ANNEXE IV : ILLÉGALISME ET GUERRE

Texte fondateur de la Nouvelle Résistance Populaire13, publié dans le n° 1 des Cahiers prolétaires, «Élargir la résistance», janvier 1971, supplément à la Cause du Peuple n° 32; directeur de publication : Jean-Paul Sartre. La théorie et la pratique de la guérilla urbaine par les maos français.

Dans ce texte, nous avons fait figurer en italique les passages où l'auteur (les auteurs?) multiplie les précautions destinées à confiner l'OPS dans son rôle de bras armé et à lui éviter un dérapage "substituiste" tel que les Brigades rouges et la Fraction armée rouge en ont connu.

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« IV - L'ORGANISATION PARTISANE SÉCRÉTÉ

1 - L'élargissement de la résistance dans les bases d'appui pose des problèmes politico-militaires nouveaux et différenciés. En particulier, l'élargissement de la gauche au centre dans certaines usines, celles par exemple qui emploient beaucoup de travailleurs immigrés, et où la tradition fasciste est forte, peut être freiné, voir bloqué, par la menace que tait peser le patron sur les ouvriers
par exemple, le patron peut faire peser la menace de licenciements massifs pour enrayer tout développement d'une lutte de masse. Cette menace est une menace bien réelle, matérielle ; elle n'apparaît pas tant que le travail politique s'est borné à regrouper un noyau de gauche dans l'usine ; mais elle se manifeste dès que commence l'élargissement de la résistance.

Pour l'annuler, il peut être nécessaire de faire peser sur le patron une contre-menace, bien réelle elle aussi, et d'apporter les preuves qu'on est capable de la mettre à exécution. Par exemple, il faut dans certaines situations que le patron sache que toute mesure de licenciement massif entraînerait une destruction non moins massive des stocks.

La mise en oeuvre de tels moyens de dissuasion nécessite évidemment la construction d'une organisation clandestine, qui prépare, agisse et se replie dans l'ombre : telle est la première fonction de la guérilla de l'ombre qui doit être prise en charge par l'O.P.S. Dans ce cas, le rapport de la guérilla de l'ombre à la guérilla "ouverte" est donc le suivant : elle doit permettre un élargissement de la guérilla "ouverte" en aidant à faire sauter un verrou ; elle ne se substitue évidemment pas au mouvement de masse, elle se contente d'amoindrir les capacités de résistance de l'ennemi.

2 - Une deuxième fonction assez similaire est de lutter contre ce moyen d'intimidation du pouvoir sur les masses qu'est le développement du terrorisme policier; Les deux phénomènes importants sont les suivants : premièrement, la police s'en prend de plus en plus systématiquement aux camarades ouvriers, ce qui témoigne des progrès de la résistance dans les usines, mais aussi d'une volonté de l'ennemi d'intimider les masses ; deuxièmement, l'usage de la torture commence à se répandre chez les flics ; on l'avait déjà vu à Paris et à Grenoble après les manifestations de mai et juin 70, on fa vu récemment à Lyon et en Lorraine ; dans ces conditions, il sera nécessaire de faire savoir aux flics que ce que les camarades de l'ETA appellent "la morale du peuple basque", et qui consiste à faire payer leurs crimes aux tortionnaires, sera aussi la morale du peuple français ; l'O.P.S. devra donc se charger de faire payer ses exactions à chaque policier tortionnaire.

Dans ce cas, le rapport de la guérilla de l'ombre à la guérilla "ouverte" est donc d'aider à briser les tentatives d'intimidation de l'ennemi à l'encontre du mouvement de masse. Là encore, l'O.P.S. ne se substitue pas au mouvement de masse ; en particulier, son action doit s'unir au mouvement démocratique de lutte contre le terrorisme policier. Contre les nostalgiques du nazisme, il faudra unir un vaste mouvement démocratique et la vertu des quelques exemples bien choisis.

3 - Une troisième fonction de l'O.P.S. est de produire des effets de masse à retardement, en menant des opérations du type de l'arrestation de de Grailly. On ne reviendra pas sur ce type de rapport entre la guérilla de l'ombre et la guérilla "ouverte", quia déjà été analysé dans le chapitre précédent.

4 - Lors des campagnes politiques nationales, il peut être nécessaire de cristalliser la signification de cette campagne en attaquant, à un moment donné, la cible la plus nette. La combinaison d'un travail politique intense, basé sur l'application de la ligne de masse, et d'un temps fort marqué par une opération de partisans très dure contre une cible très évidente peut être nécessaire pour donner à une campagne politique toute son ampleur, en particulier pour la faire déboucher sur un combat de rue. Un bon exemple de combinaison du travail politique de masse, de la guérilla "ouverte" et de forme clandestine de guérilla reste la campagne transports, où l'expropriation des tickets de métro ne se substituait pas aux formes politico-militaires "ouvertes", mais leur servait en quelque sorte de relais. C'est ce type d'intervention que l'O.P.S. doit avoir dans une campagne politique nationale.

5 -Ainsi, on peut fixer avec précision le domaine politico-militaire qui doit être pris en charge par l'O.P.S. : c'est celui d'opérations avancées de petits groupes de partisans, qui ne se substituent en aucune manière aux opérations de masse, mais permettent au contraire la libération de formes de lutte de masse nouvelles.

Définir strictement ce domaine, c'est dégager deux thèses essentielles :

- L'O.P.S. n'est pas le "bras militaire" d'organisations pacifiques. Elle prend en charge les tâches de la guérilla dans un domaine que ne peuvent couvrir, en pays occupé, les organisations "ouvertes".

- II n'y a pas de développement militaire autonome. C'est-à-dire que l'O.P.S. n'est pas conçue pour obéir à la logique d'une escalade militaire automatique. Les problèmes politico-militaires qu'elle doit résoudre sont ceux que pose le développement du travail politique de masse. En d'autres termes, elle résout avec ses moyens, qui sont spécifiques, des problèmes qui sont posés en dehors d'elle, par les organisations "ouvertes" et leur double rapport aux masses et à l'ennemi. C'est donc la logique du travail politique "ouvert", soyons plus précis, la logique de l'élargissement de la résistance, et de ses conséquences du point de vue de l'ennemi, qui est le moteur du développement de l'O.P.S.

6 - Ceci implique que le problème essentiel à résoudre va être celui des rapports politique et organisationnel entre l'O.P.S., qui ne peut apparaître au grand jour, et les organisations "ouvertes". Les membres de l'O.P.S. ne pourront évidemment se montrer aux premières lignes du travail de masse, aux postes les plus exposés. Cependant, il faut àtout prix éviter la coupure avec les organisations "ouvertes" et les masses, qui entraînerait des risques certains de mercenarisation, de développement autonome, incontrôlé, purement militaire.

7 - La première solution consistera à ce que les membres de l'O.P.S. travaillent dans le mouvement démocratique -et plus précisément dans les secteurs prolétariens du mouvement démocratique. Cependant, il faudra être intransigeant sur les limites de ce travail : les risques que prendra un membre de l'O.P.S., c'est dans le travail clandestin qu'il les prendra.

Des membres de l'O.P.S. travailleront dans les bases d'appui ; ils ne devront simplement pas s'exposer aux premiers rangs, ils auront principalement pour tâche d'établir un rapport, particulier à l'O.P.S., avec les masses fondamentales -et plus précisément avec les vétérans ouvriers. Ce rapport pourra, selon les cas, prendre trois formes, qui sont, en allant de la forme supérieure à la forme inférieure :

- Création de réseaux de vétérans, ouvriers essentiellement, qui apporteront à l'O.P.S., outre un renfort politique, une aide logistique, pouvant aller jusqu'à la participation active à des opérations. Ceci est vrai en particulier, évidemment, pour des anciens résistants.

- Rapports réguliers avec des vétérans ouvriers, qui seront en quelques sorte des instructeurs

- Enfin, le simple fait d'avoir des contacts fréquents avec des ouvriers de la masse sera un garde fou indispensable : chaque opération de l'O.P.S., étant donné son niveau militaire élevé, devra correspondre profondément aux désirs des masses les plus larges, pas seulement à ceux de l'extrême gauche ; sans quoi on se brûlerait en jouant avec le feu. Par conséquent, c'est une chose excellente que chaque plan décidé par discussion avec les responsables des organisations "ouvertes" soit vérifié empiriquement, prosaïquement, dans ses grandes lignes politiques, par l'O.P.S. elle-même au niveau de s ouvriers de la masse. Nous savons que le subjectivisme peut s'infiltrer profondément même dans les organisations "ouvertes" quand elles ne sont pas suffisamment développées ; il trouverait évidemment une caisse de résonance extraordinaire dans l'O.P.S. si on n'établissait pas des "garde-fous" de ce genre ; garde fous au sens strict : "attention à la folie".

Il faut, dit le camarade Charu Mazumdar (Marxiste léniniste-maoiste iranien NDLR), respecter au maximum cette règle : "aller voir le paysan pauvre, qui dans l'optique de l'actionde partisan, a le plus grand potentiel révolutionnaire, et lui chuchoter : tu ne crois pas que ce serait une bonne chose si on en finissait une fois pour toutes avec ce salaud ?"... "Nous devons enquêter auprès des masses pour connaître leur opinion ; en d'autres termes, nous ne devons pas fixer notre cible subjectivement, mais au contraire être guidés par la volonté de la majorité du peuple". Il faut pour l'O.P.S. des possibilités d'enquête directe, d'enquête garde-fous de ce genre.

8 - La composition de l'O.P.S. sera elle-même un garde-fou : y rentreront principalement des militants ayant une longue expérience du travail politique "ouvert", et capables en principe de synthétiser des éléments d'enquête divers en faisant preuve de réalisme. En dehors des militants issus des organisations "ouvertes", l'O.P.S. pourra et devra comprendre des camarades vétérans, issus des grandes luttes populaires, principalement de la Résistance. Ce point a été évoqué plus haut. Nous n'allons pas commencer à délirer, et à dire que nous allons voir affluer en masse les anciens résistants. Cela dit, il est certain qu'un nombre limité de ceux-ci, qui ne reconnaissent pas suffisamment leur expérience dans les formes de lutte des organisations "ouvertes", se rallieront plus facilement à l'O.P.S. Cet apport devra donner à la prolétarisation de l'O.P.S. un rythme particulier. Il faudra dès le début s'en soucier, parce que ce ne sont pas des perspectives vagues, mais souvent des possibilités en attente depuis au mons un an ou deux.

V - CONCLUSION

Face à la pression beaucoup plus forte de l'ennemi, au dispositif d'encerclement politique et militaire qu'il met en place autour de tous les foyers de contestation de son pouvoir, la pire des attitudes serait de céder au réflexe petit-bourgeois qui consiste à se lancer la tête contre le mur ; chercher à "briser l'encerclement" en rassemblant nos forces pour remporter une victoire militaire sur l'ennemi, on sait que ce rêve aberrant peut avoir de la force dans nos rangs, et il conduirait immanquablement et très rapidement à un écrasement total. Heureusement, nous ne sommes pas une petite troupe assiégée dans une citadelle par une armée innombrable, et nous avons d'autres issues que la sortie suicidaire. Du point de vue politico-militaire, il nous faut réajuster complètement le système de nos tâches, et sur cette base remplacer partout l'impulsion, la précipitation, par une connaissance et une application rigoureuse des lois du développement de la guérilla populaire. C'est le programme de ce a réajustement que trace ce rapport.

Mais il ne faut évidemment pas voir dans ce réajustement lui-même du système politico-militaire la réponse aux attaques de l'ennemi. Ce n'est pas essentiellement en se donnant une meilleure organisation politico-militaire, une meilleure répartition des tâches, qu'on brisera l'occupation, qu'on desserrera l'étau. Ces mesures de réajustement, pour importantes qu'elles soient, sont subordonnées à la réforme politique dans le sens "majorité, unité, démocratie", et au mouvement idéologique qui la permet.

La mesure stratégique, c'est d'élargir la Résistance, d'unir le centre à nous, d'avoir la majorité avec nous. C'est dans cette mesure qu'on a besoin d'une refonte de notre système politico-militaire : pour permettre à cette unité de s'établir, à cette majorité de s'exprimer ; et c'est alors que nous prendrons un pas d'avance sur l'ennemi.

Il faut donc bien se convaincre qu'il n'y a de "solution militaire" à aucun de nos problèmes politiques.

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13 Désignée dans les textes, pour des raisons évidentes, sous le nom d'«Organisation Partisane Secrète».