"LA RÉALITÉ"

Brochure de l'Asala-MR publiée à la fin de 1984

Texte intégral

PRÉFACE

Les contradictions fondamentales qui existaient de longue date au sein de l'Asala. finirent par éclater les 15 et 16 juillet 1983: deux des loyaux serviteurs du absolu "Moujahid", [Minais Ohanessian, alias, aussi, "Hagop Hagopian" N.D.T.), Khatchig Havarian "Abou Mahmoud" et Vicken Aivazian "John Lulu"" furent exécutés par certains camarades qui ne supportaient plus d'obéir à une direction fasciste, eux-mêmes devant être les prochaines victimes du système Moujahid. Tous ceux qui s'opposaient à la ligne Moujahid durent donc s'enfuir pour sauver leur vie.

Hélas! deux patriotes sincères, Garlen Ananian et Aram Vartanian furent capturés; battus, torturés, ils finirent par être exécutés par Moujahid et ses créatures. Par la suite, Moujahid les décrivit comme des " traîtres", agents du MIT (Services spéciaux turcs N.D.T.) et de la CIA; les événements des 15 et 16 juillet furent dépeints comme " Un complot de la CIA et de la Turquie contre le peuple Arménien en Lutte".

Mais l'origine de ces événements était toute différente : ils résultaient de l'insupportable dictature de Moujahid dans les domaines politique, militaire et d'organisation. Depuis la fondation de l'Asala en janvier 1975, le peuple Arménien n'a jamais vraiment su ce qu'était cette " organisation" , ni la façon dont elle fonctionnait en réalité. Mais tous ceux qui militaient dans l'Asala. connaissaient de longue date la triste réalité. Les attentats totalement inhumains - littéralement fascistes - de l'Asala. leur étaient devenus inacceptables. Nous parlons ici des actions "9 juin" en Suisse en 1981 qui causèrent un mort et plusieurs blessés; "Septembre France " en octobre-novembre 1981 qui frappèrent des restaurants et des cinémas bondés; "Orly" dirigés contre des cibles civiles, de novembre 1981 à l'été 1983; ".Suisse 15"; enfin de la tentative de massacre au bazar d'Istanbul et du carnage "réussi" de l'aéroport d'Orly. Telle était l'activité d'une l'organisation sur laquelle Moujahid régnait par la terreur, détenant toute autorité, et menaçant les militants de mort au moindre désaccord. Les nécessités de la lutte de libération nationale et patriotique ne permettaient pas de prolonger indéfiniment ce statu quo. En fin de compte, cette contradiction entre la ligne de Moujahid et les convictions de patriotes sincères fit éclater l'Asala le 15 juillet 1983; peu après fut créée l'Asala-MR regroupant les éléments progressistes Arméniens désireux de poursuivre la lutte, loin de l'autoritarisme de Moujahid.

La nature confuse des actions passées de l'Asala, les innombrables tentatives de Moujahid pour tromper le peuple Arménien nous ont désormais déterminés à fonder toute nos actions sur la vérité. Panant des faits, nous allons donc exposer clairement au peuple Arménien, en ce qu'a été l'Asala; dire pourquoi sa politique était inadmissible et comment un redressement impliquait forcément une rébellion contre Moujahid. C'est seulement en présentant la vérité à notre peuple que se dissipera la trouble auréole de mystère entourant l'Asala. Levant la vérité, notre peuple saura corriger les erreurs passées et bâtir un futur harmonieux.

Chapitre 1 : Création et cinq premières années de l'Asala L'ère de l'insignifiance

L'atmosphère dans la diaspora avant 1975

La décennie 1965-75 fut pour la diaspora celle des expériences politiques. Le 24 avril 1965, cinquantième anniversaire du massacre de 1915, stimula puissamment les partis Arméniens traditionnels, qui réaffirmèrent la revendication fondamentale du peuple Arménien : le retour de notre communauté sur sa terre natale occupée par le régime turc chauvin. Or le peuple Arménien, sa jeunesse surtout, vit que rien n'était fait pour concrétiser cet idéal; que la diaspora stagnait aux plans culturel, politique et social. La jeunesse Arménienne du Proche-orient l'avait compris: échapper à cet enlisement demandait des idées neuves et nombre de groupes recherchant des stratégies plus efficaces se formèrent au cours de cette décennie. Beaucoup pensaient que ce combat devait s'inscrire dans le cadre des luttes de libération anti-impérialistes en cours dans la région: la lutte armée permettrait enfin de réaliser l'objectif patriotique du peuple Arménien. Mais, malgré cela, aucun de ces groupes ne s'engagea concrètement dans la lutte armée. Des expériences ne s'en multiplièrent pas moins; l'ambiance était au changement politique, au non-conformisme.

Mais hélas, pour plusieurs raisons, ce processus de maturation ne put aller à son terme. Le centre de ces expériences politiques était alors 1e Liban et la guerre civile de 1975-76, qui se poursuit à ce jour, mit un tente à presque toutes ces activités militantes. Comme, dans d'autres communautés, ces expériences étaient bien plus modestes encore, aucun groupe, nulle part, n'était encore passé durablement à l'acte en 1975, malgré un climat favorable aux projets neufs et à la lutte armée.

A la même époque se déroulaient d'autres événements -tout à fait étrangers à l'évolution politique évoquée ci-dessus- qui devaient conduire à la création de l'Année Secte Arménienne pour la Libération de l'Arménie (Asala).

Moujahid

Le premier événement concernait un Arménien connu dans la Résistance Palestinienne sous le nom de Moujahid. Il avait rallié la Résistance des années auparavant aptes s'être enfui de chez lui: une façon d'échapper à son passé plus qu'un engagement politique ou patriotique. Il rejoignit donc le groupe spécialisé dans les détournements d'avions, assassinats, enlèvements, prises d'otages, attentats etc. que Wadi Haddad dirigeait au FPLP [Commandement des Opérations Spéciales à l'Étranger Front Populaire pour la Libération de la Palestine COSE/FPLP, N.D.T.]. Haddad, anarchiste de tempérament et peu porté aux analyses politico-militaires savantes, était en perpétuel conflit avec la direction du FPLP, et son leader Georges Habbache. Beaucoup des opérations du COSE faisaient -intentionnellement- des victimes innocentes et donnaient de la Résistance Palestinienne une image terroriste. C'est au cours de ces années avec Haddad que Moujahid acquit son expérience, et se lia avec nombre de responsables palestiniens. Il ne fit qu'imiter par la suite les tactiques de Wadi Haddad.

Au murs de l'année 1974, les activités de Haddad, les pressions grandissantes sur le FPLP et la Résistance en général firent éclater une crise grave. Au coeur du conflit, Moujahid voyait bien que l'avenir de son groupe était compromis. En cas de scission ou de changement d'alliances, s'il liait son destin à celui de Haddad, il finirait seul et désarmé au milieu de fractions palestiniennes en pleine guerre : cela le poussa à trouver un engagement hors de la Résistance Palestinienne.

La naissance de l'Asala

Or il existait un potentiel militant latent au sein de la communauté "intellectuelle" Arménienne : quatre ou cinq personnages n'ayant pas réussi à s'intégrer dans les partis politiques traditionnels. Concevaient-ils bien toutes les implications d'une lutte prolongée ? Ils cherchaient en tout cas à s'organiser politiquement.

Moujahid constata qu'aucune organisation Arménienne ne pratiquait la lutte armée, alors que cette idée faisait son chemin dans la jeunesse. Qui plus est, rejoindre le combat pour l'Arménie le sortait du piège palestinien et lui permettait de se cher sur un terrain neuf un monopole, sans grand effort, compte tenu de l'ambiance. De cette position avantageuse, il pourrait en outre parler d'égal à égal aux chefs palestiniens.

Malgré ses contacts limités dans les milieux Arméniens, il fit, grâce à des amis, connaissance des quelques "intellectuels" évoqués plus haut. Ignorant tout du peuple Arménien et de ses luttes, il avait besoin d'eux; et eux, de lui, de ses liens avec la Résistance Palestinienne et des ressources que cela lui permettrait de se procurer. Seul lui manquait un responsable "militaire" pour mettre la machine en marche. Il fit alors la connaissance de Hagop Darakjian. Deux camarades les rejoignirent et, ainsi, fut créée l'Asala, le 20 janvier 1975, à Beyrouth, peu après l'attentat contre le bureau local du Conseil Mondial des Églises. Cette action était l'acte de naissance concret de l' Armée Secrète.

Ainsi, dès la naissance de l'Asala, deux forces fondamentales coexistaient en son sein : Moujahid, qui contrôlait toutes les ressources techniques et les militants, masse de manoeuvre du groupe. L'histoire de l'Asala est celle de cette dualité. Les camarades patriotes tentaient de mener une action positive et Moujahid, parfait égoïste, exploitait leur activité à ses propres fins. Dès le début s'établit donc une relation difficile entre deux forces, au fond peu conciliables.

Premier assassinat politique, inactivité subséquente

Peu après la naissance de l'Asala, un conflit éclata entre Moujahid et la plupart des "intellectuels"-fondateurs, à propos de la ligne et du processus de prise de décision. Moujahid réussit à exclure tous ceux qui menaçaient son autorité; les éléments patriotiques perdirent du terrain, et ceux qui restèrent dans le groupe se soumirent à son autorité. A cette époque [fin 1975 N.D.T.] l'Asala se composait de 6 ou 7 personnes, Moujahid et Hagop Darakjian étant les plus actifs. Les autres " membres" militaient de loin en loin.

En 1976, c'est Hagop Darakjian qui joua le rôle moteur. Il assassina, en février, le premier secrétaire de l'ambassade de Turquie à Beyrouth Un saut qualitatif pour l'Asala qui s'était limitée jusqu'alors à quelques plasticages. Plus tard dans l'année, Moujahid faillit être victime des conflits inter-palestiniens évoqués plus haut. Blessé, il partit se soigner hors du Liban et toutes les responsabilités reposèrent alors sur Darakjian. Sans ce dernier, l'Asala aurait probablement cessé d'exister à ce moment-là.

En 1977, L'Asala fut inactive, malgré le retour de Moujahid à Beyrouth. Hagop DarakJian et deux ou trois de ses proches maintinrent la machine en marche au cours de 1978, grâce à quelques attentats, dont quelques-uns en Turquie durant l'été. Pendant ce temps, Moujahid " gonflait" les opérations réelles, trompait l'opinion en revendiquant des opérations fictives, ou s'attribuait des actions du "Commando des Justiciers du Génocide Arménien". Grâce à des communiqués mensongers, il agit l'idée que l'Asala, présente sur tous les fronts, était à l'origine de mous les attentats Arméniens.

Le premier congrès Arménien, les premières ouvertures internationales et une vague d'attentats

Peu de nouveau en 1979. En septembre, le premier congrès Arménien se déroula à Paris. Il avait été organisé par des "intellectuels" qui connaissaient ceux de l'Asala, donc, Moujahid. L'Asala fut associée au déroulement du congrès, et y rencontra quelques éléments franco-Arméniens. Alek Yenikomchian, qui n'était pas encore "membre" de l'Asala, tout en en étant proche, présenta au groupe quelques activistes de la communauté française. Le congrès permit des échanges d'idées enta' éléments radicaux et ainsi apparut une tendance pro-Asala, d'esprit unitaire en dépit de nombreuses contradictions politiques entre les parties en cause. Déjà, l'Asala avançait une ligne incertaine et contradictoire, mêlant les slogans anti-impérialistes et les affirmations de solidarité révolutionnaire internationale, à une pratique très bourgeoise de la lutte. D'autant plus que ce congrès était lui-même de conception bourgeoise et son orientation inacceptable pour une organisation réellement révolutionnaire et anti-impérialiste. Hagop Darakjian continua d'assumer le travail militaire de l'Asala durant le second semestre 1979. C'est lui qui organisa, avec l'aide d'un ou deux autres camarades, les nombreux attentats visant les biveaux de compagnies aériennes américaines, européennes et turque, ainsi que ceux des aéroports d'Ankara et d'Istanbul. C'est Darakjian, et lui seul, qui permit à l'Asala d'atteindre un niveau d'activité supérieur. Certaines de ces opérations manquaient néanmoins de sens politique et portait la marque arbitraire et anarchiste de Moujahid.

Au cours de ce second semestre, quelques nouveaux "membres" rejoignirent l'Asala. Ils demeurèrent, sauf exception, marginaux et peu actifs.

De 1975 à 1980, L'Asala fut dominée par Moujahid et animée par Darakjian et quelques autres. Durant cette période, la réputation de l'Asala se fit sur la base :

- Des opérations signées Darakjian,
- Des communiqués sensationnels et mensongers de Moujahid.

L'Asala bâtit ainsi son image sur 80% de mensonges délibérés et 20% de faits réels. L'Armée secrète n'avait alors aucune ligne politique, aucune organisation; sa " ligne" était le fruit des impulsions et des caprices de Moujahid.

Chapitre 2 : La renaissance de l'Asala, de 1980 jusqu'à l'apothéose de "Van: une période plutôt positive et progressiste.

La maladie de Hagop Darakjian; vague d'adhésions nouvelles

1980 : un afflux de militants nouveaux marqua pour l'Asala le début d'une ère nouvelle, et cela lui permit de progresser dans tous les domaines. Cette vague d'adhésions venait à point pour combler le vide laissé par Hagop Darakjian, de plus en plus miné par sa leucémie : il dut abandonner coule activité à partir de mars 1980. Parmi les nouveaux éléments, Alek Yenikomchian, qui préféra cependant rester discret sur son ralliement pendant quelques mois : il doutait encore de la légitimité de l'Armée secrète. C'est aussi à cerne époque que quelques camarades de France commencèrent à coopérer avec l'Asala.

Cette évolution permit des échanges plus actifs avec d'autres organisations. Un contact des plus prometteurs fut noué à cette époque avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, de Turquie, N.D.T.) mais hélas ces deux organisations ne voyaient dans ce rapprochement qu'une astuce tactique, et nullement une alliance authentique. En tout cas, la déclaration de coopération (rédigée par le PKK et publiée lors d'une conférence de presse tenue le 6 avril 1980 à Sidon, Liban) fit beaucoup pour la réputation de l'Asala. En Iran notamment, un groupe de patriotes Arméniens sympathisa désormais avec l'Année secrète. Ce groupe, très impressionné par la déclaration Asala PKK, et dépourvu de tous contacts extérieurs, en conclut que l'Armée secrète devait être une organisation des plus sérieuses.

En mai, le flux d'adhésions se poursuivit, dont celles de Suzy Macheredjian et de Monte Melkonian qui renforcèrent encore la direction du mouvement Avec Alek, ils consacrèrent leur énergie aux tâches d'organisation. En quelques mois, à la demande de Moujahid, Alek recruta sept nouveaux camarades. Tous étaient des patriotes Arméniens, amis d'Alek avant de rejoindre l'Asala. Parmi eux, Pierre Gulumian et Khatchig Havarian "Abou Mahmoud". Un nouveau chapitre de l'histoire de l'Asala débutait mais Moujahid, qui n'entretenait à dessein que des rapports directs avec chacun des "membres", contrôlait toujours le mouvement à 100%.

Des opérations plus nombreuses et plus audacieuses; l'afflux militant du " 3 octobre" ; l'Asala en plein développement

Nombre de ces nouveaux "membres" devinrent bientôt des permanents; le " local du 7° étage" -le seul en ce temps-là- se mit à ressembler à un vrai bureau, ouvert 24 heures sur 24. Les opérations militaires se multiplièrent également Jamais, à l'exception de l'assassinat par Darakjian d'un diplomate tore de Beyrouth en février 1976, l'Asala n'avait dépassé le simple attentat à la bombe : cela changea du tout au tout durant l'été 1980. Le 31 juillet, un diplomate turc tombait à Athènes; le 5 août, le consulat de Turquie à Lyon était attaqué et, le 26 septembre, un autre diplomate turc était grièvement blessé à Paris. Peu après , alors que les opérations habituelles allaient leur train, un diplomate turc de Rome ne s'en tirait que de justesse et événement considérable- deux diplomates turcs furent assassinés à Paris, le 4 mars 1981. A l'origine de ce passage à la vitesse supérieure, les " membres" nouveaux.

L'élan de sympathie pour l'Asala débuta apis qu'Alek et Suzy eurent été arrêtés en Suisse le 3 octobre. L'explosion malencontreuse d'un engin fit perdre la vue à Alek, et l'usage de sa main gauche. La nouvelle de leur arrestation fit courir un vent de sympathie pour l'Asala dans la communauté. Des camarades de la "Nouvelle Résistance Arménienne" de France rejoignirent l'Asala et des camarades de "Azad Hay" au Canada et de "Gaitzer" en Grande-Bretagne sympathisèrent décornais avec elle. La création des "Comités de défense des prisonniers politiques Arméniens" contribua encore à populariser la cause de la lutte armée, déjà illustrée par la campagne pour la libération d'Alek et de Suzy. A ce moment, le groupe de sympathisants d'Iran rejoignit l'Armée secte, grâce surtout aux relations de Monte Melkonian. Au Liban, plusieurs amis d'Alek et de Monte rejoignirent également l'Asala, dont Mardiros Jamgotchian et Vicken Aivazian "John Lulu ". Tout cela renforça considérablement l'Armée secrète. Pour la première fois son influence s'exerçait sur les communautés Arméniennes de plusieurs continents; elle comprenait désormais des éléments progressistes et rompus à la politique : cela lui permit d'accéder à un niveau bien supérieur.

Cette époque ne fut pas seulement marquée par ces adhésions, mais par deux événements importants. D'abord la publication d' " Arménie" (Hayastan), organe officiel de l'Asala, qui contribua à la faire connaître du peuple Arménien. Hélas, Moujahid contrôlait de A à Z la ligne et le contenu du journal qui, de ce fait, ne reflètera jamais le niveau réel des "membres" de l'Asala. Le second événement fut la mise sur pied d'un camp d'entraînement permanent, qui permit à l'Armée secrète d'entraîner sérieusement ses "membres" et de renforcer son potentiel militaire. Grâce à ce programme d'entraînement, pour la première fois, des cadres militaires compétents étaient formés au sein même de l'Asala.

Pendant la campagne "3 Octobre" pour la libération d'Alek et de Suzy, la tension grandit entre Moujahid et les "membres" patriotes. Moujahid voulait organiser une campagne d'attentats aveugles pour rendre l'affaire plus sensationnelle, et seule l'habileté de militants décidés à lui désobéir grâce à des moyens détournés permit d'éviter qu'il n'y ait des morts.

Création de la tendance patriotique, sa coexistence avec le système de Moujahid

Quand Alek et Suzy firent libérés, l'Asala avait changé de dimension: des moyens nouveaux existaient, un entrain accru était sensible. Les militants étaient beaucoup plus nombreux, et agissaient sur une aire géographique considérable. Beaucoup des nouveaux étaient des progressistes d'un bon niveau de culture, qui renforçaient ainsi le potentiel de l'Asala. Ces éléments n'avaient pas fermé d'infléchir la ligne politique de l'Armée secrète, ni d'élaborer une nouvelle stratégie de lutte, mais l'identité de leur culture politique et leur militantisme actif permettaient à un mouvement de libération Arménien authentiquement populaire et progressiste de voir le jour : pour l'Asala, un progrès formidable. Les patriotes sincères ralliés à l'Asala étaient enfin à l'origine d'une activité militaire décuplée, importante contribution à la lutte armée des Arméniens contre le régime turc.

La tendance politique progressant dans les rangs des patriotes Arméniens entre 1970 et 1975, mais bloquée cette année-là, renaissait désormais [1980/81 NDT] dans l'Asala, qui rompait ainsi avec sa précédente pratique de mensonges et de tromperies. Hélas, la première génération de l'Armée secrète, celle de Moujahid, était dépourvue de cette sincérité, et n'avait que faire de la libération de la patrie Arménienne. Le système mis au point par Moujahid ne permettait pas au potentiel militant nouveau de s'épanouir, il l'exploitait au contraire à des fins personnelles. Dès le départ, ce rapprochement de deux courants était donc artificiel et ne pouvait réussir, du fait de leur nature antagoniste. Comme nous l'avons vu, ces forces nouvelles, apport très positif, ne purent s'établir comme courant dirigeant dans l'organisation.

Au centre du système de prise des décisions, Moujahid s'attribuait le mérite du travail accompli, quand il ne prétendait pas l'avoir effectué lui-même. Donc, plus les éléments sincères se dépensaient, et plus il renforçait son pouvoir. A cette époque, la réputation nouvelle de l'Asala reposait plus sur la réalité que sur des mensonges, mais Moujahid n'en exerçait pas moins un contrôle absolu sur la conduite des affaires.

Moujahid savait à merveille exploiter les " militants" les moins sophistiqués, les plus dépolitisés : les abreuvant de mensonges et de tromperies, il suscitait une ambiance de secret et de mysticisme. Il refusait à dessein toute structure organisée pour que chacune rende compte qu'à lui seul : ainsi les membres politiquement peu éveillés ne pouvaient percevoir la tension régnant au sommet.

Moujahid s'attribuait tous les succès et rejetait sur les autres toutes les fautes, les siennes y compris. Les éléments les mains politisés en faisaient donc une sorte de gourou, allant jusqu'à l'appeler "ma'alem" (maître). Il entreprit en même temps d'isoler les éléments conscients, leur assignant des postes éloignés les uns des autres. La plupart étaient en réalité privés de la moindre liberté. De retour à Beyrouth, Alek était bien sûr incapable de travailler comme avant du fait de son infirmité, mais était en outre isolé dans un bureau et accablé de tâches subalternes, coupé des autres "membres" et de la communauté Arménienne en général. La règle était que tous les papiers d'identité et l'argent des "membres" étaient confisqués par Moujahid; toute sortie des locaux ou du camp d'entraînement leur était interdite, ainsi que toute correspondance avec la famille ou des amis. Dans le meilleur des cas, les rares lettres étaient soigneusement épluchées. C'est ce système qui permettait à Moujahid de régner sur l'Asala sans partage, d'exploiter les efforts de patriotes authentiques et de décider sans contrôle. N'étant tenu à aucune règle, il jouait comme bon lui semblait des "huit points fondamentaux" de l'Armée secrète, pourtant ambigus et flexibles à souhait. Voilà comment l'Asala, déjà divisée en deux tendances qui s'opposaient, resta sous la férule de Moujahid qui put sans vergogne exploiter le travail novateur des patriotes sincères.

La politique irresponsable de Moujahid vis-à-vis de la communauté éclata au grand jour durant l'été 1980 quand il ordonna des attentats à la bombe contre des voitures, des magasins et même les domiciles de cadres des partis Arméniens traditionnels, du Dachnag en particulier. Ces cadres étaient bien souvent coupables de sévices à l'encontre de patriotes Arméniens, mais l'Asala ne songea même pas à justifier des représailles qui étaient souvent hors de proportion avec les actes incriminés; elle ne prit pas même la peine de les revendiquer. Plus grave, Moujahid envisagea l'exécution de certains de leurs dirigeants, même si les circonstances ne permirent pas le passage à l'acte. Tout cela ne fit qu'exacerber les conflits au lieu de protéger les patriotes des excès des partis traditionnels, ou de susciter une ambiance de compréhension réciproque.

L'opération de Genève et le "9 Juin"

Au printemps 81, les "membres" nouveaux affluaient à l'Asala. La plupart allait directement au camp d'entraînement et y passait plusieurs mois. Là, ils étaient sous l'influence de patriotes sincères, et hors de portée du noyau central, donc de Moujahid et de ses combines. Plusieurs de ces nouveaux jouèrent un rôle important à la fin de 1981, lors de l'apogée historique de l'Asala. Mardiros Jamgotchian par exemple, emprisonné à Genève suite à l'exécution d'un agent consulaire turc.

Mardiros avait agi en patriote sincère persuadé du bien fondé de la lutte armée, et cependant Moujahid parvint à noyer tout le positif de cette action dans une sanglante campagne d'attentats signée "9 Juin ". Cette affaire est exemplaire des machinations sanguinaires de Moujahid -très impopulaires dans l'organisation- mais qu'il arrivait cependant à monter grâce à son habileté tactique. En pareil cas, il endoctrinait les "membres", affirmant qu'il était de leur devoir de "donner une bonne leçon" à tous ceux qui jetaient en prison des révolutionnaires Arméniens; un devoir, dans le cas présent, envers le camarade Mardiros. Les camarades chargés d'une telle mission avaient en outre parfaitement conscience qu'un refus les ferait accuser de "trahison". Le résultat de " 9 Juin" fut un mort, plus de 35 blessés, et un rejet massif de la cause Arménienne par l'opinion publique. Mardiros, lui, fut condamné à quinze ans de détention, peine très sévère pour la justice helvétique. Tous les bénéfices de l'action de Mardiros firent ainsi perdus et la tension monta d'un cran entre Moujahid et les militants patriotiques, profondément choqués par cette campagne sanglante. Mais rien de cela n'eut le moindre effet sur la ligne politique de l'Asala, ni même d'ailleurs sur la poursuite de "9 Juin" : Moujahid avait déjà dispersé les patriotes. Ainsi isolés, ces éléments ne pouvaient que ruminer leurs pensées, sans pouvoir se concerter ni prendre de mesures concrètes. Ces progressistes ne pensèrent d'ailleurs pas à faire usage, en ces circonstances extraordinaires, des moyens appropriés. Les "membres" conscients test encore devant les mesures indispensables pour corriger la dérive de l'organisation, et ceux qui ignoraient le conflit interne étaient prêts à sacrifier leurs principes à l'efficacité immédiate.

La réunion de l'été 1981

Quand les militants conscients puent se retrouver, la campagne "A juin était terminée et les camarades représentant les mouvements progressistes de toute la diaspora étaient arrivés à Beyrouth.

Ces camarades avaient été invités par l'Asala et à une réunion des rédactions des périodiques progressistes Arméniens. Lors des longues discussions apparurent des contradictions politiques mais, comme au congés Arménien de 1979, ces mésententes furent reléguées au second plan, pour ne pas nuire à l'unité. Lors de la réunion la plus importante, qui se tint à Shkim, il se décida que tous les mouvements progressistes paient le nom de " Mouvement populaire pour l'Asala" et que chaque périodique illustrent sa solidarité avec " Hayastan" en faisant figurer ce titre dans sa manchette. Cet accord représentait pour les progressistes -en vaste major un abandon total de leurs principes politiques et de leurs règles d'organisation au profit d'une conception passive de l'unité. Pendant ces réunions, les progressistes firent preuve de faiblesse et ne purent imposer quelque idée que ce soit. Malgré la minceur des résultats concrets, ce soutien politique et populaire apporté à l'Asala au nom de l'unité était néanmoins significatif. Pour la première fois dans la diaspora, de nombreux mouvements progressistes indépendants acceptaient formellement de coopérer entre eux et de soutenir politiquement l'Asala. La base de l'Armée secrète s'était donc considérablement élargie et le nombre d'éléments patriotiques et politiquement conscients en son sein avait cru en proportion. Paradoxalement Moujahid détenait encore tout le pouvoir et la faiblesse des éléments progressistes avait encore renforcé son système de contrôle.

La période qui va jusqu'à la fin de 1981 fut celle du face à face des deux forces : les membres patriotes de l'Asala travaillaient sans relâche à développer la lutte patriotique, et Moujahid, à assurer son hégémonie sur l'organisation. Ayant endoctriné les "membres" les moins avertis politiquement afin qu'ils soient à son égard d'une loyauté sans faille, il les installa ensuite à des postes - clés pour affermir encore plus son contrôle et surveiller le courant patriotique, alors en plein développement. Parmi ses fidèles, Khatchig Havarian, qui s'adapta vite au système Moujahid : il répétait ses mensonges, le singeait dans ses attitudes, copiait sa rhétorique et traitait les autres "membres en inférieurs. Bientôt Khatchig inventa ses propres mensonges : encouragé par cette évolution, Moujahid lui confia des responsabilités plus importantes. Ainsi Khatchig donnait-il souvent des ors -quand il ne les hurlait pas- à ces patriotes qui avaient fait de l'Asala ce qu'elle était devenue. En moins de deux ans, Khatchig en vint même à s'habiller et se conduire comme Moujahid, au point de tenter de lui ressembler physiquement.

Vicken Aivazian était le second de ces "membres" aveuglément loyaux à Moujahid, et dont celui-ci faisait les carrières. Non seulement Vicken mentait-il aux autres "membres" pour mieux les contrôler, mais servit ultérieurement de bourreau à Moujahid quand il voulut se débarrasser d'opposants à son système.

En 1981, les éléments patriotiques contribuèrent de plus en plus à la progression de l'Asala. L'opération du 4 mars, dans laquelle Pierre Gulumian joua un rôle décisif stimula considérablement l'organisation. Peu après, le 17, Hagop Darakjian mourut de sa leucémie, devenant ainsi le premier martyr de l'Asala. Moujahid exploita aussitôt ces deux événements. s'attribua le mérite de l'opération, affirmant qu'il l'avait ordonnée, trompant: mm les éléments politiquement conscients qui conclurent que, sans ses ordres, le travail militaire était inexistant. Il exploita la mort de Darakjian -qui avait dirigé seul le secteur militaire de l'Asala pendant cinq ans et assuré la survie du groupe en 1976-77- en le présentant comme un loyal second. De telles distorsions permettaient à Moujahid de se poser en grand dirigeant, moteur des actions conduites par l'Asala.

Moujahid contrôle la propagande, et impose une politique provocatrice

Le 24 avril [1981 N.D.T.] L'Asala fit sa première émission de radio à Beyrouth. Des camarades avaient trouvé le matériel et préparé des pros. En dépit de leurs efforts, c'est Moujahid qui, une fois encore, profita de l'opération : prétendant qu'il avait obtenu les temps d'antenne, il persuada les autres cadres que son intervention auprès des propriétaires de l'émetteur avait été décisive. Cette émission d'une heure prit plus tard le nom de " Voix des Arméniens du Liban". Moujahid, par la persuasion et les menaces, exerça sur ses programmes une censure pointilleuse. "Hayastan" et cette émission, qui auraient pu être très utiles pour populariser les positions politiques des Arméniens progressistes engagés dans la lutte de libération, furent donc détournés de leur objet et servirent à diffuser les perversions idéologiques de Moujahid, par exemple des propos diffamatoires et injurieux à l'encontre d'autres partis politiques Arméniens, notamment la FRA. Au lieu de critiquer de façon constructive la politique de ce parti, à partir de faits et d'analyses, Moujahid choisit de l'insulter, ce qui aggrava les divisions au sein de notre peuple. Ces injures et ces provocations n'affaiblirent en rien la FRA mais contribuèrent à renforcer le chauvinisme partisan de ses militants. Cela fit monter la tension entre les deux camps, et s'acheva par des bagarres en divers points du monde, lors des commémorations du 24 avril 1981, notamment.

L'opération "Van" et ses conséquences

Les préparatifs de l' "opération Van" commencèrent à l'été 1981. Des "membres" partirent pour Paris, s'informer sur le consulat de Turquie, pendant qu'un petit groupe recevait un entraînement spécial en vue de l'assaut et de la prise d'otages. Préparée et exécutée exclusivement, ou presque, par des patriotes sincères, cette opération était d'une dimension bien supérieure aux actions de propagande ordinaires de l'Asala, et constitua l'apogée de son histoire. Elle était unique de par la durée de sa préparation. Les quatre membres du "Commando suicide Yeghia Kechichian" (exécuté, avec Zaven Apetian, par les forces répressives iraniennes, lors de leur arrestation à Téhéran) accomplirent leur mission si parfaitement qu'elle devint le plus grand succès militaro -propagandiste de l'histoire de la diaspora, et aurait du logiquement marquer le début d'une ère nouvelle de la lutte de libération nationale du peuple Arménien Les répercussions politiques de cette action militaire de haut niveau furent considérables : c'était la première fois qu'une action armée Arménienne réussissait à susciter une vague intérêt pour le peuple Arménien et ses souffrances dans l'opinion publique internationale.

Dans le monde entier, des Arméniens commercèrent à manifester leur compréhension envers la lutte armée; d'aubes, qui abhorraient auparavant qu'ils qualifiaient de terrorisme, exprimèrent leur solidarité. Cette opération fut de loin la plus mobilisatrice en faveur de la lutte. A preuve, la participation de milliers d'Arméniens aux manifestations qui suivirent l'opération. Jamais une telle assurance, une telle mobilisation n'avaient été sensibles dans la diaspora Les membres du commando -Vasken Sislian, Kevork Guzelian, Anto Basmadjian et Hagop Djulfayan- devinrent les héros des patriotes Arméniens.

Moujahid récupéra vite tous les aspects positifs de l'opération. Il partit pour la France collecter de l'argent et préparer une nouvelle vague d'attentats conte des objectifs civils. L'ambiance était telle que la collecte d'argent était aisée : il recueillit des sommes considérables, dont il se réserva le contrôle et l'affectation.

Son emprise sur l' " organisation" était alors si totale qu'il alla jusqu'à faire exécuter certains "membres" de l'Asala dont la loyauté lui semblait douteuse. La première de ses victimes fut Arsen Vartanian "Abou Ammar", jeune immature à demi délinquant qui s'enfuit d'un local de l'Asala avec des armes et de l'argent. Il fut exécuté le 20 octobre à Bourj Hammoud, sur ordre de Moujahid. Le 25 octobre, un diplomate turc était blessé lors d'un attentat perpétré à Rome.

Cependant, Moujahid était en contact indirect avec le gouvernement français à propos de la libération des quatre du "Commando Yeghia Kechichian". Les Français refusant de leur accorder l'asile politique, Moujahid ordonna des attentats contre des lieux publics, cinémas et restaurants, à signer "Septembre-France". A nouveau, l'objectif, publicitaire, était de causer la mort du plus d'innocents possible. "Septembre France", comme "9 juin" avaient des objectifs délibérément meurtriers qui donnaient de la lutte du peuple Arménien une image très négative, au delà de l'horreur même des massacres. Les éléments politiques de l'Asala. avaient déjà protesté au moment de "9 juin" mais ils étaient trop loin du théâtre de la campagne -la France- pour pouvoir peser sur son déroulement. Ceux qui étaient sur place firent preuve de faiblesse et obéirent à Moujahid mais en rusant pour minimiser les effets destructeurs des attentats. Grâce à ces stratagèmes, il y eut à peine quelques blessés lors de "Septembre France". Comme l'opération Van avait provoqué un choc patriotique et une grande émotion, c'était maintenant au nom des quatre héros que Moujahid poussait d'autres patriotes à faire leur devoir en s'en prenant à ce qu'il nommait des "intérêts français". Il parvint donc à réitérer une opération de type "9 juin", au prix de tensions accrues au sein de l'organisation. Hélas, les patriotes furent encore incapables d'empêcher ces actes anti-populaires et contre révolutionnaires; après l'opération Van, l'Asala glissa de plus en plus vite sur une pente autodestructrice . Octobre / novembre 1981 vit l'apogée de l' Asala, mais aussi l'amorce de sa chute brutale.

Durant cette période deux forces continuèrent de coexister au sein de l'Année secrète : la première, progressiste, était animée par les "membres" nouveaux : leur travail positif permettait de bâtir une organisation authentique, et de conduire sérieusement la lutte de libération Arménienne. La seconde était la vieille tendance irresponsable de Moujahid, ne visant qu'à contrôler et exploiter le dynamisme des "membres" sincères de l'Asala et des Mouvements populaires.

Les acquis de cette période furent immenses. L' "organisation" progressa en nombre mais aussi, fait nouveau, en qualité. Il y avait désormais, pour la première fois, des militants dans toute la diaspora, actifs à des niveaux très divers des associations communautaires. Les " membres" étaient maintenant pour la. plupart des patriotes sincères, tout dévoués à la lutte de libération. Beaucoup étaient politiquement motivés et progressistes; ils souhaitaient fonder la lutte de libération nationale sur des bases saines, patriotiques et réellement populaires. Désormais un lien organique pouvait se nouer entre l'organisation combattante et le peuple Arménien.

L'arrestation puis la libération d'Alek et de Suzy avaient pour la première fois dissipé le mystère qui entourait les militants Arméniens depuis 1975. De juillet 1980 à septembre 1981 une imposante vague d'opérations avait prouvé la force de l'Armée secrète au peuple Arménien et à l'opinion publique internationale. Par son audace et son intensité, cette vague rappelait avec éclat 1e calvaire du peuple Arménien; elle démontrait aussi une maîtrise de la guérilla jamais atteinte depuis le redémarrage de la lutte armée dans la diaspora.

Elle débuta par l'exécution de juillet à Athènes et l'attaque du consulat turc à Lyon, continua par l'attentat contré un diplomate turc à Paris -grièvement blessé- et une campagne de bombes contre diverses cibles turques; elle prit de l'ampleur avec la tentative d'assassinat de décembre à Rome et l'impressionnante double exécution de Genève. L'apogée en fut l'opération Van et les manifestations de soutien populaire qu'elle généra Bref, un succès sans précédent qui suscita une ambiance d'exaltation patriotique extraordinaire, et conduisit de nombreux Arméniens à penser que l'Asala. réaliserait un jour nos aspirations nationales.

Mais, hélas, tout cela fut vain et l'espoir s'évanouit à nouveau : la tendance aventuriste et nihiliste incarnée par Moujahid parvint à accaparer les travaux du courant progressiste, avant de les réduire à néant.

Incapable de bâtir une organisation structurée, reculant sans cesse devant les exigences de Moujahid, acceptant que celui-ci contrôle tout et décide de tout, le courant progressiste était condamné à capituler devant la tendance nihiliste. Ainsi, Moujahid démantela-t-il ce courant et s'engagea dans une voie catastrophique. La période de coexistence des deux forces -Moujahid dominant, les patriotes jouant un rôle actif et créateur- touchait à sa fin : une ère de domination sans partage commençait et les termes "politique de Moujahid" et "politique de l'Asala" furent bientôt -de virtuels synonymes.

Chapitre 3 : De "Orly 1981 " A "Orly 1982"

La tendance négative s'affirme : .Orly 1981"

La tendance négative s'affirma après l'arrestation de Monte à Paris le 11 novembre : Moujahid s'en servit pour concocter une campagne d'attentats visant des cibles civiles, le projet "Orly". Pour lui, cette arrestation tombait à pic : l'émotion était vive dans la communauté et l'ambiance à la confrontation entre le gouvernement français et les militants Arméniens. L'absence de Monte permettait aussi à Moujahid de renfoncer sa main mise sur l'Asala. et lui laissait les mains totalement litres; il pouvait enfin pousser des camarades aux extrémités les plus regrettables pour obtenir sa libération.

Cette volonté de frapper des innocents éclata au grand jour avec la menace de faire exploser en vol un avion d'Air France; Moujahid fit tout pour réaliser cette opération et donna simultanément l'ordre de procéder à des attentats massacres dans des restaurants, et d'autres lieux publics. Seule la conscience des exécutants permit d'éviter le carnage. Pendant "Orly" nombre d'opérateurs sabotèrent leurs propres bombes pour éviter les bains de sang, évitant ainsi les représailles de Moujahid, inévitables si les bombes n'avaient pas été posées. Pris entre l'arbre et l'écorce, ces militants se débattaient entre leurs convictions patriotiques et les ordres fascistes -assortis de menaces- de Moujahid.

Saboter les bombes consistait à utiliser des piles usagées, à mal réaliser le câblage électrique, à utiliser des détonateurs défectueux, pendant la phase de préparation; ou bien à poser des bombes plus petites, dans des endroits moins fréquentés et à des heures creuses. Ainsi plusieurs bombes firent-elles long feu, et celles qui explosèrent, des dégâts limités. En fait, il n'y eut pas un seul décès. Bien que Moujahid ait prévu cent fois pire, cette campagne engendra des réactions très négatives, et annihila presque totalement les effets heureux de l'opération Van. Plus encore que par le passé, la lutte patriotique était défigurée par les attentats aveugles; même les actions entre des objectifs ciblés étaient qualifiées de "terroristes". Les effets d' "Orly" furent sensibles à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Asala. et su moment de la libération de Monte, le 9 décembre, de nombreux "membres" étaient visiblement découragés. A peine "Orly" se terminait-il que débutait "Suisse 15" , nouvelle campagne sanglante. Ce nom symbolique évoquait la lourde peine -15 ans de détention- de Mardiros Jamgotchian lors de son procès de décembre. Pieu préoccupé au fond du sort de Mardiros, Moujahid avait décidé de "donner une leçon aux Suisses" en provoquant un massacre d'innocents. Une fois encore, malgré ses efforts, les dégâts furent limités, les opérateurs ayant saboté leur propre travail. "Suisse 15" ne fit que renforcer l'impression négative suscitée par "Orly" et, dans la communauté Arménienne, le doute s'accrut encore sur la nature belle de l'Asala, et la légitimité de ses buts.

Le déséquilibre des pouvoirs s'accroît

De novembre 1981 à janvier 82, des "membres" de rang divers commencèrent à quitter l'"organisation", malgré le système Moujahid, qui voyait en tout "déserteur" une menace pour l'Asala, à réduire donc au silence. malgré cela, de nombreux "membres" parvinrent à s'esquiver, ou, au moins, a ne plus militer activement.

A cette époque, Khatchig Havarian "Abou Mahmoud"commençait à exercer pleinement ses fonctions de lieutenant de Moujahid, qui se servait de lui pour toutes les tâches peu reluisantes : les attentats contre les voitures ou les commerces de cadres locaux des partis traditionnels de la communauté, ainsi que l'incarcération des "membres" en désaccord avec la ligne- Moujahid. Khatchig allait même jusqu'à rationner la nourriture à ceux des permanents qu'il trouvait un peu trop indisciplinés, d'autant plus facilement que les "membres" ne pouvaient conserver aucun argent et que Khatchig gérait le budget de fonctionnement de l' "organisation". En prime, il menaçait de mort les "membres" non conformistes et les "éléments indésirables" et préparait l'assassinat de hauts dirigeants des partis communautaires. Tenus secrets, la plupart de ces projets ne furent connus que par ses indiscrétions.

Vicken Aivazian était lui aussi entré pleinement dans le système Moujahid, ayant compris que c'était le meilleur moyen d'éviter les ennuis. Sa loyauté lui valut des responsabilités de plus en plus importantes. Un autre "membre" Varoujan Garbidjian "Abou Ramouz" suivait un parcours identique; élément chauvin dépourvu de conscience révolutionnaire, il fut plus tard utilisé pour exécuter les "membres" rétifs au système. Le départ de plusieurs patriotes sincères, la domination de Khatchig secondé par Vicken et Varoujan réduisit la tendance patriotique à l'obéissance passive.

L'interview de "Hagop Hagopian"

Moujahid, usant du nom "Hagop Hagopian" décida alors de "clarifier certains aspects de la politique de l'Asala" et donna une interview à "La voix des travailleurs du Liban", dont il écrivit bien sûr les questions et les réponses. D'autres camarades corrigèrent son style et sa syntaxe; donnèrent au texte sa substance, afin qu'il fasse sérieux et intellectuel puis le traduisirent de (arabe en Arménien. Cette interview devait, selon Moujahid, clarifier la politique de l'Asala; c'était en réalité un mélange de falsifications récentes ou anciennes, de mensonges et d'arguments puérils reliés les uns aux autres par autant de coqà-(âne. L'interview jeta le trouble dans les secteurs politisés de l' "organisation" et, au-delà, de la communauté Arménienne et des milieux progressistes en général. Le tollé autour de l'affirmation selon laquelle " l'Asala défend les intérêts de la bourgeoisie Arménienne" fut tel que Moujahid fit modifier discrètement le texte dans les traductions de l'interview.

L'affaire Hamo

A mesure que son pouvoir grandissait, Moujahid développait une conception plus agressive des rapports intra-communautaires. En 1982 il cordonna à des camarades de France d'exécuter Hamo Moskovian. C'était un de ces individus instables, indicateur, des années durait de factions politiques [libanaises NDT] opposées: Fatah, Baas pro-Irakien, Phalanges, parti Druze, etc., également impliqué dans une vague d'attentats aveugles à Beyrouth-ouest. Il avait été enlevé par l'Asala, dorant l'été 198 1, d'ordre de Moujahid, mais parvint à s'enfuir en France. Vexé, Moujahid craignait en outre qu'Hamo n'empiète sur son monopole dans les contacts entre forces Arméniennes et Résistance Palestinienne. En réalité insignifiant, il obsédait Moujahid qui était prêt à risquer la sécurité de camarades en France pour avoir sa peau alors qu'il aurait suffi de l'ignorer. Après cette tentative d'assassinat Hamo se confia à la police et devint du coup un vrai problème pour l'Asala. Cela excita encore plus Moujahid qui lança plus de "membres" encore sur ses traces. En fin de compte, en Mai, Moujahid en personne ouvrit le feu sur Homo à Beyrouth. C'était la première fois depuis 1975 que Moujahid menait lui même une opération militaire; peu entraîné, il ne fit que blesser Hamo à la jambe, mais tua un autre jeune Arménien, Kevork Ananian. Désormais Homo dénonça l'Asala à tout service acceptant de l'écouter. La broutille du début évolua ainsi en une affaire préoccupante pour l'Asala et coûta en outre la vie à un Arménien innocent.

Optimisme autour de l'Asala; pessimisme dans ses rangs

Au printemps de 1982, le moral des troupes de l'Armée secrète était au plus bas. Les patriotes sincères, jusqu'alors enthousiastes, nourrissaient désormais un grand scepticisme sur l'Asala et refusaient leur coopération; d'autres, toujours engagés, étaient inactifs et démoralisés par la contusion politique ambiante au point que quelques opérations anti-turques durent être annulées. Le doute était si fort chez certains militants qu'ils trouvaient qu'attaquer -même leur ennemi mortel ne servait à rien. Mais hors du noyau central de l'Asala, "Van" faisait encore sentir ses effets positifs plus on était loin du noyau dur, et plus cet effet était sensible. Les seules opérations anti-turques de cette période furent en réalité l'attentat à la bombe contre le consulat turc de Toronto et la tentative d'assassinat d'un attaché turc, à Ottawa, qui fut grièvement blessé.

La France démontrait bien la permanence de l' "effet Van" proximité de nos quater camarades avec la communauté vivant en France, leurs efforts pour politiser l'affaire, maintenaient celle-ci dans l'actualité. Leurs actions, une grève de la faim notamment, étaient relayées par des unions, des manifestations de propagande : une affaire majeure pour toute la communauté. Cet enthousiasme se traduisit par une affluence sans précédent -à l'échelle française- à la manifestation du 24 avril: plus de 5000 participants. Des centaines de drapeaux de l'Asala flottaient au dessus de la foule, où l'on voyait de nombreux T-shirts et badges de l'Armée secrète. Tout cela était le fiait de Van et du travail des Arméniens progressistes dans la communauté, et ne devait rien à ce qui s'était fait depuis Van.

Nouveaux revers et exécution de camarades

Au printemps 1982, Moujahid entra en contact avec certains gouvernements, celui de la Libye, par exemple. Ces contacts étaient totalement secrets, et la plupart des "membres" de l'Armée secrète ignoraient que leur mouvement était en rapport avec quelque gouvernement étranger que ce soit.

En mai, l'Asala reçut un nouveau coup. L'arrestation de quatre progressistes Arméniens au Canada poussa Moujahid à envisager une nouvelle vague d'attentats et il ordonna à des camarades de Los Angeles de frapper des cibles canadiennes. Trois camarades qui mettaient cet ordre à exécution furent appréhendés alors qu'ils posaient urne bombe à (aéroport de Los Angeles. Ces arrestations, et le départ de Vicken Charkhutian réduisit à un quasi -néant le potentiel militaire de l'Armée secrète en Amérique du nord; tout cela pour une réaction excessive et irresponsable à l'arrestation de quelques camarades.

En juin, Israël envahit le Liban et cela poussa l'Asala à réfléchir à sa situation. La plupart des dossiers furent détruits et seul le minimum indispensable, conservé. Quelques camarades quittèrent Beyrouth, les autres restèrent jusqu'à la fin du siège et prirent ensuite le bateau pour la Syrie. Cet été chaotique fournit à Moujahid l'occasion rêvée de se débarrasser des " membres" qu'il ne supportait plus. Il se servit de son laquais Vicken Aivazian et d'un autre élément chauvin pour exécuter de sang froid quelques patriotes Arméniens. Le premier de ceux-ci fut un aveugle, Nishan, âgé de trente ans, enlevé en mass sous prétexte qu'il "conspirait avec Hamo". Nishan n'était en fait qu'une relation de ce dernier, employé par des institutions charitables de la communauté. Tenu enfermé un mois dans un taudis encombré de gravats, il fut assassiné de façon révoltante par Vicken et l'élément chauvin qui le mitraillèrent de 35 balles de 7.65 mm. La seconde victime fut Sarkis Kiulkhandjian "Khomeini" , 27 ans. Militant acharné de l'Asala depuis 1981, il avait commencé à travailler à l'émission de radio. Depuis l'automne 1981, il frappait seul ou presque tous les articles à parmi dans "Hayastan" et dans la rubrique Arménienne du quotidien arabophone "La voix des travailleurs". Moujahid le prit en grippe du fait de son physique et de sa nature curieuse. Sarkis, qui voulait depuis longtemps quitter l'Asala. -ce qui rendait Moujahid plus intransigeant encore à son égard- était tenu virtuellement prisonnier, condamné en quelque sorte aux travaux forcés. Il fut tué de façon moins inhumaine que Nishan (une balle de 9 mm dans la nuque) et Moujahid se servit de sa mort pour donner de la crédibilité à la "morve de "Hagop Hagopian" Car il avait décidé de mettre sa "mort" en scène :

- Pour rendre son départ de Beyrouth moins risqué,
- Pour magnifier son image de martyr,
- Pour remettre les compteurs à zéro et recommencer ultérieurement les mêmes opérations sur des bases nouvelles.

Ces deux exécutions démontèrent que Moujahid avait sombré encore plus bas dans l'inhumanité.

"Orly" 1982 et la mort de Pierre Gulumian

Pendant le siège israélien de Beyrouth, Vicken Charkhutian, fuyant les Etats-Unis avec sa femme et leur bébé, fut arrêté à Paris. Comme à son ordinaire, Moujahid sauta sur cette occasion de réaliser de nouveaux attentats aveugles. Il réactiva la signature "Orly" et ordonna à Pierre Gulumian de poser des bombes dans des restaurants. L'une de celles-ci causa 15 blessés mais ne tua personne et Moujahid fit comprendre que la prochaine devrait être plus meurtrière. Pierre prit très mal cet ordre et, peu après, se tua en préparant urge bombe qui explosa inopinément ; militant bien entraîné et expérimenté, préparer une bombe relevait pour lui de la routine. La colère et la confusion qui l'habitaient causèrent sans doute le drame; à moins qu'il n'ait été en train de saboter son propre travail pour sauver des vies humaines. la vérité impose de dire que Pierre était un patriote sincère, un remarquable spécialiste des cibles turques. Malgré sa culture politique sommaire, et son obéissance passée à Moujahid, Pierre comprenait bien que les attentats aveugles desservaient notre lutte et notre peuple. Ce fut au fond une victime de plus de Moujahid. Vicken Charkhutian, lui, finit par être libéra avec sa famille mais échoua dans un pays arabe où, prisonnier de Moujahid, il était soumis à ses caprices. Les propriétaires de la maison où Pierre préparait sa bombe furent, eux, arrêtés et incarcérés.

L'opération Esenboga

Cet été-là fut également celui de l'opération suicide de l'aéroport d'Esenboga à Ankara. Le 7 août précisément, Zohrab Sarkissian et Levon Ekmedjian attaquèrent l'aéroport à la mitraillette et à la grenade, causant dix morts et soixante six blessés graves. Trois des victimes étaient des agents de sécurité de l'aéroport, dont l'un des chefs. Zohrab mourut pendant l'opération et Levon fut pendu après plusieurs mois de prison, d'ordre des autorités turques. Cette opération eut beau susciter des réactions d'estime -parfois même d'enthousiasme- dans la communauté, elle n'en était pas moins largement négative. Les plus enthousiastes saluait 1e fait qu'elle se sait déroulée sur le sol turc; ils voyaient là un retour de l'Asti la aux actions anti-turques et l'esprit de sacrifice de Zohrab et de Levon les impressionnait favorablement. Mais cette appréciation ne résistait pas à une analyse sérieuse.

Tout d'abord, le fait qu'une opération se déroule en Turquie ne la rendait pas forcément "bonne". Depuis longtemps les progressistes dans l'Asala souhaitaient privilégier l'action en Turquie, spécialement dans les frontières de la Patrie occupée : ils n'en réalisaient pas moins à quel point le choix des cibles -en Turquie ou ailleurs- était vital, ainsi que le fait d'éviter les massacres d'innocents. Pour les progressistes, la loi révolutionnaire de conservation des forces vives lors des attaques contre l'ennemi gardait toute sa vigueur, or l'opération d'Ankara contrevenait à tous ces principes. Dans un aéroport civil, les victimes innocentes étaient inévitables. L'objectif ne pouvait donc être que celui d'un massacre -coûtant, qui plus est, la vie de deux patriotes. A supposer que des opérations -suicide soient admissibles, elles auraient du frapper les plus hauts responsables militaires ou politiques turcs; chose possible vu la détermination et l'entraînement de Zohrab et Levon. Gaspiller ces vies et cette énergie pour massacrer des civils était un crime. En réalité, Moujahid avait concocté cette opération à sensation pour tuer le plus de gens possible. Après avoir convaincu Zohrab et Levon de réalises cette action suicide à grand renfort de mensonges et de pressions sentimentales, il leur ordonna d'ouvrir le feu sur tout ce qui passait dans 1e hall. C'est de leur propre initiative que, s'étamant du plan original, ils tirent d'abord sur des agents de -une cible militaire, donc-, en tuant trois.

Ce choix, et leur sacrifice, forme suprême de patriotisme, font que Zohrab et Levon resteront dans la mémoire du peuple Arménien.

Moujahid cherchait le plus grand retentissement médiatique possible dans l'espoir de faire oublier l'absence d'actions anti-turques depuis des mois. Il sentait bien qu'une passivité totale sur ce front était dangereuse, alors même que les opérations contre des cibles non-turques se multipliaient. Résultat, le gouvernement turc joua plus encore sur le chauvinisme anti-Arménien et sera plus fort la vis à la communauté arménienne de Turquie; cela compliqua en outre la tâche de ceux qui cherchaient à sensibiliser les révolutionnaires turcs aux souffrances du peuple Arménien.

L'effet fut enfin de compte négatif même dans la communauté, car bien des Arméniens considérèrent cet acte comme un pur massacre, tandis que d'autres, favorablement impressionnés au départ, finissaient par basculer dans le chauvinisme et la morbidité suicidaire.

Si elle effraya certains patriotes rationnels, l'action Esenboga rendit les jeunes, sentimentaux de nature, plus malléables encore aux arguments de Moujahid. Ce fut en fin de compte un crime contre les passagers innocents, contre Zohrab et Levon, corme la solidarité révolutionnaire, et corme le développement d'une mentalité sainement révolutionnaire au sein de notre peuple. Au-delà d'effets illusoires et fugitifs, elle porta un coup sévère au peuple Arménien en lutte pour ses droits nationaux.

L'heure de la régression irréversible

En conclusion, l'été 1982 fut l'une des périodes les plus sanglantes et les plus négatives de l'histoire de l'Asala, en raison de l'impuissance des éléments patriotiques et de la capacité de Moujahid et de ses trois acolytes Khatchig, Vicken et Varoujan, de faire régner la terreur. Le recul fut aussi bien extérieur qu'intérieur: des "membres" patriotiques étaient morts, d'autres incarcérés; le noyau central, sans cesse bousculé, était déséquilibré; une scission se dessinait entre l'Asala. et les "Mouvements populaires" des diverses communautés; le peuple Arménien ne savait plus que penser de l'Asala. La régression entamée en 1981 s'accélérait et Moujahid tenait de mains en moins compte de l'avis des "membres" patriotiques. Cette tendance, désormais irréversible, ne fit que s'aggraver par la suite faisant d' "Asala" et de "Moujahid" un pur et simple synonyme.

Chapitre 4 : Fuite de Beyrouth - le drame d'Orly 1983 : le désastre total

L'alliance avec Abou Nidal, éloignement de la communauté

En septembre 82, le groupe central de l'Asala fut redéployé à Damas et dans la plaine libanaise de la Bekaa. La remise en route de la machine Asala fut rapide : quitter Beyrouth, pour Moujahid, signifiait changer la localisation, non l'organisation, le système Moujahid. En fait Il se rapprocha du groupe d'Abou Nidal [Le Fatah-Commandement Révolutionnaire, ou Fatah-CR. NDT] et les deux mouvements décidèrent que désormais, " ils n'en formaient plus qu'un".

(Abou Nidal dirige un groupe aventuriste responsable de l'attaque du restaurant de la rue des Rosiers à Paris, en août 82, de la synagogue de Rome en octobre de la même année, et de celle de Vienne en septembre 81; sans oublier de nombreux attentats contre des objectifs civils et l'assassinat de plusieurs cadres de l'OLP. Abou Nidal lui-même est un ancien militant du Fatah exclu en 1974 et la plupart des Palestiniens le méprisent. Tous deux étaient des amis de longue date et Moujahid a toujours forgé les alliances de l'Asala en fonction de ses amitiés personnelles.)

Cette alliance signifiait concrètement que l'Armée secrète adoptait une ligne similaire à celle du Fatah-CR, et recevait de lui de l'argent et le nécessaire pour fonctionner. Cette alliance permettait à Moujahid de renforcer encore son contrôle sur l'Asala. Les "membres" résidant dans la Bekaa, au camp ou ailleurs, vivaient avec les militants d'Abou Nidal et recevaient d'eux de quoi opérer. Même si, quelques mois plus tard, la présence de l'Asala dans la Bekaa se assumait à une poignée de "membres" ne vivant plus avec ceux du Fatah-CR, la collaboration n'en était pas moins quotidienne.

A Damas, l'organisation adoptait un profil bas. En novembre, "Hayastan" reparut et les premiers numéros de "Hayastan- Veratartz / Organe du Mouvement Populaire pour l'Asala" furent publiés. Plus encore qu'auparavant, ces magazines étaient à la discrétion du seul Moujahid et on n'y trouvait ni analyses politiques, ni articles élaborés. Le travail en direction de la communauté se limitait aux quêtes réalisées par Khatchig à grand renfort de stratagèmes divers. Source d'argent, la communauté était également un réservoir de patriotes sincères et motivés. C'est en son sein que fut recruté Zaven Bedros, pour monter une opération sur Londres. C'était un patriote bien connu, un militant dans l'âme. Avant cette action, il n'avait jamais eu le moindre lien avec l'Asala, et il ne savait encore presque rien à son sujet quand il partit. Pour cette opération, Khatchig sut l'émouvoir au point de lui faire abandonner femme et enfant. Zaven avait été recruté à la légère; les prépa Tarifs de l'action avent été un peu bâclés: Khatchig et Moujahid n'avaient pris que peu ou pas de précautions; n'avaient rien planifié. Cela valut à Zaven d'être arrêté par la police britannique avant même d'avoir agi, et d'écoper par la suite de huit ans de prison Mais pendant que le noyau central de l'Asala préparait les actions de l'été 82, d'autres groupes de camarades, éloignés de l'état-major, connaissaient de sérieux problèmes.

Les retombées d' "Orly 1982 " en France

En France, les attentats du mois de juillet signés Orly confie deux restaurants parisiens -17 blessés poussèrent les "membres" de l'Asala et les sympathisants progressistes de l' Armée secrète à revenir sur leur engagement. A la suite de ces actions, la police fit une rafle massive d'Arméniens progressistes et se lança dans une répression impitoyable. L'opinion publique française et la communauté Arménienne furent très critiques sur ces attentats; l'avis unanime était que de telles atrocités étaient sans rapport avec la cause Arménienne. Le commanditaire de ces opérations, Moujahid, n'en affirma pas moins son soutien à "Orly" dans une interview donnée au quotidien français " Libération", sous le pseudonyme de "Mirhan Mirhanian". Il y qualifia même l'attentat de la rue Copernic [contre une synagogue, N.D.T.] où quatre innocents périrent en octobre 1980, d'"action révolutionnaire". En faction aux attentats "Orly 82N, et aux successifs messages de solidarité de Moujahid avec " "Orly" toutes les institutions Arméniennes de France se mirent à critiquer ouvertement "Orly". Ce fut le début de la crise entre ces mouvements et l' Asala. Quelques jours plus tard, comme nous l'avons vu, Pierre se tua en préparant une bombe sur ordre de Moujahid et cela ne fit qu'aggraver les choses.

Les critiques se firent plus vives, des critiques constructives, visant à rectifier l'orientation de l'Asala en corrigeant les erreurs du passé, Néanmoins, Moujahid réagit en explosant de fureur. A la mi-novembre, il exclut tous les camarades franco-Arméniens de l'organisation, et interdit au " Mouvement National Arménien" de se recommander de l'Asala dans l'avenir.

Scission définitive des "Mouvements Populaires; réaction de Moujahid

Début janvier 1983, Moujahid rencontra des émissaires de nos camarades de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Des Français assistaient aussi à cette réunion où l'on devait traiter des principes politiques et aussi de l'actualité. C'est là qu'apparurent au grand jour des divergences irréconciliables sur les perspectives politiques. Les camarades britanniques et américains se solidarisèrent avec les français, et se dissocièrent donc de l' Asala. La scission devint officielle ce même mois, quand ces mouvements rendirent publique leur séparation d'avec l'Armée secrète, et quand " Hayastan", publia des bordées d'injures à leur intention Moujahid décida alors d'une offensive tous azimuts contre ces mouvements. Il commença par jouer sur la mort de Pierre déclarant que ce dernier était tombé dans l'accomplissement de son "devoir révolutionnaire". Quoi qu'ayant été (voir plus haut) à l'origine du décès de Pierre, Moujahid l'exploitait maintenant, opposant un militant authentiquement révolutionnaire à des petits bourgeois morts de trouille -les camarades européens et américains selon lui- tout juste capables de bavarder dans des cafés et d'organiser des manifestations. La mort de Pierre permettait ainsi à Moujahid de discréditer tous ceux qui s'opposaient à la ligne anti-populaire de l'Asala, et à sa propre autorité. Moujahid publia égalent des articles et donna des interviews, au nom de patriotes de l'Asala qui n'avaient pas la moindre idée de ce qu'il leur faisait dire; et tout spécialement au nom d'Alek Yenikomchian (désormais libéré de sa prison suisse). Il signa du nom d'Alek des déclarations indécentes -et totalement de son cru- visant d'autres camarades.

Les divergences entre les mouvements progressistes et Moujahid n'étaient autres que celles qui, depuis le premier jour, existaient au sein de l'Asala entre les patriotes sincères et le noyau dur. Mais le contrôle total qu'exerçait Moujahid; son style fondé sur les menaces et la terreur, l'état de virtuelle captivité où croupissaient les non-conformistes : tout cela fit que ces derniers ne purent jamais manifester leur mécontentement et leur opposition Seuls les camarades d'Europe et d'Amérique, éloignés et matériellement indépendants, pouvaient -difficilement mais pouvaient- s'élever contre l'autoritarisme de Moujahid. Cela leur valut d'encourir ses foudres. Dans un état de fureur noire, il mobilisa toute son énergie pour neutraliser les camarades dissidents. A cet effet, il envoya Varoujan Garbidjian en Rame, début février, pour une double mission : nouer une intrigue contre 1e MNA et préparer des attentats. Varoujan devait lancer une nouvelle vague d'attentats aveugles, style "Orly", et s'en prendre à des dirigeants du MNA. Ara Toranian, en premier lieu, échappa de peu à la mort : en mars, le détonateur d'une bombe de forte puissance placée sous sa voiture fit long feu. Peu après, Haroutioun Kevork reçut un colis piégé par la poste. Ce fut de nouveau un échec, cette fois en raison des contrôles de la police canadienne. Tout cela suscita un climat de haine entre les mouvements progressistes et Moujahid, et les colonnes de "Hayastan" se mirent à déborder d'injures à leur égard.

Le Front Démocratique

Les mouvements progressistes se fédérèrent alors sous le nom de " Front Démocratique". Ce front aurait du permettre à la lutte du peuple Arménien de repartir dans la bonne voie, progressiste et patriotique, mais ses dirigeants préférèrent se disputer sur des détails, le réduisant de facto à l'impuissance. Les dirigeants "progressistes" fuirent donc leurs vraies responsabilité : sauver 1e combat Arménien de l'aventurisme de Moujahid et des complots du régime turc. Désormais, l'Asala était plus faible qu'à aucun moment depuis 1980. Ses éléments progressistes, actifs ou sympathisants, étaient réduits à l'impuissance totale, et le soutien populaire des années passées n'était plus qu'un souvenir. Le seul groupe en Europe à être encore sur la ligne de l' " Asala" était le très récent et minuscule "Mouvement Populaire" grec. Fondé en 1982, il s'était fait connaître durant les derniers mois de l'année.

La situation des sympathisants de l'Asala en Iran

Alors que ces événements se déroulaient en Europe et en Amérique, les problèmes qui s'accumulaient en Iran depuis plusieurs mois conduisirent à une explosion durant l'été 1982. Au début de 1980, un groupe de progressistes Arméniens avait fondé un "Groupe marxiste sympathisant de l' Asala", n'ayant à l'époque aucun lien avec cette dernière. Ce groupe, tout en utilisant le sigle de l'Asala et désirant un jour la rejoindre, resta totalement coupé de celle-ci jusqu'à la fin 80, période où Monte établit le contact. Encore, du fait de l'isolement de l'Iran, ne s'agit-il que de quelques liens techniques, ne permettant pas de parler de fusion. De fait, la situation des camarades d'han étant unique : la plupart du temps "7s décidait seuls de leur ligne, et l'Asala suivait mal leur fonctionnement interne, au-delà du schéma politique général Peu soucieux, Moujahid les laissait agir à leur guise, se contentant de la publicité qu'ils faisaient à l'Asala. Les camarades d'Iran saisissaient dote mal la vraie nature de l'Asala, et considéraient ces rares contacts comme suffisants pour légitimer leur appartenance à l'Armée secrète. La plupart des membres du "Groupe marxiste égaient des patriotes sincères, militants progressistes et dévoués à la lutte du peuple Arménien, mais, en dépit de leur bonne volonté, leur inexpérience politique leur fit commettre des erreurs. A côté des trois dirigeants patriotes du groupe, un aventurier indiscipliné avait réussi à s'imposer, qui fut responsable de la plupart des fautes commises. Il va sans dire que les frictions étaient nombreuses entre 1e reste du groupe et cet aventurier qui, pour se donner l'auréole d'un chef, avait pris comme nom de guerre " Antranig Pacha". Ces frictions s'accentuèrent encore plus en l'absence de l'un des dirigeants et quand -au moment de l'invasion du Liban par les Israéliens- les liaisons avec la direction de l'Asala furent coupées, "Antranig Pacha" prit en main l'appareil du groupe, réduisant ainsi à l'impuissance les éléments politiquement évolués.

L'arrivée de Garlen Ananian

En novembre 1982, la brouille atteignit un niveau critique dans le groupe Iranien. Croyant que le noyau dirigeant allait résoudre leur différend, les deux tendances se mirent à le bombarder de messages contradictoires. Moujahid les ignora tous, disant qu'il n'avait pas de temps à perdre avec de telles broutilles. Ce silence poussa les éléments politiquement évolués à dépêcher un émissaire en Syrie pour discuter avec l'Asala, et tenter de résoudre l'affaire. Garlen Ananian, souffrant de deux ulcères chroniques, se mit donc en route pour un voyage clandestin de deux mois à travers les montagnes enneigées de l'Irak et de la Turquie. Il lui arriva de passer à moins de vingt mètres de patrouilles turques, et de se faire tirer dessus par des soldats irakiens. Il arriva au "bureau" de l'Asala en janvier 83, pour être aussitôt séquestré par Khatchig, ; privé de tous contacts et de tous soins deux mois durant, ses ulcères s'aggravaient, et il vomissait souvent du sang. Durant ces mois, rien ne fut fait pour dénouer la crise d'Iran; la santé de Garlen se dégrada et l'animosité entre dirigeants du groupe iranien dégénéra en un conflit ouvert. Garlen, comprenant que l'Asala ne bougerait pas, décida de repartir pour l'Iran, sans plus perdre son temps. Malgré son état de santé, il était pet à Méditer son odyssée de l'aller, pour éviter à l'Asala la dépense d'un voyage plus classique. Mais Moujahid ne voulut rien savoir et Garlen demeura prisonnier jusqu'à sa tragique exécution quelques mois plus tard. Il fut même battu, un jour, par une des créatures de Moujahid qui, pendant ce temps-là, exploitait mutes les dissensions en Iran et tentait de diriger le "Groupe Marxiste" à travers "Antranig Pacha", à qui il avait donné tous les pouvoirs.

Le sort des "membres" de l'Assala

Le sort de Garlen ne différait guère de celui des autres militants permanents de l'Asala Comme nous l'avons w plus haut, les éléments progressistes avaient été considérablement affaiblis par les crises en Europe, en Amérique et en Iran, et par le départ de Beyrouth, où ils jouissaient d'un peu plus de liberté. Dans cette ville, quelques "membres" pouvaient par exemple correspondre avec leur famille, même si Moujahid exerçait une surveillance méticuleuse du courrier, n'hésitant pas à censurer ou même à détruire des lettres. Après le départ, cela même fut interdit ou, dans le meilleur des cas, réduit au strict minimum Seules les créatures de Moujahid pouvaient écrire à leur famille. Ce dernier avait encore aggravé son régime de terreur et chacun évitait même de discuter à coeur ouvert avec ses amis les plus proches, de peur qu'il ne vienne à l'apprendre. Après le départ de Beyrouth, donc, beaucoup des permanents de l'Asala, en tant que patriotes sincères, étaient surveillés et isolés les uns des autres. Les militants du bureau de Damas étaient en réalité prisonniers, ne pouvant sortir de la pièce où ils travaillaient; seul les mers jouissaient d'une liberté minime. Ceux qui restaient confinés dans les bureaux étaient en prime soumis à un régime de famine Khatchig refusant d'allouer à leur entretien plus de cent livres syriennes par semaine. Comme à Beyrouth, seuls Khatchig et Vicken Aivazian disposaient d'une complète liberté de mouvement Moujahid, lui, se partageait entre quelques résidences confortables.

Les liens étroits de l'Asala avec Abou Nidal et certains gouvernements conduisirent Moujahid à réaliser des opérations de "solidarité révolutionnaire". L'une de ces "faveurs" aux conséquences graves fut la tentative d'attentat contre les bureaux athéniens de Kuwait Airlines en décembre 1982. Durant cette opération, nous fut-il relaté, Vahe Khutaverdian pilotait une moto et derrière lui, Karnik Varhadian devait lancer une grenade dans le bureau mais l'engin rebondit sur un pylône et explosa. Karnik fut tué sur le coup, et Vahe jeté en prison. Pour donner de l'Asala une image plus glorieuse et "couvrir" la mission réelle des deux camarades, Moujahid inventa une machination des services spéciaux tores. Leur mort permit aussi à Moujahid d'extorquer de l'argent et des "faveurs" diverses à Abou Nidal et à divers gouvernements. Il présenta l'affaire comme une "preuve que les révolutionnaires Arméniens étaient déterminés à lutter à mort aux côtés des révolutionnaires arabes contre l'impérialisme". Et voila comment la mort d'un Arménien, sincère mais naïf, permit à Moujahid de mentir et de mendier de façon encore plus éhontée.

Attentats turcs et conduite irresponsable de Moujahid

Peu aptes, deux autres "membres" de l'Asala furent assassinés, ceux là sans doute par les services turcs. Circulant en voiture avec un ami, Minas Simonian fut tué fin décembre à Beyrouth d'une balle en pleine tête, tirée par une arme à silencieux; son ami s'en tira par miracle. En mars 83, ce fut au tour de Garabed Pachabezian d'être assassiné à son domicile de Beyrouth. Encore un travail de professionnel : les tueurs ne laissèrent aucune trace. Si l'identité de ces sympathisants, et l'aide qu'ils apportaient à l'organisation étaient connus, c'était bien grâce à Moujahid. Simonian et Pachabezian avaient été dénoncés sous la torture par Levon Ekmedjian à la police turque, comme ses contact avec l'Asala. Pensant que Levon serait tué, Moujahid n'avait pris aucune précaution pour le cas où il serait capturé et forcé de parler. De plus, avant l'invasion israélienne, la photo de Pachabezian figurait parfois dans "Hayastan", et Moujahid lui demandait souvent de prendre position pour l'Asala. Une fois encore, ces victimes du système de Moujahid, lui servirent pour sa propagande, et pour renforcer encore son contrôle sur l'organisation. Pour renforcer la "sécurité" de l'Asala, il décréta que tous les "membres" devaient mener la vie difficile du révolutionnaire, isolés dans des lieux sûrs, et ayant rompu tous liens avec famille et amis. Pire encore, il fit preuve d'une irresponsabilité qui aurait pu être fatale à la communauté Arménienne -libanaise toute entière, en déclarant par voie de communiqué que la famille Gemayel dans son ensemble paierait pour l'assassinat de Pachabezian. Ces menaces tapageuses étaient l'un des trucs propagandistes favoris de Moujahid; elles montraient son indifférence pour la sécurité et le bien-être du peuple Arménien.

Depuis l'arrestation de Zaven Bedros à Londres, en septembre 1982, l'Asala n'avait absolument rien entrepris contre des objectifs turcs.

Varoujan entreprend des opérations "anti-turques" en France

En janvier 1983, Moujahid envoya Varoujan Garbidjian à Paris, avec mission de contrer par tous les moyens l'action du MNA, responsable de l'abandon de la "ligne" de l'Asala par les Mouvements Populaires; et de monter des opérations militaires anti-turques. Moujahid avait choisi la France pour ces opérations afin de compliquer la tâche du MNA, et de le brouiller avec le gouvernement français; outre leur effet de propagande, Abraham Tomasian fut donc chargé d'une "opération suicide" : faire exploser deux grenades dans les bureaux parisiens de Turkish Airlines. Seule l'ignorance de Moujahid et de Varoujan en matière d'armement sauva la vie d'Abraham : ils lui avaient remis des grenades offensives, non mortelles le plus souvent, au lieu de grenades à fragmentation; elles explosèrent donc sans faire de blessés. Moujahid n'en prétendit pas moins, dans un communiqué, qu'il y avait eu de nombreuses victimes. L'action suivante fut, elle, un "succès" comme Moujahid en espérait un. A la fin février une bombe explosa dans les bureaux de l'agence touristique parisienne Marmara, tuant une Française de vingt-cinq ans. L'opération était conduite comme "réponse de l'Asala au fascisme turc". Inutile de dire que ces deux actions eurent des retombées très négatives. Personne, même parmi les nationalistes Arméniens, ne voyait l'intérêt pour une force révolutionnaire, même peu évoluée, de faire tuer ou emprisonner un camarade pour un objectif aussi peu stratégique qu'un bureau de Turkish Airlines. La méfiance qui entourait l'Asala s'accrut donc et il devint de plus en plus clair que l'Armée secrète se moquait des victimes innocentes, n'agissait que pour sa propre gloriole et n'avait que faire des opinions et de l'intérêt du peuple Arménien. Ainsi, à chaque opérer, l'Asala donnait elle une preuve supplémentaire de son irresponsabilité.

L'absurde massacre du bazar d'Istanbul

Exerçant désormais un total contrôle sur l'Asala, et conscient que rien tri personne ne pouvait s'opposer à ses caprices, Moujahid se mit à préparer des "actions d'éclat" bien plus meurtrières encore.

Il ordonna à Khatchig -qui de sa vie n'avait jamais participé à une action militaire- de recruter un jeune Arménien pour une opération suicide. A grand renfort d'arguments émotionnels, ce dernier convainquit Mgo Magarian, d'Alep, de se porter volontaire. C'était un garçon d'une foi profonde, et d'un grand dévouement sentimental à la cause Arménienne : une victime idéale pour Khatchig et ses arguments tordus. Ce dernier exploita les sentiments religieux de Mgo, lui dépeignant son suicide comme une offrande ultime à "la sainte lutte de notre peuple". Peur préparer l'opération, Mgo fut isolé de février au 14 juin. Les derniers jours, Moujahid tenta de persuader Mgo, des heures durant, de la nécessité de tuer le plus grand nombre de personnes possible. Mais malgré tout cela, pour des raisons inconnues, Mgo ne réussit pas le massacre escompté. Son attaque du 16 juillet contre le Bazar d'Istanbul fit deux morts, dont un garçon de treize ans, et vingt sept blessés. Mgo se donna la mort avec sa des grenade. A nouveau, un attentat - massacre. Un nouveau patriote sacrifié- L'Asala à nouveau accusée de pratiquer le terrorisme aveugle. Et le gouvernement turc trouvant dans cette action l'argumentaire d'une campagne chauvine anti-Arménienne. Plus que jamais, les organisations progressistes turques et kurdes voyaient dans l'Asala un instrument de la réaction et du militarisme turcs.

Le carnage d'Orly-1983 et la répression en France

Pour Moujahid, la propagande se mesurait en volume, non en avis positifs ou négatifs. C'est dans cet esprit qu'il donna l'ordre de détruire en plein vol un avion civil turc (une telle opération avait déjà été tentée le jour de l'action d'Abraham, mais avait échoué). Le 15 juillet à l'aéroport d'Orly, la bombe explosa prématurément à l'enregistrement tuant huit personnes et en blessant plus de soixante. Moujahid salua ce "grand succès" mais l'opinion publique mondiale, le peuple Arménien et les éléments patriotiques réduits à l'impuissance au sein de l'Asala. dénoncèrent ce carnage inhumain comme contre-révolutionnaire et néfaste à la cause Arménienne. La contradiction entre le peuple Arménien et la lutte armée menée en son nom atteignait son point de rupture. Sans oublier que l'action Orly donnait au gouvernement français l'occasion de frapper sans merci les activistes Arméniens. Plus de cinquante Arméniens furent alors arrêtés, dont dix inculpés de complicité dans l'affaire; dix autres -des Arméniens de Turquie et d'han notamment- étant expulsés. En réalité seuls deux ou trois individus, dont Varoujan Garbidjian, étaient impliqués dans l'affaire mais l'horreur suscitée par 1e massacre permit au gouvernement français de s'en prendre à tous les activistes , et d'accabler toute la communauté. Et voila comment l'opération d'Orly, illusion tragique de l'irresponsabilité de Moujahid, justifia, entre aunes aspects dramatiques, la répression sauvage des patriotes Arméniens par le gouvernement français. Mais Moujahid n'avait que faire de ces arrestations massives; il s'en réjouissait même : elles lui servaient de prétexte pour frapper de façon plus sanglante encore, les "intérêts français".

Chapitre 5 : La gestation et la naissance du mouvement révolutionnaire

Un triste héritage

Depuis sa fondation et jusqu'à la fin 81, malgré de réels côtés négatifs, l'Asala n'en constituait pas moins une étape positive dans la lutte de libération nationale de notre peuple. Malgré coules ses erreurs elle aurait pu, en l'absence de Moujahid, donner naissance à un authentique mouvement de libération progressiste mais les choses se dégradèrent de façon dramatique, notamment à partir du début 82.

L'Asala n'avait toujours pas la moindre ligne politique, ne proposait aucune perspective concrète, militaire ou autre, pour la libération du territoire Arménien occupé; bref n'offrait aucune stratégie de lutte globale au peuple Arménien.

A la vérité, Moujahid, qui définissait seul la tactique de l'Asala, ne songeait pas le moins du monde à la libération de l'Arménie : il se contentait d'exploiter les souffrances et le patriotisme de notre peuple à des fins personnelles, le tout au nom de la révolution. Si par le passé -et à juste titre- quelques militants patriotiques de l'Asala étaient tombés pour la cause, désormais c'était aux ambitions insensées de Moujahid que de nombreux patriotes -tués ou emprisonnés- étaient sacrifiés. Au nom de la révolution Arménienne se perpétraient des massacres causant la mort de dizaines d'innocents, la souffrance de centaines d'autres. En prime, l'Asala serrait désormais de mercenaire à des gouvernements tyranniques et à des officines n'ayant pas le moindre rapport avec la cause Arménienne. Tel était le rôle qu'assignait Moujahid à l'Asala, associée à tel ou tel groupe en fonction de ses intérêts ou de ses caprices. En échange des "services" qu'il rendait, Moujahid touchait de l'argent qu'il conservait comme d'ailleurs le produit des donations Arméniennes. Ceux qui cessaient de donner à l'Asala, vu son évolution, étaient purement et simplement rackettés, sur ordre de Moujahid. "Hayastan" ne reflétait que l'arbitraire de ce dernier et ne faisait qu'égarer le peuple Arménien. Plus que jamais, l'Asala ne vivait que dans le mensonge. Une politique provocatrice, irrationnelle et violente visait désormais tous les Arméniens non "membres" de l'organisation, et des représailles avaient déjà coûté la vie de plusieurs "membres". A part Moujahid et certaines de ses créatures, tous menaient une vie de prisonnier ou d'esclave; les non-conformistes et les patriotes sincères notamment, contraints d'obéir sous peine de mort. L'Asala n'avait plus rien d'un mouvement militant, et tout d'un gang, ou pire encore. Un gang ne dissimule pas son objectif réel : se procurer par tous les moyens de l'argent ou de l'influence; l'Asala, dont c'était égalent 1e but, massacrait en se prévalant d'une figue progressiste, et de la cause Arménienne. Dans un gang, un bandit est respecté en tant que tel : dans l'Asala, les "membres" étaient méprisés, menacés, affamés et traités comme des larbins. Bref, l'Asala avait perdu sa raison d'être et constituait désormais un danger mortel pour le peuple Arménien et sa lutte de libération.

La crise éclate; martyre de Garlen et d'Aram

Bien avant les massacres d'Orly et d'Istanbul, ce système criminel avait rendu la situation intenable. Les "membres" patriotes, neutralisés et isolés, étaient impuissants face à Moujahid et ses rois lieutenants Khatchig, Vicken et Varoujan Certains patriotes étaient au bord de la dépression; tous souffraient affreusement. Dans cette ambiance d'énervement, les disputes et les actes de désobéissance se multipliaient. Sentant bien tout ce que la situation avait d'explosif, Moujahid s'apprêta à de débarrasser de tous ceux qui s'opposaient, même passivement, à son autorité. L'une des pères victimes devait être David Davidian. Ce camarade avait "adhéré" durant l'été 81 et était devenu permanent en mai 82. Voyant fonctionner l'Asala de l'intérieur, il s'opposa bientôt au système, exprimant à plusieurs reprises son opposition de façon publique; Moujahid le repéra comme "non conformiste" et "élément dangereux" et révéla le plan qu'il avait formé pour de débarrasser de lui à Khatchig, Vicken et quelques autres. Khatchig devait choisir le moment propice à ces exécutions mais il eut la langue trop longue et certaines de ses victimes potentielles comprirent quel sort leur était réservé, avant même qu'il n'ait pu agir.

Le matin du 15 juillet, ces camarades choisirent de frapper les premiers. Vicken, se trouvant alors dans le camp de la Bekaa, fut exécuté et l'affaire présentée à Khatchig comme un accident. Celui-ci arriva le lendemain au camp, pour être à son tour assassiné. Mais l'arme s'ébruita et les patriotes durent prendre la fuite et se cacher pour sauver leur vie. En l'absence de tout plan de repli, Moujahid put capturer deux patriotes sincères, Garlen Ananian et Aram Varanian, à Damas vers le 26 juillet. Comme nous l'avons vu plus haut, Garlen, dans un état de santé déplorable en raison de son périple hivernal, était désormais assigné à résidence dans un local de l'organisation. Il n'avait joué aucun rôle dans les exécutions de Vicken et de Khatchig, mais servit quand même de bouc émissaire à Moujahid Aram "Abou Elias" était un patriote de la communauté de Jordanie; il avait fui son pays en 1981 pour gagner le Liban, "adhérer" à l'Asala et participer à la lutte. Au début, il avait fait preuve de beaucoup d'enthousiasme mais en juillet 1983, cela faisait déjà un moment qu'il s'opposait à Moujahid et son système. Aram et Garlen furent frappés et torturés un mois durant, avant d'être abattus par Moujahid lui-même. Voilà comment périrent ces deux combattants d'avant-garde, ces deux militants actifs et pleins d'abnégation. Pendant des années Garlen avait joué un ale important, que ce soit au niveau militaire, organisationnel, politique ou socioculturel. Aram lui, était un responsable militaire, un bon organisateur, décidé à porter la guerre de libération dans les frontières de la patrie Arménienne. Voilà ce qu'étaient les "traîtres" et les "agents de la CIA et du MIT" décrits par Moujahid. L'avenir dira la grande importance de certaines opérations menées par ces deux camarades, même s'il n'est pas possible de les dévoiler à l'instant. Leur martyre porta un coup tes dur à la lutte de libération encore débutante du peuple Arménien.

Moujahid va plus loin

Si Garlen et Aram n'avaient pu échapper aux griffes de Moujahid, d'autres patriotes sincères, comme David Davidian et Monte Melkonian, avaient aussi à se mettre à l'abri. Non-conformiste, David était réduit depuis longtemps à l'état d'esclave du camp et il devait être exécuté sous peu, d'ordre de Moujahid Monte, utile à Moujahid qui l'exploitait avec grand profit dans divers domaines, avait pu ainsi sauver sa vie, malgré son opposition farouche au système. En juin 83, il attrapa en même temps la jaunisse et la typhoïde : ni Moujahid ni ses créatures ne firent le moindre effort pour le soigner. Seule sa robustesse naturelle, et la présence de Garlen et d'un autre camarade, lui permirent d'éviter la mort. Comme dans le cas de Garlen et d'Aram, Moujahid accusa ces camarades de trahison au profit de la CIA et du MIT. Faut-il rappeler que Monte était l'un de ceux qui avaient tiré l'Asala de sa léthargie d'avant 1980, et avait fait d'elle le mouvement actif et progressiste des années 1980-81 ?

Naissance du "Mouvement Révolutionnaire "

Après le séisme de juillet, les patriotes sincères qui avaient échappé à Moujahid commencèrent à se regrouper. Ils prirent contact avec des camarades d'un peu toutes les communautés, y compris ceux qui avaient depuis longtemps rompu avec l'Asala et des éléments progressistes qui n'en avaient jamais fait partie. Tous décidèrent de regrouper une bonne fois pour toutes les patriote sincères venant de l'Asala et les inorganisés, en un Mouvement Révolutionnaire Arménien qui saurait mener efficacement la lutte de libération Le nom provisoire d'Asala-Mouvement Révolutionnaire fut choisi et, dans la seconde quinzaine d'août, deux communiqués présentèrent le nouveau mouvement et les raisons de la scission Un grand nombre des "membres" de l'Asala, patriotes sincères, avaient rompu tout lien avec Moujahid dès les événements de juillet; parfois même avant.; les mois suivants, d'autres patriotes encore s'éloignèrent de la bande terroriste de Moujahid. Entre autres nécessités, les camarades de l'Asala-MR jugèrent indispensable de mener la lutte de libération sur des bases saines, donc de rendre publics l'histoire belle et les méfaits passés de l'Asala. C'était leur conviction que le seul moyen de bâtir le mouvement nouveau sur une base solide consistait à critiquer les erreurs passées et d'analyser la réalité présente de façon scientifique. L'objectif de l'Asala-MR était de réorienter les éléments dynamiques et progressistes de la communauté dans la voie qui avait fait la preuve de sa justesse en 1980 et 1981, en dépit des obstacles multipliés par Moujahid. De son côté, ce dernier décida d'ignorer totalement tous les griefs anciens et profonds qui avaient provoqué l'explosion de juillet, et poursuivit dans sa voie arbitraire et irresponsable.

La communauté Arménienne d'Iran sacrifiée à l'hystérie anti-française

Non content d'avoir provoqué le massacre d'Orly-83 et la répression consécutive, Moujahid décida de persévérer, soi-disant pour obtenir la libération des emprisonnés. L'attaque anti-française fut concentrée sur l'Iran, où les fidèles de Moujahid commirent plusieurs attentats, sous la signature "Asala" ou "Orly", à la fin juillet et en août (1983 N.D.T.). Outre leur nature aventuriste, ces actions mettaient la communauté Arménienne d'Iran dans une situation tes délicate. Il est possible que ces actes aient été tacitement encouragés par le régime du fait de la tension franco-iranienne; ils n'en fournissaient pas moins à un Etat répressif, sans cesse à la recherche d'éléments pour serrer la vis des minorités et même de la population perse, un nouveau motif d'oppression de la population Arménienne. Cet effet négatif éclatait dans la presse iranienne qui, au-delà des descriptions d'attentats, multipliait les remarques hostiles à la communauté Arménienne. Celle-ci, de son côté, voyait bien tout ce que cette agitation violente autour des prisonniers d'Orly pouvait avoir de futile et d'anarchiste.

Sacrifice de ceux qui menaient les opérations; nouveaux prétextes fournis au régime pour opprimer les Arméniens : cet activisme irresponsable fit sur ceux qui militaient encore l'effet d'une douche froide. L'Iran et la communauté Irano-Arménienne, d'une cruciale importance stratégique pour 1e combat de libération, auraient du être à tout prix protégées des conséquences d'un activisme brouillon, de tactiques irresponsables.

Au même moment, des attentats anti-français furent commis à Beyrouth. Une fois encore, ils étaient le fruit des impulsions de Moujahid et négligeaient le caractère répressif du régime libanais [??? NDT] et les risques de représailles sur la communauté. Sans oublier les sanctions contre les jeunes militants qui se feraient prendre à ce jeu.

S'il en fallait encore une, le délire anti-français de Moujahid à Téhéran et à Beyrouth fournit la preuve qu'il se moquait totalement de la sauvegarde de nos communautés et de l'avenir du combat patriotique.

Mais l'attentat le plus sanglant que Moujahid put susciter cet été-là frappa, en août, le centre culturel français à Berlin-ouest; il fit un mort et plus de vingt blessés. (Plusieurs éléments permettent d'attribuer cette opération à un groupe non Arménien, rendant un "service amical" à Moujahid, qui définit ce massacre comme une "action révolutionnaire").

Rage meurtrière contre les patriotes

Parallèlement à sa campagne anti-française, Moujahid poursuivait de sa vindicte les anciens de l' "Asala" et les patriotes progressistes qui, ayant rejeté sa tutelle, critiquaient désormais publiquement sa politique criminelle. Il multiplia les communiqués, distribua à l'envi cassettes audio et vidéo, et " Hayastan" entreprit de diffamer les martyrs Garlen et Aram, ainsi que les camarades David et Monte. Il alla même jusqu'à qualifier de "traîtres" et "agents de l'étranger" les mouvements populaires qui soutenaient précédemment l'Asala. Comme à son habitude, il espérait pouvoir dissimuler ses erreurs et sa vraie nature sous un nuage de mensonges et d'inventions. Mais, cette fois, la menace était si grave pour lui qu'il reprit son idée d'assassiner tous ceux qui s'opposaient à lui. En décembre 1983, Ara Toranian, porte-parole du MNA et l'un de ses camarades se sortirent par miracle -quoique blessés- de l'explosion de leur voiture, piégée. Comme dans le cas du centra culturel de Berlin, le coup provenait sans doute de non-Arméniens alliés à Moujahid. Ainsi donc des patriotes luttant depuis des années pour mobiliser la communauté; ayant lancé, puis conduit avec courage la guérilla Arménienne étaiera devenus les cibles d'un Moujahid tentant désespérément de reprendre le contrôle de l'Armée secrète.

Le fiasco de Beyrouth

Moujahid n'avait jamais eu besoin de beaucoup de militants pour ses opérations, essentiellement propagandistes, mais la diminution frappante du nombre des opérations anti-turques, et la négligence avec laquelle elles étaient conduites montraient bien à quel point il était désormais isolé. Depuis les massacras du bazar d'Istanbul et de l'aéroport d'Orly, la seule opération anti-turque bricolée par Moujahid fut celle de l'ambassade de Turquie à Beyrouth Un coup publicitaire destiné à prouver que l'Asala était forte et unie, et continuait à frapper la Turquie. Nishan Danielian, armé d'une Kalachnikov et de grenades, reçut l'ordre de pénétrer dans le bâtiment et d'y tuer le maximum de monde avant de se suicider (il refusa le suicide). Il était déjà injustifiable de sacrifier la vie d'un jeune Arménien pour un massacre sans intérêt, même de propagande. Mais, pire encore, le plan de l'attaque était totalement surréaliste. Nishan, militant inexpérimenté, devait passer un contrôle extérieur, traverser un jardin, forcer l'entrée principale, absolument seul et dans un espace grouillant de gardes. Seul résultat de cette ânerie : l'arrestation de Nishan, risquant désormais une peine de réclusion à perpétuité; c'était une fois encore un Arménien qui était victime des folies de Moujahid, et non des Turcs. Le bricolage insensé tenant lieu de préparation à l'attentat démontrait à quel niveau de nullité Moujahid était tombé dans le domaine militaire.

Malgré la déchéance, l'espoir persiste

Cela fait longtemps que Moujahid et la mini -Asala qui lui reste ne servent plus la cause Arménienne. Bien au contraire, ils ont fait la preuve de leur indifférence envers la communauté, tentant de tuer ceux qui s'opposaient à lui; en envoyant d'autres à la mort. Seuls les slogans qui parsèment "Hayastan" et les communiqués relient encore l' "Asala" de Moujahid à la cause Arménienne. Extrêmement affaibli depuis juillet, il collabore d'autant plus avec des gouvernements étrangers et des officines louches. L'Asala ne fonctionne désormais qu'au " contrai", et a clairement choisi de fréquenter des dictatures et des groupes anarchistes, plutôt que le peuple Arménien. Le seul intérêt de la communauté à ses yeux est qu'elle est un réservoir de patriotes naïfs et sans expérience pour ses actions stipendiées; et de gogos ajoutant leur obole aux enveloppes qu'il touche de ses "alliés". Pour les séduire, il ment, il truque, il menace. Avant le 15 juillet 1983, nombre de "membres" avaient déjà pris la tangente, mais il est désormais coupé de toute source de recrutement sérieuse. C'est qu'avec la naissance de l'Asala-MR a débuté une nouvelle phase de la lutte patriotique. Ce jeune mouvement, en pleine réorganisation, est formé de militants aguerris et expérimentés. Malgré cela, ils ont adopté une démarche prudente qui peut sembler moins exaltante que les inventions propagandistes de Moujahid, mais qui tient bien compte de l'énorme potentiel que renferme le peuple Arménien. Il leur faut cette fois-ci bâtir sur des fondations solides, pour que la construction soit indestructible. En dépit des drames passés, l'éteinte paralysante de Moujahid est désormais desserrée, les moyens de la reconstruction existent; la lutte pour l'Arménie continue.

Conclusion

On peut distinguer dans l'histoire de l'Asala trois phases successives.

La première s'étend de 1975, année où Moujahid et une poignée d' "intellectuels" fondèrent l'Asala, au début de 1980. Après l'exclusion de la plupart de ces "intellectuels", Hagop Darakjian et quelques autres patriotes sincères rejoignent l'Armée secrète et prirent en main le travail militaire. Dès l'origine, donc, deux forces coexistèrent : Moujahid donnait les directives et les patriotes accomplissaient le travail concret. Dépourvue au départ de ligne politique claire, l'Asala. ne devait jamais faire l'effort d'en adopter une. En fait, cette première phase fut surtout celle de la propagande mensongère, et des slogans destinés à tromper le peuple Arménien.

La seconde phase s'étend du début de 1980 à l'automne de 1981. Elle débute par un afflux de nouveaux "membres", qui vont multiplier les actions positives. Une formidable campagne militaire, des moyens de propagande renforcés : l'Asala est désormais une force qui compte. Ce travail des nouveaux "membres" lui permit d'accéder à un nouveau stade de son développement; mais ces activités, désormais positives dans l'ensemble, se faisaient toujours sous la direction aventuriste de Moujahid. Plusieurs des nouveaux "membres" étaient d'un niveau politique permettant l'élaboration d'une ligne politique et d'une stratégie sérieuses; ils ne parvinrent hélas pas à les imposer.

Moujahid réussit au contraire à renforcer son autorité sur tous les secteurs de l'Asala, et à exploitiez à son profit l'énergie des militants patriotes. L'antagonisme Moujahid / membres patriotes qui existait dès de départ ne fit que s'intensifier par la suite et tourna à un affrontement où Moujahid eut toujours le dessus.

La troisième phase de l'histoire de l'Asala. commence à la fin de 1981 et s'achève par la scission du 15 juillet 1983. Moujahid avait alors transformé son emprise en une dictature totale. Concentrant tous les pouvoirs, ayant neutralisé tous les militants rétifs, Moujahid persévéra dans sa ligne irresponsable et imposa une politique militaire sanglante. Il fit régner dans l' "organisation" une terreur allant jusqu'à l'exécution de militants et ordonna des attentats au sein de la communauté; ceux-ci, s'ajoutant a ses injures contre les partis traditionnels, provoquèrent une guerre intestine qui fit perdre à l'Asala. sa légitimité de défenseur des Arméniens. L'Asala n'ayant jamais fait clairement référence à la lutte de libération nationale, finit par devenir quelque chose de pire qu'un gang, dont l'existence représentait une sérieuse menace pour notre peuple. Face à ces contradictions insupportables, l'antagonisme éclata au grand jour et une scission violente se produisit Mais pour rendre l'histoire plus claire, un survol de la réalité militaire, politique et organisationnelle de l'Asala. s'impose ici.

La dimension politique

Jamais, au cours de son histoire, l'Asala n'a eu de ligne politique au sens réel du terme, ce même en 1980 et 1981, quand la tendance progressiste y était influente; or toute organisation digne de ce nom se doit d'exposer publiquement sa nature réelle et ses objectifs; enfin de conformer sa pratique à cette théorie. Ce qui en tenait lieu, à l'Asala, était le "programme politique en huit points", des articles publiés dans "Hayastan" et d'autres périodiques et des communiqués saupoudrés de slogans. Ces textes étaient d'un flou total sur "la lutte révolutionnaire anti-impérialiste pour la libération de l'Arménie" qui devait se faire sur une "base scientifique" afin de "populariser la lutte" en "solidarité avec d'autres forces révolutionnaires". Non seulement l'Asala ne suivait pas ses propres principes, mais les contredisaient en fait totalement dans le concret. Au moment de prendre une décision, Moujahid ne s'inspirait pas plus des "huit principes fondamentaux", que d'autre chose et, au nom de la "lutte anti-impérialiste", l'Asala - sous son nom ou sous un masque quelconque- commit plusieurs attentats fascistes sans liens aucuns avec la lutte contre le régime turc ou l'impérialisme.

Moujahid n'a jamais rien voulu savoir du sens politique, économique ou militaire du terme "impérialisme", mais a toujours baptisé "impérialistes" les objectifs qu'il avait envie d'attaquer. De même, le concept de "solidarité avec d'autres forces révolutionnaires" a-t-il été fréquemment utilisé pour justifier des aces sans rapport avec le problème Arménien (l'attentat d'Athènes en décembre 1982 contre les bureaux de Kuwait Airlines où mourut Karnik), plaçant en réalité l'Asala sous la coupe de groupes anarchistes comme celui d'Abou Nidal.
La "popularisation de la lutte", elle, consistait à suivre une ligne irrationnelle et anti-populaire qui effrayait une bonne partie des Arméniens; le "secret" dont s'entourait Moujahid isolant complètement l'Asala la communauté. Ce dernier souhaitait en fait une "organisation" réduite afin de mieux la dominer, et chaque fois que son emprise ou ses opérations sensationnelles étaient contrariés par des éléments sympathisants , il les combattait violemment avant de les exclure (exclusion et campagne d'injures visant les Mouvements Populaires à partir de décembre 82, exécution de "non-conformistes", etc.).

De même, "l'approche scientifique de l'Asala" envers la "lutte révolutionnaire" était-elle une formule creuse, la politique de Moujahid reposant sur des campagnes visant des cibles non turques -avec une faiblesse pour les opérations suicide- ; sur le gaspillage des ressources humaines et des énergies pour des projets futiles, triviaux ou destructeurs (conflit inter-Arménien, "faveurs" à des forces non-Arméniennes, etc.); enfin sur un système de prise de décision et d'organisation anarchique. Au total, tout cela vidait l'objectif final de "libération de l'Arménie" de tout sens concret. Or sans une approche vraiment scientifique, sans de grands efforts de popularisation, sans ligne politique claire et sans une stratégie guidant l'action militaire, pas de lutte de libération possible et pas de libération de l'Arménie.

L'Asala était également en pleine contradictions quand elle tentait de "clarifier" et de "définir" sa "ligne politique", comme le démontrait la lecture de "Hayastan" où se succédaient des articles oscillant entre le marxisme-léninisme et le nationalisme le plus étroit Alors que la ligne d'une organisation est un élément important de son image, Moujahid considérait les "huit points fondamentaux" comme si négligeables qu'il n'accorda aucun soin à leur traduction et, dans les numéros 1 et 2 de "Hayastan" de décembre 80, les trois versions des "huit points" en Arménien, arabe et anglais se contredisent plus d'une fois.

Exemple frappant : le sixième point, en Arménien, stipule que "la libération des territoires Arméniens occupés par les autorités turques sera suivie par l'annexion à ceux-ci d'autres territoires Arméniens qui les entourent et par l'établissement d'un ordre démocratique et social"; ce qui implique l'annexion de l'Arménie soviétique aux terres libérées du joug turc. En anglais, ce même point prévoit que "la libération des terres Arméniennes occupées par le fascisme turc sera suivie par leur rattachement à celles qui les entourent, dans le but d'y créer le moment venu un système démocratique, social et révolutionnaire". Non seulement cette version va-t-elle plus loin en définissant comme "maîtres fascistes turcs" les occupants des terres Arméniennes et en ajoutant que le futur gouvernement devra être "révolutionnaire", mais, prévoyant l'annexion de ces terres à l'Arménie soviétique, elle contredit largement la version Arménienne qui prévoit exactement le contraire : point fondamental aux conséquences politiques gigantesques. La version arabe de ce même point, enfin, ne correspond ni à (anglaise ni à l'Arménienne. Si cette dernière constitue bien la référence, alors ce sixième point en contredit un autre qui déclare vouloir "convaincre l'Union soviétique et les autres pays socialistes de soutenir la cause Arménienne, qui est une cause juste" et "soutenir notre peuple d'Arménie soviétique qui doit servir de base révolutionnaire dans notre lutte de libération nationale contre le colonialisme turc". En ornes clairs, le 6° point signifie séparation de l'Arménie soviétique de l'URSS, alors que d'autres des "huit points" lancent un appel à l'Union soviétique pour qu'elle soutienne notre lutte et accepte que la RSS d'Arménie se transforme en une base révolutionnaire. Oublions même la contradiction : un tel projet politique est totalement irréaliste, pour ne pas dire tristement comique.

Les contradictions abondent également entre les "huit points" et d'autres textes politiques. Exemple, la contradiction entre le 3° point (version Arménienne) et le "second projet définitif de ligne pour l'Asala", c'est à dire l'interview de Hagop Hagopian. Le troisième des huit points affirme que "notre organisation exprime les aspirations du peuple Arménien, soumis à des discriminations d'ethnie et de classe, et rejette l'oppression chauvine des dirigeants turcs"; cette référence à une oppression de classe contredit Fia" Hagopian qui, dans son "interview" déclare que " l'Asala défend les intérêts de la bourgeoisie Arménienne". Et ceci n'est qu'un exemple des contradictions qui abondent dans les déclarations officielles de l'Asala : leur recensement exhaustif demanderait plusieurs volumes.
Si la "ligne "politique n'était qu'un tissu de contradictions, le combat, lui, ne s'inspire d'aucune stratégie cohérente. A vrai dire, à aucun moment de son existence, l'Asala. n'a jamais défini -voire esquissé- unetelle stratégie. Jamais l'Asala n'a réfléchi en termes de programme d'action, de phases de développement, d'étapes dans la lutte de libération des territoires Arméniens. Bref, malgré la floraison de slogans sur la " libération de l'Arménie" l'Asala n'a jamais tenté même d'expliquer comment une telle libération était possible.

L'Asala n'a jamais réussi non plus a définir un programme de défense des communautés en diaspora menacées par des forces locales hostiles (la domination phalangiste au Liban, par exemple).

Bref, en dépit d'une abondance de slogans progressistes, l'Asala n'a jamais eu ni stratégie ni tactique, ni jamais sérieusement songé à la libération de l'Arménie. Ce qui lui tenait lieu de doctrine était, dans le meilleur des cas, l'aventurisme et l'anarchisme -saupoudré d'impulsions égoïstes - de Moujahid ; à partir de là étaient concoctés, modifiés puis annulés les "points de vue politiques" et les "lignes" de l'organisation. Moujahid prenait bien soin d'éviter toute ligne politique et toute stratégie claire, comme autant d'obstacles à ses entreprises, et lutta toujours contre ceux qui tentaient d'en imposer. Ceux-ci, les éléments progressistes, ont toujours sacrifié leurs propres principes à des compromis -exacerbant en fait les contradictions internes- et cela a permis à Moujahid d'exploiter leur travail au profit de sa politique propagandiste et mensongère. Ces éléments politisés ont échoué dans leur tentative d'imposer une politique sérieuse dans l'A sala, qui sous l'emprise de Moujahid se rendit coupable de la mort de dizaine d'innocents et de la souffrance de centaines d'autres. Bref, irresponsable et anti-populaire, l'Asala est désormais une menace grave pour ce combat même auquel elle dit se référer.

La dimension militaire

L'action militaire est légitime quand elle obéit à des règles claires, et sert un objectif politique défini. Elle découle de la ligne politique; elle permet d' atteindre cet objectif. Or comme l'Asala. n'a pas de ligne -hormis l'aventurisme anarchiste de Moujahid- les attentats sanglants et les assassinats deviennent une fin en soi, comme le démontre la proportion importante d'actions anarchistes -et même fascistes qu'elle a menées.

Voyons d'abord les actions "anti-impérialistes" de l'Asala, des attentats par explosif visant des combes aériennes occidentales jusqu'en 1980. Faut-il souligner que ce n'était pas là une façon bien convaincante de "résister à l'impérialisme"? Comme si l'inanité d'une telle "lutte" n'était pas assez apparente, cette campagne dégénéra et prit des proportions absurdes, surtout au stade très précoce de la lutte Arménienne à l'époque. Pire encore, ces opérations ne s'accompagnaient d'aucune explication. Si une telle campagne pouvait avoir une quelconque utilité, c'était comme explication du rôle de l'impérialisme, de son appui au régime turc et de son refus de reconnaître les droits du peuple Arménien. Faute de quoi, cette campagne dévoilait sa nature anarchiste : sa motivation profonde résidait dans des caprices de Moujahid, pas dans un engagement "anti-impérialiste" sincère.

Depuis 1980 l'action " anti-impérialiste" de (Armée secrète s'est traduite par les campagnes "3 Ombre", "9 Juin", "Septembre Fiance", "Orly" et "Suisse 15", attentats sanglants et publicitaires, destinés à imposer la volonté de l'Asala à certains gouvernements, mais présentés comme le seul moyen d'obtenir la libération de camarades. Du fait de ces campagnes, seuls quatre "membres" fumet libérés au bout du compte (Suzy Alek, Monte et Vicken Charkhutian); au prix de conséquences très négatives. Le peuple Arménien en fut horrifié; elles causèrent des arrestations plus nombreuses; suscitèrent des sentiments anti-Arméniens; provoquèrent le démantèlement de plusieurs seaux et même la mort d'un patriote (Pierre). Qui mieux est, les libérés ne risquaient pas grand chose alors que ceux qui encouraient des peines lourdes, et auraient du être vraiment récupérés, fusent plus sévèrement condamnés encore, du fait de la rancoeur anti-Arménienne des opinions publiques. Mardiros Jamgotchian, par exemple, fut condamné à 15 ans de prison après la campagne "9 juin". Ces campagnes visaient pratiquement toujours des endroits publics (restaurants, cinémas transports en commun etc.) à cent lieues de symboliser l'impérialisme : y accomplir des attentats était une violation manifeste des principes révolutionnaires, du pur et simple fascisme.

Toutes ces opérations soi-disant anti-impérialistes ne firent que développer un sentiment anti-Arménien : un mouvement vraiment révolutionnaire aurait recherché le résultat inverse.

La plupart des opérations anti-turques eurent en revanche des effets positifs: c'étaient des actions de propagande armée -la tactique correcte des premières phases du combat- qui révélaient au monde les souffrances du peuple Arménien, mobilisaient la diaspora et donc préludaient au combat sur le territoire national occupé. Ces opérations firent beaucoup pour amener des Arméniens progressistes à l'Asala, et pair certains secteurs de la communauté à nous soutenir. Ces opérations conduisirent aussi les membres patriotiques à une série sans fin de compromis avec Moujahid. Ces patriotes (Hagop Darakjian d'abord, les "membres" progressistes, ensuite) étaient derrière toutes les opérations anti-turques, et espéraient les développer mais Moujahid, peu actif dans ce domaine, n'en monopolisait pas moins le pouvoir de décision sur toute l' "organisation". Et voila pourquoi ces actions -modèles servaient aussi à Moujahid d'écran de fumée et d'appât à l'usage des patriotes. Quand les progressistes furent neutralisés, ces opérations anti-turques elles-mêmes tournèrent au massacre gratuit, écoeurant aussi bien l'opinion publique en général que le peuple Arménien (cf. l'aéroport d'Ankara en août 82, le carnage du bazar d'Istamboul en juin 83, celui d'Orly en juillet la même année, etc.). Tant que les "membres" patriotiques disposèrent du minimum d'influence, les actions anti-turques, sinon les autres, conservèrent leur aspect positif, et furent même d'importants facteurs de développement (l'apogée qui suivit "Van" par exemple), mais quand ces "membres" furent réduits à l'état d'esclaves virtuels, ces dernières traces d'activités positives elles-mêmes s'évanouirent. L'un des aspects le plus dangereux de la violence de Moujahid était dirigé contre la communauté Arménienne, très sensible à la violence : une telle brutalité pouvait provoquer des drames et était donc a éviter autant que possible. Moujahid ordonna pour l'essentiel des attentats contre les boutiques, les voitures et même les domiciles ce certains chefs locaux des partis [arméniens, au Liban NDT] songea aussi à faire assassiner des leaders de premier plan, mais pour nombre de raisons ces tentatives échouèrent. Le prétexte était que ces clefs travaillaient contre les intérêts Arméniens, maltraitaient des compatriotes et en avaient parfois même rossés. Certains des chefs visés étaient en effet coupables, mais pas tous, loin de là; pour ces derniers, ces violences étaient donc parfaitement injustifiées; plusieurs étaient frappés pour avoir simplement critiqué l'Asala lors de conversations privées. Et même pour les coupables, l'attentat aurait du être utilisé en dernier ressort, quand toutes les autres mesures avaient échoué. Si l'objectif réel de ces actions était de défendre les Arméniens de la dictature des partis, alors il fallait commencer par utiliser des méthodes plus constructives et, quand l'attentat devenait des explications très détaillées auraient du être fournies sur ses motifs. Au lieu de cela, Moujahid cédait à ses impulsions et ordonnait une campagne d'attentats contre quiconque s'opposait peu ou prou à la ligne de l'Asala. Cela n'était qu'un symptôme de plus de son désir maladif et générateur de catastrophes- de s'imposer par des pratiques "militaires". Car ces campagnes de bombes ne résolvaient rien, mais suscitaient en revanche une animosité détestable dans la communauté. Enfin, l'Asala n'avait aucun droit de juger les abus des partis traditionnels ni de distribuer des "punitions, étant plus corrompue, oppressive et arbitraire que ces mêmes partis. Si l'Armée sacrée avait vraiment l'intention de défendre le peuple Arménien en "punissant" ceux qui le maltraitaient, elle aurait du alors commencer par une autocritique et une réforme sévères, avant de s'en prendre à d'autres.

En conclusion, si l'on excepte les actions anti-turques positives, aucune des opérations militaires de l'Asala (les actions anti-turques négatives, les actions anti-Arméniennes, les actions anti-impérialistes) ne se sont jamais inscrites dans un processus de libération nationale correct; elles ont été au contraire l'expression du militarisme à grand spectacle de Moujahid.

Les problèmes d'organisation

C'est l'absence d'une organisation en bonne et due forme qui explique toutes les absurdités politiques et militaires décrites ci-dessus. En fait l'Asala n'était pas une organisation, en ce sens que manquaient les bases même nécessaires à la structuration d'un appareil, tel que des organes directeurs, ou d'administration par exemple. Moujahid fut toujours au sommet, comme "dirigeant" -traduisez dictateur- et tous les autres bien en dessous, comme une troupe de serviteurs.

Chacun de ceux-ci était en contact direct avec Moujahid, et toute coopération entre "membres" était interdite, sauf ordre exprès. Il leur était même interdit de parler de la politique de l'organisation, et de leur propre travail qu'il soit "militaire" de propagande ou autre, ce même en termes vagues. Ainsi la troupe de domestiques demeurait totalement hétérogène, chacun ayant ses propres opinions, qui contredisaient bien souvent celles d'autres "membres. Ces interdictions visaient à empêcher les "membres" de se faire une idée sur l'orientation réelle du mouvement, et à interdire l'apparition d'une solidarité de groupe. L'atmosphère était celle du secret et de la dissimulation, Moujahid finissant par prendre une dimension mystique, celle de pôle central de toute activité, définissant toutes les règles et donnant tous les ordres. Il était la seule source d'autorité et chaque membre n'obéissait qu'à lui. (Ultérieurement cette liaison verticale évolua avec la mise en place de trois "lieutenants" -Khatchig, Vicken et Varoujan- se partageant le rôle précédemment dévolu à Moujahid, tout en lui étant totalement dévoués). Jamais aucune réunion, sauf quand, sous l'impulsion du moment, Moujahid convoquait certains "membres" et discourait devant eux de sa politique, de ses opinions, de ses intentions : en réalité plus des séances d'endoctrinement que des dialogues ou des discussions. Et alors que chaque "membre" rendait compte à Moujahid lui-même, celui ci ne rendait compte de rien à personne.

Pour légitimer sa dictature, il se servait de trucs innombrables, à commencer par le rappel incessant de son rôle de fondateur de l'Asala, donc de grand ancien; également, il s'attribuait tous les succès et rejetait sur d'autres les échecs. Il inventait d'ingénieux mensonges qui plongeaient les autres "membres" dans la confusion et les amenaient à gober tout ce qu'il leur disait. Qui plus est, il faisait croire aux plus naïfs des "membres" qu'existaient de mystérieuses instances de commandement, "Diction Van", "Comité Central de l'Asala", cachées mais travaillant dans le secret au bien-être futur du peuple Arménien. Il allait même jusqu'à faire croire que Hagop Hagopian et ses autres pseudonymes n'avaient rien à voir avec lui et étaient des dirigeants réels. Par ces stratagèmes, il se faisait obéir de la base et des naïfs, et se servait de ceux-ci pour faire obéir les cadres conscients. Il parvint même à manipuler, un temps donné, des patriotes progressistes ayant rejoint l'Asala. Jouant de son ancienneté, de sa personnalité autoritaire, de mensonges habiles, et de beaucoup de psychologie, Moujahid parvenait à pousser les "membres" à accomplir toutes ses volontés. L'atmosphère au sein de l' " organisation" était extrêmement tendue, désagréable et dépourvue de la moindre camaraderie. Pour contrôler encore plus les "ambres" il les réduisait à un état virtuel d'esclave, leur confisquant papiers d'identité et argent, et censurant leur correspondance. Les "membres" étaient isolés, dans des bâtiments ou des ornes contrôlées par des groupes arabes dont les dirigeants étaient ses amis personnels. Tenus à l'écart, ils étaient délibérément soumis à des conditions de vie misérables, privés de nourriture et de sommeil, afin qu'ils parviennent à un niveau de soumission maximum. Ainsi, chaque "membre" se sentait pris dans une nasse. La manipulation des naïfs, l'obéissance aveugle de ses créatures lui permettaient de faire régner une ambiance de terreur, et même les éléments politisés et non-conformistes les plus actifs comprenaient bien qu'ils risquaient la mort s'ils protestaient trop ouvertement. Ces "membres" là évitaient même de parler entre eux de leur malaise. Ces tactiques de manipulation permettaient à Moujahid de contrôler en permanence une cour de fidèles; il leur confiait la responsabilité d'exécuter ses plans, et de contrer ceux qui s'opposaient au système. Les patriotes conscients étaient de ce fait totalement isolés et neutralisés; il ne restait plus à Moujahid qu'à les aborder un par un, entouré de ses créatures, établissant ainsi à chaque contact une "majorité" en sa faveur, suite à quoi il imposait ses vues "démocratiques" à l'ensemble des "membres". Ainsi la voix de la majorité patriotique était-elle étouffée.

A mesure que certaines créatures de Moujahid prenaient conscience de la nature injuste de son système, il en recrutait d'aulnes. Le contrôle permanent de Moujahid sur l'Asala reposait en fait sur sa capacité à susciter toujours de nouveaux dévouements, quand ses créatures anciennes perdaient leur foi en lui, et prenaient conscience de la réalité. Ainsi, il disposait toujours d'une force lui permettant de poursuivre sa politique sanglante. Moujahid contrôlait toutes les ressources de l' "organisation"; il était seul reconnu des forces non-Arméniennes; il interdisait la création de toute structure permanente à l'intérieur de l' "organisation" : c'était en fait un dictateur qui tenait son pouvoir de sa capacité à piéger des Arméniens et à les enfermer dans un carcan de terreur dont nul ne se doutait à l'extérieur.

Les "membres" patriotiques conscients ne sucent mettre à bas cette construction perverse. Résister à l'intérieur d'un système rigide et meurtrier, créé par Moujahid pour réaliser ses projets aventuristes et contrôler tous les "membres", était évidemment très difficile et dangereux; néanmoins, les "membres" conscients et patriotes ne purent réaliser les indispensables changements.

Confrontés à Moujahid et ses crises de colère, ils n'étaient que trop prêts aux concessions, à repousser indéfiniment les mesures urgentes pour redresser le système. Timides, ils craignaient aussi les représailles violentes de Moujahid, en cas de rébellion individuelle ou collective. Au nom de l'unité du mouvement et de son bon fonctionnement (sans oublier la crainte des exécutions) la plupart des "membres" patriotiques reculèrent au moment de quitter l'Asala. Restant, ils étaient totalement sous l'influence de Moujahid qui exploitait leurs efforts à son profit. Les "membres" patriotiques éloignés du groupe central, mais conscients de la nature du système, ne surent user de leur plus grande liberté de manoeuvre pour agir. Eux aussi demeurèrent effacés et dociles, attendant que des proches du noyau central leur montrent la voie. Les camarades de l'extérieur qui décidèrent de susciter une alternative à l'Asala en restèrent aux intentions, par manque de volonté et de sens pratique. Ainsi, les éléments patriotiques ne sucent coordonner leurs efforts ni à l'intérieur du mouvement, ni avec l'extérieur. Cette absence de régi active et coordonnée permit à Moujahid d'étendre son pouvoir au point de tout contrôler.

Post-scriptum

Voilà notre peuple informé de façon véridique du triste passé de l'Asala. Passé vraiment si triste et déchirant que beaucoup refuseront de nous croire. Qu'ils sachent bien cependant que ce qui précède, quoique réaliste, omet bien des éléments plus affligeants encore de l'histoire de l'Asala.

Cette description réaliste aura, nous en sommes ton, deux conséquences. La première, négative sur notre peuple : choqué par nos révélations, il peut perdre toute illusion sur le combat patriotique. Ces trismes vérités vont ensuite être exploitées par les cénacles politiques traditionnels bondissant sur cette occasion de salir tous les courants progressistes Arméniens, et tentant de prouver qu'eux, et eux seuls, ont eu raison. Mais nous, nous voyons les choses de façon plus sincère et plus honnête. Les amères réalités que nous avons dépeintes ci-dessus, pour tristes qu'elles soient, sont historiques : la tristesse provient des faits eux-mêmes, et non de leur révélation. Nous sommes profondément convaincus que le premier pas dans la bonne voie consiste à dite la vérité à notre peuple; nous n'avons pas l'intention de lui mentir, comme c'était le cas par le passé. Tous ensemble, nous devons regarder la réalité en face, nous en inspirer et déterminer une voie correcte pour l'avenir. Des révolutionnaires responsables se doivent de prendre la réalité en compte, de faire face aux difficultés avec résolution.

Amères, ces réalités ne sont pourtant pas une raison pour perdre l'espoir, surtout si l'on garde à l'esprit le travail positif des patriotes de l'Asala en 1980-81. Car si ces faits affligeants sont bien réels, n'oublions pas ces deux années, les plus actives des soixante de la diaspora. Et n'est-il pas encourageant de constater que ces résultats sans précédents ont été atteints en si peu de temps, au milieu de difficultés à l'extérieur et de restrictions à l'intérieur de l' "organisation"? Comprendre les erreurs du passé nous aidera à ne pas les reproduire et à construire le puissant mouvement de libération nationale dont notre peuple a besoin pour réaliser ses ambitions historiques. Car voilà très exactement le projet de l'Asala-Mouvement Révolutionnaire. Encouragés par nos succès de 1980-81, nous sommes décidés à corriger les erreurs passées et à travailler à l'avenir de façon constructive.

Les leçons du passé, notre expérience de la lutte année nous ont appris qu'aujourd'hui, plus que jamais, un mouvement fondé sur urge ligne claire, précise, scientifique est une nécessité. Elle seule permettra un développement systématique et juste de note lutte populaire, au-delà d'allusions vagues à " la libération de l'Arménie". Cette ligne -colonne vertébrale de notre lutte- permettra à son tour d'établir une stratégie claire qui s'enrichira progressivement. Grâce à un retour critique sur toutes nos expériences passées à l'étude de l'histoire politique de notre peuple, surtout depuis le début de la diaspora, dans chacune de ses composantes; à l'analyse de toutes les particularités de l'Arménie soviétique; grâce enfin à l'étude du monde dans lequel nous vivons, pour le comprendre aussi parfaitement que possible. N'oublions pas l'étude de l'Asie du sud, la Turquie en particulier avec tous les courants révolutionnaires qui la traversent ni les combats populaires d'autres nations pour nous enrichir de leurs expériences positives et négatives.

Nous sommes conscients de l'importance de toute ces études, mais aussi de l'urgence de poursuivre la lutte. L'actualité nous offre de nombreuses possibilités; les leçons du passé, l'ensemble de nos expériences éclairent notre compréhension du posent. Nous allons travailler de plus belle à regrouper les progressistes de la diaspora pour faire de notre mouvement un vaste et populaire mouvement de libération. Pendant ce temps-là nous poursuivrons nos recherches et analyses politiques; ainsi notre lutte suivra-t-elle une dynamique évolutive où la pratique viendra enrichir la recherche, et permettra à la lutte de s'amplifier encore.

Ces principes scientifiques-là guideront nos actions militaires futures; qui seront toutes montées suivant note stratégie et s'inscriront dans notre ligne politique. Ainsi chaque acte s'inscrira dans une perspective cohérente, et en préparera un autre, plus efficace encore. Cette dynamique, entraînant un recrutement de plus en plus large, permettra d'envisager de mener la lutte année dans les frontières de notre patrie occupée.

Toute cela sera rendu possible grâce à des structures saines et concrètes. Une organisation équilibrée sera construite selon des axes verticaux et horizontaux; elle disposera de services dotés de missions spécifiques. Cette organisation nouvelle fonctionnera de façon démocratique, et sera dirigée de façon collective. Elle se verra enfin modifiée, si besoin est, suivant les besoins du peuple Arménien en diaspora, et l'évolution de notre combat.

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