CONCLUSION : UN PHENOMENE TOUT EN NUANCES

Comme on le disait en introduction, la France est confrontée depuis très longtemps au phénomène terroriste. L'élaboration d'une riposte adéquate et efficace s'est donc avérée nécessaire.

Le corpus législatif français permet une telle réponse. Ce droit spécialisé, qui n'est pas un droit d'exception, est fondé sur divers textes souvent rédigés à la suite d'évènements douloureux (1986, 1996, 2001). Il permet une répression maximale tout en privilégiant une approche pro-active, l'objectif étant de « frapper » avant la réalisation effective de l'acte terroriste. A ce titre, l'article 421-2-1 du Code Pénal est essentiel : « constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ». Il s'agit là de l'incrimination d'association de malfaiteurs au titre des infractions terroristes introduite dans notre droit pénal par la loi du 22 juillet 1996. Celle-ci se révèlera très utile dans les actions contre les réseaux logistiques qui, comme nous l'avons vu, constituent une part importante du « paysage terroriste » français.
Finalement, depuis quelques années, les acteurs de l'anti-terrorisme français ont enregistré de nombreux succès en conciliant l'efficacité opérationnelle et le respect des droits de l'Homme et de l'Etat de Droit.

Cependant, certains problèmes persistent. Ainsi, on peut lire à la page 96 du rapport de la mission d'information sur « les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001 »28 : « l'administration du ministère des Transports a également indiqué à la mission d'information que des instructions avaient été envoyées aux exploitants et gestionnaires des quelque 500 aéro-clubs en France et aux propriétaires et exploitants d'aéronefs privés. Sont ainsi exigés dorénavant la vérification de l'identité des clients par les organismes loueurs d'avions et sa transmission 48 heures avant décollage à la direction générale de l'aviation civile (DGAC), le gardiennage des avions par leurs propriétaires et l'inspection filtrage des avions d'affaire ». Après vérification en août 2002 auprès de certains aéro-clubs, il semblerait que tout ne soit pas aussi simple et clair. Cette recommandation n'est qu'une recommandation et les vérifications d'identités ne sont pas systématiques (loin s'en faut !). Les remontés d'information auprès des services de l'Etat sont exceptionnelles, pour ne pas dire inexistantes. Pour illustrer cela, on peut citer les propos d'un gérant d'aéro-club en région parisienne : « nous ne sommes pas des agents de police ».
Cet exemple nous montre l'importance du suivi sur le terrain de l'application des décisions ministérielles.

Quoiqu'il en soit, et même si cela reste un combat de tous les instants, l'efficacité de la lutte anti-terroriste en France n'est plus à démontrer. Ceci a été bien intégré dans les milieux de l'islam radical. On a ainsi pu voir se développer un sentiment paranoïaque fort au sein des lieux de culte. C'est le mythe du « tous les musulmans de France sont surveillés ».
Avant 1995, les éléments de propagande (cassettes, tracts...) circulaient assez ouvertement29. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le « culte sécuritaire » s'est fortement développé dans ce milieu. Notre enquête nous a montré qu'il faut beaucoup de temps, plus de trois mois, pour commencer à gagner la confiance des fidèles et ainsi entendre des discours plus sincères, moins « calculés » (par exemple sur la question palestinienne ou plus généralement sur le peuple juif).

Pourtant, une telle « immersion » semble nécessaire. En effet, le phénomène de l'islamisation radicale des banlieues est un phénomène tout en nuances. La menace réelle se situe à l'échelle individuelle. Dans un même groupe, la plupart des fidèles sont assez imperméables aux messages les plus radicaux. Une petite partie est séduite par les idées mais ne franchit jamais le pas pour basculer dans l'activisme, au pire on reste dans la « fanfaronnade ». Enfin, un ou deux individus plus fragiles que les autres peuvent passer à l'action. En effet, on a pu observer que deux « thèmes » récurrents peuvent favoriser cette démarche. D'une part, l'idée de « victimisation » du peuple musulman. On assiste à ce propos à une mondialisation du concept. Avant, les regards étaient tournés presque uniquement vers l'Algérie. Aujourd'hui, le jeune va s'imaginer représenter le palestinien de Gaza ou le tchétchène de Grozny. D'autre part, en banlieue, la notion de jihad est souvent liée à celle de « respect ». Le combattant de l'islam dispose d'une aura qui lui assure l'admiration des autres. Ceci aboutit à un phénomène d'émulation au sein des groupes qui peut se révéler désastreux.
Cependant, il ne s'agit que de dérives individuelles. Il ne faut pas « fantasmer » : nos banlieues ne regorgent pas de jihadistes.

Néanmoins, ces propos ne sont pas forcément rassurants : comme on l'a déjà dit, la question du nombre n'est pas très importante. De plus, il est difficile de percevoir, suivre ou anticiper ces dérives individuelles.
Cette menace est donc réelle. Les éléments recueillis pour la réalisation de cette étude permettent de penser que nos banlieues ne peuvent fournir « que » des petites mains, au pire des poseurs de bombes comme Kelkal. Un acteur de la lutte anti-terroriste résume la situation : « les banlieues ne fournissent que des soldats, pas encore des officiers ».

Cependant, la situation pourrait changer. Ainsi, un individu comme Djamel Beghal peut être qualifié de « sous-officier » si l'on poursuit avec cette comparaison militaire. Il ne faut pas non plus se limiter aux « banlieues ». Si la présence de l'islam y est plus visible et donc plus inquiétante pour certains, il ne faut pas oublier que le danger vient de ce que l'on ne voit pas.
Il serait très intéressant de suivre par exemple les milieux étudiants. Cet axe d'étude n'a pas été possible ici, faute de temps.

Il faut essayer de ne jamais oublier que la véritable menace ne vient pas forcément du « banlieusard » barbu en djellaba qui « se la raconte » mais plutôt de l'individu endoctriné et déterminé, quelque soit sa présentation et son milieu social.

 

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28 Rapport d'information n°3460, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2001.

29 Voir à ce propos « La tentation du jihad », David Pujadas et Ahmed Salam, JC Lattès, 1995.