1°) « Guerre à la drogue » en Colombie : affichage américain, intentions réelles

En 2000, Etats-Unis ont déclenché une « guerre à la drogue » en Colombie, pour laquelle ils ont dépensé 2 milliards de dollars jusqu'à la fin 2002. En 2003, ce financement, et l'aide militaire afférente, augmentent encore. L'objectif annoncé de cette guerre est de détruire le système de production et de distribution de cocaïne en Colombie et de traduire en justice - ou extrader vers les Etats-Unis - les narco-trafiquants.

Cette ambition affichée est elle réaliste, pour ce pays de plus de 1,1 million de km2 et de 40 millions d'habitants ? D'un pays où d'immenses cordillères montagneuses dominent de gigantesques forêts équatoriales ? D'un pays dont les frontières terrestres dépassent les 7 400 km. et les maritimes, 3 200 km. ? Non bien sûr. Trouver et éradiquer dans cette immensité à-demi sauvage 144 389 hectares de coca et quelques centaine de « laboratoires « renvoie au rang de jeu d'enfant la proverbiale recherche d'aiguille dans une meule de foin.

En réalité - et pour des experts américains de terrain s'exprimant à titre privé - l'objectif réel de la guerre à la drogue serait de repousser la culture de la coca et la production de cocaïne vers le sud-est du pays, proche des frontières du Venezuela et du Brésil. (la frontière Colombie-Brésil s'étend sur 1 645 km. de forêt vierge quasi-impénétrable).

- En Colombie, vers les Etats orientaux de Guania, Vichada et Vaupes, sauvages et dépeuplés,

- Au Brésil, vers l'Etat de Parra, également voisin de la Guyana et du Surinam, déjà très contaminé par le narcotrafic (hangars, pistes d'aviation clandestines, etc.). Un secteur tri-frontière où les champs de coca se multiplient depuis deux ans. Or produite là, la cocaïne a surtout pour débouché local (20%) les enfants de la bourgeoisie brésilienne ; et international (80%) l'Europe - avant l'Amérique du nord (voir carte).

· Dès l'été 2002, le Brésil est le premier pays d'origine de la cocaïne saisie à l'aéroport de Madrid-Barajas :

1 - Brésil (20% de la cocaïne saisie)
2 - Equateur (15 %)
3 - Colombie (13 %)

En 1999 le premier pays d'origine, et de loin, était la Colombie (34%)

Ce « rééquilibrage » effectué, la production annuelle de cocaïne s'écoulerait bien plus qu'avant vers l'Europe - et bien moins vers l'Amérique du nord.

Voyons les chiffres.

· Etats-Unis : ils absorbent chaque année de 250 à 300 tonnes de cocaïne, pour environ 5 millions de consommateurs. Malgré cela, ce premier marché au monde pour la cocaïne devient moins intéressant pour les narcos :

- Désormais dominants, les cartels mexicains sont très gourmands : sur 10 t. de cocaïne colombienne, les Mexicains en conservent la moitié et ne payent à leurs collègues colombiens que 5 tonnes de drogue au prix de gros.

- Les Etats-Unis font toujours plus extrader et lourdement condamner des narcos colombiens (24 en 2001, 40 en 2002). Face à cela, l'Europe, avec ses 40 codes pénaux sur un (petit) continent et son embryon d'Europol, est un paradis pour des criminels raisonnant par coût/bénéfice. Les narcos ont sans doute remarqué que le budget d'Europol (55 millions d'Euros en 2003) correspondait au coût d'à peine 2 à 3 tonnes de cocaÏne au prix de gros ...

· Colombie : elle produit de 600 à 700 tonnes de cocaïne par an (elle n'en produisait que 70 tonnes en 1994...) Ainsi, en 2002 (dernière année complète), il y aurait été fabriqué 580 tonnes de cocaïne, dont 88,5 tonnes saisies dans le pays. Ces estimations sont-elles fiables ? Non : la quantité de cocaïne produite est déduite de la taille des plantations de coca. Or le Crime and Narcotics Center de la CIA et le Bureau de l'Aviation donnent, dit la Cour des Comptes américaine 1, une définition très divergente (l'une restrictive, des hectares cultivés ; l'autre généreuse, des ha. éradiqués) de ce qu'est un « champ de coca »... Il est en revanche plausible que la Colombie produise 90% de la cocaïne consommée aux Etats-Unis.

· Venezuela : sa frontière colombienne s'étend sur 2 200 km. En 2002, 15 t. de cocaïne y ont été saisies. Il y transiterait environ 150 t. de cocaïne par an. Depuis 2000, on a constaté la présence, au sud-ouest du pays, de laboratoires de production de cocaïne - et même de champs de coca.

· Brésil : 170 millions d'habitants, dont 1/3 vit avec moins d'un dollar US par jour ; 20 % d'illettrés. Le second consommateur mondial de cocaïne (40 à 50 t. par an) après les Etats-Unis. Nombre de laboratoires de cocaïne sont installés le long de ses frontières (Venezuela, Colombie, Pérou). En 2002, environ 9 t. de cocaïne ont été saisies par la Police fédérale. Le Brésil a le second taux d'assassinats d'Amérique latine après la Colombie : 27 homicides pour 100 000 habitants à l'échelle nationale :

« The brazilian government sees a clear link between the dramatic increase in crime rates in Brazil major cities and the drugs and arms trades with Colombia ». [Source OICS-UN]

Désormais le Brésil est la principale plate-forme d'exportation de la cocaïne vers l'Europe. La cocaïne est expédiée via les Caraïbes, ou avec escale en Afrique, Nigeria d'abord mais désormais, souvent aussi via l'Afrique du sud.

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1 General Accounting Office « Latin american narcotics cultivation and production, estimates 2001 », Washington DC, march 2002.