L'action de vaincre un ennemi fantasmatique (et lorsque nous lisons les textes des terroristes, il n'y a pas d'autres mots pour qualifier leur ennemi), ou de tendre vers un but idéaliste, doit nous convaincre de chercher au delà de l'aspect contingent du phénomène terrorisme, les raisons de ces comportements déviants et aberrants. Le concept de clandestinité, plus universel et qui englobe celui de terrorisme, peut-il nous aider à avancer.
Prenons le risque d'annoncer quelques truismes pour commencer.
Deux concepts : "ce qui se cache" et "ce qui est illégal",
fusionnent dans le mot clandestinité ; est clandestin celui qui
se cache parce qu'il est dans l'illégalité. C'est donc en
opposition à une loi que se situe le clandestin, il n'est pas de
clandestin en tant que tel mais qu'en opposition à une société
puisque la loi, qu'elle soit implicite ou explicite, coutumière,
écrite ou non, est l'acte fondateur d'une société.
Il n'y a pas de société sans loi ni de loi sans société.
Le clandestin n'est donc pas défini par son isolement mais par son
opposition. Le moine, l'ermite, l'anachorète, le sadou, ne sont
pas des clandestins, ils ne sont pas en opposition mais en renoncement
de la société. Pour eux la société est annulée,
ils s'isolent pour l'oublier.
Le clandestin ne saurait être un solitaire, un isolé.
Ses rapports avec la société sont complexes et en particulier
il existe des communications énergétiques, logistiques et
informationnelles.
Le fait d'être illégal ne signifie pas obligatoirement
être asocial ou antisocial. Un groupe légalement persécuté
passe dans la clandestinité pour échapper aux persécutions,
ce groupe peut très bien n'avoir en soi, dans sa doctrine fondatrice,
rien qui soit contraire à la morale de la société
qui le persécute.
A l'opposé, un individu ou un groupe peut être contraint
à la clandestinité à cause de ses actions antisociales,
dans le but d'échapper à la sanction de la loi.
La clandestinité est un phénomène réversible
dans la mesure uniquement, ou qu'elle qu'en soit la raison, la loi qui
la détermine est abrogée.
Il ressort de toutes ces évidences que la clandestinité
est un phénomène social, dynamique, actif et même interactif.
La clandestinité n'étant pas le propre d'une idéologie
et n'étant pas onologiquement du côté du mal, elle
englobe des phénomènes multiples dont certains sont assez
éloignés du terrorisme. Pour ne pas trop nous éloigner
de ce sujet, essayons de distinguer des sous classes.
1 - Une clandestinité dont les membres ne visent qu'à
survivre, à se perpétuer en faisant des adeptes et à
perpétrer ou non des actions illégales. Ceux-ci ne cherchent
pas à modifier d'une façon ou d'une autre la loi qui les
condamne. On peut trouver dans cette catégorie tous ceux qui jouissent
du plaisir de l'interdit et de la transgression. Citons par exemple ceux
qui se livrent à des débauches sexuelles illicites, aux messes
noires, aux consommations de toxiques interdits, mais aussi ceux qui se
livrent à des trafics, etc…
2 - Une clandestinité dont les membres ne visent pas à
l'anéantissement de qui les condamne, mais qui se manifeste par
des actions spectaculaires contre la société. Ces actions
doivent être spectaculaires et émotionnellement puissantes
car elles ont pour but de susciter dans l'opinion des réactions
de mobilisation de soutien, ou de peu pour provoquer un renversement de
tendance.
Ce type de clandestin peut être et est souvent terroriste, ce
sont les groupes de libérations de territoires occupés ou
de personnes emprisonnées, qui agissent sur leur territoire ou sur
celui de ceux qu'ils considèrent comme leur occupant ou comme soutien
ou complice de leur occupation.
3 - Des clandestins dont la raison d'être est de viser au renversement
de l'autorité, de la loi et parfois même de façon plus
radicale encore de la morale qui les condamne et qui détient le
pouvoir.
C'est le fait des conspirateurs, des comploteurs, des putchistes, des
révolutionnaires, des terroristes.
C'est cette catégorie qui nous retiendra plus particulièrement
pour la raison essentielle que dans celle-ci, le facteur clandestinité
et le facteur idéologie sont liés de façon beaucoup
plus structurelle, plus complexe que celui d'une simple coïncidence
ou coexistence ou contiguité.
Ces trois aspects de la clandestinité en fonction de ce qui
la détermine ne changent pas grand chose au concept lui-même
qui semble toujours aussi uniforme par sa définition. Mais si nous
avons opéré cette distinction c'est pour montrer l'aspect
très particulier de la clandestinité des communistes combattants,
aspect que nous avons appelé liaison structurelle entre idéologie
et clandestinité ; c'est ce qui avait été dit autrement
un peu plus haut dans la citation de X. Raufer en ces termes : "déjà
exilé de l'intérieur, le plus grand risque du terroriste
est de se couper de plus du monde extérieur, de perdre totalement
contact avec la réalité".
Tentons donc d'avancer un peu plus que ce que nous propose la définition
et voyons dans les faits la réalité que recouvre la clandestinité.