La Chute de la maison Hagop

INTRODUCTION

L'Asala sur -et contre- elle-même

Extraordinaires documents que ceux qui suivent: Rêvons : tel une vulgaire secte gauchiste, l'un des groupes terroristes proche-orientaux les plus meurtriers (voir p.99), allié du Fatah-Commandement Révolutionnaire d'Abou Nidal et de l'Armée Rouge Japonaise, vit une scission; les deux tendances se "balancent" par la suite l'une l'autre, à grand renfort de communiqués, rapports, brochures, etc.

Rêvons: son chef, Minas Ohanessian, plus connu sous son nom de guerre de "Hagop Hagopian", formé à l'école de Wadi Haddad et de son Commandement des Opérations Spéciales à l'Etranger (COSE/FPLP) entreprend d'écrire ses mémoires, et les publie dans son bulletin intérieur.

Le fruit d'une imagination débordante ? Non. La réalité : le dossier que nous publions ci-après.

Retrouver, rassembler les documents publiés dans des bulletins clandestins ou confidentiels; des notes circulant dans des cercles restreints de la communauté arménienne, le plus souvent à Beyrouth, a déjà été difficile.

Mais ces textes étaient écrits pour partie en Arménien, parfois en Anglais, quelques fragments en Français et... en Turc. Il a fallu faire traduire les premiers, et restaurer les autres, un épouvantable charabia provenant d'originaux arabes, arméniens ou iraniens, selon l'origine de leurs auteurs dans la diaspora. Il a fallu enfin homogénéiser les noms des individus et des lieux; créer titres et sous-titres manquants pour ordonner les textes : au total, un énorme travail.

Nous avons limité les notes au strict minimum pour laisser ces textes parler d'eux-mêmes : le choix de documents est tel que la question qui se pose au lecteur dans une page trouvera sa réponse dans un passage ultérieur. Trois points méritent cependant d'être abordés, avant lecture du dossier lui-même.

La communauté arménienne du Liban

Elle comptait ±200 000 personnes en 1975, au début de la guerre civile; en grande partie arrivées entre 1915 et 1922, suite aux déportations massives des turcs. Depuis, jusqu'en 1988, près de 30 000 Arméniens ont fui le pays.

Ceux qui restent vivent pour la plupart dans le canton chrétien, à Beyrouth-est, dans les quartiers de Bourj Hammoud et de Senn el-Fil. Il reste 6 à 7000 Arméniens à Beyrouth-ouest; la communauté est également implantée dans la vallée de la Bekaa, notamment dans la ville d'Anjar.

85% des Arméniens du Liban sont orthodoxes (Eglise apostolique arménienne; catholicat à Antélias ville du canton chrétien). Le reste se partage entre catholiques et protestants.

Au plan politique, la communauté se divise entre quatre partis : le Dachnag (social-démocrate très pâle, pro occidental) quasi-hégémonique au Liban; le Hentchag (à l'origine, plus radical que le Dachnag désormais lui aussi socialisant), le Ramgavar (libéral et conservateur), largement minoritaires; enfin, le Parti communiste. Plus, bien sûr, les sympathisants de l'Asala.

Il existe au Liban trois quotidiens, plusieurs magazines et quatre stations de radio en Arménien.

Les "mémoires " de Hagopian

Elles nous font penser au célèbre couteau sans lame auquel il manque le manche, de Lichtenberg : il s'agit en effet bien plus d'un cocktail de menaces voilées assorties de chantage, que de mémoires; et " Hagop Hagopian" est plutôt une marque, au sens publicitaire, un masque servant à Minas Ohanessian (qui utilise aussi "Moujahid" et "Mirhan Mirhanian" à (occasion), qu'un individu de chair et d'os.

Malgré tout, ces "mémoires" sont passionnantes : même en tentant de nous manipuler, de fane passer des messages ou de régler des comptes à coup d'allusions codées, des individus comme "Hagopian" nous en apprennent beaucoup sur eux-mêmes, sur leurs groupes. Trois temps forts dans son récit.

- La prise en otage de l'ambassade du Japon à Koweït - l'unique fois, à ma connaissance- où l'un des cadres du COSE/FPLP décrit de l'intérieur une "opération spéciale",

- La tentative de recrutement de l'Asala par des officiels d'un pays arabe, à des fins purement intérieures,

- L'amorce de négociations avec l'Italie par Fatah interposé.
Ces trois passages, pour qui a connu de tels épisodes, sonnent vrai. Ils éclairent d'un jour neuf le rôle du terrorisme dans le contexte politique du proche-orient.

La crise de juillet 1983

Les choses se sont passées ainsi, semble-t-il.

Monte Melkonian et ses amis, futurs dirigeants de l'éphémère "Asala-Mouvement Révolutionnaire" étaient sans doute informés qu'une opération de type "Orly 1983" (Bombe à l'aéroport le 15 juillet: 9 morts, 60 blessés) se préparait et l'avaient par avance désapprouvée; une crise couvait de toute façon dans l'organisation depuis l'automne 1982 A la minutie où la nouvelle de l'attentat parvient au Liban, Melkonian, Davidian, Ananian et Vartanian passent à l'action et tentent un putsch alors qu' "Hagopian" est occupé par sa campagne d'attentats en France. Cible: 1e coeur du dispositif Asala au Liban, son camp militaire situé non loin d'Anjar, dans la Bekaa. Là se trouvent les stocks d'armes, les documents, les réserves de passeports, etc. Sans oublier les militants en formation ou à l'entraînement.

Le 15 juillet, dans l'après-midi, David Davidian tue Vicken Aivazian, un des trois lieutenants de "Hagopian" ; le 16 au matin, c'est le tour du second, Khatchig Havarian. Davidian essaie de persuader les militants du camp d'adopter leur ligne et de les suivre: échec. Les militants s'égaillent Rappelons que le troisième lieutenant, Varoujan Garbidjian, est en France et organise la campagne d'attentats "Orly".

Le 16, une heure après l'assassinat de Havarian, Monte Melkonian arrive au camp. Le soir même, constatant leur échec, il décide de se réfugier avec Davidian et Vartanian dans le camp voisin d'un mouvement marxiste-léniniste kurde de Turquie, " Kurtulus" . Ils reviennent au camp arménien le 17 au matin, pillent armes, passeports, etc. et les donnent en partie aux kurdes. Ceux-ci hébergent Melkonian et Davidian le 17 au soir et le 18, puis les font passer à Baalbek. De là ils gagnent Tripoli, au nord du pays, où le Fatah, bien implanté à (époque, les exfiltre vers Chypre.

Moins chanceux, Ananian et Vartanian errent entre Anjar et Damas et sont arrêtés le 26 juillet par des fidèles de Hagop. Torturés, ils sont exécutés le 10 août suivant. Au lendemain de leur capture, 14n aveux permettent aux miliciens d'Abou Nidal d'arrêter 9 militants et cadis de "Kurtulus" certains sont ultérieurement exécutés pour "intelligence avec les SR turcs". Xavier Raufer

Traductions de l' Arménien et du Turc : mille mercis à G. K.

Traduction de l'Anglais et "restauration" de l'ensemble : Xavier Raufer et François Haut.

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