B. Les « secrets de mafias » ne sont pas des « secrets d'Etat ».

Les « secrets d'Etat »4 ont pour unique fonction de protéger le modèle de société choisi, la démocratie, dans l'intérêt de tous, et ne peuvent servir d'alibi pour protéger les actes contraires à cet intérêt commun de ceux qui possèdent la force ou le pouvoir.

En réalité, c'est la mafia qui, lorsqu'elle agit au sein des institutions, tente de faire passer ses actes pour des secrets d'Etat. Elle le fait, en général, implicitement, sans que la question soit démocratiquement débattue, en faisant par exemple entendre que le problème serait qualifié de « sensible ». Afin d'empêcher quiconque de venir y voir de plus prêt. Pour un réseau criminel, c'est là sa meilleure couverture.

Or, ce n'est pas la révélation d'un « scandale » qui tue la démocratie, ni l'honneur d'un pays dans l'opinion internationale comme on l'entend parfois dire, mais le fait qu'il y a des hommes dans les rangs du pouvoir qui abusent de leurs pouvoirs et deviennent ainsi objet de scandale.

Car, en démocratie, les représentants légitimes d'un Etat sont ceux qui respectent les lois, choix de la collectivité, et non ceux qui les détournent à leur profit. Le crime a toujours existé, partout. Il fait partie du processus de la vie. Ce qui est grave, par contre, ce qui déshonore l'image d'un pays et mine sa société, c'est lorsque les scandales sont étouffés, lorsque les enquêtes, n'étant pas menées correctement, n'aboutissent pas, lorsque le crime prolifère parce qu'il reste impuni.

« C'est pourquoi Piero GRASSO, Procureur Général de Palerme déclare « je ne vois pas pourquoi les magistrats devraient arrêter leurs enquêtes quand ils sont confrontés à des noms célèbres du monde des entreprises, de la finance, de la politique, d'avocats ou de consultants. Enquêter sur les complicités de la mafia ne constitue pas un simple choix « optionnel ». Si nous lâchions prise de ce côté là, nous ne ferions que renforcer le sentiment diffus d'impunité »5.

Il faut, à ce titre, saluer les initiatives des autorités judiciaires françaises et italiennes qui ont ouvert des investigations sur une dizaine d'ambassades respectivement, pour trafics de documents. Tout en espérant que ces enquêtes soient menées jusqu'à terme. C'est l'occasion d'attirer l'attention sur l'importance de la coordination judiciaire en ces matières : ainsi, à Sofia, il se disait que les ambassades occidentales « travaillaient » ensemble dans les trafics de visas.

Mener les enquêtes judiciaires à leur terme est en réalité le seul moyen de dissuader, mais aussi de stimuler la résistance interne, afin d'empêcher la contamination de nos institutions par les réseaux criminels. A fortiori, lorsque les auteurs des crimes sont visiblement récompensés, et ceux qui les dénoncent visiblement harcelés, l'omerta se répand et offre protection aux trafiquants.

Aussi, les Etats de l'UNION EUROPEENNE, parce qu'ils partagent des normes et des valeurs similaires, ne devraient pas hésiter à engager des poursuites judiciaires contre des trafiquants et leurs complices, fussent-ils proches des rangs du pouvoir chez eux, sinon même lorsque leur voisin est concerné. Car ce dernier ne devrait pas en prendre ombrage : en démocratie, le crime organisé ne fait pas partie de la gestion du pouvoir..

C'est pourquoi aussi les Etats d'Europe Centrale et Orientale ne devraient pas hésiter à rassembler les preuves et à dénoncer ceux qui, en Occident, correspondent avec les trafiquants actifs sur leurs territoires. Même si cela peut demander du courage.

Aucun obstacle juridique n'existe à agir de la sorte. Il suffit d'utiliser les instruments juridiques existants. Et pourtant les pratiques laissent beaucoup à désirer.

Il est ainsi pénible d'apprendre, aujourd'hui encore, de hauts fonctionnaires de pays soumis au régime des visas que les étudiants et chercheurs ont toutes les difficultés à obtenir accès à l'Occident, tandis qu'il suffit aux chefs mafieux d'appeler l'ambassadeur dans nos ambassades occidentales pour obtenir un visa sur le champ.

A Sofia aussi, en 1996, les simples gens attendaient des mois leurs visas, tandis qu'un homme plusieurs fois signalé à rechercher par la police en obtenait, sur simple demande, par dizaine.

Rien de plus grave que la déclaration d'un haut fonctionnaire d'un des pays candidats à l'adhésion à l'UE affirmant ne pas pouvoir transmettre des documents incriminant un important réseau de trafic d'êtres humains et de blanchiment à un partenaire de l'UNION EUROPEENNE par peur, parce qu'il craignait des représailles en matières d'investissements promis.

Si de telles attitudes devaient se poursuivre, l'élargissement de l'Europe se fondrait dans l'extension du crime organisé, et c'est la démocratie occidentale toute entière qui serait menacée.

 

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4 Si cette disposition est reconnue par la loi, ce qui n'est pas le cas dans tous les Etats membres de l'UE.

5 GRASSO P., « Il ne nous reste plus beaucoup de temps, ... », ds LEMAN J., L'Etat gruyère, Visas, mafia et traite en Europe, éd MOLS, 2002, p. 26.