Compte tenu de la particularité de la délinquance urbaine et de l'augmentation de la délinquance de voie publique, la création d'unités ou de services spécialisés dans la lutte contre les violences urbaines et la petite et moyenne délinquance a été une innovation policière des dix dernières années.
Les B.A.C. sont réparties en B.A.C. locales et B.A.C. départementales. Ces brigades sont divisées en unités de jour et de nuit. Comme pour les unités constituées de la sécurité publique, le nombre de fonctionnaires sur le terrain varie en fonction des horaires de la délinquance.
En 1996, il existait 299 brigades anti-criminalité locales et 7 départementales implantées dans les 7 départements de la petite et grande couronne parisienne. Les B.A.C. sont généralement composées de gardiens de la paix, mais certaines unités (en particulier départementales) ont à leur tête des officiers. Les fonctionnaires des B.A.C. sont tous volontaires. Ils sont recrutés en fonction de critères physiques, de tests psychotechniques et après un entretien avec un jury et une psychologue. La moyenne d'âge tourne autour de 25 ans. Depuis l'entrée en vigueur de ces nouvelles structures et suite à leurs résultats positifs, les candidatures ont afflué. Les B.A.C. deviennent des unités très recherchées et la sélection est de plus en plus sévère.
Si les B.A.C., locales ou départementales, sont toutes constituées sur le même principe, leur fonctionnement diffère d'une circonscription à l'autre. Il n'y a pas encore d'uniformité quant à la formation et à l'organisation de ces structures. Ainsi, pour certaines B.A.C., les fonctionnaires passent un « contrat moral » de trois ans avec leur hiérarchie. Si leur travail donne satisfaction, un nouveau « contrat » peut être conclu. En général, il ne peut être renouvelé une troisième fois153. Ce type de fonctionnement est laissé à la discrétion des directions départementales. En ce qui concerne la formation, le même principe de liberté demeure. La direction des B.A.C. départementales des Yvelines a été une des premières à mettre en place un module de formation préalable et continue pour les fonctionnaires de ces unités. Compte tenu de la satisfaction que donne cette initiative, l'objectif serait de l'étendre à l'ensemble du territoire.
L'absence de carcan administratif permet une souplesse dans la gestion de cette structure entraînant ainsi une adaptation de la réponse policière aux spécificités locales de la délinquance. Les chefs de service disposent d'une certaine marge de manoeuvre dans la gestion de leurs unités, notamment dans la répartition des horaires ou dans la composition des équipages. Cette liberté semble se retrouver également dans la manière dont travaillent quotidiennement les fonctionnaires. Ainsi, les équipages sont constitués en fonction des affinités de chacun et d'une même approche des méthodes d'intervention. Cela permet d'avoir des groupes homogènes, soudés et dont les membres se font mutuellement confiance. Dans ce type de structures, et en particulier dans les B.A.C. de nuit, il est indispensable que les fonctionnaires puissent se reposer les uns sur les autres. Des relations humaines difficiles entre les membres d'une même équipe ne peut conduire qu'à des dérapages sur le terrain. À cet égard, et selon les fonctionnaires rencontrés, la hiérarchie policière semble avoir pris conscience de l'importance de ce facteur.
Les B.A.C. sont constituées de trois ou quatre fonctionnaires154, parmi lesquels un est toujours obligatoirement en tenue. Depuis que ces unités ont montré leur efficacité, les B.A.C. disposent de matériel et de moyens enviés par d'autres services de la police. Un effort important a été fait sur les véhicules, puisque les B.A.C. disposent d'automobiles puissantes (405, 605, safrane) ou fonctionnelles (4x4 aux vitres incassables). Outre leurs armes de service, ils travaillent surtout avec le tonfa155, sont équipés d'un gilet pare-balles et, depuis peu, emportent toujours avec eux un flashball156 et une tenue de maintien de l'ordre spécialement conçue pour les interventions liées aux violences urbaines.
- L'initiative personnelle est le corollaire de la mission qui
est confiée à ces unités. Guettant le flagrant délit,
les B.A.C. agissent de façon autonome. Unités de patrouille157,
mais également d'intervention, les fonctionnaires travaillent selon
des automatismes et en fonction de leur connaissance du terrain. Leur objectif
prioritaire est la lutte anti-criminalité (dégradations,
vols à la roulotte, vols de véhicules, etc.).
- Ces unités ont également pour mission de renforcer
les effectifs locaux ou départementaux en cas d'interventions
délicates dans les cités sensibles ou lors de manifestations
urbaines violentes. Dans ce cas, leur rôle est double :
- d'une part, elles ont une mission de reconnaissance du terrain.
Dans ce cadre, elles informent la salle de commandement de la situation
afin que cette dernière évalue les besoins en moyens humains
et matériels,
- d'autre part, lors d'émeutes ou d'attroupements, les fonctionnaires
des B.A.C. ont pour fonction l'identification des meneurs et leur
interpellation immédiate. Face à une émeute,
la technique policière est désormais rodée. Les unités
de maintien de l'ordre se placent en barrage et les fonctionnaires des
B.A.C. sont prêts à appréhender les leaders dès
que ceux-ci sont repérés.
De plus, lorsque les policiers sont requis pour une intervention dans
une cité sensible, si les premières unités à
se déplacer sont les fonctionnaires de police locaux, il n'est pas
rare que les BA.C. départementales se rendent également sur
les lieux afin de parer à tout incident éventuel. Les B.A.C.
patrouillant toute la nuit dans le département (chaque B.A.C. a
un district attribué au début de chaque soirée), il
leur est plus facile d'intervenir ou d'aller en reconnaissance dans des
lieux susceptibles de connaître des troubles. Cela fait notamment
suite à la prise en compte du risque potentiellement encouru
par les fonctionnaires de police lors d'une intervention, même bénigne
(accident de la circulation, interpellation, etc.) dans une cité
sensible. Dans ce cas et par précaution, toutes les unités
proches du lieu de l'infraction convergent vers le même point.
Compte tenu de leurs missions, des instructions ont été données afin que ces unités travaillent quasi exclusivement sur la voie publique. Ainsi, les B.A.C. ne doivent pas être retenues pour une mission s'inscrivant dans le cadre d'enquêtes judiciaires importantes. Le travail judiciaire des fonctionnaires des B.A.C. réside en la seule rédaction des procès-verbaux d'interpellation.
Bien que ces structures ne soient pas encore reconnues officiellement comme des unités spécialisées - au même titre que la police judiciaire, le R.A.I.D. ou la B.R.E.C. -, elles constituent dorénavant le pilier des forces de l'ordre chargées de lutter contre la violence dans les banlieues. L'efficacité de ces unités est désormais reconnue tant par les hommes politiques158, que par l'administration centrale. Leur développement et les moyens matériels qui leur sont attribués sont des priorités gouvernementales depuis maintenant 1994.
Si ces unités sont appréciées par de nombreux décideurs administratifs ou politiques, elles sont également craintes par les jeunes. Leur réputation n'est plus à faire. Les fonctionnaires de police qui en sont membres sont considérés comme des « durs à cuire », ne discutant pas et prêts à l'affrontement. Les relations des jeunes des cités n'étant basées que sur les rapports de force et d'autorité, il semble qu'ils aient trouvé dans les B.A.C. des « adversaires » à la hauteur de leurs « attentes ». Les jeunes font d'ailleurs une différence notable entre les différents fonctionnaires de police qui interviennent dans leur cité. Alors qu'ils n'hésitent pas à « caillasser » des fonctionnaires de jour, ils réfléchissent à deux fois avant de se lancer dans un affrontement avec les fonctionnaires des B.A.C.
On entend également dire que les B.A.C. sont les « cow-boys » de la police. La mission confiée à ces unités nécessite, outre des qualités individuelles importantes : gestion du stress, contrôle de soi, aptitudes physiques, sens de l'initiative, etc., le goût du risque, le désir d'action et, d'une certaine façon, l'envie d'en « découdre »159. Le fait de travailler la nuit et dans des lieux sensibles conduit logiquement à des méthodes de travail spécifiques. Le « public » rencontré par les B.A.C. de nuit et le contexte de cette rencontre ne peuvent pas conduire ces fonctionnaires à réagir de la même façon que des îlotiers... À ce titre, chaque équipage élabore sa propre stratégie d'intervention et d'interpellation160.
Les B.A.C. sont des outils adaptés à la délinquance urbaine. Il est impossible de s'en séparer. La création de nouvelles unités démontre leur efficacité. Néanmoins, compte tenu de nos observations, elle en serait sûrement améliorée si la formation des fonctionnaires était uniformisée et si le recrutement des B.A.C. locales était aussi sévère que pour les B.A.C. départementales. Les moyens matériels existent, les stratégies définies, le reste n'est plus qu'une affaire d'effectifs et de qualités individuelles des fonctionnaires.
La Brigade régionale d'enquête et de coordination (B.R.E.C.) est chargée de traquer les délinquants dans les banlieues. Créée en 1991, c'est une unité de police judiciaire ayant pour tâche de détecter et de confondre judiciairement les leaders négatifs qui attisent les tentions dans les cités. Unité opérationnelle, elle se consacre à des affaires d'initiative, à la recherche d'informations et à l'exploitation de renseignements susceptibles de faire « tomber » les meneurs de certaines bandes. Cette unité ne travaille pas à partir d'une infraction commise mais d'individus signalés par d'autres services de police comme potentiellement dangereux. La B.R.E.C. cherche avant tout à rassembler les éléments qui permettront à la Justice de réprimer les délinquants.
Selon le Commissaire François Jaspart163,
les deux principales missions imparties à la B.R.E.C. sont de :
- combattre les manifestations les plus graves de la criminalité
en groupes organisés. Elle est ainsi chargée d'identifier
et de neutraliser les bandes qui, au sein des cités, utilisent les
problèmes sociaux pour masquer leurs activités criminelles,
- coordonner le recueil, le traitement et la redistribution
du renseignement auprès des différents services de police
et de Gendarmerie.
La B.R.E.C. est articulée autour d'une structure composée :
- de groupes opérationnels de huit policiers disposant de véhicules
légers et de surveillance, de moyens techniques adaptés aux
sites dans lesquels évoluent les malfaiteurs et à leurs habitudes
de vie,
- d'un groupe d'alerte, prêt à intervenir dans les délais
les plus rapides, composé d'éléments des divers groupes,
assurant une permanence,
- d'une cellule de documentation en charge de la centralisation des
renseignements, l'exploitation des informations, les recherches nécessaires
et la tenue d'un poste de commandement toujours en éveil pour apporter
l'assistance aux groupes opérationnels lors de leurs opérations,
- d'un groupe de formateurs chargés de la conception, de l'organisation
de la formation continue et de l'analyse des comportements des malfaiteurs
afin d'y adapter les méthodes et moyens de lutte,
- d'une cellule technique en charge de l'entretien, de l'installation
des matériels techniques et de l'éveil technologique utile
à la mise en place de nouveaux matériels et de nouvelles
méthodes de travail.
Si les B.R.E.C. ont été officiellement créées pour lutter contre les violences urbaines, leurs objectifs semblent avoir été détournés au profit de la lutte contre le grand banditisme. Selon nos interlocuteurs, cette unité n'intervient plus dans les banlieues que pour des affaires criminelles de droit commun. Sa spécificité se serait estompée. La B.R.E.C. serait une B.R.I. camouflée. Néanmoins, selon le Contrôleur Général Ange Mancini, créateur de la B.R.E.C. de Versailles, une telle unité a permis de démanteler certaines bandes en arrêtant, au plus près de la commission de l'infraction, les leaders.
Le discours officiel tend toujours à dire que la B.R.E.C. est une unité judiciaire chargée de la criminalité dans les banlieues, mais cette opinion ne semble pas être partagée par les acteurs policiers de terrain, ni par l'Inspecteur Général Olivier Foll qui, dans son rapport indique que « leur impact dans la lutte contre les violences urbaines est en réalité résiduel ». Reste à savoir si la répression de la grande criminalité urbaine ne concourt pas, malgré tout, à la lutte contre les violences urbaines. Compte tenu de la création des sûretés départementales et des G.R.E.C., ainsi que des compétences dévolues aux U.P.J.A. et aux directions départementales de la police judiciaire, il serait peut être plus judicieux de nommer un chat un chat et une B.R.E.C. une B.R.I. !
Les trois missions de la B.R.A.V. sont :
- le démantèlement des bandes, en configuration
de police judiciaire,
- l'identification et l'interpellation des casseurs,
en configuration de maintien de l'ordre dépassé et,
- un travail d'assistance aux autres services de la police.
La brigade est composée de trois groupes :
- la coordination se charge des liaisons extérieures
et inter-services, ainsi que de la synthèse des faits et des affaires
en cours,
- le groupe enquêtes et recherches est un groupe procédurier,
de culture « civile » qui a comme mission l'investigation,
la localisation, l'infiltration et l'interpellation des groupes d'émeutiers
- le groupe opérationnel est chargé des filatures,
des surveillances et des interventions.
Il assure un suivi en profondeur des évolutions dans les quartiers, ce qui permet d'anticiper les crises, de faire des états des lieux réguliers et de voir quelles sont les lignes de force de l'évolution.
Grâce aux informations glanées sur le terrain par les fonctionnaires départementaux des Renseignements Généraux, mais également - voire surtout - par les fonctionnaires de la sécurité publique, la section « Villes et banlieues » a mis en place une cartographie et une échelle d'évaluation des violences urbaines. Outil statistique165 contesté par certains et apprécié par d'autres, le travail d'analyse fourni permet néanmoins d'obtenir une vision globale du phénomène et des éléments de comparaison tant géographique que quantitative.
Dans une note de mars 1997, la direction centrale rappelle que « les Renseignements Généraux ont d'abord une mission d'information et de renseignement sur les violences, pour évaluer la nature et l'importance des risques, pour connaître les évolutions du phénomène, pour repérer toute éventuelle manipulation idéologique, pour évaluer aussi l'efficacité et la fiabilité du tissu associatif subventionné dans le cadre de la politique de la Ville ».
D'après le Commissaire Bui-Trong, il semble que depuis 1994, date à laquelle la violence urbaine a été présentée comme une priorité du Ministère de l'Intérieur, les fonctionnaires locaux aient trouvé plus d'intérêts à s'intéresser à ce phénomène. Aujourd'hui, ce sont plus d'un millier de quartiers qui sont suivis, dont 873 de manière plus approfondie. Ce sont près de 359 fonctionnaires qui travaillent dans ce domaine. Certains le font à temps partiel en partageant leur temps entre l'analyse des violences urbaines et les autres missions des Renseignements Généraux (renseignements politiques ou syndicaux, courses et jeux, etc.) : ce sont des généralistes. D'autres, beaucoup moins nombreux, sont spécialisés. Les connaissances acquises sont destinées à l'information du Gouvernement et des Préfets, mais elles trouvent aussi une utilité concrète au niveau du terrain, dans le cadre du partenariat entre les services chargés de la sécurité.
Ce travail d'analyse et d'information est-il apprécié des autres services de la Police Nationale ? Au fil de nos entretiens, nous avons pu constater une certaine réserve de la sécurité publique quant au travail des Renseignements Généraux. Ainsi, avec une pointe d'amertume, le Commissaire Bui-Trong nous a fait part de son regret de ne pas toujours être entendue par les directions centrales. En fait, les Renseignements Généraux travaillent à long terme avec un objectif d'anticipation, alors que la sécurité publique doit gérer les situations au quotidien. Les préoccupations de ces deux entités sont donc radicalement différentes. Pour les premiers, il convient de s'attarder sur les quartiers qui se dégradent (près de 500), alors que pour les seconds, l'action prioritaire reste ciblée sur les 130 quartiers déjà très dégradés. Au sein de la sécurité publique, c'est un sentiment de circonspection qui domine. Ainsi, les Renseignements Généraux utiliseraient uniquement les informations de la police urbaine et prendraient un malin plaisir à mettre le doigt sur des situations qui traduiraient une inefficacité des forces de police. La « guerre des polices » n'est pas terminée...
Enfin, la fiabilité des analyses des Renseignements Généraux
dépend très largement du travail effectué sur le terrain.
Malgré la souplesse demandée par les activités de
renseignement, il serait peut-être souhaitable qu'un contrôle
un peu plus poussé du travail des fonctionnaires soit effectué
au niveau des directions départementales. Le secret qui entoure
le fonctionnement des Renseignements Généraux n'est pas non
plus propice à une évaluation qualitative objective des connaissances
acquises. Il serait bon de savoir à partir de quelles sources les
fonctionnaires rédigent leurs notes. Quels recoupements utilisent-ils
pour valider telle ou telle information ? Selon quels critères choisissent-ils
un informateur ? Etc. Sans parler de rigidité, une rigueur plus
importante ne serait pas superflue.
153 Sauf si le fonctionnaire donne entière
satisfaction, émet le désir de rester et que ses aptitudes
physiques sont toujours optimales.
154 Cela varie selon les directions départementales
ou les commissariats locaux.
155 Bâton de défense américain.
156 Lanceur de balles de caoutchouc.
157 Ils peuvent patrouiller à pieds
dans certaines cités.
158 Le député socialiste Julien
Dray, connu pour son intérêt pour les banlieues, n'a-t-il
pas déclaré récemment que les B.A.C. étaient
les seules unités de la Police Nationale susceptibles de rétablir
l'ordre et de rentrer dans les cités.
159 À cet égard, il suffit
de voir à quel point les fonctionnaires jubilent lorsqu'ils interpellent
des délinquants en flag.
160 Certaines images d'Épinal de
la police, comme le gentil et le méchant « flics »,
semblent encore fonctionner.
161 Brigade régionale d'enquête
et de coordination.
162 Brigade de répression des actions
violentes.
163 François Jaspart, Commissaire
divisionnaire de la Police Nationale, est Directeur Régional de
la Police Judiciaire de Versailles. « La brigade régionale
d'enquêtes et de coordination » in Revue d'études
et d'informations de la Gendarmerie n° 179, 4ème
trimestre 1995, p.42
164 Les grandes émeutes urbaines
se sont presque toutes déroulées dans la banlieue lyonnaise
(Vaux-en-Velin, Vénissieux, etc.)
165 Cf. paragraphe sur les statistiques
p.40