PROLOGUE

Le 14 février 1929, en pleine prohibition, dans un garage de Chicago, un règlement de comptes entre gangs rivaux se solda par 7 morts. Ce « massacre de la Saint-Valentin » est resté gravé dans les mémoires, bien qu'on ait fait beaucoup mieux depuis dans ce registre, même en Europe : le « massacre du bar du Téléphone » en octobre 1978 à Marseille fit 10 morts, sans même parler des attentats terroristes comme ceux qui tuèrent plusieurs centaines de personnes lors d'explosions en vol d'avion (Vol de la Pan Am à Lockerbie, par exemple).

Mais ce genre de fusillade devient plus rare dans le milieu du crime organisé. Entendons bien : dans le milieu du crime organisé et dans celui-là seulement. Le grand et plus encore le petit banditisme demeurent coutumiers des meurtres plus ou moins spectaculaires : la saga sanglante du milieu méridional français en apporte la preuve1. Cependant, ils sont désormais, pour l'essentiel, l'apanage de la voyoucratie ordinaire, de bandes plus ou moins ethniques, de guérillas dégénérées ou de terroristes.

 

Rares sont désormais les assassinats à grand spectacle destinés à étonner, dans l'acception classique du terme, foudre qui frappe et sème l'effroi chez les candidats à la trahison, fortifie par là même la fidélité des vassaux et décourage les velléités de concurrence et occasionnellement élimine un gêneur entêté ou intègre2. Ils n'en sont que plus symboliques dans la grande criminalité organisée.

On sait en effet que Mafia répugne, par tradition, à tuer hors de son territoire, territoire géographique certes, mais aussi humain. D'où les « messages » dont étaient porteurs les assassinats (perpétrés en Sicile, mais sur des « continentaux », ou perçus comme tels) du juge Giovanni FALCONE (mai 1992) ou du général Carlo Alberto Dalla CHIESA (septembre 1982) ou bien les attentats contre des journalistes dénonçant l'Honorable Société (mai 1993).

Quelques jours après, les attentats atteindront la Galerie des Offices à Florence, puis Milan et enfin la basilique St-Jean du Latran3, en juillet de la même année. Ces attentats ainsi visaient symboliquement le tourisme international, l'économie triomphante de la bourgeoisie milanaise et l'évêque de Rome.

Même si, sous l'influence des traditions historiques et des structures mentales, les cartels sud-américains, les mafias turques, albanaises ou russes sont coutumiers d'abominables sauvageries, la tendance est désormais plutôt à la discrétion dans la grande criminalité organisée ou les sectes. Hommage du vice à la vertu, ou nécessité de survie ? Bien moins spectaculaires et donc absentes des unes des journaux, les méthodes non directement violentes des barons criminels méritent cependant une attention d'autant plus soutenue qu'elles ne troublent guère l'ordre public au sens courant du terme, et que donc qu'elles n'engendrent pas de « pression démocratique » sur les gouvernements.

Raison de plus pour y consacrer cette étude, étant précisé toutefois que les opinions qui s'y expriment n'engagent que l'auteur et ne sauraient en aucune façon être tenues pour l'expression officielle des positions ni de l'Université de Paris II, ni de l'administration dans laquelle exerce l'auteur.

 

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1 Elsa HERVY, le grand banditisme dans le Midi de la France ; Université de Paris-II, Centre d'analyse des menaces criminelles contemporaines ; voir aussi l'annexe qu'elle a rédigée pour l'ouvrage de Xavier RAUFER & Stéphane QUERÉ, Le crime organisé, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ?, janvier 2000.

2 A en croire ses propres déclarations, M. Éric de MONTGOLFIER, procureur de la République près le TGI de Nice aurait eu « un contrat » sur sa tête (Le Figaro du 23 octobre 2001).

3 A St-Pierre, le pape est reconnu à la fois comme chef de l'Église catholique et comme chef d'État. Au Latran, il est évêque de Rome. Quelques semaines avant l'attentat de St-Jean du Latran, Jean-Paul II avait dénoncé avant une particulière vigueur théologique et morale les agissements de la Mafia.