Dépasser le concept de terrorisme

Dans "Terrorisme et Violence", X. Raufer nous enjoint à dépasser le concept de terrorisme (p. 30) :
"Il faut donc dépasser le concept même de terrorisme. Il n'est pas bon en effet de créer une catégorie homogène, le terrorisme, à partir d'un critère unique, l'usage de la violence pour obtenir un avantage politique. L'utilisation d'un terme générique, pour désigner une réalité mouvante, multiforme, contradictoire, glisse dans l'esprit du public, dans les analyses des médias, dans les raisonnements de ceux qui sont chargés de combattre le terrorisme, l'idée triplement fausse que tous les terrorismes ne font qu'un, représentent un péril égal, et relèvent d'une répression uniforme".
Il nous engage à remonter en amont de l'acte à la recherche d'une problématique cachée. Dans le même ouvrage, un peu avant, il disait :
"Ce qu'il (le terroriste) ne veut pas voir, qu'il refoule, c'est que l'action au service d'une cause lui donne avant tout l'occasion de se recréer, de se régénérer. Le terroriste est aussi, le plus souvent un sectaire, recherchant à travers la chaleur d'un groupe restreint et clos, à travers l'absolu d'une croyance un état d'équilibre, un confort mental qui, auparavant, lui échappaient. Déjà exilé de l'intérieur, son plus grand risque est de se couper de plus en plus du monde extérieur, de perdre totalement contact avec la réalité."

Dépasser le concept du terrorisme, celui de clandestinité devrait nous permettre de le faire.
La lecture de certains documents en particulier de certaines confessions venant des terroristes eux-mêmes, nous incite aussi à rechercher d'autres voies, à aborder le problème autrement que dans la réalité spectaculaire ; voici deux exemples tirés de deux terroristes allemandes : Bommi Baumann : "Un jour, j'avais commencé à faire des actions terroristes depuis quelques temps déjà, je me regarde dans la glace et je me vois, les cheveux courts, en cravate, avec un costume : ça fait dix ans que je lutte pour avoir les cheveux longs, pour me ballader, mal habillé, et faire ce qui me plaît, or je me retrouve comme les autres parce que je suis les autres. Autrement dit, c'est une logique qui t'expulse de ta volonté anti-autoritaire, te fait devenir un soldat et au bout d'un moment un soldat révolutionnaire ressemble à un soldat tout court."
Le stade du miroir est ici particulièrement dévastateur, le sujet se rend compte qu'en voulant changer le monde, il n'est parvenu qu'à se changer lui-même, en surface mais aussi en profondeur. S'il n'est pas certain de vivre assez vieux pour voir son rêve se réaliser, il a du moins dans cet instant, sous les yeux, la réalisation sur lui-même de tout ce qu'il réprouve et combat, c'est le seul résultat tangible.

Dans tous les cas de figure, le terroriste est perdant ; en admettant que son but est atteint, que deviendra-t-il ?, c'est la question que se pose Bernward Vesper (Le Voyage, 1981, XR p 178).
"Admettons que les contradictions soient résolues, la révolution mondiale victorieuse, la faim éliminée, l'isolement de l'individu supprimé, les besoins de milliards d'humains satisfaits, leur créativité rétablie, la joie, l'amour réalisés, l'empire de la liberté fardé tout autour du globe terrestre et sur les étoiles lointaines désormais colonisées, ne resterait-il pas cette question : pourquoi ?".
Ce n'est pas le fait du hasard ni celui de la dépression si l'auteur de ces lignes s'est suicidé, c'est qu'il a parcouru par la pensée tout le chemin de l'action, il s'est rendu compte que l'intérêt de ce chemin n'était pas dans le but qu'il permettait d'atteindre mais dans l'action même du cheminement. Sa pensée le met en face d'un vide immense qui ne peut être comblé que par le néant de la mort.
Je dirai que ces deux témoignages montrent le visage du héros tel que la tradition le décrit dans la lutte du chevalier contre le monstre. Dans la Bhagavad-Gîtal, le dragon touché à mort par le héros, se retourner vers lui étonné et lui dit : "Pourquoi m'as-tu tué, c'est toi que tu viens de tuer à l'instant."
Cette phrase résume et illustre ces deux regards cités, le "stade du miroir", à savoir : comment l'action nous fait ressembler à ce que nous combattons et le "stade du néant", à savoir que l'action n'a d'autre justification qu'elle même car s'il n'y a plus d'action au delà de l'action, il n'y a plus rien du tout. L'acteur ne sert pas une cause contrairement à ce qu'il croit (et ce que nous croyons), il n'est pas dans un processus de relation de cause à effet. L'essence de l'acteur est d'agir et en dehors de l'action il n'a plus d'existence.


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