IV-4 Les contrefaçons et contrebandes

Si la contrebande visant à éluder des taxes sur les tabacs et l'alcool principalement sont vieilles comme le commerce (on se rappelle les sinistres « gabelous », qui veillaient à la taxation du sel et se comportaient en bandits avérés, qui ont donné par la suite leur surnom aux modernes douaniers), elle reste une source de profit de premier ordre pour les organisations criminelles transnationales. En outre le produit est parfaitement légal partout dans le monde ; il n'est donc nul besoin de s'approvisionner sur un marché illégal ab initio. Les taxes faramineuses (73% en Italie, ce qui est loin des records norvégiens ou suédois) qui frappent les tabacs et les alcools dans certains pays, notamment au nord de l'Europe, rendent particulièrement lucrative et donc attractive cette contrebande, d'autant que le risque pénal est assez modeste189. Ce qui est plus grave, c'est que les filières « cigarettes » servent de rodage aux filières « drogues ».

Ainsi, selon la régie des tabacs du Maroc, 57 millions de paquets de cigarettes de contrebande ont été commercialisés dans le Royaume chérifien en 2001. Selon cette étude, 8% des fumeurs marocains s'approvisionneraient sur le marché parallèle. Le coût de cette fraude est estimé à 70 M_ (460 MF, en monnaie nationale)190.

En France, ce genre de trafic n'est pas pour autant une curiosité : en mai 2001, les douaniers du Havre ont saisi dans un conteneur venant de Chine, déchargé d'un cargo chypriote et destiné à la Hongrie 745 cartons de Benson & Hedges d'une valeur de 7,5MF191. En juillet 2002, ce sont 5,8 tonnes de cigarettes qui sont saisies à la frontière franco-luxembourgeoise dans un camion roumain venant de Grèce et se rendant en Belgique.

Mais le centre principal du trafic des blondes (la Gauloise nationale n'est pas très prisée...) reste l'Italie, et la tour de contrôle le ravissant et tranquille et italianophone canton suisse du Tessin192. Même si elles n'arrivent pas au niveau de celles engendrées par le trafic des stupéfiants, les sommes en jeu sont colossales. Un seul bateau (le Wendy-1, pavillon hondurien, intercepté par les douanes espagnoles) a été responsable au cours de la seule année 1996 d'un trafic portant sur près de 45 MECU, comme on disait à l'époque (45 M_).

Les alcools donnent lieu au même trafic193, notamment à destination des pays d'Europe du nord et des ex-pays de l'Est.

Plus graves peut être pour les économies et pour la sécurité des personnes sont les contrefaçons de pièces détachées, de produits de luxe, de médicaments.

Si un faux sac Vuitton vendu une centaine de francs français par un bana-bana place du Panthéon à Rome ne fait de tort qu'à ce célèbre malletier (ce qui est déjà en soi condamnable), la contrefaçon de médicaments met en cause la santé individuelle et publique. Dans le premier cas, on a tendance à y voir un juste retour des choses face à un fabricant qui exagère. Mais si l'opinion publique a tendance à les considérer avec bienveillance194, les acteurs de ces trafics en tirent des profits considérables.

Ainsi, les douaniers ont-ils saisi à Marseille 42.422 fausses montres Chanel et Rolex fabriquées en Chine et destinées au marché tunisien, pour une valeur de 106 M_ (presque 700 MF, soit un prix unitaire moyen de l'ordre de 160 F.)195alors que leurs collègues du Havre avaient intercepté le 14 février 2001, et toujours en provenance de Chine, 95.600 paires de fausses montures de lunettes de marque (Gucci, Cardin, Ray-Ban, Calvin Klein, Chanel) pour une valeur estimée à 9,5 MF196. A Roissy, c'est 1,3 tonne de contrefaçons d'articles de maroquinerie (Hermès, Gucci, Vuitton, Fendi)197 qui ont été interceptées par la douane, alors qu'à Rouen, ce sont 812 jouets (animaux en peluche) qui avaient été saisis198. Les autorités thaïlandaises ont déclaré avoir opéré 359 saisies en 2000, pour un montant estimé à 620.000$ (665.000 _, soit 4,35 MF).

Sur le marché des médicaments, on doit signaler pour l'anecdote le cas de faux Viagra : un Chinois en proposait en ligne à 0,6$ le cachet (18 fois moins que le prix en pharmacie) ; il en aurait vendu fictivement 400.000 exemplaires et a réussi à disparaître avec son pactole de 240.000$.

Beaucoup moins anecdotique est en revanche le trafic des pièces de rechange pour automobile ou pour avions. Intelligence online rapporte des faits tout à fait troublants sur une société installée en Italie, sur les deux aéroports romains de Ciampino et de Fiumicino199. Cette société, PanAviation, est soupçonnée de vendre comme pièces neuves des pièces soit volées, soit récupérées sur des avions envoyés à la casse. Parmi les clients de cette société, qui fournissait les pièces accompagnées de faux certificats d'origine, on trouve Meridiana, Minerva, Air Dolomiti, Air Europe, et même Alitalia. C'est cette même société qui aurait semble-t-il fourni les pièces mises en cause dans l'accident de l'Airbus A-300 d'American Airlines qui s'est écrasé sur le Queens le 12 novembre 2001. La Guardia di Finanza en liaison avec le FBI a saisi 80.000 pièces. Intelligence online estime probable, au vu des ramifications du réseau et des nombreuses complicités nécessaires pour le mettre en place que les mafias italiennes aient été impliquées dans ce trafic.

*
* *

Tout se vend, tout s'achète. La circulation des biens et des services se fait en quelques heures sur des distances considérables, de façon souvent dématérialisée avec des valeurs ajoutées élevées et des taxes qui le sont encore plus, ce qui est contradictoire avec le libéralisme officiellement proclamé et effectivement pratiqué, faute d'alternative, par les entreprises dans le mouvement de globalisation. Comment s'étonner dès lors que les moyens de contourner des réglementations jugées trop rigides, d'éluder des taxes jugées confiscatoires, de gagner quelques jours, voire quelques heures dans une livraison, économiser quelques centimes sur une pièce ne constituent pas un objectif vécu comme légitime ? Seul le recours à des méthodes ou à des ressources non légales permet d'atteindre ces objectifs. Le champ qui s'ouvre aux trafiquants est dès lors infini. Ils fournissent un service qui, pour être illégal, n'est pas perçu comme illégitime.

Page précédente | Sommaire | Page suivante

 

189 Le maximum est, en France de 10 ans de prison (peine correctionnelle) ; de 4 ans seulement en Italie.

190 Associated Press, Rabat, 15 mai 2002.

191 Associated Press, Le Havre, 30 mai 2001.

192 François d'AUBERT, Coup de torchon sur l'Europe, op.cité ; chapitre 5, pages 122 ssq. Voir notamment les pages 133 ssq.

193 Ibid., pages 136 ssq.

194 Qui n'a pas un jour, en toute connaissance de cause, acheté en Turquie, en Thaïlande ou en Tunisie, un faux polo Lacoste, laissé sur place après trois semaines, durée maximale d'utilisation ?

195 Le Figaro, 20-21 juillet 2002.

196 Associated Press, Le Havre, 30 mai 2001.

197 Associated Press, Paris, 20 juillet 2001.

198 Associated Press, Paris, 3 décembre 2001.

199 Intelligence online N° 422, 31 janvier-13 février 2002.