IV-3 Trucages de marchés publics.

On a vu supra que les procédures des marchés publics sont de plus en plus encadrées, elles doivent désormais faire l'objet de publicité de plus en plus élargie. Les soumissionnaires sont donc de plus en plus nombreux et donc parfois imprévisibles ou mal contrôlés.

Dans ces structures rigides, il y a besoin de souplesse. L'élément souple des procédures, c'est l'homme. La pénétration des rouages décisionnels, publics ou parapublics, est donc essentiel.

François d'AUBERT en donne de multiples exemples. On retiendra par exemple le financement des infrastructures en Campanie (capitale :Naples), dans ce Mezzogiorno italien sur lequel se sont déversées les générosités des fonds structurels européens (FEDER) sans que la région « décolle ». Mais quel chef d'entreprise rationnel irait investir dans cette région ? Le métro de Naples, grand projet qui a drainé 80 milliards de lires (265 MF, environ 40,5 M_) de financements européens a servi de laboratoire d'essai au « comité d'affaires » station de pompage financier de la Camorra qui a réparti les marchés publics entre les entreprises amies. La même opération a été répétée pour le centre multimodal de transports du port de Nola182, au sud de Naples, qui se trouve être comme par hasard le centre opérationnel de Carmine ALFIERI183.

Les principaux bénéficiaires de ces grandes opérations d'aménagement du territoire ont été, selon les déclarations du repenti Pasquale GALASSO, les entreprises de BTP et les cimenteries contrôlées, manipulées ou « amies » de la Nuova Famiglia, « cosca 184» de Lorenzo NUVOLLETTA.

Tout récemment, le 13 février 2002, la DIA (direzione investigativa antimafia), opérant sur commission rogatoire du juge romain Simonetta d'ALESSANDRO sur instruction ouverte par le Procureur de Rome Adriano IASILLO, a arrêté 32 personnes dans plusieurs villes d'Italie (à Rome et Palerme, mais aussi en Lombardie, dans les Pouilles et le Latium) constituant un réseau spécialisé dans le pillage des marchés publics et le trucage des soumissions185. Selon la DIA, les mafieux présumés sont des proches de Giuseppe « Piddu » MADONIA186, l'un des lieutenants du capo di tutti i capi de Cosa Nostra, Bernardo PROVENZANO.

Parmi eux : Elvira CECI, directrice de la prison de Civitavecchia, un célèbre avocat romain, le géomètre des travaux maritimes du ministère de l'équipement et trois chefs d'entreprise siciliens, les frères RINZIVILLO et Pietro di VICENZO. Ce dernier est le président de la chambre d'industrie de Caltanissetta187, haut-lieu mafieux. Quant à la famille RINZIVILLO, la DIA la décrit comme « mafieux notoires de Gela, proches de Giuseppe MADONIA » qui a quitté la Sicile depuis longtemps pour s'installer à Rome188.

Les charges retenues contre eux sont : association de malfaiteurs, association mafieuse, corruption et prise illégale d'intérêts. Ils auraient à leur actif pour l'essentiel des actes de corruption de fonctionnaires en vue de faire attribuer des marchés publics, des fraudes sur le marché des viandes et des trafics de main d'_uvre extra-communautaire.

L'intrusion de la grande criminalité organisée dans le tissu économique est aussi ancien que la mafia, et n'est pas l'apanage de l'Italie, même si ce pays est particulièrement démonstratif dans ce domaine. En France même, le port de Marseille serait, selon le président du Port autonome, « aux mains de commandos mafieux », affirmation qu'il convient de relativiser, s'agissant en fait d'exactions violentes ayant pour but, à la faveur d'une des nombreuses grèves dont ce port est coutumier, de rendre inopérantes les installations. Il n'est demeure pas moins que la pression exercée à cette occasion sur la direction et sur ses options de gestion ressemble à une prise de contrôle des opérations de nature non financière.

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182 Le port de Nola était jusqu'alors surtout célèbre pour être le lieu de naissance de Saint Paulin de Nole...

183 Cf supra page 63.

184 Littéralement « coquille ». Désigne un clan camorriste (au pluriel, cosche).

185 Reuters Milan (en italien), 13 février 2002, repris sur Yahoo Italia le même jour. Voir également Reuters Rome (en français) du même jour.

186 Piddu MADONIA est l'un des 24 condamnés à la réclusion criminelle pour l'assassinat, en mai 1992, du juge Falcone, de son épouse et de 5 hommes de son escorte.

187 La Repubblica, 13 février 2002.

188 Ibid.