Le braquage comme « baromètre criminel »


Le vol à main armée est, de très loin, le « baromètre criminel » le plus important :

. c'est l'activité-reine du Milieu criminel lui-même, comme on le verra ci-après,
. il permet de mesurer précisément l'efficacité du travail policier.
· Mesure du travail policier : on connaît la totalité des vols à main armée, sans possibilité d'en dissimuler un seul. Ce crime est indéniable et incontestable. Chaque fois en effet qu'une banque est « braquée », ou même qu'une épicerie est attaquée, vingt documents doivent être remplis, des témoignages rédigés, etc. Donc, les assurances, la police, d'autres critères de croisement encore (urgences hospitalières, s'il y a des blessés ou pire) permettent de connaître 100 % des vols à main armée commis sur notre sol. Insistons : on peut assassiner sa femme, l'enterrer au fond du jardin et faire en sorte que cela s'ignore - on ne peut en France « braquer » un établissement, de la grande banque au bistrot de quartier, sans que les instances de répression n'en soient averties, par un biais ou un autre. Le « chiffre noir » tend donc ici vers zéro.

· Les braquages mesurent encore d'une seconde façon l'efficacité concrète du travail policier.
On le prouve en observant l'évolution, en 2001, des vols à main armée de fourgons transportant des fonds. Car si notre pays a connu cette année-là une véritable explosion criminelle, une infraction et une seule a baissé - si fort qu'on peut parler d'effondrement : les braquages de fourgons, justement. Que des échecs pour les braqueurs. Pas un Euro de volé. Et surtout, aucun mort dans ces attaques elles-mêmes (on en compte hélas deux, lors d'attaques de dessertes de billetteries). Ce alors qu'en 2001, 1 300 véhicules blindés ont circulé chaque jour en France, transportant parfois quatre millions d'Euros.


Comment expliquer ce résultat quasi-miraculeux ? Y a-t-il eu « traitement social du braquage ? ». A t-on doté le milieu criminel d'une ANPE spécifique, ou de cellules de soutien psychologique ? Non. Il se trouve seulement que 2001 était l'année du passage à l'Euro. Et que l'affaire a inquiété les pouvoirs publics. Fortement mobilisées, la police et la gendarmerie ont d'abord réalisé un diagnostic clair, fondé sur du renseignement de terrain : combien d'équipes de braqueurs de fourgons en France ? Qui sont leurs membres ? Où et comment opèrent-ils ? Identifiées, ces équipes ont été ensuite mises sous surveillance rapprochée.
Enfin, au moindre signe de passage à l'acte, les gangsters ont été interpellés et incarcérés - par simple application du code pénal.

Le passage à l'Euro achevé, la pression répressive s'est relâchée sur les équipes de braqueurs de fourgons. Réalistes, ces derniers ont repris le collier dès le début 2002 - et depuis, les braquages de transports de fonds tendent à retrouver leur rythme de l'an 2000.

· Le braquage, activité-reine du Milieu.
Chose ignorée de tous ceux qui n'ont du monde criminel qu'une idée lointaine, médiatique - ne parlons pas des sociologues-idéologues qui souvent l'idéalisent - le Milieu n'a nul « sens de l'honneur » ; n'observe pas la moindre solidarité professionnelle. Il est au contraire éminemment prédateur de lui-même.


Imaginons qu'une bande de cité apprenne qu'un dealer local cache chez lui une forte somme. Le « braquer », lui faire avouer où se trouvent ses économies - par la torture, si besoin est - n'a que des avantages : des espèces immédiatement disponibles, et une victime qui bien sûr, ne se plaindra pas au commissariat. Et ainsi de suite, que vous soyez faux-monnayeur, proxénète, etc.

Quelle parade, alors, pour jouir paisiblement de son argent mal acquis ? Etre « respecté » : faire peur, être réputé brave et implacable. Comment donc s'acquiert le « respect » dans le Milieu ? Par le braquage, activité quasi-militaire suscitant d'autant plus d'échos élogieux, que les malfaiteurs d'aujourd'hui sont tous ou presque illettrés, donc de culture orale, et que ces faits d'armes font vite le tour de « leur » territoire : « t'as vu ce tarba de Momo, comment il a kébra la poste ? Comment il s'est achéra avec la maille ? Z'iva, il est trop fort, lui » etc.

Observons maintenant une bande dont, à l'inverse, les affaires périclitent, qui peine à gagner sa vie. Cela existe ? Oui et le mécanisme en cause dévoile même le motif de l'augmentation forte, ces dernières années, des vols avec violence et des vols à main armée ; motif que le précédent ministre de l'Intérieur, M. Daniel Vaillant, avouait « ne pas s'expliquer ».


Au départ, une banalité : l'homme invente peu, mais procède beaucoup par imitation ; est très sensible à la contagion. Dans une cité, un précurseur se lance ainsi dans le deal de haschisch. Le premier, ce garçon a vu que la dépénalisation de l'usage du cannabis était de facto acquise, les tribunaux considérant toute possession de moins de X grammes (parfois même, un kilo ou plus) comme « consommation personnelle ». Cette pratique judiciaire rend le deal de détail absolument sans risque. La police vous interpelle avec trois « barrettes » de hash ? « C'est à moi, m'sieu, je deale pas je te jure ! ».


Une voie royale, donc, pour le trafic de masse. Notre précurseur-observateur a vu juste. Rapidement, il fait fortune. En 1996 déjà, nous présentions un jeune demi-grossiste de haschisch du Val-Fourré (à Mantes-la-Jolie) qui gagnait 7 millions de F. (1,06 million d'Euros) par an - nets d'impôt, bien sûr.


Rappelons que, sans effort, même au détail, le deal rapporte plus et plus vite que toute profession licite - y compris de rang directorial. En mai 2002, la police interpelle un basique détaillant en héroïne et cocaïne, à la chétive clientèle de 15 toxicomanes : son petit commerce lui rapporte quand même 32 550 Euros par mois (± 214 000 FF., soit 2 350 000 FF. net par an, sur 11 mois, la profession ne jouissant pas encore des congés payés).


Notre jeune « entrepreneur criminel » est donc illustre dans sa cité. Tous l'envient. Que font ses admirateurs ? Pareil. Les dealers se multiplient ainsi, jusqu'à se gêner les uns les autres. L'économie licite fait de ce phénomène une loi : celle des rendements décroissants. Dans la cité, une « guerre de territoire » va donc éclater. Elle fait bien sûr des gagnants et des perdants - qui doivent trouver de nouvelles ressources. Passer du hasch au négoce d'autres stupéfiants (ecstasy, cocaïne, héroïne, etc.) ? Très risqué, au-delà du strict deal de détail : ces drogues sont sous contrôle de gangs transnationaux féroces (Albanais, Turcs, Nigérians, etc.). Là, le risque n'est plus l'agression, mais bel et bien l'assassinat.

 

Page précédente | Sommaire | Page suivante