QOM LA SAINTE, LA RÉVOLUTIONNAIRE, LA RAYONNANTE

C'était l'époque où le Chahinshah triomphait. Il y a de cela quinze ans... ou trois millénaires. La mode était alors au voyage en Iran: les trésors de l'Empire Perse... Chiraz, Ispahan, Persépolis. Il fallait cependant bien fouiller des guides d'ordinaire enthousiastes, pour trouver de brèves allusions à une ville en apparence très différente : Qom.

C'était, nous disaient des guides soudain très réservés, une "ville sainte" située à 150 km au sud de Téhéran. On n'y trouvait pas d'hôtels pour étrangers, mais "rien n'interdisait d'y faire étape". On pouvait - de l'extérieur - y admirer un sanctuaire, véritable "forteresse de la foi", "dont une foule compacte et aux limites du fanatisme défend l'entrée mieux que des pont-levis ou des gardes armés". Si vous n'étiez pas suffisamment refroidis, vous étiez encore avertis que, de peu accueillante l'année durant, elle devenait franchement infréquentable durant le mois sacré de Moharram.. Coup de grâce, "on n'y sert pas de boissons alcoolisées". Les nouvelles les plus effrayantes de Lovecraft débutent ainsi, par des conseils obliques de méfiance, d'évitement, sussurés à l'étranger trop audacieux...

Qom : depuis douze siècles, Qom la sainte. Pendant cinquante ans, Qom la rebelle. Depuis 1979, Qom la révolutionnaire.

Elle parait le nom de la fille du Prophète: Fatima. En 816 après JC, elle est morte à Qom où son père l'avait conduite " à cause de la persécution que les califes de Bagdad [déjà!-] faisaient à sa famille et à cous ceux qui tenaient Ali et ses descendants pour seuls légitimes successeurs de Mahomet", comme le dit Jean Chardin, l'un des premiers grands voyageurs à avoir décrit Qom en détails, à la fin du XVII° siècle.

Au moment où la Très Pure priait en attendant la mort, l'esprit des Gens de la Maison - Ahl el Beit - le Prophète Mahomet, sa fille Fatima, son gendre Ali, l'imam martyr Hussein, est venu l'assister dans son agonie. Depuis, Qom, site du décès de Fatima, la Vierge Impeccable, est l'un des quatre lieux majeurs de pèlerinage de l'islam Chi'ite avec Nadjaf (Irak) tombeau de l'imam Ali ; Kerbela (hait) scène du martyre de l'Imam Hussein ; et Mechhed (Iran), tombeau de l'Imam Reza.

Fatima Ma'mah (la Très Pure, l''Impeccable petite fille de l'imam Ja'afar (6° imam chi'ite) fille de l'imam Moussa (7e imam) soeur de l'iamam Reza (8e imam) est née en 183 (Hégire): Elle meurt en 201 (H) à Qom ; elle avait 18 ans et était en route pour reoindre son fière Reza à Mechhed, dans le nord de la Perse.

Fatima Ma'soumah; objet d'une vénération particulière chez les chi'ites perses; n'est pas la première parmi les femmes de la
maisonnée du prophète à porter ce nom.

Avant ont existé :

. Fatima Bint-Assad, épouse d'Abi-Talib, mère d'Ali, commandeur des croyants et premier imam chi'ite, mère adoptive du prophète Mahomet,

. Fatima Zahra, fille du prophète, épouse d'Ali Ibn Abi-Talib, mère de Hassan (2è imam) et de Hussein (3e imam),
. Fatima, fille de Hussein, survivante du massacre de la famille du 3e imam à Kerbela.

De loin, depuis la route, c'est d'abord un entassement de bâtiments grisâtres au dessus desquels, dans l'air poussiéreux et surchauffé, danse comme un mirage la coupole dorée du sanctuaire, "tombeau de la très vénérable et pure Vierge de Qom".

Dans la ville, qui est celle des "Signes de Dieu" - les Ayatollah- partout des turbans blancs pour les Mollahs ordinaires, noir pour les "Seyyed" descendants de la famille du Prophète - partout des tchadors. Franchi le Qom-roud, cours d'eau boueux et asséché, commence la vieille ville, déjà renommée comme centre Chi'ite dans des textes remontant à l'an 978. Ecrasant tout, le sanctuaire, enchassé dans une mosquée commencée au IX° siècle, sans cesse agrandie et embellie depuis. Notre témoin Jean Chardin s'en émerveille : "Le tout est d'or fin. Les Persans disent que tout est massif ; s'il est véritable, cela vaut des millions"...

Mais Qom n'est pas qu'un super-Lourdes, qu'un Lisieux doré à la feuille. La ville et ses Ayatollah ont été, depuis la prise du pouvoir par Reza Pahlavi en 1925, le coeur de la résistance islamique au modernisme et à la sécularisation. De son XVII° siècle, Jean Chardin nous avertit : "Moussa (le 7° imam) vint de Bassorah à Qom et y apporta les dogmes d'Ali qu'on appelle la religion des Chi'a ; elle a toujours été professée jusqu'au martyre et le peuple n'en a jamais souffert d'autres".

1906 : soulèvement populaire et début de l'effondrement de la dynastie Qadjar. D'où partent les impulsions qui mobilisent la foule de Téhéran ? De Qom.

C'est à Qom, en 1922, que vient s'installer un prestigieux docteur de l'Islam, Cheikh Abdel Karim Hae'ri Yazdi. Dans son entourage un modeste étudiant Rouhollah Moussavi. Qui deviendra une sous son nom religieux : Khomeini, et résidera quarante ans dans la ville sainte.

C'est à Qom que naît, en 1928, Moussa Sadr, futur guide et père spirituel de la communauté chi'ite libanaise.

C'est depuis Qom qu'en 1960, l'Ayatollah Khomeini lance sa première attaque frontale contre le Chah. Finie la Takiya (la dissimulation) ! Décrète-t-il : l'heure est venue de se battre à visage découvert.

En mars 1963, la garde du Chah ravage l'école Feyzieh, qui est le séminaire de Khomeini : 12 morts, une centaine de blessés. Des émeutes éclatent alors dans tout l'Iran. Dix mille morts selon les islamiques. En juin de la même année, l'Iran abasourdi écoute Khomeini invectiver le Chah en des termes inouïs : "Ecoute les conseils de ceux qui ont vraiment à coeur le bien-être du peuple ! Ecoute moi, misérable pervers ! Tu as déjà vécu quarante cinq ans en ce bas monde ....arrête-toi et réfléchis juste un instant à ce que tu fais subir à ton pays ! Souviens-toi du sort de ton père !"...

Peu après Khomeini est exilé. Mais, sous un trône impérial en apparence plus solide que jamais, le feu couve.

En juin 77, à Qom toujours, une manifestation donne le signal : des émeutes éclatait dans tout l'Iran. Janvier, mai 1978. Encore des émeutes. Toujours à Qom Des martyrs par centaines, par milliers... enfin, la révolution

Ville sainte, ville rebelle, Qom n'a cessé depuis le XVI° siècle d'être surtout un centre de rayonnement spirituel majeur pour l'Islam chi'ite. Dans toute la ville, par dizaines, des écoles islamiques, les "madrassa". De petits immeubles de 2 ou 3 étages constituant autant de centres d'enseignement sous la direction d'un Hodjatolislam ("témoin de l'Islam") ou d'un Ayatollah, par dizaines et par centaines, dans une austérité confinant au dénuement venus de tout le monde musulman, étudient des années durant - des décennies parfois - les futurs pasteurs des communautés chi'ites.

Encore que tous ces étudiants n'embrassent pas forcément la fonction sacerdotale. De Tunisie au Koweit, de France en Irak, de Bahrein au Liban, nombreux sont les révolutionnaires islamiques convaincus d'actes de terrorisme. Un point commun dans toutes leurs carrières : le séjour à Qom...
 
ÉTUDIANTS EIRANGERS DANS LES ÉCOLES QUES DE Qom
(début 1986. Source : Secrétariat aux affaires religieuses, Qom).
PAYS
NOMBRE
AFGHANISTAN
3 500
PAKISTAN
3 000
IRAK
2 800
Algérie - Arabie Séoudite, Batmein, BanglaDesh,
Corée (Sud), EgSrpte, F.mirats Arabes Unis, France,
Grande-Bretagne, Guinée, Inde, Indonésie,
Jordanie Koweït, Liban, Madagascar, Malaisie,
Maroc, Oman, Palestine Philippioes, Qatar,
Sénégal, Soudan, Syrie, Tanzanie, Tunisie,
Turquie, Union Sud-Africaine, URSS,
Yemen (Nord), Yougoslavie
entre 50 & 200
Au total +/- 12 000 étudiants.
L'Iran finance en outre une centaine d'écoles coraniques au Nigéria et une centaine d'autres
en Afrique occidentale (Sénégal, Niger, Gabon, Guinée, Mali, Sierra-Leone).

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