FERNAND PELLOUTIER ET LE CONCEPT D'«ACTION DIRECTE»

Jean-François Gayraud

Fernand Pelloutier (1867-1901) secrétaire de la Fédération des Bourses du travail en 1895 est semble-t-il l'inventeur de l'expression "action directe" en 1897. L'idée est ancienne et en définitive inséparable du mouvement ouvrier au XIXème siècle puisqu'il s'agit de la reprise et du commentaire de la célèbre formule de la 1ère Internationale selon laquelle "(émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes". Mais plus qu'une simple formule 1"'action directe" sera pour Pelloutier et les autres anarchistes révolutionnaires (Pouget et Griffuelhes) une véritable doctrine dont tout découle : une conception du syndicalisme, de l'action sociale et de la révolution.

CONTRE "LA PROPAGANDE PAR LE FAIT"

F. Pelloutier considère que l'emploi de la dynamite et du poignard se solde par un constat d'échec, d'impuissance ; "la propagande par le fait" est une impasse qui détourne les travailleurs, pourtant désabusés du socialisme parlementaire, du socialisme libertaire. Après Ravachol et Vaillant plus personne selon Pelloutier n'ose se dire anarchiste de crainte de paraître pour la révolte isolée et suicidaire au préjudice de faction collective. Les terroristes même généreux discréditent (anarchie et fournissent aux socio-démocrates et autres partisans de la conquête du pouvoir par le voie légale des armes politiques contre les anarchistes de toutes tendances y compris les moins violents. En un mot : un repoussoir.

POUR "LE SYNDICALISME RÉVOLUTIONNAIRE"

Afin de détacher les masses de la tentation terroriste à la spontanéité vaine, des syndicats traditionnels sclérosés et fonctionnarisés et des prétendus socialistes qui les bernent, F. Pelloutier considère que le devoir impérieux des
anarchistes est de pénétrer les syndicats ; prendre le contrôle des organisations ouvrières7. L- anarcho-syndicalisme" ou le "syndicalisme révolutionnaire" est né;

L"' ACTION DIRECTE"

L'action directe n'est pas autre chose que 1a traduction en termes syndicaux de la tactique de la lutte des classes. Les moyens de l'action directe sont multiples : revendications professionnelles, négociations du syndicat avec les employeurs, placement organisé par les travailleurs eux-mêmes, mutuelles, caisses de retraites et de secours, culture populaire prise en charge et organisée par les ouvriers eux-mêmes, coopératives de consommation. L'instrument idéal de cette action directe fut la Fédération des Bourses du Travail dont F. Pelloutier fut l'apôtre. L'action directe n'est pas violente par principe mais en cas de nécessité son utilisation n'est pas écartée : piquets de grève luttant contre les briseurs de grève, sabotages du travail, occupations, boycottages et grève générale. Pour Pelloutier action directe n'est pas synonyme d'action violente.

L'action directe n'est ni la violence systématique ni un refus systématique de la violence et de la révolution. C'est ainsi que la grève générale, moyen suprême de faction directe et prodrome de la révolution sociale, est une arme fondamentalement violente (Briand concevant la grève générale comme une "arme pacifique" se séparera de Pelloutier). Qui plus est la violence n'est pas seulement une question d'efficacité mais aussi de dignité : "la violence, enfin, qui seule peut mettre un frein à la violence, et qui est l'arme naturelle de tout être fier et digne".

SUCCÈS D'UNE IDÉE

L'expression "action directe" fera fortune après 1900. Elle tient lieu de mot d'ordre à la C.G.T. (1895) et son succès est tel que les syndicalistes révolutionnaires groupés autour de Pouget (secrétaire adjoint de la C.G.T) et Griffuelhes (secrétaire de la C.G.T.) créent à deux reprises un organe de presse dont le titre est "Action directe" : 1"'Action Directe" revue syndicaliste révolutionnaire qui paraît de juillet 1903 à février 1905 (9 numéros) et 1"'Action Directe" hebdomadaire qui paraît du 15 janvier au 3 octobre 1908 (33 numéros). Ce sera également le titre d'une brochure de Pouget où l'on peut lire : "Elle [faction directe] signifie que la classe ouvrière, en réaction contre le milieu actuel, n'attend rien des hommes, des puissances et des forces extérieures à elle, mais qu'elle crée ses propres conditions de lutte et puise en soi les moyens d'action. Elle signifie que, contre la société actuelle qui ne connaît que le citoyen, se dresse désormais le producteur". ("L'Action directe", éditions de la guerre sociale, 1910). L'action directe est faction syndicale "indemne de tout alliage", "franche de toutes les impuretés".

Et Victor Griffuelhes autre théoricien de l'action directe "[cela] veut dire action des ouvriers eux-mêmes, directement exercée par les ouvriers. C'est le travailleur qui accomplit lui-même son effort. Par faction directe, l'ouvrier crée lui-même sa lutte, c'est lui qui la conduit, décidé à ne s'en rapporter à personne d'autre du soin de se libérer. (29 juillet 1904).

Il n'est pas inutile de noter que Pouget théoricien de faction directe dirigera le journal "La Cause du Peuple", titre qui sera repris moins d'un siècle plus tard par les maoïstes (Directeur de publication : J-P Sartre) qui publieront les textes théoriques de la Nouvelle Résistance Populaire (voir annexe p.93).

La formule "action directe" deviendra un cliché du discours des groupes gauchistes tentés par faction violente (voir notice biographique de F. Oriach p.57) et traversera même l'Atlantique puisqu'une organisation nommée "Direct Action" commettra des attentats à (explosif au Canada en 1982.

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7 voir l'article de F. Pelloutier paru en 1895 dans les Temps Nouveaux sous le titre "L'anarchisme et les syndicats ouvriers"