A. Une corruption généralisée

Ä Le marché noir du pétrole :

Alors que le Nigeria est un important producteur pétrolier, son marché intérieur est très mal approvisionné. En effet, les raffineries, propriétés de l'État, ne sont pas ou peu entretenues et ne sont donc plus en état de fonctionner. Abandon volontaire ou négligence ? Les groupes liés au pouvoir ont en tout cas su profiter de la situation pour importer des produits raffinés et organiser le monopole. Avec les profits réalisés, l'ancien dictateur Sani Abacha aurait acheté une raffinerie de pétrole... au Brésil ! En outre, le prix de cette essence est maintenu très bas, ce qui permet de développer un commerce illicite dans l'ensemble de la sous-région. Ce serait plus du tiers de la production réservée à la consommation qui partirait en fraude vers les pays voisins. Au début des années 90, le Cameroun a dû fermer une raffinerie de 80.000 barils par jour, devenue non-rentable face à la concurrence nigériane. A l'inverse, si les autorités de Lagos décident de renforcer les contrôles aux frontières (ralentissant ainsi le flux de contrebande), c'est le Tchad qui se plaint officiellement de la pénurie engendrée ainsi dans le pays. Les tentatives d'augmentation du prix du pétrole, seule solution pour limiter les opérations de contrebande, se soldent régulièrement par des émeutes populaires, car c'est l'ensemble de la population qui profite de ces trafics...

Cette criminalisation du marché du pétrole a deux conséquences importantes sur la santé publique des Nigérians. Il s'agit d'abord d'une recrudescence des maladies pulmonaires due à la mauvaise qualité du pétrole, coupé par divers produits. Mais les problèmes viennent surtout des cas de piratage des oléoducs. La population se sert en effet directement sur les réseaux d'hydrocarbure traversant le pays (plus de 5.000 kilomètres de pipe-lines). Il s'agit soit de profiter de la vétusté des oléoducs, où s'écoule du pétrole ; soit même de les percer. Régulièrement, il se produit des explosions causant plusieurs dizaines de morts, notamment des femmes et des enfants venus récupérer l'or noir pour leur propre usage ou pour la contrebande. Ainsi, en octobre 1998, plus d'un millier de personnes sont tuées près de Warri (important centre pétrolier) suite à l'explosion d'un oléoduc. Ces points de ravitaillement sont régentés par de petits caïds locaux qui touchent une "taxe". Les policiers ou militaires qui viennent disperser les regroupements autour des fuites sont régulièrement pris pour cible par des groupes armés... Certains observateurs estiment que des responsables de la "Compagnie Nationale d'Exploitation des Oléoducs et Hydrocarbures" (PPMC) sont impliqués dans cette combine. En effet, certaines fuites, dûment signalées, n'ont pas été réparées pour que la population (et les gangs) puisse s'y alimenter. Selon la compagnie pétrolière nationale, 497 cas de siphonnage frauduleux ont été relevés en 1999.

Date

Lieu

Victimes

Mars 2000

Sud-Est

50 morts

23 juin 2000

Etat du Delta

17 morts

10 juillet 2000

Etat du Delta

300 morts

16 juillet 2000

Etat du Delta

16 morts

23 juillet 2000

Etat du Delta

40 morts

25 juillet 2000

Etat du Delta

15 morts

27 juillet 2000

Etat du Delta

40 morts

Août 2000

Sud-Est

18 morts

Ä La corruption publique3 :

Pour beaucoup, le Nigeria a longtemps été une kleptocratie, au moins jusqu'au retour de la démocratie. Le symbole de la corruption du pouvoir reste le cas du Général Sani Abacha, mort le 8 juin 1998. Les nouvelles autorités du pays l'ont accusé d'avoir détourné entre 3 et 6 milliards de dollars (entre 3,35 et 6,7 milliards d'euros) depuis son arrivée au pouvoir en 1993. Quelques semaines après sa mort, sa femme, Maryam Abacha était interceptée alors qu'elle sortait du pays avec 38 valises remplies de grosses coupures en dollars et livres sterling. Plusieurs enquêtes ont été lancées par les autorités Nigérianes et certains membres du clan Abacha ont remboursé une partie des sommes volées à l'État. Des comptes en Suisse ont également été gélés. Selon la presse britannique, le Général-Président aurait déposé 3,6 milliards de livres (5,7 milliards d'euros) sur des comptes personnels dans une banque de la City et 750 millions de dollars (837 millions d'euros) dans une banque brésilienne. Ces sommes provenaient essentiellement de la corruption liée à des grands contrats internationaux sur le pétrole bien sûr mais également l'aluminium, les activités bancaires, l'immobilier, les télécommunications,... Le régime Abacha s'appuyaient également sur des hommes d'affaires locaux dont certains membres de la communauté libanaise de Lagos, qui ont préféré fuir le pays après la mort de leur "parrain". On estime que les pots-de-vin représentaient entre 10 et 15% de la valeur des contrats. Ainsi, une enquête commencée en France en 1996 a montré que la filiale nigériane du groupe Dumez avait distribué entre 1990 et 1995 plus de 400 millions de FRF (61 millions d'euros) à des personnalités locales pour l'attribution de contrats de travaux publics4. On estimait en 1998 que les sommes d'argent détenues à l'étranger par des Nigérians vivant au Nigeria dépassaient la totalité de l'argent en circulation dans le pays.

Cette corruption ne touche pas seulement les plus hautes sphères du pouvoir. Toutes les administrations sont en effet touchées. Il faut payer pour obtenir des passeports, visas, permis de conduire, pièces d'identité,... Ainsi, un journaliste de l'émission américaine "60 minutes" a réussi à obtenir un certificat de naissance et un passeport le présentant comme un jeune fermier nigérian. Les services douaniers (aux frontières ou sur les aéroports internationaux) sont liés à des bandes de contrebandiers. Les bandes non liées aux autorités ou refusant de payer la "taxe" ("egunje") sont les seules à pâtir de l'activité policière et douanières. Le système judiciaire connaît le même problème : chaque décision a un prix que doit acquitter la partie pour gagner le procès. Les autorités couvrent également des acticités illicites comme la prostitution, les casinos clandestins et le trafic d'alcool. Des hommes politiques et des officiers de haut-rang sont associés dans ces activités à travers des prêtes-noms. Les opérations de police contre ce type de criminalité visent donc là aussi les malfaiteurs non protégés par des responsables politiques ou militaires. En outre, seules les "call-girls" liées à ces gangs sont autorisées à travailler dans les grands hôtels. En avril 1999, lors de la Coupe du Monde Junior de football, les prostituées occasionnelles attirées par l'événement, n'ont pu approcher les personnalités, les hôtels étant contrôlés par des unités mobiles de la police. Certains policiers et militaires se mettent au service des truands ou leur louent leurs armes5 et leurs uniformes à l'occasion.


Page précédente | Sommaire | Page suivante


3 Voir "Criminology in Africa" - Revue de l'UNICRI (United Nations Interregional Crime and Justice Research Institute) - n°47 - 1992

4 En février 2000, un non-lieu a été accordé au PDG de Dumez-Nigeria. La justice a en effet estimé que cette société bénéficiait d'une relative autonomie vis à vis du groupe.

5 Les gangs sont réputés être mieux armés que la police elle-même.