§2 L'affaire Kelkal

Pendant quatre mois, entre juillet et octobre 1995, la France connaît une vague d'attentats qui fait une dizaine de morts et plus de 150 blessés.

Deux autres évènements sont à signaler :

Ces actions sont menées par trois cellules d'exécutants3 :

Deux individus coordonnent ces attentats :

Le financier Rachid Ramda, algérien, opère à partir de Londres.

Enfin, certains individus jouent un rôle annexe en apportant des aides ponctuelles plus ou moins déterminées : Mustapha Boutarfa (location d'un appartement utilisé par les membres du réseau), Abdelkader Bouhadjar (assiste Kelkal dans sa fuite en lui fournissant un téléphone portable), Salim Agoume (aurait fourni 1 kg de poudre noire).

Tout d'abord, comme dans le cadre de l'« affaire de Marrakech », nous sommes face à ce que Jean-Luc Marret appelle un « terrorisme par le bas »4, c'est à dire issu des quartiers en difficulté. Le cas de Khaled Kelkal est éclairant : une scolarité laborieuse mais relativement satisfaisante puisqu'il va jusqu'en 1ère F section chimie. Toutefois, il ne parvient pas à trouver un emploi en liaison avec sa formation. Son passage en prison est aussi le passage à l'Islam le plus dur. Ainsi, Khaled Kelkal bascule dans l'activisme. Ceci confirme le fait que les banlieues françaises puissent servir de réservoir de main d'_uvre pour des groupes extrémistes.

Cet épisode met aussi en avant un phénomène qu'il ne faut pas sous-estimer : le rôle des convertis. Le groupe de soutien logistique basé à Chasse-sur-Rhône (Isère) est dirigé par deux convertis de nationalité française, Joseph Raime et David Vallat. Or, le converti est souvent « sur-motivé ». L'étude de terrain effectuée n'a fait que confirmer cette tendance. L'idée est simple : le converti a plus de chemin à faire que le musulman « de naissance », il doit donc faire plus d'efforts. Un converti qui passe au niveau de l'activisme est donc souvent très motivé et très actif. Il se sent en perpétuelle « mise à l'épreuve » aux yeux des autres.

Il faut également retenir la dimension internationale du réseau. Les décisions stratégiques émanent vraisemblablement d'Algérie, les financements viennent de Londres et les responsables de la coordination ont pour point de chute Bruxelles. Ainsi, à la façon de la résistance française durant la seconde guerre mondiale, les groupes ont leurs dirigeants et leur financier à l'étranger. Cette dimension multinationale des réseaux terroristes ne cessera de se développer.

Ce réseau a également une forte dimension régionale au niveau du fonctionnement interne. Ainsi, Kelkal vient de Mostaganem. D'autres personnes arrêtées sont également de Mostaganem et ont apparemment fonctionné avec lui. En fait, il y a une alliance entre des individus originaires de Mostaganem et des kabyles issus de deux quartiers d'Alger, Belcourt et Bouzareah (cf. Boualem Bensaïd). Aujourd'hui, cette dimension régionale perdure mais s'ajoute dorénavant une dimension « quartier » pour les plus jeunes. Ceci rend la pénétration des réseaux très difficile.

La fin de Khaled Kelkal est également intéressante. Il « prend le maquis » en véritable moudjahidine (treillis, carte, boussole). Ceci montre d'une part la motivation et la détermination de l'individu et d'autre part l'importance de l'apprentissage militaire fourni aux activistes. Kelkal, au moment de sa fuite, agit en fonction de réflexes et non de la raison.

La mort du jeune homme aura également une grande importance pour la suite. « Venger la mort de Kelkal » fait ainsi partie des mythes circulant dans les milieux activistes encore aujourd'hui, en 2002 (voir les déclarations de Nacer Eddine Mettai dans le cadre de l'affaire Mamache5). On peut dire que Khaled Kelkal a acquis une dimension symbolique forte dans les milieux activistes français et même au-delà.

Enfin, comme l'« affaire de Marrakech », les attentats de 1995 mettent en avant les limites opérationnelles de ce type de groupes. Les jeunes « paumés » de banlieues, les petits délinquants n'ont pas forcément les savoir-faire nécessaires à de telles opérations. Par contre, ils peuvent se révéler très utiles dans le cadre de réseaux de soutien et de réseaux logistiques où les connexions avec les milieux de droit commun s'avèrent souvent nécessaires (fourniture de faux papiers, d'armes, financement, etc.).

Cette alliance du Jihad et du caïdat est bien illustrée par l'« affaire Chalabi ».

 

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3 « Techniques du terrorisme », Jean-Luc Marret, PUF, 2000, p.60.

4 « Techniques du terrorisme », Jean-Luc Marret, PUF, 2000, p.54.

5 Sources Personnelles de l'Auteur (SPA).