B. Un pays d'une violence extrême

Ä Des centres urbains chaotiques :

Sur une population estimée à 120 millions, près de 40% des Nigérians vivent en ville. Lagos, la principale ville du pays, compte entre 8 et 10 millions d'habitants ; Ibadan (à moins de 100 km au nord de Lagos), 1,3 million ; Kano et Ogbomosho, plus de 700.000. Ces centres urbains sont en proie à une violence endémique provoquée par l'exode rural, la pauvreté (un Nigérian sur deux vit avec moins d'un dollar par jour) et l'existence de gangs redoutables (les "areas boys"), parfois renforcés par des soldats démobilisés de l'Ecomog. Lagos est sans doute la ville la plus anarchique du continent africain. On estime qu'en 2025, elle comptera 25 millions d'habitants sur près de 300 km² ! Pour ralentir cette explosion démographique, la capitale du Nigeria a été transférée en 1992 à Abuja, au centre du pays (300.000 habitants). L'approvisionnement en eau et en énergie, les égouts, les transports et le logement de l'ensemble des villes du pays ont souffert de ce développement anarchique. Si plusieurs projets de réhabilitation sont en cours, ceux-ci sont ralentis par la corruption. D'importants problèmes de santé sont également à signaler. L'épidémie de Sida est très importante et la contrefaçon de médicaments (dont le Nigeria est un important producteur et redistributeur6) fait des ravages, au Nigeria comme dans l'ensemble du continent africain.

Des gangs armés7 contrôlent des quartiers entiers en y exerçant un racket systématique de toutes les activités. Ils pratiquent aussi les vols à main armée : notamment sur la route de l'aéroport où ils dépouillent régulièrement les hommes d'affaires. Les "house-breaking" (agressions à domicile) sont également nombreuses : elles se soldent régulièrement par des meurtres voire l'élimination de l'ensemble de la famille. Une telle sauvagerie s'explique notamment par l'arrivée du crack dans les grandes villes africaines, Lagos en tête. Au Nigéria, les conflits se soldent souvent par le meurtre de l'adversaire. Ainsi, en 1995, on a recensé 500 meurtres sur commande à Lagos (on estime qu'un "contrat" est négocié entre 350 et 3.500 FRF - de 53 à 530 _ - selon la qualité de la victime). Certains quartiers, comme celui d'Ojuina ou de Isale-eko à Lagos, semblent également abriter des réseaux qui peuvent fournir des morceaux d'êtres humains pour les besoins de certaines médecines traditionnelles. Face à cette criminalité, les hommes d'affaires de la ville ont appris à se réfugier dans de véritables quartiers-forteresses, fermés par de hautes grilles et surveillés par des gardes armés. Même les lieux d'enseignement et de culture comme les campus universitaires sont touchés par ces violences. Des confréries estudiantines (créés dans les années 50) ont connu des dérives importantes à partir des années 70. D'abord humanistes, ces groupes sont devenus de véritables gangs impliqués dans des vols, des viols et des meurtres mais aussi des activités de revente de drogue et de proxénétisme. Ces groupes (les "Boucaniers", les "Pirates", la "Hache Noire", les "Vikings", le "Bérêt Rouge",... ou des groupes de filles comme le "Filles de Jézabel" ou les "Amazones") sont armés, parfois même de fusils d'assaut, et sont protégés dans leurs activités par leurs anciens membres devenus des personnages puissants. En novembre 1999, 13 étudiants de l'Université Obafémi Awolowo (dans le sud-ouest du pays) sont arrêtés pour leur implication dans le meurtre de 8 jeunes, le 10 juillet précédent.

Ä Des types de criminalité "archaïque" :

Le développement des activités économiques sur le Golfe de Guinée, notamment à l'embouchure du fleuve Niger, a suscité les appétits de gangs armés. Ceux-ci se livrent à la piraterie maritime, visant notamment les installations et les bateaux des compagnies pétrolières installées dans la région. Dans l'est du pays, dans l'État de Cross River, il existe un important trafic d'esclaves. Ceux-ci sont surtout des enfants et adolescents vendus, parfois par leur famille, environ 330 FRF. Embarqués dans des camions ou à bord de ferry-boat, ces esclaves sont acheminés dans l'ouest, le nord et la région de Lagos au Nigeria mais aussi au Cameroun, au Gabon, en Guinée Équatoriale et au Bénin. Destinés essentiellement à travailler dans des plantations de cacao, certains deviennent également des esclaves sexuels dans des hôtels ou chez des particuliers. Ces enfants reviennent souvent malades et amaigris et sont parfois séropositifs. Il existe également des "camps de transit" où les esclaves sont regroupés avant d'être envoyés dans diverses régions. Les esclavagistes prennent soin de séparer au maximum les esclaves de même origine ou de même langue pour éviter ainsi les possibles projets d'évasion. Dans ce type de trafic, des notables locaux semblent également impliqués soit en organisant directement le trafic, soit en touchant des pots de vins.

Les élites locales sont également impliquées dans deux types de contrebande, pillant les richesses nationales. D'abord, les autorités policières de pays européens (France, Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas) ont signalé un trafic d'espèces protégées (animaux vivants ou parties d'animaux), parfois en transit vers les Etats-Unis. Ces mêmes gangs Nigérians seraient également impliqués dans le trafic d'oeuvres d'art8. Il existe des sites archéologiques protégés au Nigéria (notamment en pays Yoruba), pillés régulièrement par des trafiquants liés aux caciques locaux. Entre 1993 et 1995, on a signalé le vol de 99 objets d'art dans différents musées du Nigeria9. En 1993 et 1995, un musée abritant des statues en stéatite a été attaqué par des hommes armés : des gardiens ont été blessés et 33 statuettes volées. En 1997, un gardien du musée d'Owo a été tué lors d'un pillage et c'est une quarantaine de têtes baillonées d'Ifé qui ont été volées dans deux musées au cours des années 90. L'ICOM (International Cuncil Of Museums) a dressé au début de l'an 2000 une "liste rouge" d'objets africains en voie de disparition. Parmi ceux-ci, on peut citer les terres cuites de Nok (centre nord et nord-ouest du Nigeria), les terres cuites cuites et les bronzes "Sao" (nord-est du Nigeria, nord du Cameroun et ouest du Tchad), les terres cuites et les bronzes d'Ifé (sud-ouest du Nigeria) et les statues en pierre d'Esie (sud-ouest du Nigeria)10.

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6 Une étude de l'Université d'Aberdeen (Ecosse), publiée en juillet 2001, montre que 48% des médicaments en circulation à Lagos et Abuja ont des principes actifs inférieurs aux normes recommandées par l'Organisation Mondiale pour la Santé.

7 Un important trafic d'armes s'opèrent entre le Nigeria et les pays où son armée est en opération (Sierra Leone et Libéria). Certains policiers ou militaires louent également leurs arme et uniforme à la demande.

8 "Gangs smuggle best of Africa's art to Britain" - The Sunday Times - 4 juin 2000

9 "Situation report on Financial, Economic and other prevalent crimes in Nigeria" - présenté à l'Assemblée Général d'Interpol en Turquie en 1996 par les autorités nigérianes

10 "Ces trafiquants qui dépouillent l'Afrique" - Le Figaro - 3 mai 2000