A. Le trafic international des stupéfiants

La situation locale :

Le Nigeria est, avec le Ghana, un producteur de cannabis, surtout tourné vers la consommation intérieure15. Les plantations connaissent même depuis le milieu des années 90 une croissance soutenue. Organisée par les clans criminels nigérians, la culture de cannabis (appelé "igbo", "lyabo", "sharkis", "ewedu", "kukuye" ou "wee-wee") se répand dans l'ensemble de la région : des semences sélectionnées sont offerts aux paysans jusqu'au Sénégal ; les récoltes sont achetées sur pied ; des cultures sont protégées par des groupes armés comme au Bénin. En octobre 1999, une plantation de cannabis de 6 km² est découverte dans le sud-ouest du Nigeria, au c_ur d'une exploitation forestière appartenant à l'État. Des tentatives de culture de la coca et de pavot ont également été signalées dans le nord du Nigeria mais, semble-t-il, sans succès. Cependant, les services de renseignement criminel internationaux craignent le développement de la culture et de la transformation de la coca dans plusieurs régions du pays, présentant des caractéristiques climatiques et pédologiques proches des plateaux d'Amérique du Sud. On aurait ainsi signalé la présence dans le pays de chimistes italiens liés à la mafia16. Il semblerait également que de la morphine-base soit acheminée jusqu'au Nigeria où des laboratoires de transformation seraient implantés, peut être en liaison avec des trafiquants libanais17. En 1992, les services fédéraux américains ont déjoué une tentative d'achat en grande quantité de précurseurs chimiques par une société basée dans un terrain vague de Lagos. Utilisées comme lieux de transit, les villes nigérianes (et de l'ensemble de l'Ouest africain) ont vu se développer une consommation importante d'héroïne mais aussi de cocaïne et de crack (un laboratoire de production de crack a été découvert en 1993 au Ghana). L'Afrique occidentale semble aujourd'hui être considérée par les trafiquants nigérians comme un marché rentable.

Suite aux pressions internationales dans le domaine des Droits de l'Homme et de la lutte contre la drogue, la "Nigerian Drug Law Enforcement Agency" (NDLEA), créée en janvier 1990, a lancé de grandes opérations au milieu des années 90. Les autorités ont ainsi multiplié les démonstrations publiques comme la destruction des drogues saisies. Les passeurs nigérians condamnés à l'étranger sont, à leur retour au pays, une nouvelle fois poursuivis "pour avoir terni l'image du Nigeria à l'extérieur". Les fonctionnaires soupçonnés d'avoir fourni de faux documents sont également poursuivis. Enfin, diverses opérations ont également frappé le côté blanchiment des réseaux : notamment les importateurs de voitures et les bureaux de change. Cette lutte contre les réseaux financiers ne touche cependant pas les changeurs non-officiels (les "arrangees"), issus de l'ethnie Haoussa, proche du pouvoir. De même, peu de grands trafiquants ont été arrêtés, à l'exception, en décembre 1993, de Joe Brown Akubueze. Présenté comme un "gros poisson" par les autorités, Akubueze ne serait en fait qu'un bouc-émissaire destiné à masquer les vrais responsables.

Pour les journalistes locaux et des observateurs internationaux, ces opérations ne font que masquer la réalité : l'implication de personnes proches du pouvoir dans le trafic. Un ancien Président du pays serait ainsi toujours impliqué dans le trafic et utiliserait la valise diplomatique pour acheminer de l'héroïne et de la cocaïne vers Bruxelles. Diverses sources mettent également en cause l'épouse de l'ancien Président Babangida. En novembre 1987, le fondateur et rédacteur en chef de l'hebdomadaire Newswatch, Dele Giwa, a été tué par un paquet piégé portant le cachet de la Présidence, alors qu'il enquêtait sur l'implication de hauts dignitaires. D'autres réseaux utilisant la valise diplomatique fonctionneraient également, en Europe principalement18. Le major Hamza Al-Mustapha, ancien chef de la Sécurité du Général Abacha (ou "SSS"), utilisait ce type de transport alors que sa femme, d'origine arabe, coordonnait un autre réseau dans les pays du Golfe19. Un autre militaire, le premier directeur de la NDLEA, a été accusé de collusion avec les trafiquants de drogue en mars 1991 pour avoir libéré un narcotrafiquant contre de l'argent. Régulièrement, on découvre également que des stocks de drogues saisies disparaissent de dépôts officiels. Ainsi, en février 1994, le Nigeria annonce triomphalement la saisie de 248,3 kg d'héroïne20, avant de constater la disparition d'une partie de cette saisie dans les locaux même de la NDLEA21. Ces implications au plus haut niveau ont entraîné la "décertification"22 du Nigeria par les États-Unis en 199823.

Le trafic d'héroïne

Utilisés d'abord comme passeurs par les organisations de trafiquants d'Asie du Sud-Ouest (Inde, Pakistan) et du Sud-Est (Thaïlande), les nigérians se sont progressivement structurés et ont commencé à organiser eux-mêmes le trafic d'héroïne au début des années 80. Les premiers passeurs d'héroïne interceptés à l'aéroport de Lagos remontent à 1982. Les réseaux s'approvisionnent donc essentiellement auprès des producteurs locaux, au Pakistan ou en Thaïlande (il existe une quartier nigérian à Bangkok, "Pratunam"24). Si leur principal débouché reste les États-Unis, les organisations nigérianes, subissant la concurrence de l'héroïne colombienne25, se tournent de plus en plus vers d'autres marchés, dont l'Europe.

Ä En provenance du Triangle d'Or26 :

En Thaïlande, les clans nigérians sont en contact avec les réseaux de Khun Sa27 et les Triades chinoises qui leur fournissent de l'héroïne de qualité "999" et "Double UOglobe" (la meilleure référence sur le marché)28. Inquiets de ce phénomène, les autorités thaïlandaises ont imposé le visa obligatoire pour les ressortissants nigérians en 1990. Depuis quelques années, les nigérians recrutent des passeurs de diverses nationalités pour limiter la suspicion des douaniers. En liaison avec les Triades, les nigérians contactent les titulaires de passeports occidentaux dans un quartier réputé de Bangkok. Les candidats au trafic (souvent des étudiants ayant des problèmes d'argent mais jamais de toxicomanes) sont alors pris en charge dans des hôtels de la capitale thaïlandaise ou des pensions de famille et appartements proches de ces hôtels. On leur apprend alors à avaler des emballages et à éviter les comportements suspects lors de leur passage aux aéroports.

Des consignes sont données aux passeurs29 :

utiliser des passeports authentiques (sans visas récents si possible) ;
transporter quelques bagages à main et ne jamais indiquer d'adresse fantaisiste ou d'hôtel très bon marché. On leur conseille ainsi d'indiquer qu'ils descendent dans des hôtels de luxe pour des séjours de deux semaines minimum ;
transporter plusieurs milliers de dollars en traveller's ;
s'habiller "passe-partout" et indiquer la profession de journaliste indépendant ou photographe.

Autre signe de leur professionnalisme, Singapour est utilisé comme aéroport de transit pour "blanchir" l'origine thaïlandaise du voyage, avec des billets achetés sur place. En fait, les organisateurs du trafic multiplient les routes pour masquer l'origine réelle des fourmis. L'ensemble des grandes villes africaines sont utilisées comme points de transit : en Afrique de l'Ouest (Lagos, Abidjan, Cotonou, Douala,...), de l'Est (Nairobi, Addis-Abeba, Djibouti, Le Caire,...) et d'Afrique australe (Le Cap, Johannesburg, Durban, Luanda, Harare,...). Des complicités au sein des équipages de compagnies aériennes africaines comme la Nigerian Airlines ou l'Ethiopan Airlines ont été également signalées. Depuis l'intervention de l'Ecomog30 au Liberia, le port de Monrovia est également devenu un point de transit important.

La destination finale reste l'Europe et les États-Unis. Dans ce dernier pays, les clans nigérians ont pris une part importante du marché de l'héroïne. Des aéroports européens servent de lieu de transit entre l'Afrique et l'Amérique du Nord : il existerait ainsi une filière d'approvisionnement du marché américain en héroïne thaïlandaise passant par le Ghana puis par Londres. Dans ce cas, les passeurs utilisent systématiquement deux passeports : un nigérian pour le trajet Ghana - Londres et un britannique pour le trajet Londres - États-Unis31. Il existerait également une filière Kenya - Londres - Chicago : de nombreux trafiquants nigérians sont en effet installés à Nairobi. Pour tromper les services de répression, le schéma est parfois inversé : la drogue transite en Europe avant d'arriver en Afrique pour repartir en Amérique du Nord. Une partie de l'héroïne alimente également le marché japonais, pays où vivent légalement près de 500 nigérians32.

En 1996 et 1997, Interpol lançait deux opérations ("Aroma" et "Show me how"33) contre des réseaux de trafiquants nigérians installés en Thaïlande. Des colis d'héroïne étaient expédiés dans des hôtels du Luxembourg puis reconditionnés et réexpédiés vers les États-Unis. Entre mai et septembre 1996, la police luxembourgeoise a ainsi identifié 50 envois dans vingt hôtels différents de la principauté. Ce modus operandi (utilisation d'hôtels, reconditionnement) a été repéré par Interpol dans 23 pays où les trafiquants arrêtés (dont de nombreux nigérians) étaient porteurs de faux passeports britanniques ou américains. Outre l'Europe, l'Asie du Sud-Est, l'Afrique et l'Amérique du Nord, les colis transitaient également par les Caraïbes, notamment par Port of Spain, la Grenade ou Saint-Martin. Le point de départ de ces colis était principalement un bureau de poste de "Pratunam", le quartier nigérian de Bangkok. En septembre 1999, une saisie record de 33 kg d'héroïne a lieu à l'aéroport international de Bangkok. Dissimulée dans les bagages d'un togolais, la drogue devait partir pour Lagos via Addis Abeba.

Ä En provenance du Croissant d'Or34 :

Anciennes colonies britanniques comme le Nigeria, l'Inde et le Pakistan accueillent une importante communauté d'africains anglophones, favorisant ainsi les activités des clans nigérians. Ceux-ci utilisent donc des villes comme Bombay, Madras ou Delhi comme bases pour exporter l'héroïne afghane La drogue du Croissant d'Or est destinée essentiellement à l'Europe et est envoyée soit directement en Europe, soit via l'Afrique (notamment Kenya et Afrique du Sud). La France est ainsi utilisée par des réseaux nigérians comme point de transit entre l'Inde et l'Afrique. Plusieurs saisies ont été effectuées en 1998 et 1999 : il s'agissait essentiellement d'héroïne transportée par des nigérians ou des ressortissants d'Afrique de l'Ouest (ivoirien, guinéen,...)35. Parfois le flux est inversé comme le montre la saisie sur un nigérian de 10 kg de cocaïne à Delhi en mai 2001. En août 2001, la police anti-drogue du Pakistan arrête 5 nigérians, présentés comme des éléments importants de la mafia nigériane. L'héroïne (dont plusieurs kilogrammes ont été saisis), achetée dans les zones tribales36, était acheminée en Europe et aux Etats-Unis via Dubaï et Bangkok.

Une fois arrivée en Europe par voie aérienne, la drogue peut être acheminée dans le pays de destination par voie ferrée. Ainsi, en septembre 2000, les douaniers italiens interceptent en garde de Modane (sur la ligne Paris - Milan) une nigériane résidant en Italie avec 1,106 kg d'héroïne. Quelques jours plus tard, c'est la Douane française qui découvre 905 g d'héroïne sur une italienne d'origine nigériane. Arrivée à Amsterdam de Delhi en avion, elle a été arrêtée à l'arrivée du train Amsterdam - Paris - Lyon et devait reprendre le train Lyon - Milan.

Le trafic de cocaïne :

A partir des années 1992 - 1993, les organisations criminelles nigérianes se sont également lancées dans le trafic de cocaïne depuis leurs bases au Brésil37. Il existe en effet une importante communauté nigériane au Brésil. Cela s'explique par un vaste programme d'échanges d'étudiants entre l'université de Sao-Paulo et celles du Nigeria et surtout par l'emploi de Nigérians dans l'industrie du cuir et de la chaussure de Sao-Paulo. Dans ce secteur, certaines sociétés sont détenues par des ressortissants nigérians favorisant ainsi l'envoi de drogue à l'étranger et le blanchiment de l'argent criminel. Le trafic se fait également en liaison avec des trafiquants de Guinée Équatoriale, pays hispanophone ayant donc des liens avec l'Amérique du Sud. Des "cellules" seraient également implantées près des zones de production, notamment dans l'État brésilien du Mato Grosso, frontalier avec la Bolivie. En mars 1997, le chef d'un réseau ayant envoyé plus d'une tonne de cocaïne en Europe, Peter Christopher Onwumere (de l'ethnie Ibo), est arrêté à Sao Paulo où il résidait depuis plus de 7 ans. Certains réseaux s'alimentent directement en Colombie : en avril 1996, la police colombienne intervient dans trois hôtels de Bogota et arrête 22 nigérians et 31 ressortissants d'Afrique de l'Ouest. La police découvre 90 kg de cocaïne dans les vêtements, les bagages ou ingérés prêts à être acheminés vers l'Europe, l'Asie ou le Japon38.

L'Espagne et le Portugal (pour le Brésil) sont les principaux plaques tournantes de la cocaïne en Europe, que le trafic soit organisé par les cartels latino-américains ou par les clans nigérians. Cependant, à l'image du trafic d'héroïne, les organisations nigérianes de trafic de cocaïne multiplient les points d'entrée en Europe.

Quelques exemples :

En mars 2000, un nigérian domicilié à Sao Paulo est intercepté à Roissy : 4,8 kg de cocaïne sont découverts dissimulés dans des pièces détachées d'automobile39.
En septembre 1999, un nigérian qui avait ingéré 50 capsules de cocaïne (plus d'un kg) est arrêté à l'aéroport de Budapest, en provenance de Colombie via Amsterdam.

En avril 1999, 42 kg de cocaïne sont retrouvés dans les bagages d'une brésilienne et d'un nigérian à l'aéroport de Zurich. En provenance de Sao Paulo, la drogue avait pour destination Abidjan ou Lagos.
Autre point d'entrée en Europe : l'Irlande. En décembre 1999, 4 kg de cocaïne sont interceptés à l'aéroport de Dublin en provenance de Lima, sur un ressortissant sud-africain. Le réseau était dirigé par un nigérian résidant à Londres, en liaison avec les cartels colombiens. En mai 2001, une prostituée sud-africaine est interceptée avec 46 kg de cocaïne dans ses bagages.
En octobre 2001, un trafic de cocaïne est démantelé entre les Antilles Néerlandaises et Paris. Un ghanéen est d'abord intercepté à Roissy en provenance de Curaçao, porteur de 500 grammes de cocaïne. L'enquête permet d'autres arrestations : 3 nigérians (en Espagne, à Evreux et en Seine-Saint-Denis), un rwandais (dans les Yvelines) et deux sierra léonais (à Paris et en Seine-Saint-Denis). 800 autres grammes de drogue, des faux passeports, des permis de conduire britanniques falsifiés et près de 20.000 FRF en dollars (plus de 3.000 _) sont saisis.

La cocaïne en provenance du Brésil transite en partie par l'Afrique grâce aux organisations nigérianes mais aussi ghanéennes. La drogue, pure à plus de 90%, est notamment acheminée au Nigeria (surtout Lagos et Kano) par avion et de là, par la route ou par avion, vers Abidjan, Cotonou, Lomé ou Accra. Ainsi, en décembre 1991, 145 kg de cocaïne en provenance du Brésil sont saisis à l'aéroport de Lagos. Il existe d'ailleurs une liaison régulière Rio - Lagos et des enquêtes ont démontré l'implication de certains employés de la compagnie brésilienne Varig40. Mais c'est surtout le trafic par containers qui inquiète les autorités. Il existe en effet de nombreuses liaisons maritimes régulières entre le Nigeria et les ports de Rotterdam, d'Anvers, de Bordeaux, de Dunkerque, du Havre, de Marseille,...

La faculté d'adaptation des organisations nigérianes :

Ciblés par les services de police et de douanes lors des contrôles aux aéroports, les nigérians ont su diversifier le profil de leurs "fourmis" et utilisent désormais des courriers de nationalités, origines sociales, sexes et âges divers. Ils modifient régulièrement les méthodes de dissimulation, les documents de voyages et leurs itinéraires de trafic. Utilisé pendant plusieurs années comme porte d'entrée aux États-Unis, l'aéroport new-yorkais JFK a été délaissé au profit d'aéroports de la Côte Ouest, des frontières mexicaines et canadiennes, des Caraïbes,...41 Ainsi, en mai 1995, quatre adolescentes originaires de Houston (Texas) sont arrêtées au Nouveau-Mexique avec 13 kg d'héroïne, après avoir passé la frontière mexicaine. Elles avaient été recrutées par un ressortissant nigérian. En 1996, d'autres courriers étaient interceptés à l'aéroport de Mexico.
En matière de dissimulation, les pratiques évoluent également : 

recrutement de courriers non-nigérians : d'abord nigérians, les "fourmis" ont ensuite été recrutées dans les pays de l'Ouest africain puis dans toute l'Afrique et en Europe de l'Est. Ces dernières années, les clans nigérians ont engagé des ressortissants occidentaux. En décembre 1998, un ressortissant portugais est arrêté à la frontière gréco-turque avec 1,6 kg d'héroïne.
La drogue, destinée à l'Italie, lui a été fourni à Istanbul par un nigérian. En octobre 2000, la police brésilienne intercepte en 10 jours 3 courriers porteurs de 18 kg de cocaïne à l'aéroport de Sao Paulo. Un sud-africain, un italien et un français vivant en Côte d'Ivoire devaient acheminer la drogue à Londres via Lisbonne.
 

utilisation de plusieurs courriers : des "relais" sont effectués pour masquer l'origine réelle du voyage.
passage "en rafale" : plusieurs courriers sont envoyés en masse aux aéroports. Débordés, les services de contrôle ne peuvent les arrêter tous et le passage de certains d'entre eux suffit à rentabiliser le voyage.
utilisation de "leurres" nigérians : le passeur nigérian attire l'attention des services douaniers alors qu'un autre courrier, en général un occidental, passe avec la drogue. En 1994, à l'aéroport d'Honolulu (Hawaii), un nigérian a été l'objet d'une fouille approfondie alors qu'un américain, objet d'un simple contrôle, était porteur de 7 kg d'héroïne (ce qui fut démontré ultérieurement lors d'une autre enquête).
voyage en compagnie de sa famille : en octobre 1999, une nigériane de 44 ans et son fils sont interceptés à l'aéroport de Newark (New Jersey) en provenance de Lagos via la Suisse. 9 kg d'héroïne sont saisis.
utilisation des services de sociétés de courrier express : les paquets contiennent environ 1 kg d'héroïne. Les destinataires de ces colis sont situés essentiellement sur la Côte Est des États-Unis, notamment à New-York (voir les opérations "Aroma" et "Show me How").

Les organisations nigérianes utilisent également des téléphones portables utilisés avec des cartes prépayées et communiquent de plus en plus par Internet42.

Le mode de transport se fait essentiellement par dissimulation personnelle : 

d'abord transport in corpore : les passeurs ingèrent des boulettes de drogue enveloppées dans des préservatifs. Pour déjouer les examens radiographiques, les passeurs trempent les préservatifs dans de la cire ou mélange la drogue à du charbon de bois. Pourtant, alors que rien ne prouve que cette technique nuise à la précision des rayons X, les produits chimiques contenus dans le charbon de bois ont attaqué le latex et plusieurs passeurs sont ainsi décédés.
Transport dans les bagages : la drogue était au début grossièrement dissimulée dans les bagages à main. Entrées en contact avec les cartels sud-américains de la cocaïne, les organisations nigérianes ont appris à utiliser des valises à double fond ou des couvercles de fabrication professionnelle.
Fret aérien : plutôt utilisé en matière de cocaïne, les organisations nigérianes se servent en général de cargaisons de denrées périssables.
Navires commerciaux : utilisés en matière de cannabis et de cocaïne.

Une implantation internationale :

Ä Amérique du Nord :

En 1994, on estimait que les courriers sous contrôle nigérian étaient responsables de 30% de l'héroïne saisie par les Douanes américaines. Dans la région de Chicago, qui abrite plus de 20.000 ressortissants nigérians, c'est entre 70 et 90% du marché qui est tenu par les organisations nigérianes et 2/3 dans la région de Washington - Baltimore. Celles-ci sont principalement implantées dans les villes d'Atlanta, Boston, Chicago, Dallas, Houston, Los Angeles, Miami, Newark, New York, Providence et la conurbation Baltimore-Washington. Ces villes accueillent d'ailleurs des équipes mixtes polices locales - agences fédérales spécialisées dans la "criminalité ouest-africaine"43. Les groupes nigérians sont des grossistes fournissant les street gangs américains44 et les posses jamaïquains. Ces derniers servent également d'hommes de main aux cellules nigérianes, qui préfèrent adopter profil bas aux Etats-Unis (notamment lors de conflits violents). En 1996, la D.E.A.45 dirige l'opération "Global Sea" contre les réseaux nigérians sur le territoire américain. Avec l'aide des services des Douanes, du F.B.I. et des polices de Thaïlande, Grande-Bretagne, France, Suisse, Mexique et Pays-Bas, l'opération a permis de saisir près de 74 kg d'héroïne et 200.000$ (234.600 _). Aux Etats-Unis, 24 trafiquants ont été arrêtés à Chicago, New York et Detroit. Dans une autre opération en juillet 1999, 9 nigérians sont inculpés à New York pour trafic de drogue, vol, fraude à la carte de crédit et faux. Cette organisation était active dans 21 États, notamment en se procurant illégalement les références de 1.300 personnes pour des escroqueries et des faux-documents46.

Le problème nigérian est toujours aigü aux Etats-Unis en 2001 : en avril, les Etats-Unis demandent en effet officiellement au Nigeria l'arrestation et l'extradition de 26 de leurs ressortissants pour des délits liés au trafic de stupéfiants.

Ä Europe :


Pendant plusieurs années, le principal centre d'implantation des organisations nigérianes en Europe a été Londres, naturellement, mais également Zurich. En Suisse, en avril 2001, un ressortissant nigérian, soupçonné d'être un des principaux revendeurs de cocaïne du canton de Vaud entre 1995 et 1998, a été condamné à 9 ans de prison pour trafic de drogue, proxénétisme47 et blanchiment. En Grande-Bretagne, les nigérians sont la troisième population carcérale en matière de drogue après les jamaïquains et les colombiens. Les autorités britanniques craignent en outre une implication de leurs réseaux dans la contrebande de tabac.
Aujourd'hui pourtant, les trafiquants nigérians sont répartis dans l'ensemble des pays européens. Très fréquentée par les organisations criminelles internationales (clans albano-kosovars, maffya turque, mafias italiennes,...), la "Route des Balkans" est également empruntée par les réseaux de trafiquants nigérians. De nombreux courriers porteurs d'héroïne ont ainsi été interceptés en Grèce, où des réseaux nigérians introduisent également de la cocaïne en provenance du Brésil. En Autriche et en République Tchèque, les organisations nigérianes contrôlent également une partie du trafic de rue en matière de drogue. En Espagne, des réseaux nigérians de revente de drogues sont également repérés. En octobre 2000, la police des Baléares démantèle un réseau de revente de cocaïne et de cannabis animé par des nigérians (7 arrestations et la saisie d'un kilo de cocaïne et plus de 40.000 FRF en pesetas, 6.100 _). En avril 2001, toujours aux Baléares, 9 personnes (4 nigérians, un guinéen, un sierra-léonais, un libérien et deux espagnols) sont arrêtées ; 500 grammes de cocaïne, 20.000 FRF (3.000 _) en pesetas et divers instruments pour conditionner la drogue sont saisis.

Depuis la chute des dictatures en Europe de l'Est, les gangs nigérians se sont également installés à Moscou. Ils sont en fait surtout composés d'étudiants ou d'anciens étudiants de l'Université Patrice Lumumba. Surtout actifs dans le trafic de drogues, ces groupes versent un "impôt" au milieu russe et sont parfois utilisés comme chauffeurs ou gardes du corps. Ils se sont d'abord servis de Moscou comme zone de transit pour les trafics en direction de l'Ouest puis ont développé un trafic intérieur. Les organisations nigérianes recrutent également des ressortissants des anciennes républiques soviétiques pour servir de "mules" pour le trafic d'héroïne et de cocaïne.

Des contacts entre les différentes organisations criminelles ont également été constatés. En février 1999, une opération de la police italienne permet l'arrestation de 36 personnes liées à la mafia albanaise et à la `Ndrangheta (la mafia calabraise) et opérant dans le trafic de cocaïne, d'héroïne et d'armes. L'enquête a démontré que les albanais échangeaient de l'héroïne contre de la cocaïne avec les nigérians. Début juillet 2001, la police de Milan démantèle un réseau d'importation d'héroïne. De jeunes polonaises étaient recrutées pour travailler dans une discothèque d'Hanovre (Allemagne). Elles devaient ensuite se prostituer pour le compte de proxénètes turcs en Allemagne ou en Turquie. A Istanbul, certaines, porteuses d'héroïne, sont envoyées à Milan où la drogue est réceptionnée par des nigérians, qui la revendaient ensuite à Naples et dans d'autres villes du sud de l'Italie.
Des cellules nigérianes ont été signalées à Rome, Turin, Padoue, Brescia, Milan, Rimini, Palerme et Cagliari48. En accord avec les organisations mafieuses italiennes, des ressortissants nigérians ont ouverts dans ces villes des restaurants, des sociétés d'import-export, des boîtes de nuit ou des salons de beauté. En août 2001, un nigérian est intercepté à la frontière italo-suisse : revenant d'Amsterdam, il avait caché un kg de cocaïne dans le système de ventilation de sa voiture. En octobre 2001, l'opération « Antilope Noir » permet le démantèlement d'un trafic de drogue en Vénétie et à Florence : 15 personnes (surtout des nigérians) sont arrêtés ; 23 kg de cocaïne et 5 kg d'héroïne saisis. Des arrestations ont également été effectuées en Espagne, aux Pays-Bas, au Vénézuela et en Argentine.

Opération "Tanga"49

Menée en 1995 - 1996 par la Garde des Finances de Naples en liaison avec les polices suisse, française, britannique, belge et américaines, l'opération visait des réseaux nigérians d'héroïne et de cocaïne. En 1995, une vingtaine de passeurs nigérians ou d'Afrique de l'Ouest sont interceptés à Genève, à Zurich, à Bruxelles, au Luxembourg et à Londres. Ils étaient porteurs de faux passeports américains et possédaient presque tous des sacs à dos de même marque. Ces passeurs vivaient clandestinement en Italie et se rendaient au Brésil ou en Argentine avant de rentrer en Italie via un autre pays européen. La cocaïne (500 kg en deux ans) était destinée à la consommation italienne ou au marché américain, via la base OTAN de Naples et grâce à la complicité d'un commandant de l'US Navy. D'origine colombienne, celui-ci était en charge des avions-cargos en partance ou en provenance des Etats-Unis. Une vingtaine d'autres marins (qui se baptisaient eux-mêmes "The Regulators") ont été arrêtés suite à une opération d'infiltration et la qualité des faux passeports laisse présager des complicités au sein de l'administration. Ces marins étaient envoyés en Turquie d'où ils ramenaient de l'héroïne fournie par les réseaux nigérians sur place. Une partie de la drogue (héroïne et cocaïne) était revendue à la Camorra dans la région de Naples.

Ä Afrique et Moyen-Orient :

Outre le Nigeria, le principal pays d'Afrique abritant les "cellules" nigérianes est l'Afrique du Sud, où il existe une communauté nigériane estimée entre 50 et 100.000 personnes. Dans ce pays, les organisations nigérianes se livrent au proxénétisme et, en partie, au trafic de rue, inhabituel de leur part, ou sous-traitent le trafic à des gangs locaux comme les "Hard Livings"50. Une "guerre" opposant des gangs locaux à des trafiquants nigérians a été signalée en 1997 à Hillbrow (Afrique du Sud), où la police estimait que 90% des 3.000 réfugiés nigérians étaient impliqués dans le trafic de drogue.
Le chiffre d'affaires du trafic de drogue en Afrique du Sud est estimé à plus de 100 milliards de FRF par an (15 milliards d'euros). En plus des réseaux du crime organisé sud-américains, libanais, israéliens, italiens, russes et chinois, les organisations nigérianes y sont implantées depuis 1993, notamment à Johannesburg51. Certaines sources estiment que 80% du trafic de cocaïne dans le pays est aux mains des syndicats nigérians. Ceux-ci utilisent également des ressortissants sud-africains comme mules pour passer la drogue. En 2001, 241 sud-africains sont détenus à l'étranger pour trafic de drogue (dont 53 au Pérou et au Brésil) En janvier 2001, un important trafiquant nigérian de cocaïne (également impliqué dans un réseau de trafic de migrants), Chika Odimara, est expulsé d'Afrique du Sud vers le Nigeria. Recherché par les Etats-Unis et le Nigeria, Odimara est implanté à Johannesburg depuis 1993 et a placé plusieurs de ses hommes en Colombie. La presse sud-africaine le présente comme proche de Winnie Mandela (ancienne épouse de Nelson Mandela et présidente de la Ligue des Femmes de l'ANC), du Ministrre des Affaires Etrangères Mangosuthu Buthelezi ou encore du Premier Ministre de la Province de Gauteng. Les "cellules" nigérianes installées en Inde organisent également le trafic de méthaqualone52 à destination d'Afrique du Sud.

Les clans nigérians utilisent les pays du Golfe Persique comme lieu de transit (notamment grâce aux liaisons aériennes régulières avec l'Inde) mais également comme débouché important. Ils se sont adaptés au marché local en se diversifiant dans le trafic de Seconal53, médicament détourné largement répandu en Arabie Séoudite notamment. Chaque année, plusieurs nigérians sont exécutés (décapitation) pour trafic de drogue en Arabie Séoudite.

Le rôle important des femmes

Dans les organisations criminelles, les femmes ont le plus souvent un rôle secondaire : elles servent en général de prête-nom lors d'achat ou de location de voiture et d'immobilier, pour l'ouverture de comptes bancaires, pour le trafic de drogue (30% des "mules" nigérianes arrêtées sont des femmes)... Mais au sein des organisations nigérianes, les femmes ont des fonctions de direction. Ainsi, lors de l'opération "Global Sea" aux Etats-Unis, une quinzaine de femmes ont été arrêtées dont une qui dirigeait les opérations de distribution de l'héroïne à Chicago et une autre, une des trois sources d'approvisionnement à Bangkok. De même, les responsables des réseaux de prostitution sont souvent des femmes.

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15 La police nigériane a cependant annoncé avoir fait échouer une exportation de 1.862 kg de cannabis vers la France en janvier 1998. En juillet 1995, la douane belge intercepte 10 tonnes de marijuana à Anvers ; en décembre 1994, c'était une tonne à Anderlecht.

16 Document Interpol - février 1994.

17 Après la guerre civile, le Liban ne produit pratiquement plus de cannabis et d'opium mais abrite toujours des laboratoires de transformation d'héroïne mais aussi de cocaïne.

18 "La Dépêche Internationale des Drogues" - n°75 - janvier 1998.

19 "La Dépêche Internationale des Drogues" - n°84 - octobre 1998.

20 Certaines sources évoquent même une saisie réelle de 500 kg voire une tonne.

21 Les services de police occidentaux ne transmettent plus de renseignements sensibles à la police nigériane.

22 Chaque année, les États-Unis sanctionnent des pays ne s'engageant pas suffisamment à leurs yeux dans la lutte contre le trafic de drogue.

23 Le Nigeria a été "recertifié" depuis.

24 Selon les autorités américaines, il y aurait en Thaïlande entre 5 et 7.000 nigérians.

25 Apparue au début des années 90, l'héroïne colombienne a progressivement conquis le marché américain, profitant des réseaux de cocaïne pré-existant.

26 Principale zone de production de l'héroïne blanche, située entre la Birmanie, le Laos et la Thaïlande. La pureté de l'héroïne du "Triangle d'Or" se situe entre 70 et 90%.

27 De son vrai nom Chang Chi-Fu, Khun Sa est un "seigneur de la guerre" du Triangle d'Or. Officiellement dirigeant nationaliste de "l'Armée Shan Unie", c'est en fait un important trafiquant d'héroïne. Il annonce sa "retraite" début 1996 pour mieux se consacrer à la gestion de son immense fortune. Plusieurs de ses proches sont toujours impliqués dans le trafic et surtout le blanchiement d'argent sale.

28 "La Dépêche Internationale des Drogues" n°46 - août 1995.

29 Selon une fiche de renseignement des services douaniers français datée d'avril 1999.

30 Force d'interposition inter-africaine au Libéria, surtout composée de soldats nigérians.

31 Fiche de renseignment des Douanes Françaises - août 1998.

32 Article du "Shukan Taishu" - 8 septembre 1997.

33 Synthèse d'Interpol de juillet 1997.

34 Zone de production de l'héroïne brune en Afghanistan - Pakistan. La pureté de l'héroïne du Croissant d'Or se situe entre 40 et 70%.

35 Fiche de renseignement des Douanes Françaises - février 1999.

36 Les zones tribales au Pakistan ont une autonomie administrative importante. Les responsables de ces zones sont parfois corrompus, ce qui facilite le trafic d'héroïne au départ de ces régions.

37 "Cocaine trafficking in Europe by Nigerian Nationals" - Interpol - janvier 1994.

38 Article du Washington Post du 21 juin 1996.

39 Les services de police et de douanes estiment que la France reste un point de transit (Fiche de Renseignement des Douanes Françaises - février 1998).

40 International Enforcement Law Reporter - juin 1993.

41 "Intelligence Bulletin" - D.E.A. - mars 1997.

42 "The Criminal Intelligence Bulletin of the InterAgency Nigerian Organized Crime Task Force" - Atlanta, fin 1999.

43 Law Enforcement Report - United States Postal Inspection Service - 1997.

44 Notamment, dans la région de Chicago, les "Blackstone Rangers" et surtout les "Vice Lords".

45 Drug Enforcement Administration, l'agence fédérale anti-drogue américaine.

46 Intervention d'Eric H. Holder, Deputy Attorney General, devant la Conférence sur la Criminalité Nigériane - Washington, 9 novembre 1999.

47 Il a attiré de nombreuses femmes (dont certaines mineures) en Suisse avec la promesse d'emplois réguliers.

48 Document de la Direzione Nazionale Antimafia - 1999.

49 "La Dépêche Internationale des Drogues" - n°67 - mai 1997.

50 Principal gang du Cap, les "Hard Livings" ont vu un de ses chefs, Rashaad Staggie, brûlé vif par une milice islamiste, le PAGAD, en août 1996.

51 Selon "Le Monde Diplomatique" de juin 1998.

52 Appelé également "Mandrax" ou "Quaalude", le méthaqualone est un sédatif non barbiturique dont l'usage est répandu en Afrique australe.

53 Ou Sécobarbital, barbiturique puissant.