QUAND UN GROUPE EUROTERRORISTE S'ENKYSTE.

Lors de son voyage autour du monde sur le "Beagle". Charles Darwin visite longuement l'Amérique Latine, et juge son peuplement en ces termes : "Contrairement aux Britanniques, ces colonies Espagnoles ne détiennent pas en elles-mêmes les éléments de leur propre croissance". Nous allons nous intéresser ici à une organisation qui semble détenir en elle-même, depuis près de 20 ans et contrairement à beaucoup d'autres, les éléments de sa propre renaissance. Qu'on en juge.

En juillet 1972, le Bundeskriminalamt (BKA) publie un rapport, dans lequel on peut lire : "Ce n'est plus qu'une question de temps: morts ou vifs, les derniers membres du gang Baader-Meinhof vont tomber ente les mains de la police". A la fin de 1986, le directeur adjoint du même BKA, parlant de la RAF, avoue : "on ne s'y retrouve plus... on a peau le fil directeur... le contact". Six mois plus tard, enfin le directeur du département sécurité du ministère bavarois de l'Intérieur, est contraint de reconnaître que "les autorités ne possèdent aucune connaissances concrètes sur les bases et sur les projets de la RAF".

Un triste bilan, même s'il est sans doute provisoire.

"Démantelée" en 1972, la RAF repart à l'assaut. Tous ses chefs historiques (1ère génération) sont alors en prison. "Anéantie" en 1977 -tous ses chefs historiques décèdent à Stammheim - la RAF lèche ses plaies et repart à l'assaut. "Annihilée" en 1982, la RAF repart à l'assaut. Tous ses chefs historiques (IIème génération) sont alors en prison. Avec une régularité de métronome, comme des vagues déferlant sur la côte, la RAF, sans se lasser, se reconstitue, frappe et plonge à chaque fois l'Allemagne fédérale dans les tourments, illustrant avec un , entêtement inouï la devise de la Maison d'Orange, "Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer".

Plus frappant encore, la RAF, de 1970 à 1988 est et reste conforme au projet, à l'idéologie de ses origines

- il n'y a jamais eu de scissions au sein du groupe, les départs y ont toujours été individuels,

- la ligne n'y a jamais été remise en cause,

- les nouveaux militants de la RAF reprennent à leur compte toutes les actions, tous les textes, tout l'acquis de leurs "anciens".
Comme leurs "anciens" toujours, les nouveaux éléments de la RAF font le serment de se défendre, les armes à la main, en cas d'arrestation.

La RAF est, à tous points de vue, l'exact', opposé des brigades rouges.

La première est tiers-mondiste avec acharnement, les secondes sont ouvriéristes, religieusement ; la première parle, vaguement du "prolétariat", les secondes sont exactement attachées à la "classe ouvrière". Les BR sont virtuoses en matérialisme dialectique, et horriblement bavardes, la RAF laconique à l'extrême - pas un texte théorique entre 1972 et 1982 ! La totalité de ses écrits, doctrinaux ou autres, ne ferait pas la moitié d'une seule "Résolution de la Direction Stratégique" brigadiste- et nulles en "Diamat". Dans son texte de 1982, Guérilla, résistance et front anti-impérialiste", la RAF affirme d'abord que le moteur de la lutte anti-impérialiste doit être le "prolétariat" et continue en définissant ce dernier comme "constitué de ceux qui combattent l'impérialisme"... Cet impeccable raisonnement circulaire, tenu devant un jury brigadiste, lui vaudrait à coup sûr un zéro pointé. . .

Voilà donc entre parenthèses une preuve éloquente que les caractères nationaux survivent à tout, à l'idéologie la plus maniaque, à la clandestinité, à l'internationalisme le plus exalté.

Mais si la RAF n'est pas grandiose dans le registre doctrinal, elle est une école sans égales de lutte contre la répression la plus méthodique, la plus minutieuse -la plus riche- de tout le continent européen.

A cela, une bonne raison : historique, si l'on peut dire. Dès ses origines, la RAF a été, au niveau de son organisation, un groupe modeste, adepte du profil bas. La RAF n'est pas, et n'a jamais été, l'embryon d'un parti. Elle ne recherche pas à accroître le nombre de ses cadres actifs et clandestins au delà du nécessaire pour mener la guérilla urbaine (de 20 à 30 personnes). La RAF se limite à être un groupe autogéré, obéissant au principe de collégialité. Il n'y a pas de `Chef' proprement - dit, mais des "anciens" influents, écoutés pour leur expérience. Les opérations et, au-delà, les campagnes, sont décidées, planifiées et conduites en commun.
Enfin, la RAF ne s'attribue aucun caractère représentatif. Elle se limite à donner des exemples, voire des leçons au mythologique "prolétariat des métropoles" dont elle se réclame, tout en constituant; dans son rêve collectif, la "5° Colonne" du "prolétariat international", celui du tiers-monde.

Entre 1982 et 1983 au cours d'une prise de conscience prodigieuse, le terme n'est pas trop fort - de sa faiblesse majeure; la RAF a su conduire ce qu'aucun ordinateur ne peut faire : une autocritique constructive1.

A sa logique organisationnelle précédente, linéaire, elle en a substituée une nouvelle, nucléaire, rendant pour un temps inutiles les programmes informatisés des forces de l'ordre [voir : "la nouvelle RAF, le principe du "Zéro traces"] "On a perdu le fil directeur" dit un dirigeant du BKA l'an , dernier. La situation est plus sérieuse encore: il n'y a plus de fil directeur. Auparavant, on arrêtait un comparse, on tirait sur le fil et hop! tout un réseau tombait. Désormais quand on arrête un complice, il ne sait pas grand chose et si c'est un clandestin, il vit, avec deux ou trois soutiens logistiques, dans une cellule étanche et isolée des autres [voir tableau, p.10]

Voila l'organisation sur laquelle nous allons nous pencher. Elle est plus difficile - beaucoup plus ! - à radiographier que les BR.

Il y a cependant des choses à dire, des choses à lire. D'autant plus importantes que, tapie dans des bases pour le moment inexpugnables, la RAF attend le moment de frapper.

Moment aussi aléatoire dans sa perspective qu'inévitable dans le fond.2

RAF : EFFICACITÉ DÉCROISSANTE DE LA RÉPRESSION
 
VAGUE D'ATTENTATS3 VAGUE DE RÉPRESSION
· Première vague :
11-24 mai 1972
· Première vague
1-15 juin 1972

arrestation de : Andreas Baader, Jan Carl Raspe, Holger Meins, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof

· Seconde vague :
avril-septembre 1977
· Seconde vague

mai 1978-novembre 1982

arrestation de : Stefan Wisniewski, Gaby Rölnik, Willy-Peter Stoll (?),
Angelica Speitel, Michaël Knoll (?),
Élisabeth Van Dyck (?), Rolph Clemens Wagner, Sieglinde Hoffmann, Regina Nicolaï, Peter Jürgen Boock, Helga Roos, Christian , Klar, Brigitte Mohnhaupt, Adelheid Schulz.

· Troisième vague :

Février 1985-décembre 1986
(jusqu'à présent)

· Troisième vague

arrestation de Eva Haule-Frimpong
en août 1986, et de quelques éléments
mireurs du second cercle.
C'est tout à la fin mai 1988.

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1 : Dans cette période noire, qui va de l'arrestation de Klar et de Mohnhaupt (11./ 82) à la grève de la faim de décembre 1984, le noyau central (connu) semble composé de 6 femmes et de 2 hommes : Susanne Albrecht, Henning Beer, Monika Helbing, Friederike Krabbe, Werner Lotze, Silke Maïer-Witt, Sigrid Sternebeck, Inge Viett.

2 : L'inquiétude du Gouvernement de. la RFA est granite d propos des congrès du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale qui doivent se tenir simultanément en septembre 1988 à Berlin-Ouest. Seront présents d Berlin les ministres des finances et les Directeurs des banques centrales de 150 pays, et les représentants de nombreuses banques privées. Or le FMI a déjà été traité de "sangsue" et de "fasciste" dans des documents de la RAF...

3 Voir chronologie détaillée p.31