« Cercle des représentations régnantes » et intellos-médiatiques

L'expression « cercle des représentations régnantes » est d'origine philosophique :

« Nul n'est en état de se sortir d'un bond du cercle des représentations régnantes - et encore moins quand il s'agit des voies depuis longtemps frayées de la pensée telle qu'elle s'est poursuivie jusqu'à nous ». (MH, D'un entretien de la parole - Acheminement vers la parole, Tel-Gallimard, 1976).

Dans notre pays, ce cercle concerne aujourd'hui et au maximum, quelques dizaines de personnages évoluant entre monde intellectuel et médias, d'où la formule « intellos-médiatiques ». Parfois complices, souvent concurrents, ils usent surtout du moralisme 12 pour tenter de baliser l'aire dans laquelle la politique et les médias sont autorisés à s'ébattre - et ainsi, contrôler la superstructure idéologique de la société.

Que le monde politique, que la médiasphère, soient soumis à une influence morale, qu'ils subissent la critique des intellectuels est bien sûr souhaitable. Le problème est que le plus souvent, les intellos-médiatiques jugent de tout et du reste hors de toute constance, de toute considération pour le réel - uniquement en fonction de plans de carrières, de postures publicitaires momentanées ou d'intérêts matériels divers.

Ainsi, ce que le cercle des représentations régnantes tente d'imposer comme dogme est souvent trompeur, car éloigné du réel. Cette timidité des intellos-médiatiques devant le réel, nombre d'intellectuels authentiques l'ont récemment dénoncée, et avec force :

« L'imposture de ce mode de pensée qui s'épargne d'avoir à démontrer ses conséquences pratiques dans le monde réel ». (Bernard Sichère, Seul un Dieu peut encore nous sauver - Le nihilisme et son envers, Desclée De Brouwer, 2002).

« Nier allègrement l'existence de la réalité objective et célébrer ce déni est politiquement dangereux et intellectuellement paresseux (...) ce luxe, seules des personnes totalement coupées de la dure réalité du monde peuvent se le permettre». (The Philosopher's Magazine - Courrier International, 9/01/2003).

« La réalité, chose triviale avec laquelle les galonnés de la rébellion médiatico-intellectuelle n'entretiennent que des rapports prudemment distants ». (Philippe Muray, Malbaise dans la civilisation, Marianne, 12/08/2002).

Pour imposer leur vue du monde, les intellos-médiatiques n'hésitent pas à employer les méthodes de l'inquisition : anathèmes, excommunication, condamnation pour « crimes par la pensée », révélation du « sens caché », ou subliminal, de textes ou de propos leurs semblant impurs ou immoraux. Tout ce cirque serait sans importance - ne sommes-nous pas dans la société du spectacle ? - s'il n'impressionnait pas négativement les médias et les politiques ; s'il ne les cantonnait pas dans un mode bienséant et « politiquement correct » de représentation ; s'il ne compliquait pas l'élaboration d'une pensée enracinée dans la réalité et tournée vers elle.

Au total, il émane des deux bulles ci-dessus dépeintes, un insidieux poison, inodore et sans saveur - indécelable en tout cas sans un conscient effort de volonté. Ce poison intellectuel ressemble au monoxyde de carbone que dégage un poêle mal réglé. Tous deux engourdissent, rendent d'abord somnolent ; provoquent ensuite (comme certains médicaments) une perte de vigilance ; puis déconnectent les défenses naturelles ; enfin, ils tuent - ou, dans notre cas, mettent en position d'être tué, par incapacité de pré-voir, de détecter à temps.

Après le 11 septembre 2001, David Halberstam, l'un des grands intellectuels libéraux américains, a dit We've been caught napping - l'Amérique a été frappée pendant sa sieste. Sieste oui, mais pas naturelle. Ce qui l'avait provoquée - et rendu le sommeil d'autant plus profond - c'était une intoxication mentale et une ivresse technologique conjugués ; ivresse analogue à celle des profondeurs, fatale aux plongeurs sous-marins imprudents.

 

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12 Le moralisme est une perversion de la morale comme l'islamisme constitue un extrémisme pervers de l'islam; qui fait oeuvre de moralisme est un moralisateur. Le moraliste, lui, étudie les m_urs sous l'angle philosophique ou théologique. Critiquer le moralisme n'est pas prôner l'amoralisme ou l'immoralisme; c'est à l'inverse dénoncer une attitude aux conséquences toujours fâcheuses.