2°) La forteresse criminelle brésilienne

« Si tu vas à Rio / n'oublie pas de monter
là haut / dans un petit village / caché sous
les fleurs sauvages / sur le versant d'un coteau».

[Dario Moreno, 1958]

1°) Narco-terreur à Rio

Rio de Janeiro et Sao Paulo, les deux métropoles de ce géant de l'Amérique Latine qu'est le Brésil, sont aujourd'hui sous la coupe brutale de véritables armées criminelles ; armées qui sont désormais les sous-traitants et exportateurs majeurs des « cartelitos » colombiens.

Une exportation de stupéfiants qui se fait toujours plus vers l'Europe.
En avril 2003, Rio de Janeiro (ci-après, Rio) vit de véritables scènes de guérilla : embuscades visant les forces de l'ordre, bombes contre les bâtiments officiels, les centres commerciaux, les transports en commun, etc. Plusieurs policiers sont tués. Pourquoi ? Le « Commando rouge » (Comando Vermelho, ou CV ; nous décrivons plus loin cette entité criminelle) proteste contre les conditions de détention de 34 de ses cadres à la prison de Bangu I, proche de Rio. Le « Commando rouge » s'élève aussi contre la détention depuis février d'un de ses chefs historiques,« Fernandinho Beira Mar », (sur lui aussi, des précisions ci-après), à la prison de haute sécurité « Presidente Bernardes » à 600 km. à l'ouest de Rio.

Ce n'est pas la première fois : en février 2003, Rio a déjà connu une campagne narco-terroriste du CV, jute avant le célèbre carnaval de Rio : barrages routiers ; automobilistes agressés et dépouillés ; autobus incendiés au cocktail-Molotov ; mitraillage et pillage de centres commerciaux. Une opération qui débordait des bidonvilles de la seconde mégapole du Brésil sur les quartiers chics du sud de la ville : Ipanema, Copacabana, Leme et Botafogo. Au total, 42 véhicules incendiés, dont 33 autobus. Finalement, l'armée occupe en mars 2003 les favelas de Rio : l'« opération Guanabara » mobilise 3 000 hommes et des blindés, simplement pour que le Carnaval se tienne en paix. Cependant, le nombre d'assassinats y augmente de 20 % par rapport à 2002 : 7 policiers y sont assassinés en 10 jours.

Dans les décombres, un tract signé CVRL - Comando Vermelho - Rogerio Lemgruber (un chef incarcéré du CV) s'indigne de la « répugnante politique répressive de la police », notamment contre « Fernandinho Beira Mar » et menace : « Tant que nous ne serons pas traités avec respect, nous ne cesserons de provoquer le chaos en ville ».

Notons au passage la dimension politique de l'opération terroriste, au lendemain de l'élection de « Lula » Da Silva comme président du Brésil, et dont la campagne s'est faite sur le thème de la « tolérance zéro ». Un thème opportun : des sondages unanimes annonçant que la sécurité était le problème N°1 pour 60 % des électeurs brésiliens...

A l'automne 2002 déjà, donc juste au début de la campagne présidentielle, Rio avait connu une phase de narco-terrorisme : commerces fermés par centaines sur ordre du CV, tirs sur les commissariats et patrouilles de police, jets de grenade dans les centres commerciaux, etc. - toujours les mêmes et pour le même motif.

2°) L'Etat brésilien, faible et corrompu

Brésil : quelques données criminelles

· Chez les 15/24 ans, le taux d'homicide est de 87/100 000, le second du continent dans cette tranche d'âge après celui de la Colombie,

· Il existe au Brésil un millier de sociétés de sécurité privée, employant 1,5 million de vigiles, pour un chiffre d'affaires annuel d'environ 1,8 milliard de dollars US,

· Chaque année, 380 000 véhicules sont volés, soit 21% de la production brésilienne.

En l'an 2000, une commission officielle du Congrès brésilien a publié un rapport de 1 198 pages sur le crime organisé et le trafic de stupéfiants au Brésil, selon lequel la police du pays etait souvent corrompue jusque dans ses commets et souvent méprisée par la population. On trouvait notamment dans le rapport, nommément désignés, une litanie de maires, magistrats, commissaires de police liés au crime organisé. Etaient également mis en cause deux gouverneurs d'Etats, deux députés fédéraux, et 15 députés d'Etats fédérés. Détail affreux : une vingtaine des fonctionnaires honnêtes ayant déposé sous serment pour ce rapport ont ensuite été assassinés. Et ce ne sont pas les derniers - au seul mois de mars 2003, deux magistrats sont encore assassinés :

· Le 14 mars, Antonio Machado Dias, 47 ans, chargé de l'application des peines concernant les membres détenus du Premier Commando de la Capitale, à Sao Paulo.

· Le 24 mars, Alexandre Martins de Castro, 32 ans, membre de la mission spéciale de lutte contre le crime organisé de l'Etat d'Espirito Santo. Un Etat (capitale : Vitoria) typique du chaos criminel brésilien, dominé qu'il est par une alliance occulte entre gangs, escadrons de la mort, sociétés de sécurité privées, politiciens et officiels corrompus.

3°) Favelas : le contrôle criminel

Les favelas sont ces bidonvilles à flanc de colline, typiques du site escarpé de Rio de Janeiro. Dans cette ville d'environ 6 millions d'habitants, 1 million vit en squatter dans les 600 favelas qui occupent 1/3 de l'agglomération. A Rio, les bidonvilles les plus importants sont : Complexo Alemao, Maré, Nova Holanda, Zona Norte, Rocinha (de 120 à 160 000 habitants, le plus grand du continent), Cidade de Deus, Pavao-Pavaozinho. En 2002, on a compté à Rio 39 homicides pour 100 000 habitants. La même année et toujours à Rio, 30 policiers ont été assassinés tous les mois...

Des enquêtes récentes des ONG anglo-saxonnes, montrent que les favelas sont devenues les fiefs du crime organisé : « The favelas serve as the perfect fortress for organized crime... cocaïne and marijuana are sold openly, and groups of men with guns roam the streets at night ».

Dans les favelas, un garçon sur quatre (entre 10 et 19 ans) appartient à un gang. La principale cause de décès des 10/19 ans est d'ailleurs la mort par arme à feu. Sur toute cette tranche d'âge, 7 % des jeunes hommes sont des gangsters « à plein temps » avec salaire (de 150 à 250 dollars US par mois, plus une arme de poing), prestations sociales - et assurance-vie versée à la famille en cas de décès.

Selon les estimations policières, il passe chaque mois par les favelas de Rio de 3 à 4 tonnes de cocaïne, de 7 à 8 t. de marijuana ; 20 % de cette drogue est consommé sur place et 80% exporté l'Europe ou vers l'Amérique du nord.

Intimidation, torture, assassinats : dans les favelas, les gangs décident des jours & heures d'ouverture des commerces, des écoles et des dancings (« Bailes Funk ») ; d'où et comment la construction se fait ; ils contrôlent qui entre et sort du bidonville. Sur place, les radios locales touchent des « subventions » des gangsters, pour diffuser chaque jour des rap brésiliens à la gloire du « Comando Vermelho » ou de son héros « Fernandinho Beira Mar ». Lorsqu'un de leurs chefs est tué, les gangsters ordonnent le deuil : cérémonies, magasins fermés - y compris même les locaux universitaires !

Les gangs ont aussi leurs propres tribunaux et cimetières clandestins pour les victimes de leur « justice » - par exemple, des journalistes ayant dénoncé la mainmise des gangsters sur les favelas. En mai 2001, un tel cimetière fut ainsi découvert à Rio : il contenait 50 cadavres. La méthode est efficace : les favelas sont les seules zones du Brésil où il n'y ait jamais de braquages...

Sur le plan social, les gangs subventionnent les écoles de samba, les associations locales (squatters, par exemple), les terrains de sport, les soupes populaires, les crèches et les transports collectifs par minibus, les festivals de musique et les médicaments. Ils laissent les travailleurs sociaux opérer, à condition, sous peine de mort bien sûr, qu'ils déguerpissent au crépuscule, ne prennent aucune photo et ne posent nulle question touchant à la drogue.

4°) Le Brésil comme scène criminelle

Les gangs brésiliens sont devenus en peu d'années de véritables armées criminelles. Et leur évolution collective s'inspire toujours plus du fort efficace « modèle » camorriste : une scène criminelle virulente et quasi-indestructible, dans laquelle évoluent de façon chaotique des gangs hyperactifs à cycle de vie plutôt court (si on le compare à la stabilité et à la permanence des familles mafieuses siciliennes).

· Origine des gangs

Dans les dernières années de la dictature militaire (1978-85), militants révolutionnaires et guérilleros sont incarcérés avec une centaine de futurs cadres et chefs de la 1ère génération des gangs brésiliens. Il s'ensuit une hybridation (au moins intellectuelle) qui donne au milieu criminel brésilien son typique style gauchiste. Mais attention : même s'il clame son « identité rouge » et diffuse des tracts dénonçant l'Etat policier, le « Comando Vermelho » est bien d'une entité à 100 % criminelle, voué au racket et aux trafics d'armes et de stupéfiants.

Comme d'usage, les Diafoirus locaux de la sociologie et autres agitateurs marxistes ont aggravé la situation, en imposant durant deux décennies la vulgate selon laquelle la misère suscite le crime et que la solution du problème ne pouvait être que sociale.

· Nature des gangs

« Assurant la paix publique » et « dispensant la justice » dans leurs fiefs, prélevant sur le commerce licite un impôt criminel, disposant même de centraux téléphoniques clandestins, les très disciplinés gangs territoriaux du Brésil sont désormais de facto un pouvoir parallèle. En 2003, cette armée criminelle compte, rien qu'à Rio, 11 000 « soldats ». L'activité criminelle de ces gangs est multiple : le négoce de stupéfiants bien sûr, mais aussi les enlèvements contre rançon, les vols à main armée, etc. Selon la police fédérale, le chiffre d'affaires des seuls gangs de Rio serait de 8 millions d'Euros par mois...

Dans leurs fiefs, les « Seigneurs de la drogue » comme « Fernandinho Beira Mar », José Marcio Felicio « Geleiao », ou « Elias Maluco » (voir plus bas), ont l'image de Robin des Bois et de bienfaiteurs publics. Ces grands chefs contrôlent des réseaux criminels continentaux, implantés au Surinam, en Colombie, en Bolivie et au Paraguay. Ils ont des liens haut placés dans la société brésilienne, notamment chez des officiels corrompus et complices.

· Sao Paulo et le « Premier Commando de la Capitale » (PCC)

Sao Paulo est la plus grande agglomération de toute l'Amérique latine. A l'origine, le « Primeiro Comando da Capital » (PCC) est un gang de prison, fondé en 1992 au pénitencier de Carandiru (le plus grand du continent) après une mutinerie. Depuis lors, le PCC a conquis la majorité des bidonvilles de la ville et y multiplie les affrontements ainsi que les exécutions sommaires. Son principal dirigeant connu (et incarcéré) est José Marcio Felicio « Geleiao ».

En février 2001, le PCC a fomenté une insurrection massive dans 29 prisons de l'Etat de Sao Paulo : 27 000 mutins, 10 000 otages (gardiens et visiteurs des établissements soulevés). En octobre 2002, le PCC a voulu faire sauter la Bourse de Sao Paulo, la bombe (30 kilos d'explosif militaire) n'étant découverte qu'au dernier moment.

Le principal rival du PCC à Sao Paulo est le « Commando Criminel Révolutionnaire brésilien » (toujours le style gauchiste).

· Rio de Janeiro et le « Commando Rouge »

Le Comando Vermelho est fondé en 1979 au pénitencier d'Ilha Grande ; durant la première partie des années 80, c'est un street gang voué au braquage. Le CV se transforme ensuite en narco-gang, quand la « culture de la cocaïne » gagne les favelas ; une transformation achevée au début des années 90. Aujourd'hui, le CV, dont le fief principal est la Favela da Grota, contrôle 60 % du marché de la cocaïne à Rio et dans la province attenante. Le principal dirigeant identifié du CV est Elias Pereira Da Silva (36 ans) dit « Elias Maluco » (Elias le fou).

Les principaux concurrents du CV à Rio sont deux gangs nommés « Amigos dos Amigos » et « Terceiro Comando », ce dernier est dirigé par une autre figure criminelle brésilienne, Celso Luis Rodrigues « Celsinho ».

· Luis Fernando Da Costa, « Fernandinho Beira Mar » (P'tit Fernand du Bord de mer)

De tous les criminels du Brésil, le plus célèbre est Luis Fernando Da Costa dit « Fernandinho Beira Mar «, ou FBM. Un surnom qu'il tient de la favela dont il est issu, Beira Mar (dans la baie de Guanabara), bidonville de 4 000 habitants de la ville de Duque de Caxiao, dans la banlieue nord de Rio.

Ce petit bonhomme d'allure innocente débute comme petit gangster urbain mais s'impose dès la fin des années 80 comme l'un des chefs du Comando Vermelho, avec un don particulier pour le négoce de cocaïne. Arrêté en 1996, il s'échappe et gagne la ville paraguayenne de Pedro Juan Caballero, d'où il anime un énorme trafic triangulaire cocaïne - armes de guerre - dollars, avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et des militaires corrompus de l'ex-bloc de l'Est. Sur place, cette opération associe des narcos, des « exportateurs » libanais, et des trafiquants d'armes. Jusqu'en 2000, la cocaïne part vers le Moyen-Orient, puis l'Europe, dans des avions militaires gros-porteurs, par tonnes voire par dizaines de tonnes. Des quantités équivalentes d'armes de guerre sont en retour livrées au brésil, en Colombie ou au Surinam.

FBM est repris en avril 2001, en Colombie, dans la province de Guania (proche de la frontière brésilienne) et extradé au Brésil où il est incarcéré à la « prison de sécurité maximum » de Bangu I. Prison qui devrait sans doute progresser en termes de « sécurité maximum », puisque qu'en septembre 2002, FBM et ses hommes armés de grenades, de fusils à pompe et de pistolets, y assassinent Ernaldo Pinto de Medeiros (chef du Terceiro Comando) et trois de ses lieutenants.

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