2.2.2. L'adaptation de certains services

En sus de la création de nouvelles unités chargées de lutter contre les violences urbaines, certains services en charge de la sécurité publique se sont adaptés : c'est le cas des Compagnies Républicaines de Sécurité (C.R.S.) et des forces territoriales de la Gendarmerie Nationale.

La population perçoit les Compagnies Républicaines de Sécurité principalement par leur activité de maintien ou de rétablissement de l'ordre lors des grandes manifestations parisiennes. Mais, les C.R.S., ce sont également des compagnies autoroutières et des compagnies de sauvetage en mer ou en montagne.

Les 10 000 fonctionnaires du service général sont répartis en neuf groupements et directions régionales qui recouvrent les zones de défense. Au sein de ces neuf zones, il existe 61 compagnies composées chacune d'environ 160 fonctionnaires. Une compagnie de C.R.S. est autonome. Envoyée dans n'importe quel lieu de l'hexagone, elle peut subvenir à ses besoins pendant près d'une semaine. Les C.R.S. sont demandées par les Préfets et mis à disposition, après accord de la Direction Générale de la Police Nationale, des D.D.S.P. C'est au service central des C.R.S. qu'il revient de gérer les déplacements des compagnies en fonction des besoins prioritaires de sécurité publique.

Les C.R.S. sont majoritairement des forces d'intervention chargées de rétablir l'ordre public. Mais, depuis quelques années, elles ne se cantonnent plus aux seules missions de rétablissement de l'ordre public et à leurs charges offensives contre les manifestants tels que les agriculteurs, les marins-pêcheurs, etc. Une nouvelle doctrine est apparue au sein de ce corps : la sécurisation et l'assistance.

La sécurisation représente, selon l'Inspecteur Général Roland Roussel166, près de 60 % de l'activité des C.R.S. contre 20 % pour le maintien ou le rétablissement de l'ordre. La sécurisation, si elle existait déjà dans les lieux publics, s'est étendue aux banlieues. Désormais, on a recours aux C.R.S. pour sécuriser certains quartiers sensibles. Cette nouvelle mission est allée de pair avec ce que Roland Roussel167 appelle la « petite révolution » des C.R.S. Théoriquement les C.R.S. interviennent selon le concept de « l'adversaire momentané168 » qui nécessite un engagement collectif des forces. La sécurisation implique, non pas une réponse collective, mais un engagement individuel du fonctionnaire qui reprend alors l'initiative. Les C.R.S. passent ainsi d'unités constituées à de petites patrouilles de trois ou quatre fonctionnaires, capables, toutefois, de se regrouper dans un délai très bref et de retrouver leur fonctionnement initial.

Les C.R.S. sont des forces de complément et travaillent en appui de la sécurité publique. Ils ne se substituent pas aux forces locales mais doivent les aider à se réimplanter, à reconquérir un territoire.
Ils sont placés sous la direction du D.D.S.P. et n'interviennent que sur instruction des responsables locaux de la sécurité. Comme le note le rapport du S.H.F.P.N., « si jusqu'en 1993, les C.R.S. étaient inadaptées à la lutte contre les violences urbaines, leur utilisation à dose massive a permis grâce à de nouvelles impulsions d'asseoir dans ces milieux, une meilleure qualité d'intervention alliée à une plus grande complémentarité avec les forces locales ». Les moyens matériels des compagnies ont été améliorés, la doctrine d'emploi modifiée et la rigidité d'engagement surmontée. Toutefois, les auteurs du rapport de l'Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure penseraient renforcer l'efficacité des C.R.S. par une sédentarité plus importante de certaines compagnies.

Désormais, les C.R.S. sont, comme les B.A.C. ou les C.D.I., des unités importantes du dispositif de lutte contre les violences urbaines. Comme nous l'indiquait Roland Roussel, lorsque les C.R.S. sont présents, les quartiers sont calmes. La présence de ces unités dissuade les auteurs de commettre leurs exactions et prévient les troubles. Mais, lors du départ de ces forces, le quartier n'en est pas pour autant pacifié. L'intervention des C.R.S. aura peut-être permis qu'un événement ne dégénère ou que la police locale se réimplante dans un quartier, mais elle n'aura pas, loin s'en faut, réglé le problème. D'ailleurs, ce n'est pas là sa vocation...

L'organisation de la Gendarmerie Nationale repose sur un concept de prévention lié à une police de proximité. La présence des gendarmes au sein d'un quartier ou d'un village est essentielle au maintien du lien social. Pour le Général de corps d'armée Gérard Charlot, « la brigade territoriale constitue un niveau, peut-être le seul, où peut se pratiquer une politique de prévention rapprochée qui ne vise pas à atteindre les causes profondes de la délinquance mais s'adresse à ses victimes et aux délinquants potentiels qu'une bonne intégration locale permet de connaître »169. Mais si la proximité est nécessaire170, elle n'est pas suffisante.
Devant l'extension des violences urbaines à des zones périurbaines, la Gendarmerie Nationale a dû entamer une réflexion quant à l'adaptation de ses forces et de ses moyens d'intervention. De plus en plus confrontés aux phénomènes de bandes et à l'augmentation de la violence, les gendarmes se sont trouvés face à des situations qu'ils n'avaient pas pour habitude de traiter et pour lesquelles leurs structures ne permettaient pas de répondre.

Dans un premier temps, les forces de la Gendarmerie Nationale ont découvert le phénomène de la violence urbaine lors des déplacements des jeunes dans les stations de vacances balnéaires ou hivernales. À coup d'interventions d'escadrons de gendarmes mobiles, ils essaient tant bien que mal de contenir cette exportation de la violence urbaine dans les communes provinciales.

Depuis 1993, certaines communes périurbaines - situées en zones de compétence territoriale exclusive de la Gendarmerie ou en zones « mixtes » - connaissent les violences urbaines de façon régulière. Le développement des transports et le « flicage » plus important de Paris et de sa proche banlieue, sont des facteurs qui ont conduit à une extension géographique du phénomène.

Comme nous le rappelait le Lieutenant-Colonel Vanoye, l'organisation de la Gendarmerie en brigades territoriales à effectif réduit (2/3 des brigades ont moins de sept militaires) ne permet pas de faire face à des événements mettant en situation 20 à 30 jeunes. Compte tenu des caractéristiques des violences urbaines la réponse doit être rapide, ce qui ne peut pas être le cas avec l'organisation qui prévaut actuellement au sein de la Gendarmerie Nationale, même si personne ne conteste le rôle important joué par les brigades territoriales.

Devant cette évolution de la délinquance, la plan « Gendarmerie 2002 » prévoit un redéploiement des effectifs au profit des zones périurbaines. Des brigades territoriales et des unités de recherches implantées en périphérie des grandes villes vont être renforcées, les effectifs supplémentaires étant prélevés dans les villes où la Gendarmerie est présente mais où les missions de sécurité et d'enquête sont de la compétence de la Police Nationale.

De même, à l'instar de la Police Nationale et pour endiguer la montée de la délinquance des mineurs, des unités spécifiques, les brigades de prévention de la délinquance juvénile (B.P.D.J.), vont être créées. Ces unités, composées de six sous-officiers d'active dont deux gradés, ont vocation à intervenir dans les zones périurbaines sensibles où la Gendarmerie a la charge de l'exécution des missions de sécurité publique. Selon une circulaire du 27 mai 1997, la mission de prévention de la délinquance juvénile sera primordiale pour les B.P.D.J. dont les saisines devront être limitées aux seules affaires d'enfants victimes et de mineurs délinquants qu'elles constateront en flagrant délit. Ce document précise : « afin de pouvoir entretenir un contact régulier avec les mineurs qu'elles auront à surveiller, les B.D.P.J., dont les commandements de groupement fixeront toujours les orientations générales de service, devront adapter quotidiennement leurs horaires aux rythmes de vie changeant de cette population ».

La structure d'une brigade territoriale n'étant pas adaptée pour répondre aux phénomènes de bandes, la création d'unités d'intervention (du type C.D.I.), plus souple d'usage et plus rapidement mobilisable que les escadrons de la Gendarmerie mobile, est actuellement à l'étude.

Institution originale de notre pays, la Gendarmerie Nationale a toujours su s'adapter aux évolutions de notre société : informatique, réseau d'informations, etc. De par son implantation et le maillage du pays qui en découle, elle est indispensable au dispositif de défense du territoire. Force complémentaire de la Police Nationale, avec laquelle elle collabore de plus en plus171, il est probable que, face à ses ambitions affichées, elle saura entreprendre les évolutions nécessaires.
 

 Page Précédente | Sommaire | Page Suivante
 

166 Monsieur Roland Roussel, Inspecteur Général de la Police Nationale, a été Directeur du Service Central des Compagnies Républicaines de Sécurité de janvier 1997 à septembre 1997.
167 Entretien avec l'auteur.
168 « L'adversaire des C.R.S. est le citoyen d'hier et sera le citoyen de demain, contrairement aux militaires qui raisonnent en termes ennemi/ami ». Entretien avec l'auteur.
169 Gérard Charlot, Général de corps d'armée, « La Gendarmerie : force de proximité » in Revue d'études et d'informations de la Gendarmerie, 4ème trimestre 1993, n° 171, p.30
170 La Police Nationale commence d'ailleurs à reprendre conscience de l'importance d'une police de proximité.
171 Notamment au sein des Plans Départementaux de Sécurité.