I-4 Les organisations non gouvernementales criminelles ?

La formule peut sembler saugrenue, et même scandaleuse, tant les convenances ont érigé les organisations non gouvernementales en miroir de toutes les vertus. Les attaquer, c'est quasiment attenter à la dignité de la personne humaine, tant elles ont réussi à faire accroire que leur action, nécessairement pure et désintéressée, épouse, jusqu'à se confondre avec lui, le combat de l'humanité toute entière pour un monde de bonheur universel.

A cela on objectera quatre choses :
- le nombre des organisations non gouvernementales, et encore plus celui de leurs membres, est difficile à connaître avec précision,. On en dénombrait 135 représentées auprès de la FAO en 199962. La même année, on en recensait 918 pour les seuls États membres de l'Union européenne, et pour le seul secteur de l'aide au développement63, fonctionnant sous des régimes juridiques les plus divers et avec un contrôle d'État allant de minimal à inexistant ;
- il s'en crée des dizaines chaque année, plus ou moins spécialisées soit par zones géographiques d'implantation, soit par secteur d'activité (aide humanitaire au sens le plus large64, coopération technique et agricole, aide médicale65, aide aux migrants66, etc.). Dans ces conditions, il est à l'évidence impossible juridiquement, politiquement et diplomatiquement, de les contrôler. Au demeurant, les gouvernements libéraux ne peuvent ni tout contrôler ni encore moins tout gérer : les ONG prolifèrent sur les lacunes de l'aide publique internationale au développement ;
- Il est inévitable que des organismes criminels se fondent dans cette masse, qui offre une « couverture » tout ce qu'il y a de plus respectable, fortement internationalisée et politiquement sanctuarisée ;
- à cet égard, en effet, certaines organisations non gouvernementales sont instrumentalisées, parfois en toute connaissance de cause, souvent « à l'insu de leur plein gré », mais rarement à leur corps défendant. Elles se transforment alors en couverture de services secrets, en agents d'influence ou en barbouzes privés agissant pour le compte de sociétés transnationales ou de groupes d'influence67 (lobbies). Les Anglo-Saxons, par ailleurs gros producteurs d'organisations non gouvernementales, excellent dans ce genre d'opérations. Ceci est désormais de notoriété publique. La France demeure très en retard dans la création d'organisations non gouvernementales à sa main68, comme d'ailleurs dans l'entrisme dans les organisations existantes ; cette retenue morale, sans doute à son honneur, devient désormais un handicap sérieux69 sur la scène internationale ;
- enfin, et surtout, comme les enquêtes engagées après les attentats du 11 septembre 2001 l'ont démontré, l'implication de certaines organisations non gouvernementales dans le soutien politique, financier ou logistique au terrorisme est désormais certaine. Peu importe au demeurant qu'elles soient de grande envergure ou de forte notoriété : l'essentiel est d'en être, donc de bénéficier du statut protecteur qui s'y attache : le « label ONG » suffit à assurer l'immunité politico-médiatique : il procure à la grande criminalité organisée et aux terroristes les mêmes avantages que, mutadis mutandis, le passeport diplomatique fournit aux espions70.

Certaines organisations dites « caritatives » n'ont d'autres buts que de recycler et de distribuer les sommes collectées parfois le plus légalement du monde. L'Islam71 fait ainsi obligation à tout fidèle de verser une aumône (zakkat) pour les _uvres de charité. L'immense majorité d'entre elles sont fidèles à leur objet.

Il n'en demeure pas moins que d'autres sont tout à fait à même, de par leur position, de recevoir des sommes qui ne sortent pas nécessairement de la poche de la pauvre veuve « qui a pris sur son nécessaire »72, mais de personnages moins recommandables qui font transiter par une ONG complaisante ou créée dans ce but des fonds d'origine criminelle et destinés soit à des groupes terroristes, soit à des particuliers, dans de vastes systèmes de vases communicants opaques. Nous aurons l'occasion de revenir ultérieurement sur ce phénomène volontairement occulté, parce que politiquement dérangeant.

Ainsi, les acteurs criminels dont les méthodes seront analysées ci-après sont, par ordre de préséance criminelle :

· Les mafias italiennes, russes, turques et balkaniques, et les organisations assimilées : triades chinoises et yakusas japonais ;
· Les cartels essentiellement latino-américains (cartels de Medellin, de Barranquilla et de Cali en Colombie, cartels de Juarez, du Golfe, de Tijuana et de Colima au Mexique, pour ne citer que les « majors »), ainsi que, marginalement, les « mafias sectorielles » (mafias de l'aluminium, des déchets nucléaires, des filles, des pierres précieuses73, etc.) principalement, mais non exclusivement, dans l'ex-URSS ; à ce groupe on ajoutera les syndicats africains, pour l'essentiel nigérians ;
· Les réseaux terroristes74 tels que l'ETA, Al Qaeda, Aum, Abu Sayyaf, l'Eelam Tamoul, etc. ;
· Les ONG dégénérées ;
· Les sectes transnationales.

Tous ont en commun d'offrir un visage respectable, loin des Apaches qui terrorisaient les faubourgs, des marlous de « Fric-frac »75, des julots de grand'papa en chaussures de croco bicolores, des « blousons noirs » des années 60, des punks ou des posses jamaïcains, des « Hell's Angels » ou des caïds de cités aux Nike délacées. Les nouveaux criminels, on les croise sans les voir, même si subsistent quelques exemplaires folkloriques sud-américains ou russes un peu voyants dans leurs Maserati rouges, avec gourmette en or assortie à la Rolex, accompagnés de blondes trop blondes, trop jeunes, trop siliconées, trop tout. Mais les vrais seigneurs du crime s'habillent à Saville Row, à Jermyn Street ou à Milan, hantent discrètement les palaces, les conférences et forums internationaux, parfois les conseils d'administration, fréquentent les artistes, notamment du cinéma et du music-hall, les dirigeants politiques ou syndicaux, les grands chefs d'entreprise. Ils inspirent confiance. C'est là leur première qualité.

Tout ceci n'est pas un jeu, comme pourrait le faire croire la diffusion du jeu vidéo "Gangsters©" ainsi décrit par ses concepteurs (HOTHOUSE®) :
"Le véritable pouvoir ne se donne pas. Il se prend."
"GANGSTERS© vous met dans la peau d'un truand opérant dans une ville ressemblant au Chicago des années 20. Vous contrôlez une organisation clandestine, vendez de l'alcool de contrebande, pratiquez le racket, l'intimidation et la violence, vous êtes lié à la prostitution et au jeu, participez à la guerre des gangs, corrompez les puissants, tuez, blanchissez l'argent sale...Vous devez de surcroît entretenir un vernis de respectabilité en soutenant les bonnes causes, en aidant la police et en gérant des affaires légales. Il s'agit de trouver l'équilibre entre ces deux extrêmes afin de gagner de l'influence et de prendre le contrôle de la ville : (...) 2000 citoyens, 2000 hommes d'affaires, 400 gangsters, 250 policiers et 100 agents du FBI. (...) Rackettez, intimidez et faites chanter les fonctionnaires, les juges, les témoins et les jurés; au besoin graissez leur la patte...".

Tout est dit.

Il est néanmoins précisé que ce jeu est destiné à un public adulte et déconseillé aux moins de 16 ans...La morale est sauve.

 

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62 Food and Agriculture Organisation, organe spécialisé de Nations-Unies dont le siège est à Rome. Ces 135 ONG ne sont que celles (ou une partie de celles) qui travaillent dans le secteur couvert par la FAO : aide alimentaire, coopération agricole, aménagement de l'espace rural. Ni le secteur médical ou sanitaire, ni le secteur de l'éducation, ni celui de la culture ne sont ici inclus.

63 Source : Comité de liaison des ONG (CLONG).Site : www.oneworld.org.

64 Citons Shelter Now, spécialisé dans l'hébergement d'urgence, ou le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), qui organise chaque année, à l'occasion du Carême, une quête fortement médiatisée.

65 « Médecins sans frontières » par exemple, mais aussi la vénérable Croix-Rouge et son homologue musulman, le Croissant-Rouge.

66 La CIMADE, par exemple.

67 Ce n'est trahir aucun secret que de citer dans cette catégorie la très médiatique, très protestante, très pétrolophile et très europhobe Greenpeace.

68 Sa spécialité, c'est l'humanisme, le vrai, celui qui coûte beaucoup et ne rapporte pas grand'chose : « Honos alit artes », et encore de moins en moins...

69 Voir la contribution de François HEISBOURG : « Défense-diplomatie » in « Notre État», sous la direction de Roger FAUROUX et Bernard SPITZ, éditions Robert Laffont, Paris, 2000.

70 Il s'agit évidemment d'un usage détourné et frauduleux du passeport diplomatique, instrument irremplaçable de liberté d'exercice du métier de diplomate, qui comporte par ailleurs suffisamment de sujétions et parfois de risques physiques. Sur les faux documents, on consultera utilement : Pierre DELVAL, Faux et fraudes, la criminalité internationale des faux documents, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Criminalité internationale, juin 1998, ainsi que Christophe NAUDIN mémoire pour le diplôme d'université d'analyse des menaces criminelles contemporaines, université de Paris-II, octobre 2000.

71 Comme le christianisme, au demeurant. Voir note 28 supra.

72 Évangile selon St Marc, XII, 42 ssq.

73 Le commerce des rubis et des saphirs en Birmanie, et plus généralement en Asie du Sud-Est, est un quasi-monopole des groupes criminels et des guérillas. L'Unita angolaise tirait l'essentiel de ses moyens du commerce des diamants.

74 Ceux-ci ne doivent leur classement, qui peut apparaître modeste eu égard à l'actualité, qu'au fait qu'ils n'engagent que des cibles déterminées et n'ont pas un pouvoir métastasique aussi élevé que les groupes criminels symbiotiques.

75 Incarnés par l'inoubliable Michel SIMON dans le film éponyme de Maurice LEHMAN (1939).