§3 La France en tant que cible ? Le cas du « Takfir »

Si la France est avant tout une base logistique du terrorisme islamiste, elle peut également en devenir la cible (2). Les précédents de l'année 1995 sont là pour nous le rappeler. De plus, on ne pas exclure une attaque d'intérêts étrangers sur le territoire français. Nous allons examiner cette question à travers les propos de Nacer Eddine Mettai et l'étude d'un groupe en particulier : le « Takfir wal Hijra » (1).

Le Takfir wal Hijra (« Anathème et Exil ») est fondé, en Egypte, en 1972 par un ingénieur agronome, Mustafa Choukri (ceci à la suite d'une rupture au sein du « Parti de la libération islamique »).
Ce groupe s'est essentiellement signalé par l'enlèvement et l'exécution du cheikh Muhammad ad-Dhahabi en 1977. Choukri est condamné à mort dans cette affaire. Il est exécuté en 1978. A la suite d'une féroce répression des autorités égyptiennes, ce mouvement plonge dans une clandestinité totale et devient quasiment invisible tout en restant actif.
A noter que l'appellation « Takfir wal Hijra » est imputable aux médias et aux autorités égyptiennes. Ce groupe est aussi connu sous le nom de « Gama'at al Muslimun » (« La société des musulmans »).

Une organisation de ce type fera son apparition en Algérie, au plus tard au milieu des années 70. C'est celle-ci que décrit Nacer Eddine Mettai au cours de ses auditions.
Le Takfir serait très présent dans le quartier de Belcourt à Alger, à Chlef et à Constantine.
Il serait divisé en deux groupes :

Selon Mettai, le Takfir serait implanté en Europe (plus particulièrement en Hollande, en Suisse et en Italie) mais également en Amérique du Nord.
Les différentes structures européennes sont dirigées par l'émir Abou Ayoub El Barkaoui depuis la Grande-Bretagne.
El Barkaoui est membre de l'organisation islamiste pakistanaise, fondée en 1992 par le jordano-palestinien Mohamed Al Rifai (alias Abou Hamman), « Jamaat al Khilafat ». Cette organisation est basée à Peshawar et dispose d'une maison appelée « Beit al Ansar », un des lieux d'accueil des volontaires jihadistes.

En France, le Takfir disposait à Marseille d'une cellule composée d'un noyau dur (6 individus) autour duquel gravitait un premier cercle (9 individus) et un second cercle (6 individus). Cette structure était autonome par rapport à la direction algérienne.

Si le Takfir a pu prendre la forme d'organisations structurées en Egypte et en Algérie, il s'agit avant tout d'une conception religieuse, une « vision de l'Islam » fondée sur le repli sur soi et la dissimulation (les takfiris, au nom de l'islam, s'autorisent à violer les préceptes de l'islam, par exemple boire de l'alcool ou ne pas porter la barbe).
Comme le dit Jean-Luc Marret, « Choukri considérait que si la société contemporaine était a-islamique, cela impliquait que personne n'était réellement musulman et que par conséquent lui-même pouvait prononcer le takfir et déclarer impie tout un chacun et le condamner à mort »24. En d'autres termes, tous ceux qui ne sont pas avec eux, sont contre eux.

A ce titre, il faut plutôt considérer le Takfir comme une mouvance, une obédience. Des cellules se créent au gré des initiatives individuelles. Les relations entre ces cellules se font sur la base de connaissances personnelles et de rapprochements informels.
Il n'y a donc pas un Takfir mais des Takfirs, c'est à dire des groupes autonomes appliquant cette « philosophie ».

Ce mode de fonctionnement « quasi-biologique » peut expliquer la dimension « mythique » de ce « courant » au sein des musulmans de France. Ils ont tendance à voir des takfiris partout en France.
Ainsi, certains fidèles de la mosquée de Levallois n'hésitent pas à affirmer que la salle de prière de la rue Tolbiac est tenue par des takfiris. Cependant, rien ne vient confirmer ces allégations.
De la même façon, dans un article du Monde25, des jeunes musulmans parlaient de Sartrouville comme un fief Takfir. On peut fortement nuancer ces propos26.

Néanmoins, il semble établi, après recoupement de différentes sources, que la mosquée de Bondy (Seine-Saint-Denis) accueille des éléments takfiris.
Les cellules Takfir ne sont donc pas présentes partout en France mais elles existent et sont difficilement repérables du fait de leur mode de « non-organisation » et de leur culture de la dissimulation.

La cellule Takfir à laquelle appartenait Nacer Eddine Mettai avait planifié une attaque terroriste contre la France.

Ce projet ne verra jamais le jour. Il faut d'ailleurs se méfier des déclarations de Mettai. Tout ceci est à nuancer. D'une part, le passage à l'acte contre la France, comme la vengeance de la mort de Kelkal, sont des thèmes récurrents au sein des milieux activistes islamistes. Cependant, cela ne reste qu'au niveau des idées.
D'autre part, comme on l'a vu, la France est avant tout une base logistique. Il n'est donc pas très rationnel d'en faire une cible.

Quoiqu'il en soit, l'hypothèse d'actions sur le sol français n'est pas à exclure. A ce titre, le schéma développé par Mettai est intéressant.
La campagne de 1995, bien que dramatique, n'a pas été une réussite opérationnelle. La raison principale réside dans le manque de savoir-faire technique des acteurs. Le schéma précédent prend en compte cette donnée en opérant une distribution stricte des rôles. La fabrication des engins explosifs nécessite un minimum de connaissances techniques et d'expérience. Les apports extérieurs peuvent donc s'avérer déterminants.

On le voit, le rôle donné aux résidents français est essentiel mais ne nécessite que peu de connaissances. En fait, tout réside dans la détermination. Nous restons dans une certaine mesure dans le schéma Kelkal : des jeunes islamistes déterminés, prêts à l'action en territoire français. Cependant la fabrication des engins ne leur est pas confiée mais est réalisée à l'extérieur, ou avec une aide extérieure rendue possible par les circuits d'hébergement vus précédemment. Ceci est sans doute un gage d'efficacité.

Une telle approche peut inquiéter. En effet, du fait de la diffusion des messages les plus radicaux (cf. chapitre 2), trouver des jeunes capables de passer à l'acte ne semble pas impossible, même si cela reste marginal. Cependant, de plus en plus de jeunes, plus ou moins fragiles, se disent prêts à mener le combat27. Il faut ajouter à cela que le nombre importe peu : une cellule, même petite, peut se révéler très efficace et productive.

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24 « Le Moyen-Orient après le 11 septembre », colloque FRS, 18 mars 2002.

25 « L'essor des salafistes en banlieue inquiète policiers et musulmans », Le Monde, 25 janvier 2002.

26 SPA.

27 SPA.