Conflits à basse intensité et stratégies indirectes au Proche-orient le cas de la Syrie

François Haut

Il y a au Proche-orient des règles du jeu politico-militaires (voir P. 43), rigoureuses mais peu accessibles à qui nest pas daps la partie. Tenter de les comprendre, en l'absence d'un manuel en bonne et due forme, est difficile. Une voie féconde consiste cependant à observer des comportements en apparence erratiques mais dont la répétition laisse émerger des séquences ordonnées, porteuses de sens.
Ces séquences d'ordre se dégageant du chaos sont celles des stratégies indirectes : des stratégies byzantines, comme il y a des querelles du même nom... Dans cette partie du monde, elles sont depuis toujours l'un des instruments privilégiés de ce que l'on nomme depuis peu les «conflits à basse intensité». Qualification nouvelle, mais, là aussi, vieille histoire.

Comment mieux comprendre une partition qu'en observant un grand musicien au travail ? Dane la mesure où le conflit à basse intensité est à la guerre majeure ce que la musique de chambre est à l'orchestre symphonique, nous pensons judicieuse cette image du «chef d'orchestre» dont noun usons peu d'ordinaire... Elle va bien à Hafez el-Assad, virtuose authentique de la chose. Mais qu'entend-on par conflits à basse intensité et stratégies indirectes ?

Les conflits à basse intensité (CBI): la guerre sournoise

. « Il n'y a pas de définition universellement acceptée des CBI, nous disent les ouvrages théoriques, par exemple «Low Intensity conflicts in the third world », publié aux Etats-Unis; en 1988. Cette notion recouvre des éléments comme l'insurrection, le terrorisme ou la subversion. Les chercheurs ne semblant s'accorder ni sur la portée ni sur l'importance respective de chacune de ces composantes.

On trouve, en revanche, chez Gaston Bouthoul, entre infra et macroconflits, le concept de microconflits. A ce stade, «la violence a émergé, mais de façon localisée et limitée. C'est le domaine des incidents de frontière, des affrontements limités, des guérillas, du terrorisme, des prises d'otages, des assassinate et des exécutions politiques.»

Voilà très exactement la situation du Moyen-Orient : par moment des conflits traditionnels, certes, mail la norme, depuis 1945 est celle de microconflits endémiques.

Plus concrètement, il existe un «Field manual» de l'armée américaine le FM 100-20 qui s'intitule «Conflits à basse intensité». S'il donne une idée générale des stratégies; de contre-insurrection; il ne propose pas, en revanche, de doctrine.

Cette définition, on va la trouver dans «Concepts opérationnels de l'armée américaine pour lee conflits à basse intensité», document daté de 1986. Il s'agit pour ses auteurs de «combats politico-militaires qui ont pour objectif d'atteindre des buts politiques, sociaux, économiques et psychologiques. Souvent de Tongue durée, ils vont des pressions diplomatiques, économiques et psychologiques au terrorisme et à l'insurrection. Ix CBI est généralement limité à une zone géographique restreinte; il fait souvent usage d'armements, de tactiques et d'un niveau de violence limités» . Définition qui semble plutôt adaptée au contexte Latino-américain...

Les stratégies indirectes vers une définition

Les CBI recouvrent toutes les formes concevables d'affrontements sous le niveau de la guerre conventionnelle et les stratégies indirectes en sont par définition l'un des éléments constitutifs; sans caractère tangible ni unicité de forme, toutes ne s'en inspirent pas moins d'une pratique de base qui, elle, peut être définie.

Ce sont des modes d'action qui font tous intervenir, d'une manière quelconque, un tiers entre l'opérateur principal et le but à atteindre. Tiers qui peut être un homme, une organisation ou une idée mais doit apparaître aux yeux de l'opinion comme l'inspirateur de l'action et, dans toute la mesure du possible, jouir d'une certaine légitimité par rapport à celle-ci.

Au Proche-Orient, les stratégies indirectes font partie de l'histoire quotidienne et la Syrie, si elle n'est pas seule à jouer ce jeu-là, a la réputation d'en être grande praticienne.

La Syrie, forteresse assiégée

La Syrie tient plus du crustacé que du mammifère : dure à l'extérieur, fragile à l'intérieur. D'où son obsession de renforcer les éléments de sa carapace : ses lignes de front -classiques et non conventionnelles- pour préserver un pouvoir toujours menacé, alors même que le régime de Hafez el-Assad va sur ses vingt ans.

Un pouvoir minoritaire, un pays encerclé

Malgré sa doctrine flamboyante : panarabisme intransigeant, nationalisme laïc, socialisme, le parti Baas a servi, partout où il s'est imposé politiquement, de cache-misère à des minorités anxieuses de cacher sous des légitimations prestigieuses une réalité moins glorieuse de fragilité et d'isolement. C'est vrai en Irak, pays où les musulmans chi'ites sont près de 55%, les chrétiens quelque 5°k, tous Arabes. Reste 40% pour les sunnites, communauté partagée à peu près par moitié entre Arabes et Kurdes. On comprend le nationalisme Arabe exigeant de la minorité sunnite... Arabe conduite par Saddam Hussein. Situation autrement acrobatique en Syrie, où dès l'origine le Baas a attic en masse des éléments provenant de minorités encore plus réduites, religieuses elles aussi : Alaouites (+/-10% de la pop. Syrienne), Druzes (+/-3%), Ismaéliens (+/-1,5%). Des sectes qualifiées d'extrémistes - «Ghoulat»- par l'hérésiographie islamique classique. Cette concentration d'hérétiques était - et est, au fond, toujours- considérée d'un oeil soupçonneux par l'immense majorité à la fois Arabe et sunnite (80% de la population) de la Syrie -que le Baas ait eu pour fondateur et idéologue un chrétien n'ayant pour elle rien de rassurant...

Au fil des années, la coalition minoritaire s'est défaite : Druzes et Ismaéliens ont été mis sur la touche, ou conservés comme potiches et le pouvoir réel s'est retrouvé entre des mains Alaouites, singulièrement celle du clan Assad. La phobie des Frères musulmans à l'encontre des Alaouites -que l'austère philosophe médiéval sunnite Ibn Taymiyya qualifiait de «Pires que les juifs, les chrétiens, pire même que les païens»- a beau ne pas être partagée par la population, celle-ci ne peut pas ignorer la confiscation de toutes les institutions vitales de l'Etat : armée, renseignement, communications. Et les voisins de la Syrie, eux, tentés de profiter de cette concentration -donc de cet isolement- du pouvoir Syrien.

Les défis extérieurs

Car la Syrie est menacée à toutes ses frontières, et ces menaces sont bien réelles. Au nord, la Turquie : armée considérable, tradition d'interventions militaires brutales; les plus vieux des arabes ont encore en mémoire la poigne de fer des troupes Ottomanes... A l'est l'inexpiable fire-ennemi Baasiste Iralden virtuose, lui aussi, des coups tordus en tous genres. Au sud la Jordanie où les Frères musulmans sont redoutablement puissants, et persuadés de la pertinence de la «Fatwa sur les Nusairi/Alaouites» d'Ibn Taymiyya. Au sud, toujours, Israël : pas besoin d'insister. Au sud ouest, enfin, le Liban : redoutable chaudron de sorcières où se nouent toutes les conspirations Proche-orientales, à maintenir sous surveillance constante, ou, mieux encore si possible, sous occupation.

La politique Syrienne

Confrontée à l'isolement religieux, la Syrie joue la carte de la grandeur et de l'unité nationale Arabes -les Alaouites sont Arabes, sinon musulmans orthodoxes; et celle de la grande Syrie, comprenant historiquement le Liban, la Palestine, la Jordanie -Chypre aussi disent les extrémistes- face à l'isolement communautaire. Fer de lance de l'Arabisme nationaliste devant Israël; champion de l'anti-impérialisme devant les Etats-Unis, la Syrie se doit de mener une politique en cohérence avec les grands principes qu'elle proclame; en apparence tout du moins. D'où l'alliance soviétique (contre-poids à l'alliance américaine d'Israël) et le soutien apporté à l'Iran (au nom de la lutte contre l'impérialisme). Mais si la guerre ouverte est permise contre Israël, l'occident, l'impérialisme, au nom des grands principes, elle est exclue avec les voisins-ennemis Arabes ou Musulmans, au nom des grands sentiments panarabes.

Exclue mais cependant nécessaire, en cas d'«axe sunnite» menaçant, par exemple :

Saddam Hussein, sunnite; Hussein de Jordanie, sunnite; Yasser Arafat, sunnite; Hosni Moubarak, sunnite : voilà une coalition bien menaçante... Mais si le contexte interdit les attaques ouvertes, que faire ?

Faire faire à d'autres ce qu'on n'a pas le droit de faire soi-même : la plus succincte des définitions des stratégies indirectes.

Pratique Syrienne des stratégies indirectes

Deux éléments viennent renforcer cette propension à agir par la bande : la tradition des sectes hérétiques à l'Islam et, dans l'actualité, l'extrême soin que met Hafez el-Assad à ne pas se laisser transformer en épouvantail médiatique international, comme le furent en leur temps, avec le résultat qu'on sait, Moammar Khaddafi et le général Noriega.

Tradition et monde contemporain

Au cours des siècles, l'Islam chi'ite et l'ensemble de sectes ésotériques qui en procède -Nusifri/Alaouites, Ismaéliens, Druzes, elles véritablement hérétiques, ce que les chi'ites duodécimains ne sont pas- n'ont du leur salut qu'à une pratique plus ou moins extensive de la «dissimulation» qui autorise les fidèles à cacher leur foi réelle derrière un ralliement de façade au dogme dominant, quel qu'il soit, quand les circonstances l'imposent.

Cette pratique séculaire de la conspiration permet aux opposants à Assad, Frères musulmans en tête, d'accuser la secte et ses représentants au pouvoir aujourd'hui, des plus noirs complots : ainsi, à l'occasion de l'attaque de la grande mosquée de la Mecque, lieu le plus sacré de l'Islam, en novembre 1979, on peut lire dans le journal clandestin des Frères Syriens, an-Nazir : «...Sans doute, n'ont-ils pas manqué de faire le rapprochement avec une autre opération menée il y a quelque dix siècles par les Qarmates Nusaïris, quant ils ont occupé ce même sanctuaire, tué des innocents et jeté leurs cadavres dans le puis de Zemzem. Ils ont emporté la pierre noire de la Ka'aba. Ils ont coupé la route du pèlerinage pendant sept années, après avoir exterminé une caravane de quarante mille pèlerins qu'ils avaient pourtant assurés de leur protection.»

De même pour la perte de plateau du Golan, réputé inexpugnable, pendant la guerre de juin 1967 : une conspiration aux yeux des Frères :
«La derrière en date de leurs trahisons remonte au mois de juin 1967, lors de la diffusion par le ministre de la Défense d'alors, Hafez elAssad, du communiqué n°66 annonçant la chute du Golan, vingt et une heures avant l'entrée effective des troupes juives .... On a appris par la suite qu'un marché avait été conclu à l'ambassade de Syrie à Paris, par le truchement d'Ibrahim Makhos, l'ami d'Assad. Et le coup d'Etat militaire qui a porté ce dernier au pouvoir en 1970 pourrait bien être le prix payé à la trahison.»
Une telle réputation de traîtrise et d'expert ès- coups tordus -même, en l'occurence, propagandiste et fantasmatiquefait qu'on recherche souvent, au Proche-orient, l'ombre du pouvoir syrien-Alaouite dans toutes les opérations indirectes. Et souvent, en effet, le chemin conduit à Damas...

L'opinion publique internationale, élément redoutable

La vie internationale contemporaine est marquée par l'influence gigantesque des grands médias internationaux et par le poids des opinions publiques occidentales sur les gouvernements démocratiques. Or les affaires du Proche-Orient dépendent en grande partie de ces puissances, et l'actualité braque sans cesse le projecteur médiatique sur cette région.

Dans ces conditions, passer pour commanditaire de meurtres, d'enlèvements, d'attentats, alors qu'on veut par ailleurs donner au monde l'image d'un partenaire sérieux et mener à usage interne une politique de prestige, est impossible

D'où la nécessité de masques divers, pour pouvoir jouir des bénéfices de la menace, ou de la violence, sans en payer le prix. Ces masques, les divers utilisateurs de stratégies indirectes au Proche-orient, notamment la Syrie, vont les trouver dans les grandes causes régionales : Palestine, conflits communautaires divers (Arméniens, Kurdes, etc.) ou religieux (Révolution islamique). Qu'on soit favorable ou non à ces causes est évidemment sans rapport avec la question: il s'agit de pousser un groupe X à commettre un acte Y contre l'un de ses ennemis à soi. Par manipulation ou moyennant un échange quelconque. Puis de faire comprendre au pays-cible, au plus haut niveau, bien sûr, les tenants et aboutissants réels de l'affaire, en laissant l'opinion publique internationale et les médias dans un brouillard aussi dense que possible. On échappe ainsi au statut -dangereux- d'ennemi désigné et on reste en apparence -mais dans ce cas, l'apparence, l'image, est tout- un partenaire honorable.

L'arme palestinienne

L'arme palestinienne va servir à la Syrie :

. Sur l'échiquier local; à sa porte, au Liban, qu'il s'agit de contrôler sinon de soumettre totalement.

. A l'échelle régionale, contre les «frères» Arabes -Séoudiens, Jordaniens, Egyptiens, Iraniens, ou autres- qu'il faut parfois contraindre, dissuader à d'autres moments, en cas de péril toujours.

. Sur la scène internationale, enfin, l'arme de la dissidence palestinienne extrémiste va servir contre les pays occidentaux qui, au Liban mais aussi avec l'OLP et Arafat, s'obstinent à se mêler de ce qui, selon Damas, ne les regarde pas.
Insistons : la Syrie n'a pas le monopole de l'usage des frappes indirectes. L'Irak et la Libye l'ont précédée dans la manipulations de fractions palestiniennes terroristes. Arafat a créé le -génial- rôle du pompier incendiaire Proche-oriental, Assad n'ayant eu quel le mal de le reprendre par la suite.

Mais il y a distinctement un style Assad dans toutes ces affaires. Prudence : on laisse les têtes brûlées tirer les marrons du feu. Secret : «n'avouez jamais» est un proverbe Alaouite. Sens inné de la conspiration, on l'a vu, mais aussi de lá durée. Et, par-dessus tout cela, l'immense capacité de séduction des élites Alaouites. Ce qu'il faut bien appeler, en dépit de tout, leur charme.

Manipulations palestiniennes au Liban ? Nous en parlons P. 53 avec le FPLP-Commandement Général d'Ahmed Jibril. Au-delà, on voit bien que ces stratégies servent à lancer les acteurs libanais les uns contre les autres, avant que, paternelle, la Syrie ne les réconcilie... momentanément. Et dès qu'une solution politique proprement libanaise s'amorçe, ses promoteurs sont assassinés. C'est ainsi que, successivement, le projet d'un Liban nationaliste-progressiste Arabe disparaît avec Kamal Joumblatt; que l'idée de restauration d'un État libanais pro-occidental s'évanouit lors de la mort de Bechir Gemayel.

La France se mêle décidément trop des affaires libanaises en 1981 ? Coup de semonce. Notre ambassadeur à Beyrouth est assassiné à proximité d'un barrage syrien.

L'Occident se porte candidat au sauvetage du Liban durant l'été 1982... et de celui d'Arafat un peu plus tard? C'est le double attentat d'octobre 1983, et la mort de trois cent trente marines et parachutistes à Beyrouth.

Au total, depuis le début de la guerre civile, la violence au Liban a, neuf fois sur dix, profité à la Syrie et nui à ses adversaires. Coincidence ?

Frappe sur les «frères» et voisins ? Hussein de Jordanie (P. 51) a vite saisi ce que signifiait ce nouvel avatar de «Septembre Noir» apparu tout à trac en mars 1984.

L'échiquier international ? Se reporter, P. 50 à la malédiction mystérieuse qui accable, sans exception aucune et depuis dix ans, les « sponsors» d'Arafat et leurs plans de paix au Proche-orient.

Un style Assad mais également un éventail unique : au service de ses stratégies indirectes, la Syrie a fait appel à tout le monde, ou presque : dissidents palestiniens de dix obédiences différentes, Turcs, kurdes, Arméniens, Pakistanais, Libanais chrétiens, sunnites, chi'ites, druzes... Japonais; on en oublie sans doute.

L'affrontement avec Israël

Là aussi là surtout- l'arme palestinienne va servir à la Syrie. A son propre profit, évidemment. Objectif ? Permettre au pouvoir syrien de prendre une posture d'affrontement, d'ennemi N°1 de l' «Entité Sioniste» en évitant soigneusement de déclencher un conflit en vraie grandeur avec Israël à un moment inopportun. Le bénéfice est triple : politique et psychologique sur la scène Arabe, au cri de «les autres bavardent (Irak) ou trahissent (Egypte), nous agissons»; de prestige auprès des tenants palestiniens de la ligne maximaliste, qui demandent la destruction pure et simple d'Israël.

En général, les Syriens préfèrent patronner des opérations de commandos en Israël même, ou sur ses bordures libanaises mais jamais -démarche indirecte oblige- à partir de la Syrie dont pourtant une partie, le plateau du Golan, a été froidement annexée par Israël.

Mais les «Opérations Spéciales à l'Etranger» ne sont pas systématiquement écartées
voir P. 57, note 1, la tentative du Fatah-intifada, à Madrid, contre un avion d'El Al.

Constantes et évolutions

La Syrie est un pays de taille moyenne, 185.000 km2, moyennement peuplé, t 11 m. d'habitants, sans grands moyens économiques ou financiers. Son système de pouvoir repose, c'est le moins que l'on puisse dire, sur une base étroite. Jusqu'en 1970, ses moeurs politiques étaient plus Boliviennes, que Britanniques. Ce pays est en outre entouré de colosses. Pétroliers, Arabie séoudite, Irak; militaires, Turquie, Irak encore, Démographiques, Turquie encore, Egypte. Technologique et militaire, Israël. Les deux seuls petits pays voisins, la Jordanie et le Liban sont l'un le repaire de ses ennemis mortels, les Frères musulmans, l'autre le pire nid de frelons de la planète (et le resterait sans doute en bonne part, malgré les allégations libanaises, si la Syrie se transformait en une Helvétie paisible aux ordres d'un Ghandi damascène). Toutes les conditions étaient donc réunies pour que le régime de Hafez elAssad dure six mois, et que la Syrie devienne pour longtemps le souffre-douleur régional. Or Assad gouverne depuis vingt ans et aucune catastrophe irrémédiable ne s'est produite. On connait la recette intérieure : police secrète omniprésente, répression féroce quand besoin est mais aussi justice sociale, grossière certes, corruption moins spectaculaire qu'ailleurs dans la région, réseaux de mobilisation populaire autour de thèmes porteurs, panarabisme, grandeur nationale, avant-garde de l'anti-sionisme, interlocuteur écouté des grandes puissances, etc. Au total quelque chose qui se situerait à mi-chemin entre Franco et Ceaucescu...

La fragilité extérieure, elle, se conjure grâce à une recette simplissime : faire peur. Oh, pas grossièrement, non, avec le sourire (voir P. 50 règle N°5), grâce à toute une panoplie d'organisations et à une doctrine éprouvée; sans doute aujourd'hui la plus élaborée -et la plus efficace- au monde. Dès qu'une puissance, quelle qu'elle soit, apparaît comme porteuse de menaces dans les écrans de contrôle Syriens, ces stratégies indirectes sont mises en oeuvre, avec progressivité, selon des protocoles, des codes, minutieux mais implacables.

Voilà donc ce que sont ces stratégies indirectes pour la Syrie. Localement ou régionalement, elles sont d'usage classique, mais réservées aux affaires sérieuses : si on peut arriver au même résultat sans en faire usage, tant mieux. Sur la scène internationale -la seule qui scandalise vraiment nos opinions, au fond, comme nous ont choqués les enlèvements d'occidentaux , dans un Liban qui comptait déjà trois mille otages autochtones dans l'indifférence générale- les Opérations Spéciales à l'Etranger sont l'arme défensive par excellence, ce qui se rapproche plus de notre force de dissuasion. Sauf que dans le cas présent, cette arme-là sanctuarise moins un pays que son équipe dirigeante.

La Syrie va-t-elle se servir de ces armes ad vitam aeternam ? Non, bien sûr. Assad est suffisamment intelligent pour savoir qu'il ne faut pas refaire cent fois les mêmes coups aux occidentaux : ils finissent par apprendre, même lentement. Et puis l'alliance soviétique est de plus en plus branlante; ces numéros-là ne se conduisent pas sans filet. A terme, on va sans doute assister à un rééquilibrage progressif, presque invisible, au profit des Etats-Unis et assister au passage des groupes terroristes les plus voyants de Damas vers Téhéran; comme ils sont en leur temps passés de Bagdad vers Damas, ou vers Tripoli. A moins que certains ne retournent à Bagdad... On en a vu d'autres, régionalement. Mais une chose est sûre : de tels outils sont trop précieux pour être abandonnés et leur doctrine d'emploi, celle des stratégies indirectes a encore de beaux jours devant elle.

SOURCES

La Syrie de Hafez el-Assad ou la terreur et son double. Jean Chevrier, «Etudes», septembre 1985.

La nomenklatura syrienne. «Cahiers de l'Orient» (CO), 4° trimestre 1986.

La politique de la Syrie au Liban. Elisabeth Picard, «Monde Arabe Maghreb-Machrek», avril-juin 1987.

Les relations Syro-Irakiennes : 40 ans de rivalité. «CO» 2° trim. 87.

L'armée Syrienne au Liban; «CO» 4° trim. 1988.

New Syrian ties found in suicide terror war. T. Friedman, ««New York Times», 16/2/1986.

Syrian support for international terrorism 198386. Special report, US Department of State, dec. 1986.

Discriminate deterrence and low-intensity conflict : the unintentional legacy of the Reagan administration. R. Schultz, «Conflict» vol. 9 - 1989.

Assad : kibitzing on Syria's grand master. P. Seale, «Int. Herald Tribune» , 19/5/1989.
 

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