Les clans criminels kurdes et le PKK
Dans l'enquête qui suivit la vague d'attentats de septembre 1986 à Paris, les policiers exhumèrent, dans la forêt de Fontainebleau, une poubelle qui contenait à la fois des explosifs et du "brown sugar". Des journaux titrèrent alors que "les terroristes se finançaient en vendant de la drogue". Pas vraiment : les commentateurs oubliaient qu'aucun acte n'est vraiment individuel dans une société clanique - le militantisme politique, ou l'activisme religieux moins encore que le reste. On n'adhère pas au Hizballah ou au PKK comme au RPR ou au PS, en poussant seul la porte d'un local et en remplissant un bulletin. Surtout en zone rurale ou montagnarde. C'est une collectivité - tribu ou clan - qui rallie l'entité dont elle attend son salut, dans ce monde ou dans l'autre, développant avec elle un mode d'existence symbiotique. Alors, dans le cas du Hizballah, l' "ambassadeur" du clan à Paris rend service à ses trois aînés restés à Jibchit, Hermel ou Baalbek. L'oncle Ali est garagiste ? On lui expédie les pièces détachées dont il a besoin. Le cousin Imad fait tourner un laboratoire d'héroïne ? On stocke sa poudre, ou on la vend. Abou Hussein, de la milice locale d' “Amal islamique", déclare qu'une fatwa enjoint de frapper le "petit Satan" français ? On héberge ses "artificiers" - et leurs bombes.

Un système symbiotique analogue unit le PKK à des clans criminels du sud-est anatolien, eux-mêmes semblables aux "familles" mafieuses de Sicile : culture de la rébellion face à l'Etat, secret, étanchéité obtenue par croisement des liens biologiques et criminels. Il existe une douzaine de ces clans : les Aksoy, Aydinli, Baybasin, Cantürk, Guven, Kitay, Kocakaya, Koylan, Ozdemir, Polat, Toprak, Ugur et Yildirim, etc. Certains revendent en Europe, et en gros, à ± 800 000 francs le kilo, de l'héroïne qu'ils achètent 15 000 francs le kilo dans le "Croissant d'or". D'autres maîtrisent toute la filière, fabriquant la poudre à partir de morphine-base asiatique et contrôlant jusqu'au "deal de rue" en Europe occidentale - toujours par quantités considérables. Nous présentons ci-après plusieurs de ces clans de diverses envergures, leurs trafics et leurs liens avérés avec le PKK.

Clan BAYBASIN : une note d'alerte d'Interpol-Allemagne (26/10/93) signale que la famille Baybasin trafique énormément d'héroïne entre la Turquie, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Italie et l'Espagne, et "blanchit" en Europe des sommes considérables. Le chef du clan est Baybasin Hussein, né à Lice en 1956, interpellé à Istanbul en 1976 en possession de 11 kilos d'héroïne, puis en Grande-Bretagne en 1984 avec 6 kilos de la même drogue et condamné de ce fait à 12 ans de réclusion. Dans le clan, Baybasin Mehmet Emin, né en 1942 à Lice, oncle de Hussein, recherché en février 1994 en Turquie, pour une affaire de "laboratoire" installé au village de Yagmurlu, non loin de Lice, où la police trouve 67 kilos d'héroïne. Sur les lieux, Baybasin Nedim, né à Lice en 1965, cousin de Hussein et fils de Mehmet Emin. Ce dernier est arrêté en RFA le 13 juin 1984 (en compagnie de Baybasin Mehmet Serif, né à Lice en 1944) avec 32 kilos d'héroïne et condamné par la suite à 13 ans de réclusion. Mehmet Emin et Mehmet Serif sont proches des séparatistes kurdes et ce dernier est connu de la police allemande comme trafiquant d'armes du PKK. Il existe au total une douzaine de frères, cousins, oncles, etc., Baybasin, fichés dans plusieurs pays d'Europe, sur le compte desquels on pourrait remplir un volume de faits analogues.

Clan KITAY : Hakki Kitay est arrêté le 1/9/93 au poste frontière turc de Kapikule, venant de Bulgarie, sur "tuyau" des polices néerlandaise, allemande et britannique, suite à la saisie de 14,8 kilos d'héroïne dans la ville turque d'icel le 29 octobre 1992. Condamné en Turquie (le 19/10/93), à dix ans de réclusion pour narcotrafic, Hakki Kitay et son clan sont liés à 22 affaires d'importation en Allemagne de 1990 à 1993, au total 1,2 tonne d'héroïne. Surveillé lors d'un "voyage d'affaires" en Allemagne, le 23/10/92, Hakki Kitay contacte Emin Uysal et Selim Curukkaya, dit "Tilki Selim" (Selim le renard), importants dirigeant du secteur financier du PKK en Allemagne. Hakki Kitay est le frère de Vahdettin Kitay dit "Veli", chef d'une guérilla régionale du PKK, tué en octobre 1989 dans un affrontement avec la police turque (Un policier tué). Hakki Kitay est le père de Nizamettin Kitay, dit "Vedat", formé à l' "académie militaire" du PKK au Liban, cadre de la guérilla du PKK de la province de Bingöl, dirigée par Mahmut Curukkaya, dit "Docteur Suleiman", lui-même frère de "Tilki Selim", évoqué plus haut. Entre mai et novembre 1993, enfin, la police allemande démantèle entre Hambourg et Brème un réseau de 22 "réfugiés politiques" ou "demandeurs d'asile" possédant 16 kilos d'héroïne. Parmi ceux-ci, Ihsan et Senol Kitay. Ce dernier, fils de Hakki, est peu après assassiné en Allemagne. Egalement arrêtés dans l'affaire, Sehabettin AT... ex-chef du PKK pour la ville d'Elazig et deux autres militants connus de ce parti. Là encore, d'autres Kitay sont fichés pour narcotrafic dans plusieurs pays d'Europe.

Clan SAKIK : le 16 juin 1994, "Servet Ipek" né en 1964 est arrêté pour meurtre en Allemagne. L'enquête permet de découvrir qu' "Ipek" se nomme en réalité Seyyar Sakik né à Müsh en 1962, recherché en Turquie, en fuite en Allemagne. Et que le meurtre a pour origine un trafic de 190 kilos d'héroïne entre la Turquie et l'Allemagne. Seyyar Sakik a pour frères Sirri Sakik, député du DEP et Semdin Sakik, naguère chef d'une guérilla du PKK de la province de Tunceli et désormais considéré comme le N°2 “politique” du PKK. En Allemagne, Idriss Sakik, cousin des précédents, assure la vente de l'héroïne au détail. En Turquie, le clan Sakik est connu pour son militantisme pro-PKK.

Clan KONUKLU - AY : le 8 mars 1995, suite à une surveillance de plusieurs mois, la police découvre deux laboratoires de raffinage d'héroïne près du hameau de Saray, dans la province turque de Tekirdäg et arrête 14 membres, ou alliés, des clans Konuklu et Ay. Dans les labos, 92 kilos d'héroïne, 336 kilos de morphine-base afghane, 32 kilos d'anhydride acétique; mais aussi 2 Kalashnikov, diverses armes de poing et des documents internes du PKK. L'une des fermes appartient aux Konuklu, précisément à Mme Gulistan Konuklu, elle-même fille de Nasrullah Ay, un cadre du PKK. Dans le clan dont Mehmet Ali Konuklu est le chef, Nihat, Ramazan et Sahin Konuklu gèrent la production d'héroïne, Yusuf Konuklu, le marketing et la vente de la poudre à l'étranger. Le second labo est la propriété de Nusrettin Ay. Ses fils Hikmet et Kurbettin produisent la drogue, Heybet et Ali Ay, la vendent à l'étranger. Des documents trouvés sur place montrent qu'une partie des profits va au PKK. Des membres de ces clans sont aussi actifs dans l'appareil logistique du PKK : soins aux blessés, fourniture de radios, coursiers, diffusion de la propagande, etc.

Clan SENAR : En décembre 1986, Turgut Senar, qui dirige une société de production de films à Istanbul, est arrêté avec 1,6 kilo d'héroïne dans la province de Van et inculpé. En septembre 1989, la police d'Istanbul trouve près de 40 kilos d'héroïne dans une voiture lui appartenant. Il est arrêté en septembre 1991 à Van pour sa participation à des opérations armées du PKK. Sur lui, pour 30 millions de lires turques de reçus de l' "impôt révolutionnaire" de ce parti. Fahit Senar, frère de Turgut, est arrêté en octobre 1992 à Izmir, alors qu'il cache 81 kilos d'héroïne à bord du cargo "Florida", destinés à l'Italie. Il est actuellement détenu.

Clan KAYA : en septembre 1992, à Duisbourg, Allemagne, 20,3 kilos d'héroïne sont découverts à bord d'un camion TIR semi-remorque. Ses deux conducteurs sont Nezir Kaya, né en 1966 à Nusaybin, Turquie et Hasib Kaya, né en 1969 dans la même localité. Le camion appartient à la compagnie de transport routier d'Osman Kaya, frère de Nezir et cousin de Hasib, sise à Icel. Prévenus par leurs collègues allemands, les policiers turcs investissent les locaux de cette société en mai 1993. Et trouvent 18 Kalashnikov, 100 chargeurs et 4000 cartouches dans une cachette aménagée dans un camion-citerne, destinés à un maquis du PKK.

Clan DEMIR : en janvier 1993, la police d'Offenbach, Allemagne, démantèle un réseau dirigé par Abdulkudusi Demir. Qui avoue verser 250 000 Deutschemarks par an ( ± 800 000 francs) à un collecteur de fonds du PKK, pour pouvoir vendre sa drogue. En octobre 1994, l'hebdomadaire allemand "Focus" dénonce le clan Demir comme un des grands trafiquants d'héroïne en Allemagne. Selon "Focus", les Demir contrôlent une chaîne d'hôtels à Istanbul, ainsi que des garages et des boutiques d'électronique.

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