Se cacher, ce n'est pas se cacher de tous les regards, ça peut
aller d'un changement d'identité à l'isolement total en passant
par le déguisement.
La clandestinité n'est pas un lieu hermétique, cloisonné,
totalement à part, dans lequel on entre par une porte. La clandestinité
n'est pas un espace isolé d'un autre espace légal. La clandestinité
n'est pas un lieu, elle est un comportement ou un ensemble de comportements
et à ce titre elle associe un certain nombre d'actes obligatoires,
des habitudes et un état d'esprit.
La clandestinité n'est pas régie par des lois mais plutôt
par des règles. Ce ne sont pas les clandestins qui érigent
ces règles mais la pression du milieu extérieur hostile.
Ces règles ne peuvent être transgressées, la sanction
dans ce cas est la mort ou la capture. En ce sens, la clandestinité
est un cul-de-sac, c'est vaincre ou mourir.
Alors qu'il est possible de vivre dans la société dont
on est issu de façon relativement passive, ses règles et
lois étant finalement peu contraignantes, il n'en est pas de même
de la clandestinité qui est un état actif. Le clandestin
ne vit pas, il survit, il évolue dans un milieu toujours hostile,
il est le résultat d'une sévère sélection naturelle.
C'est le niveau de vigilance qui distingue le citoyen normal du clandestin.
Le citoyen normal a à faire face à un certain nombre de dangers
en fonction de son activité. La vigilance d'un pilote de formule
1 en course n'est pas la même que celle d'une vieille dame qui tricote
dans une maison de retraite. Mais leurs problèmes sont finalement
assez semblables car les dangers les menacent impersonnellement, ils risquent
des accidents qui sont le fruit d'un concours de circonstances. La vigilance
du clandestin n'est pas que quantitativement supérieur, elle est
également qualitativement différente car le danger qui le
guette est un danger actif, délibérément dirigé
contre lui ; il y a envers lui une volonté de lui nuire qui le cherche
activement et qui recherche toute trace qu'il pourrait laisser.
Le comportement du clandestin comporte donc une inflation de toutes
les mesures de vigilance, de celles concernant les dangers de la vie courante
(comme tout citoyen), et surtout du repérage de tout concours de
circonstances suspect, d'être intentionnellement dirigé contre
lui. Tout étranger du groupe devient suspect et le sujet exerce
sur lui-même une attention permanente, propre à dépister
toute trace qui le révèlerait aux autres. Le plus grand ennemi
du clandestin est donc lui-même, toute erreur peut lui être
fatale.
Les clandestins dont nous parlons ne sont pas des individus isolés,
il est important de noter qu'ils forment toujours une micro-société,
un groupe.
Le groupe est important, il est la condition d'existence. C'est d'un
phénomène de groupe que part, que se fabrique la clandestinité
et c'est par lui qu'elle se perpétue. Le clandestin qui se sent
isolé va chercher à rejoindre un groupe, celui qui sent son
groupe se restreindre va chercher à élargir son groupe par
le recrutement ou par l'agrégation à un autre groupe.
Grâce au groupe, le clandestin va pouvoir relâcher sa vigilance,
se mettre en repos ; grâce au groupe, le clandestin sait qu'il ne
devient pas fou, car c'est là qu'il va pouvoir se livrer à
tous les échanges "culturels" indispensables à l'équilibre
et à l'épanouissement de tout humain, aussi indispensable
que sa nourriture et son repos.
Ces caractères de la clandestinité : hypervigilance en
milieu hostile et existence groupale, induit de profondes modifications
des comportements qu'il nous faut maintenant définir, conceptualiser,
modéliser.