HISTOIRE POLITIQUE D'UNE ORGANISATION COMMUNISTE COMBATTANTE

Jean-François Gayraud

LA NAISSANCE D'ACTION DIRECTE UNE "ORGANISATION CERCUEIL"

Action Directe naît en 1979. Ses membres fondateurs ne sont pas des novices de l'action armée : ils viennent d'organisations diverses ayant échoué dans leurs entreprises respectives. Action Directe est à la fin des années soixante-dix une sorte de "cône de déjection" où vont s'entasser les survivants de plusieurs mouvements: la Gauche Prolétarienne - Nouvelle Résistance Populaire (GP - NRP), le Mouvement Ibérique de Libération (MIL), les Groupes d'actions révolutionnaires internationalistes (GARD, les Noyaux armés pour (autonomie populaire (NAPAP), les Brigades Internationales (BI) et les autonomes. Ce sont les plus durs et les plus aguerris à l'illégalisme armé qui créent cette nouvelle organisation des individus expérimentés donc, plus que des nouveaux venus.

· La Gauche Prolétarienne (GP) apparaît en 1968. Ce sont des maoïstes - spontanéistes, les "maos-spontex", qui s'ils se radicalisent au niveau du discours fin 1969 pour créer la Nouvelle Résistance Populaire (NRP) et adopter le dogme du "bras armé" ne franchiront jamais vraiment le Rubicon du terrorisme ; on longe un gouffre sans jamais y tomber : enlèvement du député gaulliste de Grailly, bombe au journal "Minute", enlèvement d'un cadre de Renault, M. Nogrette. La N.R.P., organisation "militaire", est le premier embryon d'une Organisation Communiste Combattante (O.C.C.), un ancêtre. Ce sont d'ailleurs les maos qui vont inventer la pratique de l'illégalisme armé reprise par la suite en Italie et en Allemagne fédérale (voir la revue des maos : "La Cause du Peuple"). Mais cas unique, le bras armé (N.R.P.) n'aspirera pas (organisation politique (G.P.) vers la terreur : ont joué tant des blocages idéologiques (les maoïstes récusaient la vision léniniste de la révolution aux forceps sans les masses) que des considérations
morales : massacre des jeux Olympiques de Munich à l'été 1972, évolution suicidaire de la "bande à Baader". En 1973, (auto-dissolution est prononcée.

· Le Mouvement Ibérique de Libération (MIL), créé en 1970 à Barcelone en Catalogne est d'inspiration communiste-libertaire. Cette nébuleuse qui recrute parmi les étudiants réalise pendant ses trois années d'existence une douzaine de vols à main armée et quelques attentats. Le MIL ne survit pas à l'arrestation de son chef Salvador Puig Antich pris les armes à la main, condamné à mort en janvier 1974 pour être exécuté au garrot le 8 mai de la même année. A ses côtés, un jeune militant toulousain, Jean-Marc Rouillan qui parvient à s'enfuir.

· Les groupes d'actions révolutionnaires internationalistes (GARI) naissent directement de la mort de Puig Antich dès 1974 avec pour projet la lutte contre la dictature franquiste. Ce groupe éphémère dont J.M. Rouillan est le fondateur se dissout à la mort du Caudillo. A son actif une longue série de vols à main armée et d'attentats : enlèvement du directeur de la banque de Bilbao à Paris, destruction de véhicules de la caravane du Tour de France etc...

· Les Noyaux armés pour l'autonomie populaire (N.A.P.A.P.) se forment en 1976 avec d'anciens de la GP-NRP et des GARI (dont JM. Rouillan: son parcours à lui seul est exemplaire). Une fois encore ce groupe tonnait une existence météorique puisque dès 1977 la police a arrêté la plupart de es membres. L'histoire du groupe peut se résumer en deux mots: "venger Pierrot". Pierre Overney militant maoïste de la régie Renault est tué par un vigile, Jean-Antoine Tramoni, le 25 janvier 1972 devant les grilles de Renault-Billancourt. Le 3 mars 1977 les NAPAP assassinent Tramoni. Suivront quelques attentats mineurs.

· Les Brigades Internationales (BI) ont elles aussi une existence très brève (1974-1976) et se distinguent par leur violence. Les BI vont principalement assassiner des personnalités diplomatiques étrangères en poste à Paris : le colonel Trabal attaché militaire urugayen et Joachim Zentano ambassadeur de Bolivie ; s'ajoutent à ces meurtres des tentatives manquées contre des diplomates espagnol, mauritanien et iranien. Les BI d'inspiration maoïste semblent avoir entretenu des liens étroits avec les N.A.P.A.P.

DE L'ANARCHIE AU MARXISME LENINISME

L'histoire d'Action directe entre le 1er mai 1979 (Acte de naissance : mitraillage du C.N.P.F.) et le 21 février 1987 (Acte de décès: arrestation des chefs historiques à Vitry-aux-Loges est celle de l'évolution d'une ligne anarchiste libertaire au Marxisme-Léninisme.

Le nom du groupe est significatif des origines intellectuelles de ses membres : "Action Directe" est une expression utilisée dans la deuxième moitié du XIX° siècle par les anarchistes (voir p.17).

Les attentats commis jusqu'en 1981 ont également des cibles révélatrices du fond doctrinal de ces "veuves maos" et "anarchistes cassoulet" : des objectifs sociaux (logement, emploi, patronat), les instances de répression (Police, Justice, Gendarmerie); des "vitrines" de la société de consommation (magasins de luxe). Avec en prime de très nombreux vols à main armée baptisés "expropriations prolétariennes" ou "opérations de financement".

L'arrestation en 1980 de J-M Rouillan et N. Ménigon par les policiers des renseignements généraux est certes la sanction de la naïveté (un rendez-vous imaginaire avec Carlos pour faire sauter le barrage d'Assouan en Égypte mais aussi d'un style de vie, de pensée, d'organisation. De là certainement une prise de conscience : le modèle communiste combattant fondé sur la doctrine marxiste-léniniste est le seul qui permette de vivre durablement clandestinement en Europe Occidentale (RAF., B.R., etc ...) : "si la pratique fonctionne sur le terrain c'est que la théorie dont elle est issue est juste". C'est certainement ainsi qu'un groupe libertaire anti-autoritaire passe au marxisme-léninisme dans sa version la plus paranoïaque et sectaire, afin de survivre. La prison sera le prix de cet échec, une occasion de méditer. Les années 1981 et 1982 seront la période de la retraite, de la réflexion, et en définitive de la conversion.

Cette période s'achève avec la publication en mars 1982 du premier texte théorique d'Action Directe intitulé : "Pour un projet communiste". Le tournant politique est pris. Résultat : la longévité. Armés idéologiquement les militants d'Action Directe vont rationaliser leur expérience passée de l'illégalité pour devenir de véritables professionnels de la clandestinité. Le modèle de l'organisation communiste combattante est adopté, c'est-à-dire un groupe structuré et discipliné, et les attentats vont changer de cibles pour s'internationaliser. Pourtant les origines anarcho-libertaires d'Action Directe transpirent encore en 1982. On sent des hésitations doctrinales comme si leur nouveau prêt à porter intellectuel était trop neuf, trop rigide. Les "théoriciens" d'Action Directe tentent maladroitement de renvoyer dos à dos l'anarchie et le marxisme-léninisme afin de les "dépasser" pour se prononcer en faveur d'une organisation non autoritaire du type "conseil" ; mais pour ajouter immédiatement : "Alors, pourquoi Action Directe, puisque nous défendons la forme conseil ? La logique n'est-elle pas incompatible avec cette forme ? Il faut d'abord nous semble-t-il distinguer organisation de !a révolution et organisation révolutionnaire8 . Le conseil est la forme que se donnent spontanément les groupes en lutte, car c'est celle qui exprime le mieux leurs aspirations et qui s'adapte le plus facilement à la multiplicité des conditions concrètes à partir desquelles émergent les mouvements sociaux; toute l'histoire est là pour le vérifier. Ceci étant, nous savons bien les difficultés énormes de coordination de ces conseils qui peuvent leur être mortelles lors des premières phases de la révolution...". En clair : aujourd'hui une organisation de type communiste combattante pour survivre dans la lutte armée et la clandestinité en milieu hostile (organisation de la révolution), demain les conseils quand nous aurons vaincu (organisation révolutionnaire).

Un second texte le mois suivant, en avril 1982, scelle définitivement cette conversion au marxisme-léninisme : "sur l'impérialisme américain -Action Directe". Déjà le texte précédent évoquait longuement "(impérialisme français :stade suprême du capitalisme décadent." L'ennemi se résume en douze lettres revenant par la suite comme un leitmotiv : Impérialisme.

Selon Lénine "(impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes" ((impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1917). Action Directe se pose en s'opposant à tous les impérialismes. Le monde est divisé en deux camps irréductibles : la bourgeoisie impérialistes et le prolétariat international. Plus concrètement selon Action Directe : "l'impérialisme ? Quand on réfléchit à cette notion c'est principalement aux Etats-Unis et à leurs multinationales qu'on pense ; accessoirement aux impérialismes secondaires comme la France, dont le rôle régional de "gendarme de l'Afrique" est néanmoins crucial". Les multinationales américaines sont l'avant-garde de cette domination et l'Europe un laboratoire ou un sous-traitant de ce nouvel ordre impérialiste. (voir Annexe p.17).

Mais les "théoriciens" d'Action Directe savent que (impérialisme peut s'avancer masqué pour tromper le prolétariat : il prend alors le visage des socialistes et des sociaux-démocrates ; ... car (impérialisme tel Janus bifrons peut prendre le visage connu de la droite (M. Thatcher, R. Reagan ou V. Giscard d'Estaing) ou celui plus sournois de la gauche (F. Mitterrand). En bons lecteurs, de Lénine les membres d'Action Directe n'espèrent rien, au contraire, de l'arrivée au Pouvoir du Parti Socialiste : "la politique socialiste est dans la droite ligne de la tradition séculaire : confusion, collaboration de classes, anesthésie, sociale" ; ou encore "les sociaux-démocrates et leurs alliés d'un jour sont dans (incapacité d'instaurer un réel changement de société comme ils le proclament. Cette incapacité provient de leur volonté délibérée de ne pas toucher aux mécanismes fondamentaux du mode de production capitaliste,
qu'ils tentent tout au plus de rationaliser. Aujourd'hui la social-démocratie est la fausse alternative qu'on acceptée les capitalistes dans l'espoir d'une atténuation des contradictions bientôt explosives qu'entraîne la restauration des conditions d'exploitation optimale".

L'IDÉOLOGIE "EST UN GUIDE POUR L'ACTION" (Lénine)

Ces textes de mars et avril 1982 revêtent une double importance :

- il s'agit en premier lieu du seul apport théorique un tant soit peu élaboré d'Action Directe de 1979 à 1987. La faiblesse quantitative le dispute ici à l'indigence intellectuelle. Au mieux il s'agit d'une pâle adaptation des thèses léninistes, et au pire, dans d'autres occasions, Action Directe se contentera, comme le fera remarquer charitablement F. Oriach, de traduire dictionnaire en main les productions des Brigades Rouges et de la Fraction Armée Rouge. A Vitry-aux-Loges les enquêteurs ne retrouveront aucun autre texte en préparation. Dans la classe euroterroriste Action Directe fait plus penser à un cancre qu'à un fort en thème... Cet apport théorique plus que médiocre est d'ailleurs à l'image des membres de cette organisation : des français moyens au mieux, des ratés au pire (André Olivier, Maxime Frérot, etc ...).

- en second lieu ces textes annoncent les nouvelles campagnes d'attentats, les cibles futures. Car les terroristes d'Action Directe disent -en jargon certes-, à peu près ouvertement ce qu'ils vont faire. Ils définissent ainsi un plan et l'exécutent. Puisque l'ennemi désigné est l'impérialisme sous toutes ses formes, des "campagnes d'attentats" (les communistes combattants agissent par campagnes comme les publicitaires) vont être dirigés principalement de 1982 à 1986 contre tout ce qui incarne les impérialismes américains, israéliens, français ou sud-africains (sociétés commerciales, représentations diplomatiques, ministères, ...).

Les terroristes sont prévisibles car ils agissent au nom d'idées. Leur dogmatisme ressemble aux rails d'un chemin de fer : le train passera avec certitude à cet endroit, seules les gares d'arrêt sont inconnues. Autrement dit si les cibles humaines et symboliques sont nombreuses, les objectifs politiques eux sont toujours connus et anticipables.

SCISSIONS ET ALLIANCES

Pendant l'été 1982, Action Directe vit une mini-crise. Au cours d'une réunion qui s'est tenue le 1er août à Paris, une divergence éclate entre les partisans d'une internationalisation des luttes (J-M Rouillan) et ceux plus favorables à une lutte au sein des masses et des entreprises (Moreau et Azeroual). Ces derniers regroupés dans un "Collectif révolutionnaire du 1er août" dénoncent "les pratiques autoritaires et bureaucratiques d'un des collectifs d'Action Directe, visant à entraîner l'ensemble des unités sur une stratégie et une ligne politique volontariste et élitiste (cela malgré de nombreuses discussions internes) nous décidons l'éclatement d'Action Directe. Ce qui avant n'était qu'un mot d'ordre tendant à un regroupement révolutionnaire ne nous appartient pas ; nous abandonnons donc le sigle d'Action Directe à ceux qui voudraient l'utiliser. Contre le capital, le combat se mène à la base sur tous les fronts de la guerre sociale." Si comme le dira J-M Rouillan "il n'y a pas de quoi fouetter un chat" (Le Matin, 15 août 1982), l'incident montre que l'évolution politique du groupe ne fait pas l'unanimité ; et de préciser deux jours plus tard : "il y a trois tendances dans Action Directe et aucune tendance n'a éclaté à partir de la réunion du 1er août" (Libération, 17 août 1982). De cette époque date certainement l'illusion entretenue par la presse et la police (l'information se diffuse ici de manière circulaire : les uns informent les autres de ce dont les autres les ont informés, etc... : le serpent qui se mord la queue) de divisions ou de "branches" opposées au sein du mouvement : les internationalistes, les nationalistes, les "légalistes" modérés ou encore les branches nationales et internationales. C'est ainsi que le groupe lyonnais d'Action Directe aurait incarné après la disparition d'Eric Moreau ce courant "nationaliste" : c'est peut-être prêter plus d'ambition intellectuelle et d'intentions politiques à Frérot et Olivier qu'ils n'en méritent. L'explication par le choc de personnalités très rigides est certainement plus vraisemblable.

Faute de véritable base sociale Action Directe tentera au cours de son existence des alliances avec d'autres groupes terroristes européens. AD travaille d'abord avec les "communistes organisés pour la libération prolétarienne" (C.O.L.P.), groupe issu de Prima linéa. Cette coopération franco-italienne sera fructueuse puisque des membres des C.O.L.P. ou de Prima linéa seront signalés à plusieurs reprises lors de vols à main armée commis en France (Cirro Rizzato tué lors d'un hold-up en octobre 1983 contre la Société Générale avenue de Villiers), mais éphémère en fait (19811983) en raison des succès remportés par la police italienne contre les camarades transalpins. Du côté belge, le marxisme-léninisme rigoureux des Cellules Communistes Combattantes (C.C.C.) ne permettra jamais de nouer des liens autres que techniques avec Action Directe. La ligne allemande d'Action Directe a alors le champ libre: R. Schleicher, G. Cipriani, J. Asselmeyer. Bien que la Fraction Armée Rouge partage l'analyse des Brigades Rouges sur ce groupe français jugé trop surveillé et un peu amateur, l'union est néanmoins scellées au mois de janvier 1985 et le 15 un communiqué bilingue franco-allemand intitulé dans sa version française "pour l'unité des révolutionnaires en Europe Occidentale" signé par Action Directe et la RAF. parvient à l'A.F.P.. Action Directe trouve là une reconnaissance politique, un brevet de combativité communiste, en un mot : une consécration. Voilà Action Directe dans la "cour des grands". L'assassinat du Général Audran le 25 janvier 1985 est revendiqué par le "commando Elisabeth Van Dick Action Directe" du nom d'une militante clandestine de la R.A.F. abattue en R.F.A. à Nuremberg, puis plus tard par un communiqué écrit bilingue français - allemand. De même le 8 août 1985 une voiture piégée explose sur la base américaine Rhein-Main de Francfort faisant deux morts et une vingtaine de blessés

l'attentat est revendiqué par un communiqué signé par la R.A.F. et Action Directe. L'alliance ainsi scellée a connu des concrétisations mais sa nature réelle demeure aujourd'hui encore incertaine : elle s'est sans doute limitée à des échanges de renseignements et de moyens

(voir les découvertes faites en 1987 à Vitry-aux-Loges) et n'a sans nul doute pas été jusqu'à la commission en commun sur le terrain d'attentats.

DE LA PROPAGANDE ARMÉE A LA GUÉRILLA URBAINE

Action Directe vit une autre évolution importante en 1984. Celle-ci est également précédée par des écrits ("Une tâche révolutionnaire, le combat international" Mensuel L'internationale n° 4 février 1984). Ce sera le passage de la "propagande armée" (les attentats symboliques: plasticages et mitraillages) à la "guérilla urbaine" (les attentats par balles : les cibles humaines). Action Directe annonce qu'elle va tuer et elle tue. Commencent alors les assassinats politiques : le général Audran, Directeur des affaires internationales au ministère de la Défense (25 janvier 1985) et Georges Besse, P.-D.G. de la régie Renault (17 novembre 1986) ; auxquels il faut ajouter les tentatives avortées contre Henri Blandin, contrôleur général des armées (26 juin 1985) et Guy Brana, vice-président du C.N.P.F. (15 avril 1986). Auparavant Action Directe avait déjà tué, mais il s'agissait de meurtres (homicides volontaires non prémédités) crapuleux commis lors de vols à main armée, de vengeance et non d'homicides prémédités commis dans un but politique.

CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCÉE

Pour pouvoir durer et renaître après chaque coup porté par la police tel le Phénix, Action Directe n'a jamais bénéficié d'une véritable base. Dès sa naissance Action Directe s'est isolée. Son histoire est un long chant du cygne, une série d'erreurs et d'échecs péniblement surmontés. L'arrestation des chefs historiques à Vitry-aux-Loges est révélatrice : des professionnels de la clandestinité contraints de s'enterrer à la campagne au milieu des poules et des champs, incapables donc de survivre en milieu urbain. En clair ce "repli dans les campagnes" ne signifiait pas la redécouverte d'origines maoïstes mais était le signe d'un cuisant échec technique. Afin de devenir une "star" du terrorisme, une organisation clandestine telle qu'Action Directe a du se fixer un triple objectif :

- structurer une organisation digne de ce nom,
- susciter une population sympathisante élargie et s'y implanter,
- établir des alliances internationales sérieuses. Or ce fut un ratage complet.

· L'organisation. Rouillan et Ménigon n'arriveront jamais à unifier autour d'un projet commun en une organisation disciplinée la galaxie communiste combattante. F. Oriach qui n'a jamais fait parti d'Action Directe méprisera superbement ce "phénomène de bande" selon une de ses expressions, préférant l'intransigeance et la pureté doctrinale de Pierre Carette chef des C.C.C. belges. Le groupe Olivier marquera très tôt ses distances avec Rouillan. La mésentente n'est pas de nature idéologique comme Rouillan voudra le faire croire ("la seule fois où j'ai revu Olivier, il a exposé son projet, ça ne correspondait pas avec nous", déclaration hors procès-verbal aux policiers) mais humaine : deux "petits chefs" chassant sur le même territoire qui se disputent la domination du groupe. Même les anciens gauchistes de la première période (1979-1981) traîneront les pieds, hésiteront à plonger à nouveau dans la clandestinité.

· Le vivier. Le vivier sera toujours misérable. Le journal l'Internationale, seule tentative sérieuse d'apport théorique de ces communistes combattants, comptera en tout 39 abonnés. Ajoutons quelques collectifs de défense des prisonniers, des animateurs de radios illégales (Radio Mouvance, par exemple), des "idiots utiles" comme les appelait Lénine prêtant pour une nuit un appartement ou une voiture, et voila cerné le petit monde des sympathisants d'Action Directe. En tout peut être et sur huit ans, 200 militants et sympathisants : peu de chose comparé aux 2 000 de la R.A.F. en Allemagne ou aux 200 000 des B.R. en Italie. Faute d'oxygène le groupe ne pouvait que péricliter.

· Les alliances internationales. Un groupe famélique et sans base sociale n'a plus alors qu'une voie pour s'affirmer : l'alliance avec d'autres groupes européens. Mais comme il a déjà été souligné Action Directe n'inspirera jamais que la méfiance aux camarades européens : d'un côté des brouillons médiocres et bavards, de (autre des intellectuels, des professionnels.

UN PARCOURS CLASSIQUE

La trajectoire d'Action Directe fut en définitive symbolique de celle d'une organisation communiste combattante. Tout passage à (acte terroriste implique chez celui qui l'entreprend :

- un motif à ses yeux décisif,

- le sentiment d'une grande urgence.

Le motif fut le projet anti-impérialiste, et la crise des années soixante-dix créa le sentiment. C'est ainsi qu'un groupuscule anarchisant a tenté sa transformation en une organisation communiste combattante pratiquant la lutte armée. Action Directe a franchi de la manière rituelle les différentes étapes que connaissent ce type d'organisation. On peut parler dans ce cas de "loi d'évolution" des organisations communistes combattantes, un peu comme on parle des "lois" dans les sciences de la nature:

- accumulation d'un bagage doctrinal et choix d'une orientation stratégique,
- accumulation de moyens financiers et matériels,
- une phase de propagande armée : les attentats symboliques,
- une phase de guérilla urbaine : les cibles humaines.

L'INDIFFÉRENCE

Aujourd'hui incarcérés les membres d'Action Directe n'intéressent plus personne. Leur retentissante grève de la faim a échoué. Cette technique qui, par le passé, avait si bien fonctionné n'a pas su créer cette fois-ci de mouvement de sympathie durable. Tout au plus a-t-elle pris dans ses filets quelques naïfs. Désormais les procès vont s'enchaîner; gageons que ce sera dans (indifférence générale.

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8 Souligné par nos soins