e) La fiabilité de l'information sur Internet

D'après une étude de juin 2000 Ipsos / le Figaro : 91 % des internautes estiment qu'Internet a déjà modifié leur façon de s'informer . Mais quelle est la réaction de la profession de journaliste dont c'est le métier de s'informer face à Internet ? En France 42 % des journalistes se connectent au moins une fois par jour.174 Aux Etats- Unis où l'utilisation d'Internet est beaucoup plus importante , les sondages sont encore plus révélateurs :

« C'est ce que démontre la sixième étude Middelberg / Ross sur l'appropriation de l'Internet par les médias . Plus de 90 % des répondants à l'étude de cette année ont dit utiliser le net comme outil de recherche pour leurs articles comparativement à 74 % l'an dernier . De plus, la moitié des reporters ayant répondu au sondage ont dit se servir d'Internet pour trouver des sujets ou encore étoffer une présentation ou vendre un sujet à la rédaction. »175 La profession de journaliste est donc une grande utilisatrice du réseau , 75 % des journalistes américains se connectent tous les jours . Mais le résultat le plus troublant de cette étude est la possible réutilisation de rumeurs glanées sur le Net sans obligatoirement vérifier l'information par une autre source : « Six journalistes sur dix affirment qu'ils publieraient un texte sur une rumeur trouvée en ligne s'ils parvenaient à avoir une confirmation indépendante tandis que 12 % ont répondu qu'ils ne feraient pas connaître cette rumeur à leur lecteurs , même si elle était confirmée. Il est peut être troublant de constater que 17 % de ces répondants ont dit qu'ils relaieraient une rumeur trouvée sur le Net même sans confirmation d'une source indépendante . »176.

Cette problématique de vérification des sources d'information sur Internet soulève des débats au sein de la profession des journalistes .Le centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) a organisé en Octobre 2000 177 une rencontre sur ce thème qui s'intitulait : « Demain sur Internet : journalisme ou barbarie ? ». Ce nouveau moyen de communication permet une collecte plus rapide et plus diversifiée des d'informations .Mais comme nous avons pu le remarquer avec notamment l'exemple de la rumeur sur TotalFina , Internet est un vecteur de manipulation, de désinformation et d'augmentation des rumeurs . Le journaliste doit redoubler de vigilance face à cette diminution de la fiabilité de l'information. Internet en tant qu'outil de communication n'est pas en cause, c'est bien évidemment là l'utilisation abusive des journalistes dont il s'agit.

Les groupes virtuels qui n'existent que dans le cyberespace ?

Internet peut abriter des sites documentés et prolixes sur une situation conflictuelle dans un pays où existe une chape de plomb sur l'information . A l'extérieur de ce pays , plus personne ne sait qui fait quoi . Comment relater alors les massacres, faut il les attribuer à une composante de la société , une rébellion ? Plus la crise progresse , plus les journalistes sont démunis. Quant par hasard ils ont la chance de se rendre sur place , ils sont très encadrés et n'ont donc qu'une vue parcellaire et tronquée du problème qui ne leur permet pas une analyse de la situation. Il est pourtant nécessaire de relater les événements pour qu'ils ne soient pas oubliés.La recherche désespérée de la moindre miette de renseignement sur le conflit est une aubaine pour les professionnels . Peut on parler aujourd'hui de l'appel des sirènes du réseau ?
Le réseau sous couvert de l'anonymat faciliterait les aveux , les informations qui ne peuvent être censurées . Sur Internet apparaît des groupes apparemment structurés , avec des discours politiques , avec par moment des informations précises sur la situation de leur pays mais qui n'ont pas de présence ou d'action locale, l'identification n `est que virtuelle .

_ Le MAOL ( Mouvement Algérien des officiers libres)_

Le nom même du mouvement laisse planer un premier doute : « le mouvement des officiers libres algériens » ,Ces officiers sont- ils nombreux ou minoritaires178 ? Que représentent -ils au sein de l'armée , une force souterraine ? Luttent- ils en interne ou seulement en communicant à l'extérieur ? Leur site présente le blason militaire avec leurs codes : Légalité, Honneur, Justice . Les textes sont signés par un homme mystérieux ; le colonel B.Ali . Tous les communiqués se terminent par « Gloire à nos martyrs et Dieu sauve l'Algérie. Pour le mouvement Algérien des officiers libres . Le colonel : Baali ALI .179Ce site et les informations et les attaques qui sont distillées font couler beaucoup d'encre en Algérie et circulent sous le manteau .Pour le pouvoir en place, le site n'est que le montage de lettres anonymes montées par des « corbeaux » .
« Ces écrits rajoutent toutefois à la relation délétère entre le pouvoir et les citoyens algériens. Le dossier « affaire des généraux » étale les luttes de clans et fournit des informations sommaires , difficilement vérifiables, sur des fortunes présumées des principaux membres de la hiérarchie de l'armée dont les parrains de la candidature d' Abdelaziz Bouteflika à l'élection présidentielle d' avril 1999. Avec souvent des informations tronquées ou approximatives ( noms incomplets, fausses dates ), le site conforte l'opinion dans l'idée communément admise que les dirigeants civils et militaires, n'ont que rarement respecté la frontière entre le bien public et le bien privé. »180Dans ce discours qui brasse des idées reçues , il y a de temps en temps des informations précises et sérieuses 181. La confusion de genre de ce site ne permet pas d'être serein sur la validité de ces informations, mais pourquoi les négliger ou ne pas en tenir compte ?

La question est une rengaine à Alger . En revanche, la presse étrangère ne se pose pas toujours la question de qui se cache derrière ce site et ce mouvement et si l'information peut être considérée comme crédible et reprend de façon systématique les communiqués du MAOL. Les journaux français reprennent en identifiant la source les informations du MAOL. Dans un dossier sur l'Algérie : Autopsie des massacres .182Le rôle de l'armée est analysé. Une des thèse de l'implication de l'armée dans les massacres est reprise par le journaliste à partir du mouvement MOAL : « Après les vagues de grandes tueries qui ont marqué l'année 1997 , des opposants ont dénoncé avec force l'implication de l'armée. En clair, ces massacres auraient été planifiés au sommet de l'état major dans le but d'entretenir la terreur à des fins politiques . Un colonel dissident du MOAL( mouvement des officiers Algériens libres ) en exil, affirmait au « Monde » : «Quand les GIA frappent, il faut y voir la main d'une armée décidée à couper les islamistes de leur base populaire, tout en segmentant la société. » L'extrême opacité du sommet du pouvoir, sa culture maladive du secret, le mutisme et la brutalité de l'armée contribuent à alimenter la thèse. »183 Toute cette campagne du MOAL n'a pas été initiée pour rien . En Algérie , les journalistes considèrent que les informations du site ont eu des effets non négligeables sur l'opinion publique mais surtout sur le moral des officiers subalternes de l'armée qui sont de plus en plus suspicieux sur leur hiérarchie .Mais à qui profite le crime ? L'auteur ou les auteurs de ce site peuvent être nombreux . D'après Martine Gozlan 184,le MOAL aurait des affinités avec les islamistes . « Le mouvement jugé si légitime ( à en croire des bataillons entiers de dissidents !) se résume au seul talent de communicateur d'un homme, le mystérieux colonel B.Ali, son porte- parole, ce jeune officier avait travaillé en Algérie dans les services de renseignements avant d'être récupéré par les islamistes . Son arme absolue . Un site Internet. La revue Pour , attentive aux internautes intégristes, a retrouvé l'homme qui administre le site du MOAL . Un anglais converti à l'islam au Pakistan. Il gère un autre site baptisé « Djihad » et se réfère dans des forums de discussions au célèbre faux antisémite : les protocoles des sages de Sion . Cette toile de fond a -t- elle un intérêt pour ceux qui répercutent les faux scoops du MAOL, comme le fit Karl Zéro, qui s'en repentit par la suite. La « manip » colle trop bien avec la pensée unique en la matière . »185 A force de jeter le trouble sur le rôle et les motivations des acteurs institutionnels, privés ,le site Internet peut devenir un vecteur de perturbation sociale .
 

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174étude de l'agence Communicor avec l'Ecole Supérieur de journalisme de Lille de juin 2000.

175Dominique Fugère , Les journalistes américains utilisent Internet , mais se font utiliser par le Net , 15 mars 2000, sur le site http://www.mmedium.com/cgi-bin/nouvelles.cgi ?Id=3352

176Dominique Fugère , Les journalistes américains utilisent Internet , mais se font utiliser par le Net, op cit.

177Le vendredi 20 octobre 2000

178D'après leur porte parole B.Ali , le MOAL serait composé de 600 militaires de l'armée algérienne .

179Les textes du MOAL sont tirés du site anp.org et de http://www.eldjeich.org/communique/communique.html

180Tarik Rezzak, Djamel Benramdane, Quand un site Internet sème le trouble à Alger , Courrier International n° 494, du 20 au 26 avril 2000, qui site Algéria Interface (extraits), p 35

181C.F en annexe,p 138-172 Les communiqués du MOAL.

182Jean Paul Mari, Algérie :Autopsie des massacres, Le nouvel Observateur, 29 mars -4avril 2001, p 12-16

183Jean Paul Mari, Algérie :Autopsie des massacres, op cit. , p 14

184Martine Gozlan, Algérie : La « manip » islamiste, Marianne, 31janvier, p 45

185Martine Gozlan, Algérie : La « manip » islamiste,op.Cit, p 45