble que, dans un premier temps, des cadres de la RAF non incarcérés aient conduit, devant les années noires 1980-83 une réflexion sur le thème : "quelles erreurs commettons-nous ?, pourquoi la répression est-elle aussi efficace ? Comment fonctionne l'appareil policier ? A quels indices matériels réagit-il ?" cette flexion autocritique est nourrie par les rapports d'avocats complices présents à tous les procès de la période 1978-82. Comme leurs clients n'avouent jamais rien, la police est obligée de présenter toutes les preuves matérielles qu'elle possède pour établir les liens entre des individus, des lieux, et des actes. Ce faisant, elle fournit gracieusement - mais involontairement- à la RAF la méthodologie et la technologie de ses enquêtes. Les cadres de la RAF assimilent le tout, et décident de ne plus commettre les erreurs de la période précédente. Pour cela ils vont substituer dans leurs protocoles d'activité, une logique nouvelle, nucléaire, à l'ancienne, linéaire.

Cette nouvelle méthodologie repose sur une stricte limitation des tâches des cadres : si l'on voulait, ironiquement, paraphraser l'adage libéral, on dirait que le clandestin moderne est un clandestin modeste...

AVANT : les cadres s'occupaient eux-mêmes de la logistique des opérations en préparation ; louaient eux-même des appartements dans des grands ensembles et ils y campaient purement et simplement, l'entrée seule étant sommairement meublée ; achetaient des véhicules d'occasion, dont ils se servaient durant des périodes prolongées, pendant des, attentats aussi bien qu'entre deux opérations.

DÉSORMAIS : le deuxième cercle de la RAF, celui des sympathisants actifs vivant légalement, a servi à recruter un "corps" spécialisé dans le soutien logistique des cadres clandestins. Trois ou quatre éléments de ce corps sont détachés auprès de chaque cadre et le déchargent de toutes les tâches qui, auparavant, le fragilisaient

- acquisition, stockage et manipulation des armes, munitions, etc.,
- gestion des finances,
- logistique des lieux de vie,
- logistique des moyens de transport,
- communications - désormais tous codées - entre les différents cadres,
- collecte du renseignement sur les opérations futures.

Aujourd'hui, les APPARTEMENTS sont sous-loués par des comparses dont on est sûr qu'ils ne sont pas connus des policiers, à des propriétaires réguliers en déplacement prolongé.

Résultat : le programme informatisé de surveillance du parc immobilier des locations qui permettait jusqu'alors de repérer les appartements "à risques" ne sert désormais plus à grand chose, les critères d'alerte étant devenus inopérants...

Aujourd'hui un système de VÉHICULES "légaux" (utilisé en temps normal) et "illégaux" (lors d'un attentat) a été mis au point. De toutes façons, ces voitures ne sont uniquement utilisées que pendant la période où la déclaration de vente n'est pas enregistrée ; l'opération connue sous le nom de "doublette" (deux véhicules de marque et de caractéristiques identiques échangent leurs plaques minéralogiques) est généralisée.

Toutes ces manipulations sont faites par le corps logistique, ce qui limite l'activité des clandestins :

- A l'élaboration des textes doctrinaux et des communiqués de revendication (ce qui, compte-tenu du laconisme de la RAF, ne doit pas les exténuer...),

- A la préparation stratégique et à l'exécution des opérations de guérilla urbaine, étant bien entendu qu'ils limitent, en dehors de ces opérations, leurs contacts directs au strict minimum.

Durant ces opérations, les cadres de la RAF multiplient désormais les précautions et évitent de laisser derrière eux la moindre trace. Depuis quelques temps ils se pulvérisent sur le bout des doigts un "albuplast liquide" de type Derma-Spray et ne laissent de ce fait aucune empreinte. Lors de l'assassinat de Gerald Von Braunmühl, les policiers n'ont ainsi trouvé pratiquement aucune trace utilisable dans le véhicule ayant servi à l'attentat.

Enfin la RAF a modifié ses CRITÈRES DE RECRU INTERNE.

Depuis l'origine, l'accession au rang de "cadre" de la RAF était une affaire longue ; une ascension progressive vers le statut de guérillero clandestin à plein temps. On commençait à participer aux campagnes de propagande légales entreprises parle "segond cercle" contre les conditions dé détention, puis on assistait aux procès des éléments incarcérés. Venait le temps où l'on était autorisé à correspondre avec certains détenus, et à leur rendre visite. Bien entendu, on leur remontait le moral lors des grèves de la faim, où le soutien psychologique est si important.

Dans un deuxième temps, on participait à l'organisation de l'environnement légal de la RAF, aux activités du "second cercle". Arrivait enfin le moment où l'on avait le contact personnel avec un "cadre" en activité, et ou celui-ci vous faisait participer, à l'échelon logistique, à des opérations de guérilla urbaine. Une défaillance, les coups portés à la RAF par la répression, suffisaient alors à vous aspiras dans le groupe central, à vous faire plonger dans la clandestinité.

Cette mécanique, trop visible et trop prévisible a, elle - aussi, été bouleversée. Désormais le noyau central peut recruter des personnes jeunes - connues et recommandées bien sur par un "cadre" mais qui sont dispensées de "faire leur preuves" dans le système décrit ci-dessus, et qui effectuent leur "apprentissage" directement dans la clandestinité.

D y a ainsi, dans le noyau central, au moins trois individus (connus ; peut être plusieurs autres) qui ont été recrutés selon ces nouveaux critères.

Cette façon nouvelle de puer rand le travail de repérage et d'identification beaucoup plus difficile pour la police. Auparavant il était possible de mettre les proches de la RAF sous surveillance, de les compter et d'affecter au groupe central ceux qui, un beau jour, disparaissaient. Cela est désormais impossible et tout comptage du noyau central de la RAF devient impossible, entre les connus / actifs, les inconnus / actifs et les connus/ inactifs (temporairement ou définitivement).

Enfin, les sympathisants actifs du second cercle qui ne sont pas intégrés dans le "corps logistique" ont été regroupés, selon des critères géographiques en "Unités Combat tantes" chargées des opérations de propagande armée (attentats par explosif, etc.). Ces éléments conservent, comme ceux des cellules révolutionnaires, leur statut "légal".

Cette réorganisation, par l'assurance nouvelle qu'elle donne à ses cadres dirigeants permet à la RAF de mieux résister, et avec beaucoup plus de sang-froid, à la pression psychologique écrasante qu'exerce la répression sur tout groupe clandestin. En juillet 1984, un document stratégique interne d'une grande importance est découvert dans une "planque" de la RAF à Francfort. Il s'agit du plan de la nouvelle offensive de l'organisation :

. attentats contre des installations militais US et allemandes (OTAN)
. grève de la faim des prisonniers
. opérations de guérilla urbaine contre divers individus symboliques de l'impérialisme (des noms sont indiqués, dont celui d'Ernst Zimmermann, assassiné début 1985)

Faim découvrir son plan d'action, pour une organisation clandestine, est d'ordinaire une catastrophe : tout est à reconstruire. Dans ce cas, non ! La RAF maintiendra son programme sans le modifier d'un iota, persuadée qu'elle est que ses structures sont, pour le moment à l'abri de la pression

De même, en 1986, l'arrestation d'Eva Sybille Haine-Frimpong ne conduira-t-elle à aucun autre cadre. Seuls tomberont les soutiens logistiques de cette dernière. Le temps heureux ou l'appréhension d'un "gros poisson" de la RAF permettait de démantèles tout le noyau central ; où il suffisait de tirer sur un bout de la ficelle pour que se dévide toute la pelote semble jusqu'à quand ? bien révolu.

Notons que cette nouvelle structuration n'a pas interdit à la RAF de mener entra 1985 et 1987 des campagnes offensives très sophistiquées, où intervenaient selon une planification rigoureuse :

. le "front des prisons", (grèves de la faim)
. les opérations de "guérilla urbaine" conduites par les cadres "illégaux" du noyau central;
. les opérations de "propagande armée" conduites par les unités combattantes (militants "légaux';
. les campagnes politiques du second échelon légal (congrès de Francfort).

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