"LES MÉMOIRES DU DIRIGEANT MARTYR"

Texte intégral, tel qu'il a été publié dans "Hayastan" N°49-50 et 55-56, 1983; N°89-90,1984; N° 105-106,1985.

Deux mots d'introduction

Le camarade-martyr Hagop Hagopian a laissé le lumineux souvenir d'un combattant prêt à tous les sacrifices. Cet homme s'est levé pour s'opposer à l'oubli de la question Arménienne; il a su devenir un modèle et un guide pour ce mouvement qui a soulevé toute la diaspora.

Il faut lire ses mémoires, rédigées au front, entre deux batailles : ce n'est pas de l'encre, mais le sang et la sueur d'un combattant acharné qui a servi à les écrire. C'est sans doute pour cela que ce récit ne prend jamais un tour personnel, mais constitue la chronique vraie de notre lutte de libération.

Voyant inférât que présentaient les mémoires de notre combattant-martyr, le commandement de l'Asala les a confiées à " Hayastan", après avoir supprimé des noms propres, ceux de certains lieux et coupé quelques paragraphes pour des raisons de sécurité.

Ces mémoires seront désormais le manuel de notre lutte de libération, la source où les masses Arméniennes viendront tremper leur foi et leur courage.

De son vivant, notre camarade-dirigeant nous avait déjà fait de vive voix le récit de sa vie.

Introduction, de la plume de Hagop Hagopian

Depuis des années, ma réflexion tournait autour de l'idée suivante : comment créer une organisation autonome qui sache représenter la juste cause du peuple Arménien et faire comprendre au monde sa douleur et sa tristesse ? Des années durant, cette question a dominé mes entretiens avec ceux qui partageaient mes positions philosophiques, politiques et sociales. Pendant ces conversations, nous étudiions jusqu'à l'aube les programmes des partis politiques Arméniens, l'état de la diaspora et nombre d'événements touchant à l'actualité Arménienne et internationale. Mais nous regrettions toujours que personne ne soit là pour rassembler les éléments épars de la diaspora et les regrouper autour d'un objectif et d'un programme uniques.

Pendant l'une de ces périodes de réflexion, je travaillai passionnément à comprendre la diaspora, son histoire, ses contradictions internes ainsi que les raisons de l'affaiblissement, au fil des ans, de la lutte des masses arméniennes, l'oubli de ses idéaux nationaux.

Cette recherche approfondie finît par me convaincre qu'aidé par les pays impérialistes, le gouvernement turc foulait aux pieds nos droits nationaux, et que la lutte armée était le seul moyen de reconquérir nos terres spoliées.

Cette situation était comparable à celle d'autres peuples opprimés qui, après de longues années de domination colonialiste et impérialiste, s'étaient libérés grâce à une lutte courageuse et victorieuse.

Sans oublier que la résistance palestinienne n'a survécu dans des conditions très dures que par la lutte armée et une inlassable pratique révolutionnaire.

Mais hélas, le défaitisme et les politiques incorrectes des partis Arméniens avaient conduit la diaspora à la résignation. S'assimilant, les Arméniens perdaient peu à peu une identité pourtant indispensable à qui veut résister a l'oppression.

Enfermés dans des projets à courte vue, prisonniers d'intérêts étroits, les partis Arméniens avaient poussé notre peuple à la soumission, donc, à terme, à l'abîme.

La situation de la diaspora était de plus en plus préoccupante : en Europe, en Amérique, les communautés, démobilisées, vivaient désormais à l'occidentale.

Représentant notre peuple, les partis Arméniens étaient tenus par des accords et des combines dangereux pour notre nation. Les associations culturelles, sociales et religieuses, elles, cédaient aux pressions de tel ou tel parti, penchaient pour tel ou tel camp, et s'éloignaient ainsi des intérêts supérieurs de la nation Arménienne

L'état de la diaspora interdisait toute mobilisation révolutionnaire. Dans une telle ambiance de découragement, seul l'idéal révolutionnaire peu réveiller l'espoir. Echapper à toute cette corruption exigeait une clarification politique. Désigner nos ennemis, nos amis, nos camarades exigeait une ligne politique claire. Faire renaître la question Arménienne exigeait des mots d'ordre mobilisateurs; la remettre à l'ordre du jour exigeait qu'elle sorte de l'oubli, qu'elle cesse d'être un chiffon de papier, un dossier oublié dans la paperasse des Nations-Unies.

Autre préoccupation, autre motif de discorde : les partis politiques de la diaspora abordaient le problème de l'Arménie soviétique avec étroitesse d'esprit. L'un de ces partis surtout: prisonnier d'intérêts égoïstes et à courte vue, notoirement compromis avec l'impérialisme, il prétendait ignorer que l'Arménie soviétique, quel que soit son régime politique, est l'irremplaçable patrie de notre peuple.

Située au dessus des partis, notre patrie a aidé le nationalisme à survivre au sein de la diaspora et réchauffé notre coeur aux heures les plus noires; elle aurait du être la fierté de tous les Arméniens.

Toutes ces pensées m'obsédaient et créer une organisation Arménienne indépendante et combattante devint mon idée fixe. La fondation de l'Asala vint enfin concrétiser un projet mûri durant plusieurs années.

Mais avant de débuter mon récit, je souhaite rappeler les noms de ces jeunes progressistes qui ont joué un rôle historique dans la création de l'Asala. Conscients de leur responsabilité dans la lutte de libération, H. M. T., A. G. P., V. A. ont combattu à mes côtés avec patience, abnégation et détermination révolutionnaire : malgré mille difficultés, ils ont pleinement contribué au démarrage et à la popularisation de la lutte armée pour la libération de l'Arménie. Je tiens aussi à citer les noms de ceux qui, poussés par un profond patriotisme et un sens politique aigu, ont rejoint notre mouvement quatre mois après sa fondation. Compte tenu de l'excellence de leur travail, K. A., K. S., H. D. [sans doute Hagop Darakjian, NDT] et V. B. sont considérés comme membres fondateurs.

Depuis 1977, A. Y., M. M., Kh. [sans doute Khatchig Havarian] , P. G. (sans doute Pierre Gulumian) et G. K. ont participé avec enthousiasme au combat révolutionnaire et sont eux aussi dignes d'être membres fondateurs.

Je consigne donc ici leurs noms et leur demande à tous d'être fidèles au souvenir de ces combats. Qu'ils sachent aussi écarter de nos rangs les opportunistes et les réactionnaires prêts à exploiter les sacrifices consentis par des centaines de patriotes pour notre libération : le sang de nos martyrs et le dévouement de nos héros captifs ne doivent jamais faire l'objet de marchandages.

Je saurai également me souvenir ici de ceux qui, sans esprit de compromission, ont su se sacrifier pour l'Asala et aider à sa progression, que ce soit dans l'action politique, militaire, économique ou populaire. Ce récit de l'héroïsme de nos combattants est destiné à faire connaître la vérité au peuple Arménien dispersé de par le monde.

Mais à ce point du récit, je tiens à rappeler que l'enrichissante expérience de la lutte m'a permis de comprendre la psychologie et la logique des masses Arméniennes. Sans s'en douter, notre peuple s'est trouvé enlisé dans le marécage impérialiste, et les dirigeants des partis opportunistes arméniens se sont mis, par défaitisme, au service de l'étranger. Ainsi que je le croyais nécessaire, au cours de mes entretiens avec des notables Arméniens du Proche-orient, d'Europe ou d'Amérique, j'ai toujours tenu à souligner ce point, et leur ai demandé de renoncer à leurs allégeances étrangères, d'user de leur influence pour conduire notre peuple sur la voie glorieuse de la lutte. Je rappellerai donc ici en détail toutes mes rencontres, et évoquerai ceux que j'ai longuement tenté de convaincre de la brûlante nécessité de la lutte armée. Je dirai aussi deux mots de ceux qui ont été exclus de notre mouvement pour avoir essayé, par égoïsme, d'exploiter à leur profit les sacrifices de la jeunesse Arménienne. En passant, je rappellerai que l'un des soucis majeurs de l'Asala a été de ne faire monter à sa direction que des éléments strictement révolutionnaires.

J'évoquerai aussi dans ces mémoires tous nos entretiens, unions et rencontres avec des mouvements ou des partis révolutionnaires car certains accords qui les suivirent ont joué un rôle indiscutable dans notre lutte de libération. Je rappellerai aussi nos rencontres avec les représentants de certains gouvernements progressistes, l'ampleur et les limites de leur engagement en faveur de notre cause.

Je ferai la lumière sur certains entretiens officieux avec des dirigeants politiques et religieux Arméniens; et n'oublierai pas que la révolution est aussi redevable à certains Arméniens fortunés de leur aide financière.

J'exposerai ici pour la première fois les tentatives faites pour m'assassiner par les services secrets américains aidés de quelques dirigeants Arméniens réactionnaires. Elles m'ont valu d'être blessé à plusieurs reprises. D'autres attentats ont échoué en raison de notre vigilance.

J'ai écrit ces mémoires pour mon mouvement et mon peuple, pour que chacun comprenne par quelles difficultés il nous a fallu passer jusqu'à atteindre notre maturité actuelle; quelles diffamations, quels opportunismes, quels égoïsmes il nous a fallu combattre.

J'espère que ces mémoires rendront service à notre Cause, et à mon peuple dans sa longue marche vers sa libération.

Première Partie : MA JEUNESSE, MON ENGAGEMENT POLITIQUE

Je suis issu d'une famille très pauvre, pratiquement anéantie au cours des massacres de 1915 : mon père fut le seul rescapé de ses 83 membres. Poignardé par des soldats turcs à Page de cinq ans, il survécut par miracle à ses blessures.

Mais au cours de l'Histoire, le fanatisme meurtrier n'a pas toujours atteint son but: certaines victimes survécurent et devinrent les porte-parole de notre peuple, afin que les jeunes générations Arméniennes nées et élevées à l'étranger n'oublient jamais cette époque de sang et de terreur.

Mon père est l'exemple même de ces hommes qui ont porté dans leur chair les cicatrices du génocide. Pendant les soixante-trois années de sa vie, il a espéré revoir sa terre natale et y reprendre le cours d'une vie tragiquement interrompue

Etant enfant, je me souviens des heures passées à l'entendre évoquer ses souvenirs, notamment la figure de mon grand-père. Engagé très tôt dans la révolution, ce dernier avait quitté sa famille pour rejoindre ses camarades de combat. Mon père -qui n'avait pas encore cinq ans- se souvient encore du jour où il partit pour les montagnes, avec quelques vêtements et un peu de nourriture.

Quelques temps après, notre village fut attaqué par l'armée régulière et par des bandes turques qui s'y livrèrent à un carnage. De ce jour, nous n'avons plus jamais eu de nouvelles de mon grand-père.

Mon père, lui, avait assisté au massacre de sa mère, de ses frères et sueurs. Sa mémoire en était terriblement marquée. C'est d'une voix triste mais calme qu'il nous en refaisait le récit:

"Alors j'ai senti une lame me transpercer le dos. J'ai perdu connaissance. Quand je suis revenu d moi, j'ai tenté de me dégager de l'horrible masse qui m'étouffait. Et j'ai ouvert les yeux sur la scène la plus abominable qu'il m'ait été donné de voir: des milliers de corps jonchaient le sol; tout le village avait été passé au sabre. Pas un souffle de vie : la mort et la destruction étaient partout.

Pour fuir cette horreur, je me suis mis à courir sans même sentir le liquide chaud et visqueux qui coulait dans mon dos. Puis la douleur m'a fait réaliser que j'étais blessé. J'ai été arrêté un moment dans ma course, interrogé par des gens; moi, je ne pouvais que pleurer.

Au matin, on m'a indiqué un groupe de réfugiés Arméniens qui allaient quitter le village sous la garde de policiers turcs. Bestiaux et menaçants, ils pointaient leurs fusils sur nous, comme s'ils attendaient le moment propice pour nous abattre. Sur la route se succédaient les scènes d horreur : adultes déchiquetés, enfants décapités, femmes violées puis égorgées.

On ne nous réservait pas un sort meilleur les policiers turcs attiraient régulièrement à l'écart les plus jolies filles de notre groupe, avec des sourires équivoques.

Au milieu de ces horreurs, nous avons fini par atteindre un lieu qui m'était totalement inconnu, et l'on nous répartit dans les bourgs avoisinants; c'étaient, je l'ai su plus tard, des villages kurdes situés sur la frontière Irano-irakienne.

J'ai commencé à y travailler en échange d'un peu de pain. Quelques mois plus tard, je compris que ces familles kurdes, arabes et iraniennes ne nous avaient recueillis, nous jeunes Arméniens, que pour faire de nous leurs esclaves.

Ainsi commença, dans les chaînes, la seconde partie de mon existence. Je dormais dans un moulin, gardais les moutons, portais l'eau et faisais la lessive de mes maîtres. Lorsque je faisais mal mon travail, j'étais enfermé, au pain et à l'eau.

Pendant toutes ces années, j'avais quand même réussi à me lier avec des Arméniens de mon âge, ou un peu plus vieux, qui partageaient mon sort. A quatre, nous avons réussi à fuir le village kurde et, après une longue errance de montagne en montagne, de village en village, nous avons atteint ce pays-ci (La famille de Minas Ohanessian / Moujahid / Hagop Hagopian etc. était de la communauté de Mossoul, en Irak, NDT.) où nous savions que d'autres Arméniens nous secourraient. C'est là que nous avons commencé à travailler, que nous nous sommes mariés et qu'enfin vous êtes nés..."

Cette histoire, mon père le savait, était celle de centaines de milliers d'Arméniens; certains avaient même connu des destinées plus tragiques encore.

J'ai fini par comprendre que s'il reprenait inlassablement le récit de ces atrocités, c'était pour que nous, ses enfants, ne puissions jamais les oublier.

C'est ainsi qu'au cours des ans j'ai progressivement pris conscience de ce qu'était la diaspora. Cela s'est fait de façon complexe et contradictoire; un instinct de révolte grandissait en moi, mais je ne savais pas exactement où le diriger.

C'est en 1965 que ma vie a pris, sur ce plan là, un tournant décisif.

Je me souviens avoir demandé un jour à mon père comment les Arméniens pourraient un jour retourner chez eux. Sa réponse fut brève et nette : " en récupérant leurs terres" dit-il. Quand je l'interrogeai sur le rôle des partis politiques dans cette affaire, il me répondit "les partis pensent que l'avenir de l'identité Arménienne est dans la diaspora; c'est pour cela qu'ils aident les gens à s'y établir et s'y enraciner".

Les propos de mon père firent surgir en moi d'autres questions : j'en parlais inlassablement tant avec lui qu'avec des camarades de classe. Il s'agissait toujours de nos problèmes nationaux, de la question Arménienne et de la situation de la diaspora.

A leur tour, mes camarades évoquaient les expériences horribles vécues par leurs parents; quand la conversation s'élargissait, devenait plus actuelle, nous parlions de notre contrée d'accueil, un pays arabe, qui menait une politique d'oppression et de terrorisme envers les Arméniens.

Dans ce pays, un Arménien était sûr d'être menacé et persécuté; je me souviens encore personnellement de la façon dont la police m'a malmené lors d'une vérification d'identité.

J'avais beau être jeune, j'étais obsédé par la souffrance de mes compatriotes de la diaspora. Du fond de mon âme, je cherchais à comprendre pourquoi on nous traitait si mal, et à quoi servait d'apprendre l'Arménien à l'école, si nous ne pouvions revendiquer la restitution de nos terres.

Mes camarades et moi discutions du sort des masses Arméniennes, de la politique des partis de la diaspora. Nous essayions d'imaginer la lutte de libération, notre patrie future. Là était notre première inquiétude, notre première quête. Notre point de départ consistait à étudier les épreuves historiques subies par notre peuple, son passé de combats et d'héroïsme et de là, à expliquer le présent avec ses aspects positifs et négatifs. Nous pensions à l'avenir de notre peuple. Nous poussions notre entourage à poser le problème de notre patrie en termes politiques.

En écrivant ces lignes, je suis sûr que ces amis se souviennent aussi de cette époque, où nous étions partagés sur les possibilités de lancer la lutte armée pour la libération de notre pays. Je sais que ces souvenirs leurs feront lire ce texte - s'il est publié- avec respect, car ils traduit bien cette idée qui nous était chère, récupérer notre terre natale prévalait sur toute autre considération ou préoccupation. C'est donc cette "question Arménienne" considérée comme morte et enterrée qui a finalement armé notre volonté de reconquête.
Comme je l'ai dit plus haut, 1965 fut pour moi le moment de la vérité. Cette année-là, j'entrai en contact avec de nombreux hommes et partis politiques arabes : leur réflexion, et leurs entreprises, que je relatais à mes camarades, étaient toutes tournées vers la révolution arabe et la lutte de libération. Je prenais ainsi conscience de tout ce qu'avaient du subir les peuples opprimés, du sens de leur lutte de libération et de fraternité.

Parallèlement, j'étudiais la stratégie des partis Arméniens, essayant de comprendre leur logique, ainsi que les motivations profondes de leurs adhérents pris individuellement, afin de mieux cerner ces idées qui dressaient des Arméniens contre leurs frères.

Plus je m'intéressais à la question nationale et plus je cherchais les bases mêmes sur lesquelles reposait la diaspora J'établis donc des rapports avec les instances religieuses de notre communauté, qui jouaient dans les masses un rôle éducateur et unificateur évident. Je compris alors que si les partis politiques s'accrochaient aussi tenacement aux églises, c'était pour les contrôler le plus étroitement possible.

Je continuais par ailleurs à m'entretenir avec les survivants du génocide; ils me confirmaient les récits de mon père, et le même terme revenait sans cesse dans leur bouche : massacre, massacre, massacre.

Ces hommes me parlaient aussi de leur vie dans la diaspora. Les écoutant, je réalisai à quel point les partis avaient trahi les aspirations de cette génération, sa volonté de lutte pour retrouver une patrie. Pour briser cet élan unanime, ils avaient échafaudé des théories creuses, pompeusement baptisées "idéologie" et "stratégie". Leurs dirigeants m'apparurent alors comme préoccupés uniquement de leurs situations personnelles, et indifférent au sort de notre peuple dont ils étaient cependant censés être les porte-parole.

Tout cela m'amena à réfléchir concrètement au moyen de sortir les arméniens de leur isolement, et surtout de défendre leur cause devant les instances les plus hautes.

Je pris alors, nous étions en 1967, la décision de fonder un jour un mouvement de défense des intérêts de notre peuple, dont la mission serait de sensibiliser à notre cause l'opinion publique internationale.

Tous ceux de mes proches a qui je m'ouvris de mon projet me soutinrent chaleureusement; nombre d'entre eux pensaient malgré tout que l'entreprise était vouée à l'échec. J'étais cependant convaincu que la solution du problème Arménien passait par la mobilisation de notre peuple.

Mais je manquais d'expérience politique, militaire; de professionnalisme. Je décidai donc de m'engager dans le courant révolutionnaire-arabe, alors en pleine effervescence, et d'y apprendre tout le nécessaire pour atteindre mon but, désormais inébranlable : libérer ma patrie.

Seconde Partie : AVEC LES PALESTINIENS

Un beau jour, je décidai de rejoindre la Résistance palestinienne. Je voulais participer à la libération de la patrie palestinienne occupée. Je rompis donc tout lien avec ma famille et mes amis, sauf les plus proches, avec qui j'étais en communion idéologique, et partageais le projet de libérer l'Arménie.

Mon départ se fit en secret. Mes amis émirent ultérieurement des réserves sur mon engagement : ils craignaient de perdre un camarade partageant leur idéal de libération, si je devais recevoir une balle perdue israélienne..

Mais malgré toutes les difficultés, j'avais décidé de rejoindre les révolutionnaires palestiniens en lutte contre le sionisme. Comme je projetais plus que jamais de libérer un jour les terres Arméniennes par la lutte armée, je m'instruisais autant que possible au contact des révolutionnaires palestiniens.

Mon entraînement militaire commença le jour de mon arrivée et dura trois semaines. Je fus alors affecté à un poste d'où les combattants palestiniens partaient pour des terres arabes occupées proches du front israélien, puis participaient aux opérations militaires et ravitaillaient les combattants en vivres et en munitions.

(Pour des raisons de sécurité [dit le manuscrit, NDT.], les paragraphes suivants ne sont pas publiés)

L'occupation de l'ambassade du Japon à Koweït

Cinq mois s'étaient écoulés depuis mon action contre une cible sioniste en Europe. Cette opération, des plus positives pour la cause palestinienne, s'était conclue par quatorze heures de négociation avec le premier ministre de (...). Celle-ci ayant été fructueuse, j'avais pu quitter le pays sain et sauf. A ma grande fierté, j'avais à cette occasion représenté le peuple palestinien: l'attitude encourageante du gouvernement [du pays où avait eu lieu l'action antisioniste, N.D.T. ] , son respect pour nos exigences et notre lutte prouvaient la justesse de nos objectifs politiques.

J'étais de retour depuis un mois à Beyrouth, après avoir circulé dans plusieurs pays européens et arabes, quand un haut responsable de notre organisation m'informa qu'une importante opération était prévue, et que je devrais la diriger. Mon état physique me fit immédiatement refuser cette lourde responsabilité : blessé en 1969 au cours d'une opération dans les territoires occupés, je souffrais depuis lors de douleurs persistantes. Je proposai donc que la mission soit confiée à un autre, ne voulant décevoir ni notre commandement, ni les révolutionnaires volontaires pour cette opération.

La mission fut exécutée deux semaines plus tard : il s'agissait de faire sauter une raffinerie américaine à Singapour. Quelques-uns de mes plus proches amis Palestiniens, vétérans, comme moi-même, de dix ans de combat, avaient été choisis pour conduire cette opération.

Leur responsable s'appelait Ghaleb; il trouva la mort en 1976 au Sud-Liban, au cours d'une action contre les Phalangistes.

Le commando de Singapour comptait deux unités, l'une du FPLP, l'autre de l'Année Rouge Japonaise, toutes deux aux ordres de Ghaleb. La presse nous apprit le succès de l'opération: la raffinerie avait été détruite. Le commando avait ensuite occupé un bateau et pris des otages. Il avait alors exigé de pouvoir quitter Singapour librement, dans un avion civil japonais.

Deux jours s'écoulèrent sans réponse de Tokyo. Le docteur Wadi Haddad et d'autres dirigeants conçurent alors une autre opération pour obliger le gouvernement japonais à céder. Je fus immédiatement choisi pour conduire cette mission de sacrifice.

J'acceptai tout de suite et décidai de m'adjoindre cinq combattants. J'en choisis deux moi-même parmi les plus forts et les plus capables, laissant à mes dirigeants le soin de désigner les trois autres.

Je réunis d'urgence ceux qui allaient exécuter avec moi cette mission difficile: contraindre Tokyo à satisfaire les demandes du commando de Singapour. Deux hauts responsables du FPLP participaient à la réunion. J'insistai sur la nécessité d'obéir strictement aux ordres durant l'occupation du bâtiment, chacun devant rester à son poste et obéir, quoi qu'il arrive, pendant les négociations. Fort de l'autorisation de nos deux dirigeants, j'expliquai aussi le but de l'opération.

Primo [paragraphe absent du texte original, NDT], Secundo, forcer le gouvernement japonais à accepter les exigences de nos frères. Tertio, prouver au monde que le courage des révolutionnaires ne se marchandait pas et que les tentatives impérialistes pour les défaire seraient vaines; montrer enfin que la détermination des masses combattantes sortait renforcée de cette épreuve.

Moins de dix heures après, les préparatifs effectués, nous partions pour le Koweït; objectif :l'ambassade du Japon. L'un de nos dirigeants devait nous rejoindre sur place pour y présider l'ultime conseil de guerre, où je devais lui soumettre mon plan.

Nous gagnâmes donc le Koweït, emportant nos armes avec nous. Chacun avait un pistolet, deux chargeurs et deux grenades à main, soit, pour mener une opération de cette importance, six armes de poing et douze grenades. Nous devions transporter ces arrhes, malgré les risques : pas moins de six postes-frontière ente le Liban et Koweït, en traversant la Syrie et l'Irak. Partir par la route était long et dangereux mais j'optai quand même pour cette solution, la seule permettant d'être à pied d'oeuvre en quarante huit heures, avec les armes nécessaires. Ayant traversé tous ces pays sans encombre, en plusieurs voitures particulières, nous sommes arrivés à destination ensemble, à l'heure prévue et avec nos armes.

Mon commando installé dans plusieurs hôtels, j'allai au rendez-vous prévu avec notre dirigeant. Il n'y était pas. Le lendemain non plus. A l'écoute constante des informations, nous savions que le commando de Singapour était toujours à bord du bateau et que le gouvernement japonais persistait à ignorer ses demandes. Désormais responsable de l'opération, il m'incombait de sauver nos camarades et de faire céder le Japon. Je pris alors en toute conscience la décision d'occuper l'ambassade japonaise à Koweït.

Le commando approuva ma décision. J'envoyai immédiatement un combattant reconnaître les abords de l'ambassade et recueillir les renseignements nécessaires sur l'entrée, le nombre des gardes Koweïtis, la distribution des pièces, la localisation des bureaux de l'ambassadeur et du consul, les risques d'une fouille etc. "Sakher" , chargé de cette mission, revint deux heures plus tard avec toutes les informations nécessaires. Il était midi et demi. Désormais correctement informé, je demandai à tous les membres du commando de retourner à leurs hôtels. Nous devions nous retrouver le lendemain à huit heure et demie pour discuter du plan d'attaque et d'occupation, et du rôle de chacun. Soudain, l'un des camarades demanda la parole : il voulait retourner au Liban; il refusait de participer à cette opération hors de la présence du membre du bureau politique qui aurait du venir de Beyrouth.

Cette intervention perturba le commando et j'eus de grandes difficultés à reprendre les choses en main. J'acceptai que ce garçon reparte à condition qu'il nous laisse son arme et ses grenades; puis je lui confiai une lettre, lui dit au revoir et à bientôt. J'avais maintenant deux pistolets et quatre grenades. Nous embrassâmes ce camarades, et lui demandâmes de quitter le Koweït aussi vite que possible.

Sa réaction me préoccupait fort: c'était l'un des trois garçons choisis par la direction du FPLP, du nom d' "Abou Firas". Il avait craqué, et avait peur de participer à notre mission - suicide. Car nous avions déjà prévu un refus des Japonais et ma décision était prise : nous refuserions de nous rendre aux Koweïtis, resterions sur nos positions révolutionnaires, exécuterions les otages et le personnel de l'ambassade et conduirions à son terme notre sacrifice.

J'étais inquiet à l'idée que ce jeune homme pourrait se rendre aux Koweïtis, les informer sur notre opération avant même qu'elle n'ait débuté. L'un d'entre nous voulait l'obliger à nous accompagner; un autre suggéra de l'exécuter vu la délicatesse de notre situation. Je réfléchis un long moment, sortis avec " Abou Firas" et lui parlai à coeur ouvert. " Il faut que tu sache" lui dis-je " que je ne suis ni Arabe, ni Palestinien. Je suis Arménien". Il me dit qu'il le savait. Je repris alors "Je veux que tu retourne à Beyrouth et donne cette lettre à nos dirigeants; je leur demande de te faire arrêter. Alors, ne trahis pas notre cause. Nous allons exécuter cette opération. Ne fais rien qui puisse la compromettre. Ne fais rien de stupide." Il m'écouta, me rassura et après m'avoir embrassé, me dit : "ne t'inquiète pas. Je rentre tout droit à Beyrouth et me plierai aux décisions de nos chefs. Je vous souhaite bonne chance pour vote opération ...Pardonne moi, je ne peux pas, c'est plus fort que moi".

Nous nous sommes alors tous embrassés, en combattants et en révolutionnaires.

Mes années d'expérience m'avaient déjà mis face à de telles situations pendant des opérations à l'étranger ou des affrontements avec l'ennemi sioniste : chute à zéro du moral, dépression, peur, sont un risque réel pour tout combattant. La réaction d' "Abou Firas" me semblait donc normale, mais je craignais pour notre sécurité. Je souffrais encore de ma plus sérieuse blessure, reçue lors d'un accrochage avec les sionistes. Paniqué, l'un des membres de mon groupe avait refusé de combattre. En tant que chef, j'occupai son poste et fus grièvement blessé. Il me fallut trois mois pour récupérer, et j'en ressens encore les séquelles.

Le lendemain matin je retrouvai toute ma troupe, à l'exception d' " Abou Firas". Tous étaient silencieux et je réalisai à quel point tous étaient affectés par son départ. "Abou Ibrahim", l'un d'entre nous, me dit alors: " Si nous n'avions su que tu n'étais ni Arabe ni Palestinien, nous aussi serions repartis. La conduite d' "Abou Firas" ne relève pas de la couardise, mais de la trahison... Mais par égard pour toi, un Arménien quia quitté famille et maison pour lutter à nos côtés, nous allons rester et nous battre. La conduite de notre camarade nous a donné mauvaise conscience : nous te suivrons donc et exécuterons tes ordres. Ta décision révolutionnaire nous a convaincu et nous connaissons ton passé : nous sommes frères d'armes depuis si longtemps ...Voilà pourquoi, juste pour toi, nous restons".

J'esquissai un sourire et dis : "de telles histoires ne devraient pas nous démoraliser. Nous sommes des combattants révolutionnaires, comptables du sort de tout un peuple en exil. Alors, en tant que responsable, je dis que la décision d' "Abou Firas" nous place devant nos responsabilités. A nous de savoir nous contrôler, surtout en ces circonstances difficiles. Si nous nous comportons de façon irresponsable, c'est tout le mouvement révolutionnaire qui en pâtira. Voilà pourquoi, chers camarades, nous devons maintenant aller de l'avant et préparer notre plan.

Je dis alors : "je serai en tête; "Sakher" me remplacera s'il m'arrive quelque chose. J'entrerai le premier, " Sakher" après moi, suivi de " Ghazi", " Alcheikh" et enfin "Abou Ibrahim". J'irai droit au comptoir d'information, présenterai nos passeports et demanderai des visas pour tous. Soyez calmes mais prêts à agir. Je demanderai à l'employé si l'ambassadeur est présent. Regardez-moi discrètement: j'aurai les passeports en main ...quand je les poserai sur le comptoir, sortez tous votre arme et une grenade. "Abou Ibrahim" surveillera l'entrée de l'ambassade et fermera la porte . " Alcheikh" contrôlera la pièce à droite, l'arme au poing... "Sakher" fera de même dans le couloir à gauche. Dès que l'employé aura quitté son comptoir, "Abou Ibrahim" le gardera. "Ghazi" me couvrira pendant que j'inspecterai toutes les pièces et rassemblerai les employés. Capturer l'ambassadeur est vital; aussi que chacun tienne bien sa place. Couvert par "Ghazi", je me charge du reste.

Conformément à notre plan, nous sommes entrés dans l'ambassade. Souriant, j'ai demandé à l'employée si l'ambassadeur était présent. "Bien sûr ... pourquoi?" me répondit elle. Je lui dit que nous venions du ministère Koweït des Affaires Etrangères; de la main, elle nous indiqua son bureau. Je déposai alors les passeports devant elle et chacun prit position comme prévu, l'arme au poing. Je demandais à l'employée de quitter son comptoir quand l'imprévu arriva : "Ghazi" se mit à tirer plusieurs coups de feu.

Ces détonations semèrent la panique et tout le monde se mit à crier. Nous avons repris à grand peine les choses en main et réuni tous les employés dans le salon d'attente. "Abou Ibrahim" avait déjà fermé les portes : nous contrôlions l'ambassade.

Après avoir sorti les employés cachés sous leur bureau ou dans des placards, je me mis à rechercher l'ambassadeur. Nous avions vidé toutes les pièces à l'exception d'une, fermée de l'intérieur; j'avais sans succès tenté de l'ouvrir. Je revins donc au salon d'attente et demandai aux employés ou se trouvait l'ambassadeur. Pas de réponse. Même absence de réactions à propos du consul. Je posai alors le canon de mon aune sur la tempe d'un Japonais et lui demandai qui il était. Premier secrétaire, me répondit-il. je lui redemandai où se trouvait l'ambassadeur. Dans son bureau dit-il. C'était bien la pièce fermée. Avec difficulté nous sommes parvenus à en enfoncer la porte, Ghazi et moi. En anglais, je dis : " sortez tous ou je tire! N Levant les bras, un homme de type pakistanais nous dit : "Ne tirez pas, je suis l'un des domestiques". A ma question il répondit que l'ambassadeur était caché derrière son bureau. Alors un homme tout petit, et très mince se leva, tremblant, les bras en l'air: l'ambassadeur. La peur se lisait sur son visage. Il rejoignit les autres au salon d'attente.

A cet instant, on sonna à l'entrée. Je dis à "Abou Ibrahim" de faire entrer les visiteurs s'ils étaient japonais, sinon de les laisser dehors. C'étaient deux Japonais venus déposer des dossiers à leur ambassade. Deux otages de plus.

L'ambassade était occupée et, malgré les coups de feu et la proximité du bureau de l'OPEP, nul au dehors ne se doutait de ce qui s'y passait.

Les Japonais se mirent à nous demander qui nous étions, mais nous avons gardé le silence. Je dit à l'ambassadeur de baisser les bras et de s'asseoir : je ne voulais pas qu'il se ridiculise devant des visiteurs et ses employés. L'un de ces derniers, un égyptien, traduisit mes propos : "Nous sommes le groupe "Martyr Patric Ortuglu" du FPLP, de l'Armée Rouge Japonaise et du Mouvement des Fils des Territoires Occupés...

(Nous respecterons ci-après le texte original des "mémoires" qui orthographie "Patric Ortuglu" le nom du martyr. Il s'agit en fait de Patricio Arguello Ryan, un militant nicaraguayen du Front Sandiniste de Libération Nationale, venu s'entraîner et combattre avec le FPLP à la fin des années 60. Arguello est tué le 6 septembre 1970 lors du détournement raté d'un avion d'El Al reliant Tel Aviv à New York, pendant lequel Leila Khaled est également capturée.)

...Restez calmes et obéissez-nous. Nous n'avons rien contre vous, mais devons vous garder ici. Nous avons certaines exigences à présenter à votre gouvernement. Si elles sont satisfaites, nous vous relâcherons. Sinon, nous nous en prendrons à l'ambassadeur, au premier secrétaire et au consul. Obéissez à nos ordres, restez calmes et priez pour que tout aille bien.

Trente minutes s'étaient écoulées depuis le début de notre occupation, et personne ne se doutait encore de rien. Je décidai d'appeler les agences de presse et les journaux du pays. Je commençai par le quotidien "Al Sisayah" et lus le communiqué suivant: "Le FPLP, l'Armée Rouge Japonaise et le Mouvement des fils des territoires occupés annoncent l'occupation de l'ambassade du Japon par le commando " martyr Patric Ortuglu" ... Au bout du fil, le directeur de la rédaction me demanda si je plaisantais, et qui j'étais. Je lui dit "Croyez-moi, l'ambassade est occupée, j'y suis à l'instant. Je raccrochai et recherchai le numéro de l'agence Reuters; le téléphone sonna: "L'ambassade du Japon ?" -"Oui". "Ici le directeur de la rédaction d' "Al Sisayah" que se passe-t-il chez vous?" -"Ici le chef du commando "Martyr Patric Ortuglu". Nous occupons l'ambassade". - " Quelles sont vos exigences? " " Pas si vite. je rappellerai" .. j'ai raccroché, puis ai informé Reuters et l'AFP. Peu après un officiel du ministère des affaires étrangères du Koweït un dénommé Rachid al-Rachid, a souhaité connaître nos exigences. Je lui ai dit de rappeler plus tard.

Voilà comment le Koweït et les agences apprirent toute l'affaire; par les fenêtres, nous voyions désormais les véhicules de la police et de l'armée, des ambulances tout autour de l'ambassade. Des barrières de sécurité étaient installées, les badauds s'amassaient, le trafic était détourné. La nouvelle était désormais connue de tous : un commando palestinien occupait l'ambassade.
Je demandai à l'ambassadeur de rester calme et de m'expliquer comment contacter le ministère des affaires étrangères japonais pour lui faire connaître nos exigences. il possible d'avoir Tokyo en direct depuis (ambassade? Il me dit que oui; par téléphone et aussi par télex.

Je réfléchis rapidement à la formulation de nos exigences : leur détail devait m'être communiqué par ce dirigeant qui n'était pas venu au rendez-vous. Ainsi, j'ignorais les détails de nos revendications, et la forme politique qu'elles devaient prendre. A moi, donc, de les formuler, en prenant bien soin d'éviter toute maladresse qui ferait tort à la révolution et à la cause de la Palestine. J'envoyai le télex suivant

"Nous sommes le commando "Martyr Patric Ortuglu" du FPLP, de l'Armée Rouge Japonaise et du Mouvement des fils des territoires occupés. Nous vous annonçons l'occupation sans violence de votre ambassade au Koweït. Tous les employés, tous les otages japonais et non japonais sont sains et saufs, en bonne santé.
Nos exigences sont les suivantes
1 °) Faites le nécessaire pour que le Koweït n'intervienne pas ici. L'action ne vise que le gouvernement japonais.

2°) Envoyez un avion et un officiel japonais d Singapour pour y recueillir nos camarades responsables de la destruction héroïque de la raffinerie, et les conduire à Koweït. Quand ils seront à Koweït, nous vous donnerons nos instructions pour notre départ du pays.

3°) A réception de ce télex, vous avez une heure pour réagir positivement, et accepter toutes nos demandes; il faudra également que vous informiez les média.
Nous n'attendrons votre accord qu'une heure et pas plus. Donnez nous votre accord par un télex débutant ainsi : "Le gouvernement japonais, Tokyo, au commando "Martyr Patric Ortuglu" du FPLP / Armée Rouge Japonaise/ Mouvement des fils des territoires occupés". Si votre télex n'est pas conforme, nous ne répondrons pas et agirons tout de suite. Souvenez vous que les otages sont en parfaite santé : si vous n'acceptez pas nos exigences, vous serez responsables de leur sort.

Commando Martyr Patric Ortuglu du FPLP Armée Rouge Japonaise
Mouvement des fils des territoires occupés
Etat-major du commando Martyr Patric Ortuglu, anciennement ambassade du Japon à Koweït".

Le télex traduit et expédié, une réponse nous parvint dans l'heure, sous la forme demandée. Le gouvernement japonais acceptait toutes nos exigences et souhaitait poursuivre le dialogue au téléphone. J'étais décidé à refuser cette dernière procédure à cause des appels incessant des journalistes et des agences. Déjà, le gouvernement du Koweït avait exigé que nous libérions toutes les personnes innocentes et nous avait menacé de donner l'assaut. J'avais répondu qu'ils ne nous faisaient pas peur. S'ils voulaient attaquer, à leur gré : nous ferions sauter l'ambassade, tuerions tous les otages et nous défendrions jusqu'au dernier. J'ajoutai que notre opération était dirigée contre le gouvernement du Japon, pas contre le Koweït, qui se devait de rester neutre. L'échange avait alors tourné à la dispute; j'avais raccroché et n'avait plus pris les appels. Pendant ce temps, suite à leur télex, les Japonais essayaient de nous joindre au téléphone. je finis par décrocher et eus en ligne un dénommé "Tanaka" du secrétariat du gouvernement japonais; il demandait à parler au chef du commando. -"C'est lui-même". Il me dit alors que le gouvernement japonais acceptait la totalité de nos exigences, à condition que les otages soient préservés. -"Vos demandes vont être satisfaites. Donnez-nous juste un peu de temps pour envoyer un avion à Singapour, et ramener vos camarades au Koweït, pays dont, à notre demande, le gouvernement a accepté de ne pas intervenir. Nous avons également signalé nos intentions à la presse : vous pourrez le vérifier aisément. Nous vous demandons juste de préserver les otages. Moi, "Tanaka", au nom du gouvernement du Japon, je vous demande de m'entretenir avec l'ambassadeur, pour m'assurer de l'état des otages. J'acceptai après l'avoir mis en garde contre toute manoeuvre : nous contrôlions parfaitement la situation, et étions parfaitement décidés à mener notre mission à son terme. " Tanaka" m'affirma que tout se passerait bien. Le seul souci du Japon était la sécurité des otages. Je le laissai parler à l'ambassadeur, mais seulement trois minutes.

L'ambassadeur me repassa alors " Tanaka" qui me dit : "je constate que les otages sont correctement traités; nous vous en remercions. Vos demandes vont être satisfaites. Il nous faut juste un peu de temps, et votre parole sur le bien-être des otages". Il ajouta qu'ils allaient rester en contact direct avec nous et me demanda de répondre au téléphone. Je lui demandai de nous informer de ses appels par télex. Il accepta et je raccrochai.

A l'extérieur, on entendait des hauts-parleurs nous informant que le ministre de l'intérieur, Cheikh "Saad", voulait avoir le chef du commando en ligne. A ce moment, " Alcheikh" surveillait les rues depuis l'aile droite du bâtiment, "Abou Ibrahim", depuis la gauche. "Sakher" patrouillait dans l'ambassade et "Ghazi" était au milieu des otages, une grenade dégoupillée à la main, en cas d'assaut.

J'en profitai pour discuter avec l'ambassadeur des politiques arabe et palestinienne de son gouvernement et de ses relations si néfastes avec les Etats-Unis. Je critiquai également l'attitude japonaise à l'égard de nos camarades de Singapour. Parfois le premier secrétaire, qui parlait très bien l'arabe, se joignait à la conversation. Par son truchement, j'évoquai la cause palestinienne devant les otages et tous firent preuve d'une grande compréhension. Bien sûr, en tant qu'otages, leur appui et leur amitié nous étaient acquis d'avance...

Le gouvernement du Koweït voulait nous avoir au téléphone. Les hauts-parleurs répétaient que le ministre de l'intérieur, cheikh "Saad" voulait parler au chef du commando. Je n'y tenais pas, pour une raison simple : nous nous étions déjà rencontrés lorsque, quittant l'Europe suite à une opération spéciale à l'étranger, j'avais demandé à me rendre au Koweït Voilà pourquoi l'idée de lui parler m'embarrassait: il avait fait preuve de générosité à mon égard; m'avait offert l'hospitalité. Il ne connaissait naturellement pas mon identité réelle : je m'étais présenté comme Palestinien, du Fatah, pour dissimuler mes origines Arménienne. Voilà pourquoi je restais muet, pour que cheikh " Saad" ne puisse faire le rapprochement entre celui qu'il connaissait déjà, et le chef du commando de l'ambassade du Japon. Mais le téléphone ne cessait de sonner. Je finis par le prendre.

Après les formules de courtoisie d'usage, il demanda si j'étais le chef du commando. Ma réponse positive lui permit de poursuivre: " Voulez-vous me faire la grâce de libérer les femmes, et quelques uns des autres otages ? J'aimerais aussi visiter l'ambassade, pour juger de la situation sur place". Je répondis : -"Je ne peux, pour des motifs de sécurité, vous laisser entrer ici. Je suis d'accord pour libérer les femmes; mais, à la réflexion, uniquement les femmes arabes". Il insista pour que nous relâchions toutes les femmes et je dis que j'y songerais. Puis il demanda à me parler face à face, ce que je refusai en m'en excusant. Avec finesse le ministre me demanda -"Pourquoi? Nous connaîtrions-nous ?" Je répondis : "Non, je n'ai pas cet honneur, mais ma responsabilité est lourde et je dois refuser, à regret". Il ajouta: -"je pense quand même que nous devrions faire connaissance". J'ai conclu en lui disant que cela n'entrait pas dans mes projets, que je devais prendre congé pour m'occuper de la libération des femmes.

Parmi les otages, trois étaient des jeunes femmes : une Japonaise et deux arabes. Je ces deux dernières à l'écart et leur dis : -"Je vais vous laisser partir à la requête de cheikh "Saad", le ministre de l'intérieur. Je fais cela parce que vous êtes arabes, mais je vous demande de rester muettes sur notre nombre et notre armement ... Dites simplement qu'il y a une arme longue, des pièces de métal, des fils électriques jaunes et rouge et beaucoup d'autres choses encore.

Ces employées de l'ambassade étaient Palestiniennes : cela suffisait à me convaincre qu'elles seraient discrètes; elles me promirent le silence et je les relâchai. En tout cas, elles étaient devant leur responsabilité. J'appelai alors le ministre de l'intérieur pour lui dire que j'acceptais de libérer les femmes arabes, mais que je gardais la Japonaise. Il me remercia mais insista pour que toutes les femmes soient relâchées. Mon geste était une faveur faite à celui qui m'avait accueilli en tant que combattant palestinien sans rien savoir de mon identité Arménienne; il s'inspirait aussi de considérations humanitaires mais ne devait compromettre ni la ligne révolutionnaire, ni l'opération elle-même. Il fallait maintenir le gouvernement japonais sous pression. Cette mesure de clémence me valait la sympathie des Koweïtis sans compromettre mon objectif principal, ni ternir la réputation des révolutionnaires palestiniens.

Le lendemain on nous porta les journaux et j'y vis des photos de nous -dont l'une de moi, très reconnaissable- prises depuis les immeubles adjacents. J'exigeai sur le champ le départ des journalistes et photographes présents alentours, sur les toits ou dans les maisons; sinon, nous ouvririons le feu sur tout individu surpris à photographier. j'avais été très ferme et notre exigence fut à l'instant satisfaite.

Nous étions toujours en contact avec le gouvernement japonais, qui me fit successivement savoir que l'avion avait décollé, avec les officiels japonais à son bord; qu'il était arrivé à Singapour, puis qu'il partait pour Koweït.

Nous en étions au troisième jour d'occupation. je suivais le déroulement de l'affaire par les agences de presse, dans les journaux et grâce au bureau local de l'OLP, à son directeur notamment. Je sus donc vite que toutes les informations transmises par les gouvernements japonais et Koweiti étaient véridiques : l'avion japonais était arrivé au Koweït avec, à son bord, des officiels de Singapour et du Japon et, bien sûr, nos héros. Les Koweitis m'interrogèrent alors sur nos intentions. Je leur dis que j'allais me rendre à l'aéroport, accompagné du premier secrétaire, pour y constater la présence de nos camarades. S'il m'arrivait quoi que ce soit, mon commando tuerait l'ambassadeur et les otages.

Une fois assuré de la présence des héros, nous nous rendrions, tout le commando plus l'ambassadeur du Japon, dans l'avion et indiquerions alors notre destination.

Les Koweiti refusèrent de nous laisser emmener l'ambassadeur, exigeant qu'il soit libéré avec les autres otages; après quoi nous serions libres de partir. Je refusai catégoriquement et maintint ma position. Le représentant local de l'OLP eut beau tenter une médiation et me donner des assurances, je restai ferme.

Un nouveau contact avec les Koweiti m'apprit qu'une délégation du FPLP arrivait pour superviser les étapes finales de l'opération et éventuellement garantir notre sortie du Koweït.

Les deux cadres du FPLP furent bientôt là c'était deux amis de longue date. L'un d'entre eux arriva et nous le fîmes entrer dans l'ambassade. Après nous avoir entendus exposer la situation, il nous dit que le Front avait décidé de relâcher les otages, tous les objectifs de la mission étant atteints. -"Le commandement te félicite de ton éclatant succès, malgré l'absence de notre délégué au départ de l'opération. Nous partirons quelques heures après la libération des otages". Je ris et répondis qu'il n'en était pas question. -"Le commandement a fait preuve de beaucoup de négligence à notre égard. Nous avons su prendre nos responsabilités et sommes sur le point de conclure l'opération. Je refuse, dans ces conditions, que le commandement se mêle de l'affaire. Nous sommes très capables de terminer sans eux et je ne me plierai à aucune décision concernant notre départ, surtout pas si elle concerne notre sécurité. Nous n'avons que faire des petits jeux politiques; le commandement est paisiblement à Beyrouth, ne comprend rien à la situation et ne sait rien des étapes de la négociation; il tire sa science de la lecture des journaux . Notre victoire nous donne le droit de décider par nous-mêmes. Nous avons mené l'affaire de bout en bout et nous la conclurons à notre idée. C'est notre décision collective".

Dans ces conditions, le cadre du FPLP ne pouvait que se taire et transmettre nos exigences aux Koweitis. Il téléphona aussi à la direction du FPLP à Beyrouth, pour rendre compte.

Peu après, je reçus un appel d'un haut dirigeant du Front, depuis Beyrouth. Il souhaitait savoir ma position; je lui expliquai que jusqu'à notre arrivée dans l'avion, notre sécurité était enjeu. Après, nous pourrions libérer l'ambassadeur. Ce dirigeant admit mon point de vue et dit : -"Faites comme vous l'entendez. Cette opération est la vôtre; menez-la comme bon vous semble. Ainsi s'acheva le seul et unique entretien avec notre commandement en trois jours et deux nuits passés dans l'ambassade.

A la manière dont j'insistais pour m'entourer de toutes les garanties nécessaires jusqu'à notre arrivée dans l'avion, les officiels Koweitis réalisèrent que ma position était inébranlable.

Restait un problème important pour les Koweitis : celui de notre armement. Nous devions le rendre, selon eux, en quittant l'ambassade. Refus catégorique de notre part. Deux points n'étaient tout simplement pas négociables :conserver nos armes et garder l'ambassadeur, le tout jusqu'à ce que nous soyons à bord de l'avion.

Le ministre de l'intérieur m'appela à nouveau, se prévalant de l'amabilité de nos échanges pour me proposer une solution : il se constituait notre prisonnier, et nous relâchions l'ambassadeur avec les autres otages. Cela me fit bien rire et il me dit: -"Je vois que vous êtes de joyeuse humeur" Je lui répondis : -"Je suis toujours heureux de bavarder avec un homme qui sait apprécier les révolutionnaires mais, comme prisonnier, je préfère le ministre des affaires étrangères. Il sera mon otage et accompagnera à l'aéroport notre commando en armes. Voilà qui devrait convenir tant au gouvernement Koweiti qu'à vous-mêmes. J'accepte donc votre offre, mais échange l'intérieur contre les affaires étrangères!".

Il tenta de discuter mais je lui dis que c'était là notre décision ultime. Il me demanda alors quelques instants pour convaincre son collègue, dont la vie serait en péril si les choses tournaient mal.

Trente minutes plus tard, cheikh " Saad" m'informait de l'accord de son gouvernement.

Nous fîmes alors nos adieux aux otages, un par un; ils nous remerciaient de nos bonnes manières quand le téléphone sonna: monsieur " Tanaka" me prévenait que le ministre japonais des affaires étrangères voulait parler au chef du commando. Celui-ci me remercia de l'issue pacifique de l'affaire et me dit que l'avion était à l'aéroport de Koweït, les officiels à son bord et prêt à aller où nous souhaitions. Il ajouta que son gouvernement allait prendre des mesures en faveur de la cause palestinienne. Il voulait également être sûr que nous libérerions le ministre Koweiti dès notre installation dans l'avion. Je le rassurai et pris congé.

"Tanaka" parlait correctement l'arabe, avec un fort accent japonais. Pendant les adieux, le ministre Koweiti des Affaires Etrangères était arrivé à l'ambassade. Je pris place dans sa voiture personnelle et nous gagnâmes l'aéroport, mes camarades suivant à bord d'une seconde voiture. Arrivés à l'avion sans encombre, avec nos armes, nous avons fait nos adieux au ministre, et avons retrouvé ceux que notre action avait sauvés. Je tombai dans les bras de " Ghaleb"; très préoccupé du sort de notre commando, il remercia Dieu de nous voir sains et saufs.

Cheikh "Saad" essaya encore de me rencontrer, sous le prétexte de me remercier, je refusai et lui adressai mes salutations. Après délibération, j'annonçai que nous souhaitions aller soit à Bagdad, soit au Yémen Démocratique. Attitude nouvelle, le gouvernement irakien refusa de nous accueillir. Les algériens nous offrirent l'hospitalité; je refusai mais leur fit tenir un télégramme de remerciements, envoyé de l'avion. Nous prîmes alors la direction du Yémen patrie des révolutionnaires, des nationalistes et des combattants de l'honneur.

Nous fûmes accueillis à l'aéroport par des officiels d'Aden qui nous félicitèrent d'avoir fait céder l'une des grandes puissances impérialistes. Nous leur avons alors donné des détails sur notre action, notamment le rôle de votre serviteur, l'Arménien, dans toute cette affaire ...et bien d'autres opérations encore!

La délégations Yéménite et les officiels japonais présents dans l'avion profitèrent de l'occasion pour se rencontrer. Nous eûmes ensemble un entretien politique et cet épisode ouvrit de nouvelles perspectives de dialogue entre ces deux pays.

Plus tard, j'appris que les journaux avaient publié mon portrait, dessiné par l'un des otages. J'en obtins une copie, grâce à l'un de mes proches...

Troisième Partie : LES DEBUTS DE L'ASALA; SES PREMIÈRES OPÉRATIONS

Ma rencontre avec "X" me décida à lancer l'action révolutionnaire arménienne. Avec lui, je pouvais aller au fond du problème : c'était le seul activiste du Dachnag à n'avoir aucune illusion sur ses chefs, une bande de mercantis de voleurs et d'agents doubles, selon lui. Mais ce parti contrôlait toutes les institutions communautaires et les nationalistes n'avaient d'autre choix que de militer dans ses rangs. "X" se battait pour convaincre les jeunes révolutionnaires de cette réalité.

J'éprouvais beaucoup de sympathie pour X qui, dans nos conversations, abordait toujours les problèmes en termes de morale; un attitude bien rare chez les politiciens Arméniens.

Je lui révélai comment je comptais lancer la lutte, quels moyens je pensais mettre en oeuvre; mon programme politique et surtout -point sur lequel j'avais beaucoup réfléchi- mon plan d'action militaire. Je lui décrivis nos futures cibles, nommai ceux qui agiraient en ma compagnie. En accord avec lui, je devais d'abord rencontrer à Beyrouth un dirigeant du Dachnag signalé par l'un de mes amis personnels : réputé révolutionnaire et nationaliste, il était susceptible d'aider un mouvement de lutte armée.

" X" et moi même avons également fait le tour de nos sympathisants. L'un de ceux ci, un ami, me remit une enveloppe et me dit: -" J'espère que tu ne sera pas trop déçu : c'est tout ce que je peux te donner, mais ainsi, j'aurai pris part à votre action". Ces trois cents dollars me permirent de partir pour Beyrouth, où je rencontrai " V. E." et lui relatai mes discussions avec "X". Nous décidâmes de nous partager les tâches : à lui la propagande politique et les communiqués d'opérations, à moi l'action militaire. Avant d'aller plus loin nous avons, le 11 novembre 1974, comme convenu avec "X" , rencontré un des dirigeants du Dachnag, un dénommé " H" dans son magasin de Beyrouth. Après m'être présenté, je lui dis : -"Je viens vous demander votre aide. Nous sommes un groupe de jeunes décidés à lutter pour leur pays, jusqu'à la mort si nécessaire". Interloqué, l'homme bafouilla et finit par dire: "Mon fils, la cause Arménienne est quasiment perdue. La conjoncture internationale rend votre projet impraticable : le monde entier s'y opposerait. Ne soyons pas suicidaires, sachons attendre et ne demandons pas l'impossible". J'ajoutai alors : -"Bavarder n'est pas la solution; donner son avis n'est pas non plus la solution. Rester assis et attendre n'aide en rien la cause Arménienne. Notre peuple ne récupérera pas sa patrie en faisant des pétitions ou des discours : elle est occupée et le restera tant que vous croupirez dans votre boutique, l'emblème d'un parti impuissant à la boutonnière. Cela n'aide en réalité que les turcs et légitime leur occupation. Vous trompez le peuple Arménien et le conduisez dans une impasse. Et qu'est-ce que cette histoire de situation internationale ? Quel rapport avec notre décision révolutionnaire de nous battre ? Si nous nous passons de la permission des grandes puissances et agissons dans le secret, comment nous détruiront-ils ? Nous sommes décidés à ramener notre peuple dans sa patrie. Ce pays est à nous, cette cause est notre cause; cette terre est la nôtre et nous la libérerons par nos propres forces. Quelle puissance au monde peut nous freiner si nous nous passons de son assistance ? Sortez-donc de votre échoppe : ce ne sont pas des marchandises que vous vendez, mais votre cause, votre patrie, votre terre. Vous vous abusez vous-mêmes : moi, pas. Je vous demande de m'aider. S'il y a de vrais nationalistes et de vrais révolutionnaires au Dachnag, ils doivent se battre à nos côtés, pour l'Arménie.

L'homme me répondit -" Votre nationalisme, votre patriotisme me font chaud au coeur, mais le Dachnag a ses objectifs propres; et nous pensons que le problème Arménien ne se résoudra que lorsque la conjoncture internationale tournera en notre faveur". Je lui demandai : -" Que faites vous pour cela ?" -"Rien", dit-il "Nous aidons simplement notre peuple à survivre entre ses écoles et ses églises" -" Ce n'est pas suffisant" répondis-je "Toutes ces institutions Arméniennes ont plus besoin d'une nation que d'un parti; faire revivre l'esprit révolutionnaire dans notre communauté et ramener la cause Arménienne au premier plan de la scène internationale, voilà votre rôle". Il dit alors: -"Mon fils le problème Arménien est insondable comme l'océan ... Ecoute-moi et fais preuve de sagesse; dissuade tes camarades de cette aventure, pense à ton avenir, marie-toi et ai des enfants ...le problème Arménien est vraiment complexe, tu sais...".

J'explosai : -" Vous, les Dachnags, n'êtes que des imposteurs. Vous vous bornez à lancer des circulaires et des appels à la mendicité, et ce pour vous bâtir vos châteaux ! Honte à vous!. Il me répondit: -"Mon fils, je suis désolé mais ma famille m'attend. je suis très heureux d'avoir fait ta connaissance et suis fier de ton nationalisme. Tous les jeunes qui t'entourent partagent, j'en suis sûr, tes idéaux, ton ambition et ton sens des responsabilités. Tes paroles m'ont émues; j'y ai retrouvé nos souffrances mais aussi un espoir nouveau ... Tu as raison, mon fils rien n'est si majestueux que notre patrie. Je t'approuve : nos partis sont responsables d'une bonne partie de nos malheurs. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est bien de leur faute. Tu m'as rendu l'espoir: reviens me voir et discutons à nouveau de tout cela.

Je lui serrai la main et lui dit: -" Souvenez vous : bientôt nos partis, notre peuple, nos ennemis et l'opinion internationale entendrons parler de notre petit groupe ...  " N'oubliez pas mon visage, monsieur " H" ...". Celui-ci me dit: - " Je n'ai pas retenu ton nom ?" En riant, je lui rétorquai : -"Quelle importance? Ca n'est pas celui des papiers que j'ai sur moi, en tout cas ... Mes précautions sont prises ! " Il me raccompagna, me répéta que je lui avais mis du baume au coeur et me serra dans ses bras.

J'avais perdu l'espoir d'obtenir quelque assistance que ce soit du Dachnag, de ses représentants ou de ses élus. je relatai cette rencontre à "V. E." qui confirma que nous n'avions rien à attendre de tels politicards et ne devions compter que sur nous-mêmes.

Je décidai alors d'une première attaque sur le " Conseil mondial des églises", qui conspirait en effet avec les Etats-Unis et le Dachnag pour faire émigrer des jeunes Arméniens du Proche-orient et des pays socialistes vers l'Amérique, et y créer une " Arménie" concurrente de l' "Arménie soviétique". Une cellule secrète fit alors sauter une bombe dans les bureaux du Conseil et notre premier communiqué fut signé du nom de Kourken Yanikian, ce vieillard aux cheveux blancs qui avait tiré la première balle de notre guerre de libération et enthousiasmé tous les Arméniens.

Nous connaissions par coeur tous les détails de son entreprise. Avant de passer à l'acte, il avait rencontré la direction du Dachnag au Liban, pour les pousser à agir. Ils restèrent totalement indifférents et Yanikian se persuada de leur inutilité pour la cause Arménienne. Il ne révéla son plan à personne, testa la combativité de ces partis et conclut qu'ils n'étaient que des instruments des occidentaux. En Arménie soviétique, ses projets révolutionnaires ne recueillirent pas plus d'intérêt. Revenu à Los Angeles, il prit sa décision ... La responsabilité première des révolutionnaires était de lancer la lutte pour libérer notre terre de l'emprise turque.

1973 est ainsi l'année du début de la révolution Arménienne. Si Yanikian n'avait pas décidé, alors, de lui-même, de passer à l'acte, nous n'aurions pu prendre notre décision à la fin de 1974.

La façon dont il conçut son opération, son emprisonnement, la négligence dont nos partis firent preuve durant toute l'affaire, laissant ce vieillard seul face à la répression fasciste turque et américaine, tout cela nous donna une bonne leçon : ces partis et leurs dirigeants ne soutiendraient en aucun cas la révolution Arménienne. Forts de cette conviction, nous décidâmes de nous tenir, à tout prix, à l'écart de leur influence.

Je retournai, par acquis de conscience, voir "H", le dirigeant du Dachnag de Beyrouth : aucun résultat. je décidai donc ne faire désormais confiance qu'à nous-mêmes et aux révolutionnaires Arméniens.

Nous avons alors monté une seconde opération, contre les bureaux de Beyrouth de Turkish Airlines, cette fois; la bombe éclata dans les mains du démineur de l'armée libanaise : il y perdit quelques doigts et fut blessé au visage. Les médias commençaient à nous citer et les ambassades à s'informer auprès de leurs agents Arméniens sur ce groupe "Prisonnier Kourken Yanikian".

A l'époque, c'est "V. E." qui tapait nos communiqués, et sa machine à écrire a une histoire. Nous avions du vendre 400 livres libanaises un lance-roquettes RPG-7 pour pouvoir nous la payer. Le marchand, Arménien, me demanda quel serait son usage; -"pour une nouvelle école Arménienne au Koweït", lui répondis-je. Il me prit alors pour un Dachnag et commença à me conter ses exploits militants, à grand renfort de vantardise et de narcissisme.
Pouvait-il comprendre que nous avions du puiser dans notre maigre arsenal pour acheter cette indispensable machine, tout cela par la faute de politiciens indifférents ?

Notons qu'au début de notre entreprise révolutionnaire, nous ne comptions, tant dans le domaine militaire que politique, que sur nos propres forces; nous n'avions pas le sou, pas même de quoi couvrir les frais d'intendance et de déplacement. Notre seul capital était notre loyauté et notre foi en la cause Arménienne. Ce manque d'argent était quand même un sérieux handicap : il nous interdisait de verser une indemnité aux familles de nos combattants. De ce fait, nous n'avons pu recruter nombre de jeunes gens, qui demandaient a ce que leurs proches soient défrayés.

"V. A." m'assurant que ce problème finirait par nous handicaper, nous avons donc approché certains Arméniens pour leur expliquer notre situation. Soumis aux pressions des partis, ils nous donnèrent une réponse négative. C'est pourquoi je me résolus à laisser un ami emprunter de l'argent.

A la fin février [1975, N.D.T.], un Arabe me présenta à un dénommé " H. B." , un Arménien spécialisé dans la contrefaçon des pièces d'identité et des billets de banque. Je le harcelai pour qu'il se mette au service de notre cause et il accepta finalement de nous rejoindre. Cependant, nous avions trouvé le moyen de monter et d'exécuter une opération importante.

Notre troisième action détruisit complètement le bureau de Beyrouth de Turkish Airlines... La presse internationale commençait à parler de l'Asala et de Yanikian : cela amena un regain d'attention des grands médias qui suivaient désormais de plus près l'affaire Arménienne.

Beyrouth était notre base politique, en attendant que nous avions une base militaire. C'était la capitale des Mouvements de Libération, Arabes, surtout. Dans notre cas, la sympathie et le dévouement des Arméniens libanais jouait un rôle déterminant. Ils étaient, et de loin, la communauté la plus nationaliste et la plus patriotique de la diaspora et nous n'oublions pas que notre peuple constituait notre aimée de réserve. Beyrouth était également le centre de nombreux nationalismes et mouvements populaires du Moyen-orient, à qui nous pouvions ainsi sans difficulté présenter notre cause. Il nous serait enfin possible de gagner l'Arménie occupée à partir du Liban, situé au coeur du monde arabe, et d'y frapper l'Etat fasciste turc.

Tout cela nous poussa à faire du Liban notre base et à nous appuyer sur les masses Arméniennes implantées localement. Là était le foyer de notre révolution, d'où nous mènerions notre guerre de libération contre cette force impérialiste régionale qu'est le fascisme turc.

Quatrième Partie PREMIERS CONTACTS INTERNATIONAUX; L'ASALA, L'ITALIE, LE FATAH

Une Invitation décevante

Vers le milieu de 1976, l'Asala reçut une invitation secrète d'un pays arabe, et une délégation de son commandement s'y rendit en visite. Une organisation palestinienne nous avait transmis le souhait de ce pays de nous rencontrer. Le commandement de l'Asala réfléchit à cette invitation et décida de l'accepter. Je repris donc contact avec nos amis Palestiniens et leur demandai de notifier notre accord à ce pays, que j'appellerai " A " [vraisemblablement l'Irak, par le truchement d'Abou Nidal N.D.T.]; on nous informa bientôt que cette invitation était désormais officielle, quoique tenue secrète. Nous avons accepté ces conditions et fixé une date; la délégation se composait du camarade " K" et de moi-même et la visite devait durer une semaine.

Réception chaleureuse, hôtel luxueux : la première rencontre officielle était prévue pour le soir même. A 7 heures, on nous conduisit au lieu du rendez-vous; là se trouvaient une personnalité officielle de premier plan, ainsi qu'un proche du président, l'un de ses confidents nous dit-on plus tard.

Nos premiers échanges portèrent sur les aspects politiques de notre cause, et de son illustration devant les instances internationales. Nos interlocuteurs nous dirent leur profond intérêt pour le combat de l'Asala et leur respect pour ses combattants. Ils s'intéressaient aussi à nos positions dans certains domaines de la politique internationale; l'Union soviétique et l'Arménie soviétique, par exemple.

A leur tour, ils nous expliquèrent leurs orientations dans ces mêmes domaines, surtout leur analyse de la crise qui déchirait le monde arabe et la résistance palestinienne. Nous avons discuté un long moment du rôle de l'Union soviétique et des pays socialistes dans les conflits internationaux, et enfin des activités des mouvements Arméniens dans leur pays, et de leur prudence vis-à-vis de notre cause.

Nos interlocuteurs se déclarèrent prêts à soutenir la cause Arménienne et à nous permettre d'agir secrètement à partir de leur pays, et soulignèrent la nécessité d'un combat commun contre le fascisme turc, le sionisme et l'impérialisme américain.

Puis nous avons décidé d'un commun accord de nous revoir le lendemain; nous avons profité d'une voiture et de guides mis à notre disposition pour visiter différents sites, mais aussi des usines et des centres industriels.

Le lendemain, le dirigeant politique de "A " nous demanda :-"Quel financement mensuel faudrait-il envisager pour que vous frappiez les cibles qui nous intéressent? Nous savons que vous êtes les meilleurs pour traquer les agents de l'impérialisme; nous sommes prêts à vous aider militairement et financièrement, à vous alimenter en renseignement et à vous permettre de travailler sans restrictions dans notre pays".

Surpris par cette offre plutôt scabreuse, je me tournai vers " K" et vis qu'il souhaitait que je réponde. Je dis alors : -"Monsieur, nous représentons ici une communauté déportée. l'appui que vous apporteriez à notre cause, ainsi que votre soutien politique, nous intéressent : la lutte des peuples est une et indivisible et, solidaire des opprimés, le vôtre saisira mieux la nécessité de l'unité contre l'ennemi commun. Mais nous n'envisageons pas la chose en fonction du montant d'une enveloppe. L'aspect financier du problème est, pour nous, parfaitement secondaire et lié au développement de la coopération entre nos deux peuples. Sans votre appui politique, votre offre nous intéresse peu : notre peuple est l'un des plus riche au monde et notre existence dépend surtout de lui. Nous souhaitons réfléchir à cette conversation et souhaitons renvoyer à plus tard les questions de coopération et d'aide. Mais sachez que vos positions publiques en faveur de notre cause sont pour nous l'essentiel.

Mes paroles avaient troublé notre interlocuteur. Le camarade "K" continua: -"Votre soutien politique à notre cause et celui des Arméniens à la cause arabe sont d'égale importance : c'est seulement de cette façon que l'union des peuples pourra se faire.

Sur ce nos hôtes prirent congé, invoquant un rendez-vous, mais dirent leur souhait de nous revoir le lendemain.

Le camarade "K" et moi-même avons longuement discuté à l'hôtel de cet intérêt suspect des Arabes à l'égard de notre mouvement et de notre cause; nous avons décidé, par prudence de refuser la discussion sur les points que nous estimions secondaires.

Nous souhaitions leur faire comprendre que nous représentions un peuple en lutte; que nous étions décidés à remettre le dossier Arménien à l'ordre du jour des instances internationales et qu'il nous fallait pour cela l'appui de leur pays.

Le dirigeant de "A" débuta la réunion suivante en disant: -"Notre gouvernement, vous le savez, n'est pas sans relations politiques et diplomatiques : nous ne demandons qu'à nous en servir. Nous ne voyons donc aucun inconvénient à soutenir votre cause mais le moment venu, quand elle aura reçu les appuis politiques internationaux nécessaires. Revenons donc là dessus plus tard, quand votre cause sera au coeur de l'actualité. Mais, en attendant, jour après jour, l'impérialisme et la réaction marquent des points et c'est sur ce front là que nous devons développer notre coopération. Nous déciderons de la suite en fonction des évolutions politiques et militaires.

Je lui demandai quelle coopération concrète il envisageait. -"Les opposants à notre régime" dit-il avivent en Europe ou en d'autres lieux où vous saurez les retrouver et les liquider, en tant qu'agents de l'impérialisme".

Je protestai qu'il s'agissait là de problèmes internes à leur pays, dont nous n'envisagions pas une seconde de nous mêler -"Nous ne voyons pas d'objection à coopérer avec vous contre l'impérialisme américain en tant qu'ennemi principal; contre le fascisme turc oppresseur séculaire des Arabes et aujourd'hui instrument des conspirations américaines". Bref, nous étions disposés à coopérer contre nos ennemis communs, mais refusions énergiquement de frapper pour leur compte dans des pays sans aucuns liens avec l'affaire Arménienne ou l'impérialisme international.

Rendez-vous pris pour dans deux mois, nous avons exprimé notre souhait de regagner Beyrouth par le premier avion. Quelques heures plus tard, nous avions quitté ce pays avec la pire des impressions sur son régime : nous avions compris leurs véritables intentions à l'égard des mouvements révolutionnaires et des peuples opprimés.

Notre dignité révolutionnaire et notre inébranlable fidélité à notre cause ne nous permettaient pas d'entretenir quelque rapport que ce soit avec des régimes considérant les combattants révolutionnaires comme des inférieurs et des mercenaires, rendant ainsi un signalé service à l'impérialisme international.

Alek Yenikomchian à Rome

Sur sa demande, nous nous sommes rendus, le camarade "M" et moi-même, au bureau de Salah Khalaf ["Abou Iyad" haut dignitaire du Fatah et de l'OLP, chargé du renseignement, N.D.T.] . Après quelques mots de bienvenue, où il compara la lutte des Palestiniens et des Arméniens, il nous félicita d'avoir su rendre si rapidement vie et notoriété internationale à notre cause, malgré des difficultés sans nombre. Il évoqua ensuite l'actualité arabe et aborda enfin l'objet de notre rencontre.

Il voulut d'abord savoir si "Abou Hicham" nous avait contacté. Ce n'était pas le cas. Il dit alors que le gouvernement italien, désireux de restaurer la sécurité sur son territoire, avait demandé au Fatah de nous faire connaître sa sympathie pour la cause Arménienne et son voeu que nous cessions nos attentats en Italie. "Abou Iyad", quant à lui, souhaitait que nous apportions une réponse positive, soulignant tout le profit que nous pourrions tirer d'une bonne entente avec les Italiens, sur le plan de la propagande, par exemple.

Je demanda alors à "Abou Iyad" quelles étaient précisément les propositions et les exigences italiennes, puis lui rappelai que nous savions mieux que personne où se trouvait notre intérêt, et l'utilité pour nous de tel ou tel pays, l'Italie ne faisant pas exception.
Il nous répondit qu'il n'était pas allé avec les Italiens au fond de l'affaire : le ministre italien de l'intérieur souhaitant qu' "Aboul Hol" [Hayyel Abdul Hamid, un des dirigeants de la centrale de renseignement du Fatah, N.D.T.] serve d'intermédiaire. Informé, "Abou Ammar" (Yasser Arafat) souhaitait notre bonne volonté, au profit des causes Palestinienne et Arménienne. Il conclut en nous demandant de réfléchir à tout cela, et de contacter " Aboul Hol" pour plus de détails. Avant de nous quitter, nous avons convenu d'un rendez-vous avec " Abou Ammar" et "Abou Hicham".

Vu l'étroitesse des relations entre le gouvernement italien et le Fatah, nous sentions bien tout ce que l'affaire avait de délicat.

Le lendemain, "Abou Hicharn" nous expliqua complètement l'affaire. Je remarquai qu' "Abou Iyad" n'était ni très bien informé, ni très clair. Riant, " Abou Hicham" dit: -"Abou Iyad" tire sa science d' "Abou Ammar" ; il a pris contact avec vous pour prouver son influence et l'étendue de ses relations avec les Italiens. Non; seul " Aboul Hol" est à l'origine de l'affaire; "Abou Iyad" ne sait que ce qu' " Abou Ammar" lui a dit".

Les propositions italiennes étaient les suivantes

1°) Arrêt des attentats de l'Asala sur le sol italien,

2°) Contact permanent entre l'Asala et les forces de sécurité italiennes.

3°) connaître nos propres requêtes.

"Abou Hicham" nous conseilla de tirer profit de cette opportunité : les italiens étaient prêts à nous verser un million de dollars en cas d'agrément. Laissant l'argent de côté, nous lui avons demandé de recueillir plus de précisions auprès d' "Aboul Hol" ; il nous promit de nous les fournir dès le lendemain.

Accompagné de Monte Melkonian, cette fois, je revis donc "Abou Hicham". Lui-même était avec "Aboul Hol"; l'ambiance était chaleureuse.

Ce dernier nous dit: -"Nous étions sûrs que vous accepteriez cette proposition. C'était le point de vue d' "Abou Ammar" et d' " Abou Iyad" et nous vous en sommes très reconnaissants".

Surpris, je répondis : -"Camarade, votre information est incorrecte; nous n'avons en aucun cas accepté les demandes italiennes. Nous ne nous prononçons pas pour l'instant, dans l'attente de plus de détails. Nous ne saurions enfin vous donner tout de suite notre accord : la question doit être étudiée par notre commandement. Donc, pour l'instant, nous attendons ces précisions pour les transmettre à notre direction."

"Aboul Hol" jeta un regard abasourdi à "Abou Hicham" et ajouta : -" Il y a une semaine, le ministre dé l'Intérieur et le chef des services italiens m'ont invité à les rencontrer confidentiellement et m'ont dit leur désir de négocier avec vous. Leur situation politique les oblige à mettre fin aux attentats contre des cibles turques ou italiennes. Ils savent nos relations et souhaitent que je les aide à passer un pacte avec vous".

"Camarade "Aboul Hol" répliquai-je "Le gouvernement italien est-il prêt à signer un document officiel de soutien à notre cause, exigeant la restitution aux Arméniens des terres spoliées par la Turquie ?"

Il répondit qu'il voulait bien poser la question et proposa une réunion avec les italiens. N'ayant nulle confiance dans ce pays, membre à part entière de la coalition impérialiste et préparant sans doute un coup fourré contre l'Asala, nous avons refusé. Néanmoins, rien ne pressant vraiment, nous aurions aimé en savoir plus et avoir une réponse à nos demandes. "Abou Hicham" promit de nous la donner et dit : -" Les exigences des italiens sont les suivantes : cessez tout attentat en Italie, contre les cibles turques aussi bien qu'italiennes". Je répondis que les bien turcs continueraient d'être attaqués en Italie comme dans le reste du monde et que si le gouvernement italien voulait vraiment que tout cela cesse à l'instant, il n'avait qu'à rompre toute relation avec les turcs et fermer leurs établissements.

"Aboul Hol" et "Abou Hicham" répliquèrent : -" Dans un premier temps, pourquoi ne pas cesser les attentats visant des biens italiens, et établir une liaison avec leurs services?". Monte Melkonian et moi-même avons accepté de transmettre cette proposition à notre commandement. Le moment venu, notre réaction et nos demandes transiteraient par "Aboul Hol".

Un groupe de travail de huit cadre politiques et militaires, présidé par moi-même, fut alors créé pour analyser en détail les propositions italiennes et faire un projet des demandes que nous leur présenterions. Cela fut fait, et transmis à notre commandement, une semaine plus tard. Les deux idées - force de notre étude étaient :

- Ne pas tomber dans le piège du gouvernement italien,
- nous méfier des médiateurs Palestiniens.

Après réflexion, Monte Melkonian, le camarade "M" et moi-même furent choisis par le commandement pour poursuivre les négociations. On nous donna pour instruction de refuser tout contact avec des italiens. Nos exigences, que les Palestiniens transmettraient, étaient les suivantes

1°) Fermeture des bureaux italiens de l' "ANCHA", ce "Comité national américain d'aide aux Arméniens sans foyer" qui pousse les Arméniens à émigrer aux Etats-Unis,

2°) Parution en Italie d'un journal Arménien, à financement communautaire,

3°) Autorisation d'un cercle Arménien, ayant toute liberté d'action,

4°) Liberté pour les Arméniens d'Italie de militer et de publier,

5°) Aucun traité Italien nouveau avec la Turquie,

6°) Reconnaître la cause Arménienne, lors de circonstances favorables,

7°) Soutenir la cause Arménienne devant les instances internationales,

Simultanément, nous présentions deux points de discussion possibles

1°) les attentats contre les seules cibles italiennes,

2°) des relations politiques, quand l'Italie aurait officiellement reconnu la cause Arménienne.

Les Palestiniens acceptèrent tout cela sans objection, lors d'une réunion où étaient présents " Abou Ammar", " Abou Hicham" et Zacharie Baalouch, d'une part; un cadre important de notre mouvement et moi-même, de l'autre.

Seul point d'accroche : la cessation des attentats sur les seules cibles italiennes . Une dispute éclata sur ce point entre les Palestiniens et nous, si bien que je finis par demander à "Abou Ammar" : -" Pourquoi tant insister sur l'arrêt de toutes les opérations ? Qui représentez-vous, ici ? La Résistance palestinienne, ou les intérêts italiens ?" Voyant les proportions que prenait la querelle, ce dernier s'empressa de dire : -" La cause palestinienne, évidemment. Mais en tant que médiateurs, nous nous devons de prendre en compte les intérêts palestiniens et Arméniens tout à la fois, mais, d'évidence, la décision finale vous revient".

Nous les avons donc priés de transmettre notre offre aux Italiens et de recueillir leur réponse; également de bien vouloir exprimer leur sentiment sans nous chercher noise.

" Abou Ammar" répondit : -" Au nom de nos deux causes, je vous demande instamment d'être positifs et de suspendre pour six mois vos opérations en Italie, en raison de ma prochaine visite à Rome. Nous sommes informés que les Américains ont recommencé récemment à comploter contre vous et nous. Si nous réussissons à faire avancer cette affaire, nous prouverons notre bonne volonté aux Italiens et créerons ainsi les liens plus forts entre nous trois. Mon souhait personnel est que vous acceptiez de rencontrer la délégation italienne spécialement venue à Beyrouth pour vous voir. En tant que médiateurs, nous sommes comptables à la fois de la Palestine, de l'Arménie et de l'Italie. Nous comprenons vos réserves, mais faites nous confiance : si les Italiens tentent quoi que ce soit contre vous, nous saurons leur en faire passer l'envie. Vous vous devez de garder des atouts dans votre jeu, mais sachez aussi faire preuve de souplesse".

Nous nous sommes séparés deux heures plus tard, après avoir convenu d'un rendez-vous pour le lendemain.

Nous avons alors ajouté une condition aux précédentes. Libéré depuis quelques mois de sa prison suisse, le camarade Alek Yenikomchian était de retour à Beyrouth. Nous avons donc demandé à " Abou Ammar", comme preuve de la bonne volonté italienne, qu'ils lui soignent les yeux, à titre d'acte humanitaire. Cela créerait une atmosphère de confiance, et permettrait d'envisager des suites plus constructives.

Le lendemain, le bureau d' "Abou Ammar" nous informa de l'accord immédiat des autorités italiennes. Moins d'une semaine plus tard, Alek partait pour l'Italie, accompagné d'un de ses parents. Il fut reçu avec chaleur et soigné dans un hôpital des plus modernes. Durant ses dix jours de séjour, le gouvernement italien sut sauvegarder le secret de sa présence. Revenu à Beyrouth, Alek nous dit que le médecin chef de l'hôpital lui avait révélé que sa cécité provenait de négligences intentionnelles des médecins suisses et que sa vue était définitivement perdue. Le médecin italien lui avait exprimé sa surprise devant la conduite d'un gouvernement soi-disant respectueux des valeurs humanistes. "Mes yeux sont la terre d'Arménie" avait répondu Alek "et je vois grâce à elle". Il était par ailleurs informé de la négociation avec les italiens et de la médiation des officiels du Fatah.

Deux semaines après son retour, alors que les négociations continuaient, éclata une nouvelle imprévue : " Abou Iyad" révéla à un journal italien que le commandement du Fatah avait conduit une négociation entre le gouvernement italien et l'Asala, qui renonçait à tout attentat en Italie.

Dédaignant ces bavardages, nous avons alors publié un communiqué affirmant que nous n'avions jamais rencontré le moindre Italien, que les autorités de ce pays nous avaient fait des propositions par le canal des Palestiniens, mais que rien n'était conclu.

En fait, les Palestiniens nous avaient transmis l'invitation de venir négocier directement en Italie. Mais l'irresponsabilité d' "Abou Iyad" avaient réduit à néant tout espoir de conclure l'affaire : trois jours plus tard, le 8 août 1981, nous frappions une cible italienne à Paris.

Immédiatement après, des conseillers d'"Abou Ammar" nous informèrent qu' " Abou Iyad" n'avait fait ces déclarations que par égoïsme; ce n'était pas la première fois, selon eux, que sa légèreté et sa vénalité portaient tort à des mouvements de libération. Ils ajoutèrent qu' " Abou Iyad" complotait sans doute contre Arafat.

Mais nous avions déjà décidé de mettre fin à la négociation italienne par Palestiniens interposés, voyant derrière tout cela des motivations peu claires.

Nous avons alors commencé à déceler un accord entre l'OLP et les turcs, et avons rompu tout contact avec ces Palestiniens opportunistes.

Peu après, la motivation réelle des chefs du Fatah dans cette affaire nous apparut clairement. Selon des sources fiables, ils avaient passé un accord avec les Italiens, pour notre compte et à notre insu, et ceux-ci leur avaient promis des sommes considérables.

Cinquième Partie : FRAGMENTS DIVERS

Garabed Pachabezian

(Ci-dessous, un fragment des mémoires du martyr Hagopian : il y raconte sa première rencontre avec le martyr Garabed Pachabezian, lâchement assassiné le 12 mars 1983 à son domicile de Beyrouth.)

Ma première rencontre avec Garabed fut organisée par Alek Yenikomchian. J'avais étudié son rapport et lui demandai si, à son avis, Garabed ferait un bon orateur politique. Il me répondit: -"Il parle beaucoup, c'est vrai, mais ce qu'il dit est souvent juste". J'ai donc accepté de rencontrer Pachabezian. Je le vois encore entrant dans mon bureau : d'un certain âge mais vif, plutôt corpulent, il était coiffé d'un béret; il me fit tout de suite bonne impression.

J'entamai avec lui un échange serré: "Nous sommes très fiers de vous, oncle Pachabezian.

C'est pour des gens de votre trempe que nous nous sommes engagés, et que nous sommes prêts au sacrifice pour le peuple Arménien".
Nous nous sommes embrassés, et il répondit: -"J'ai depuis toujours l'intime conviction que la tragédie Arménienne s'achèvera un jour, qu'une force révolutionnaire jaillira de notre peuple et redonnera vie à notre cause. Et comment ne pas admirer qu'aujourd'hui, sept ans après le début de votre engagement pour la libération de l'Arménie, vous intensifiez encore votre lutte ! ".
Il poursuivit: -"Je suis à votre totale disposition, prêt à faire tout ce que vous me demanderez sans hésitation, que ce soit dans le domaine militaire, politique ou de la propagande. Je suis à votre service : mon expérience, mes connaissances, mes biens sont à vous".

J'étais plein d'admiration : à son âge, être si attaché à notre cause, alors que tant de politicards souillent notre communauté et se vautrent devant des puissances étrangères ! Ecouter Pachabezian puiser dans sa longue expérience politique me rapprochait encore plus de lui. Nous avons longtemps parlé du complot de 1958 au Liban et du rôle des chefs Arméniens dans cette affaire : certains avaient été formés par les services secrets américains. Il évoquait avec une grande amertume ces tristes jours de 1958; il en avait les larmes aux yeux. Ce combattant d'une étonnante jeunesse portait en lui les douleurs de son peuple. Il savait tout des chefs arméniens, qu'ils soient communistes ou Dachnag, et me les dépeignait en détail, éclairant ma lanterne sur leurs petites combines, m'apprenant qui était à la solde de quel pays.

Je relatai les grandes lignes de cette première conversation -qui dura quatre heures- à Alek. Nous avons alors soigneusement noté les propos de Pachabezian, lors de cette rencontre et des suivantes, et en avons transmis la substance au commandement suprême, qui convint de la justesse des analyses de celui-ci. Dans ce rapport, j'avais noté en détails les noms et les faits donnés par notre ami, et pus confirmer personnellement tout ce qu'avait déclaré le combattant Garabed Pachabezian.

Charles Villeneuve à Beyrouth
(Ci-dessous le fragment où le martyr Hagopian relate sa rencontre avec le journaliste français d'Europe 1 Charles Villeneuve. Pendant la guerre du Liban, ce dernier s'est rendu au Quartier - général de l'Asala et y a rencontré Hagopian, Yenikomchian, Melkonian, Mourad Armenian ainsi que le martyr Levon Ekmedjian, pendu récemment par le gouvernement turc.)

Après mûre réflexion, nous avons accepté de recevoir le journaliste français Charles Villeneuve dans une base militaire de l'Asala, à Beyrouth, ville où se trouvait ce dernier pour observer l'offensive barbare des Israéliens contre les peuples libanais et palestiniens. Sur ordre du centre, le camarade Alek Yenikomchian devait accueillir Villeneuve au centre militaire où j'allais ensuite le rencontrer.

Je fus obligé de retarder l'heure du rendez-vous, du fait de contraintes imprévues. Le camarade Yenikomchian m'ayant demandé de tout faire pour être présent, je finis par arriver, en retard d'une demi-heure, au centre où Villeneuve et Alek m'attendaient. Le français regardait le camarade Yenikomchian, qui avait perdu la vue et la main gauche au cours d'une opération. Alek lui parlait avec calme et assurance, lui fournissait les explications nécessaires. Pendant ce temps, à l'extérieur, le bombardement israélien se déchaînait.

Afin que je conserve secrète mon apparence physique, les lumières avaient été éteintes dans la pièce du rendez-vous. Une cordiale poignée de main précéda nos échanges; il m'observait intensément, tentant de distinguer mes traits.

Le réalisme et l'intelligence de ses questions me firent vite comprendre que Villeneuve était un homme d'une grande expérience militaire et politique, qui connaissait bien les luttes populaires, notamment palestinienne et arabe. je le sentis intéressé par la révolution palestinienne, mais convaincu qu'elle échouerait, ce qui serait un drame pour tous les peuples opprimés.

Villeneuve voulait se persuader que jamais les dirigeants Palestiniens n'accepteraient de quitter Beyrouth, ne laisseraient à aucun prix la ville tomber aux mains des armées sionistes impérialistes.

Je lui demandai si, à sa connaissance, la Résistance palestinienne avait pris la décision de quitter Beyrouth. je notai alors la sympathie de ce journaliste pour les révolutionnaires et les combattants : on le sentait proche de ceux Arabes, Arméniens, Kurdes qui, comme tous les autres peuples, ne demandaient qu'à vivre libres sur le sol de leur patrie.

Son émotion, sa peine me le faisaient ressentir. Sinon, comment expliquer sa présence en cet endroit de mort et de destruction, au milieu du fracas des bombes et des obus ? Parmi nous, enregistrant et photographiant, Villeneuve témoignait à la face du monde du martyre des peuples palestinien, libanais, Arménien et kurde.

Sincère et honnête, Villeneuve l'était assurément. Mais quand on m'eut appris qu'il avait laissé en France sa femme et sa petite fille pour affronter tous ces dangers, et que sa mère était Arménienne, le camarade Yenikomchian et moi-même avons décidé de le voir plus souvent et de tout faire pour que son travail humaniste d'information soit facilité.

Je dis toujours que Villeneuve était un journaliste différent, l'un des plus remarquables que je connaisse. Lors de nos entretiens, qui ont eu pour moi une grande importance, je l'ai étudié de près (j'aborderai ce point à un autre moment).

Ayant accepté de l'aider, nous avons estimé qu'en retour il pourrait consacrer un livre au peuple Arménien et à notre cause. Villeneuve possédait les connaissances politiques, militaires, techniques et humaines nécessaires à une telle tâche, et la volonté de faire connaître la vérité à l'opinion internationale.

Lors de notre seconde rencontre, je me préoccupai de sa sécurité et pris des mesures pour qu'il revienne sain et sauf à sa famille : il vivait en effet la triste vie des combattants de Beyrouth l'héroïque.

Villeneuve visita nos bases et les zones d'implantation de nos forces armées. Il rencontra aussi nos combattants. Une nuit, alors que nous étions tranquillement assis, regardant la mer, je lui dis soudain : -" Voyez-vous ce jeune homme ?" Villeneuve lui serra la main "Voyez la détermination sur son visage, et souhaitez lui bonne chance. Sous peu le fascisme turc, le sionisme et l'impérialisme mondial seront surpris par notre organisation et notre volonté révolutionnaire". En effet, ce jeune militant partait en Turquie rejoindre le commando - suicide Haïrig Krimian, pour y accomplir l'opération " Garin".

Juste avant le départ de Villeneuve, nous avons eu un dernier rendez-vous, d'environ quatre heures. Nous lui avons souhaité bonne route, espérant le revoir pour notre projet de livre. L'idée de nous quitter avait l'air de l'attrister.
Il préparait un prochain rendez-vous et nous avons bavardé devant du café et du thé servis à l'Arménienne. Je lui souhaitai bon voyage et bon retour.

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