LA RÉVOLUTION ISLAMIQUE ET SON AVENIR

Fao reconquise... L'Imam Khomeini mourant ou mort... Un front des Etats Arabes uni comme jamais à l'exception d'une Syrie de plus en plus branlante... la banlieue sud de Beyrouth contrôlée par les troupes de Damas, le sud du Liban reconquis par Amal, Baalbek encerclée et quadrillée : la marée révolutionnaire Islamique partie d'Iran est redescendue pour être rendue aujourd'hui à son niveau le plus bas depuis 1979 ; voiles, grosso modo, le point de vue des chancelleries occidentales et ces médias.

Ce jugement nous semble un peu hâtif a fondé pour bonne part sur un lâche soulagement mâtiné de "Wishful thinking". L'influence réelle de la révolution islamique d'Iran nous paraît devoir être étudiée dans son épaisseur et dans sa durée ; non pas à partir d'épiphénomènes et de jugements à court terme.

S'interroger sur cette influence, et sur l'avenir de la Révolution Islamique impose de se poser trois questions, et de tenter d'y répondre.

1° Comment a été jaugée, depuis son éclatement, l'influence de la Révolution Islamique Iranienne sur l'Oumma musulmane?

Classiquement, cette évaluation est passée par deux phases successives et contradictoires. Dans un premier temps, la crainte dominante a été de voir la vague khomeiniste déferler sur tout le monde musulman pour le submerger. Puis, rapidement, le balancier est reparti dans l'autre sens et une idée aussi excessive s'est imposée : la vieille hostilité sunnito-chi'ite avait pour de bon repris le dessus, et, à part quelques excités, l'Iran ne pouvait compter sur personne.

La réalité était plus nuancée a son approche nécessite la prise en e de deux éléments essentiels.

2° Qu'est-ce que la Révolution Islamique d'Iran ?

La révolution de 1979 est l'une des grandes révolutions de l'histoire, cela ne semble plus faire de doute, au même titre que celles de 1789 et de 1917. Cela se vérifie en observant la façon dont s'opère la diffusion du mythe révolutionnaire dans les trois cas.

- Dans un premier temps, la révolution est en fusion, atteint un point d'embrasement intense, et s'impose comme mythe largement au delà de ses frontières,

- Dans un second temps, le rayonnement s'affaiblit, parfois au point de sembler disparaître. Parfois la révolution disparaît réellement, et le mythe paraît dissipé,

- Dans un troisième temps, des années, des décennies après, parfois, l'idée refait surface et des foyers révolutionnaires très actifs se révèlent parfois sur le lieu, parfois très loin du lieu d' embrasement originel. En France, la phase révolutionnaire dort une décennie, suivie d'épisodes plus ou moins agités, pendant un demi siècle. En 1848, l'Europe s'embrase.

Notons que, dans les deux cas évoqués, la progression de l'idée révolutionnaire est largement facilitée par les ennemis mêmes de la révolution, qui alternent les phases d'interventions maladroites et les périodes, plus longues, d'auto-aveuglement.

3° Que veut Téhéran ? Quel est son projet ?

Transformer son projet révolutionnaire islamique propre en un modèle, ai un idéal politico-religieux pour tous les "deshérités". du Monde musulman. Projet fort ambitieux et sans doute démesuré, mais poursuivi avec acharnement et méthode depuis maintenant près d'une décennie. L'accomplissement de ce projet nécessite un levier, un instrument à l'échelle internationale, et une stratégie.

Le levier, c'est le contrôle d'une minorité musulmane activiste (qui restera une minorité, les Iraniens sont sans illusions là dessus), minorité largement sunnite, d'ailleurs, dans l'ensemble des 42 ou 43 pays membres de l'Organisation de la Conférence Islamique. La stratégie c'est d'utiliser cette minorité pour marquer, comme au football, les gouvernements en place, de les pousser à s'engager, verbalement de plus en plus, en faveur de l'Islam, à usage externe, avec l'espoir que la dichotomie - la contradiction entre cet islamisme cosmétique à usage publicitaire, et les conditions inchangées d'une vie politique intérieure considérée par Téhéran comme non islamique, dissolue, corrompue, amènera des révoltes et, de proche en proche, une situation révolutionnaire. Tout cela figure explicitement dans des textes produits à Téhéran, et assez largement diffusés.

Personne à Téhéran ne nourrit d'illusion sur la difficulté de l'entreprise. Personne ne pense que la progression sera linéaire, continue, ascendante ; une succession de victoires ininterrompue conduisant rapidement le "milliard de musulmans" à vivre l'idéal de l'Islam sous la houlette de l'Imam.

Notons, avant de signer l'acte de décès de la Révolution Islamique, les trois points suivants, qui serviront de révélateur, dans la période qui vient, sur la vitalité du courant radical-activiste musulman.
. Le modèle Iranien a frappé les imaginations dans le monde musulman, et en particulier le mythe du martyr ("Chahid") a trouvé une seconde jeunesse en Palestine occupée. Il s'affirme désormais avec une force considérable au sein de l'Islam sunnite.

. Une solidarité et une coordination plus grande qu'il y a quelques années existent désormais entre Téhéran et des communautés Chi'ites du sous-continent indien (Pakistan, Inde, notamment) au départ très réticentes.

. Une influence très directe et très caractéristique de la RI d'Iran se fait désormais sentir dans plusieurs courants fondamentalistes sunnites, la progression se faisant, à la mode maoïste "de la périphérie vers le centre", à partir de l'Islam africain et asiatique, en direction du "noyau dur" arabe, a particulièrement là où existe une lutte de libération.

Récemment dans "Le Monde"4 , un observateur de la guerre du Golfe faisait remarquer avec beaucoup de force que la guerre Irak- Iran était la guerre de demain, sans doute comme la guerre de Sécession avait anticipé la première guerre mondiale, et la guerre d'Espagne la seconde. De ce seul fait, ce conflit doit retenir notre attention et notamment en raison de l'importance qu'il accorde aux stratégies indirectes. De l'usage de ces stratégies, pour l'Iran, dépend le maintien et le développement de son influence dans l'Oumma. Il serait naïf de penser que Téhéran va baisser les bras au premier revers militaire ou lors du décès de tel ou tel de ses dirigeants, fût-il illustre, fût il.

"L'ombre du Prophète sur la Terne."
 

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4 "La France et la guerre du Golfe", Thierry Mignon, 8/6/88