RÉALITÉS DÉSAGRÉABLES, RÉALITÉS QUAND MÊME.

[Les "Notes" sont une oeuvre collective d'analyse et l'écrit d la première personne n'y a, en général, pas plus sa place que l'éditorial. Ce qui suit est une exception - justifiée, je le crois, - à cette règle. XR.]

Tout concourt, et cela ne date pas d'hier, à occulter la réalité moyen-orientale, mais particulièrement
· le traitement médiatique de l'information qui met (actualité -supposée toujours brûlante - à plat, ignore tout de l'Histoire et met sous le boisseau ce qui la dérange ou ce qu'elle ne comprend pas2.
· l'invasion de la sphère du politique par des considérations morales qui tendent -même si leurs émetteurs s'en défendait avec vigueur - à constituer une idéologie.

La réalité n'en est pas moins là, et je crois nécessaire de la rappeler, concernant trois pays qui ont leur importance sur (échiquier proche-oriental.

LIBAN

Ce pays a connu infiniment plus de phases d'affrontements intercommunautaires que de périodes de paix civile, cour au long des siècles passés. Beyrouth en naines aujourd'hui ? Ecoutons un témoin désintéressé, Gérard de Nerval, nous parler de (état des villes de la côte liber mise il y a un siècle :
"La ville endormie ne se révélait encore que par ses murs à créneaux, ses tours carmes, et les dômes d'étain de sa mosquée, indiquée de loin par un seul minaret A part ce détail musulman, on peut rêver encore la cité féodale des Templiers, le dernier rempart des Croisades.

Le jour vint dissipa cette illusion en trahissant l'amas de ruines informes qui résultent de tant de sièges et de bombardement accomplis jusqu'à ces dernières années."3

Parler du retour à la paix au Liban, c'est considérer que l'actuelle guerre civile n'est qu'une tragique parenthèse, ayant frappé une Helvétie orientale et mis fin à un âge d'or supposé séculaire. La réalité est exactement l'inverse de ce conte de fée.

SYRIE

Le Liban fait partie - sous une forme assurément lâche - de (ensemble syrien et cour projet politique proche-oriental qui ignore cette évidence historique est voué à l'échec Seul un empire brutal (la Turquie Ottomane) ou une puissance coloniale victorieuse (la France) pouvait contrarier un temps l'état naturel des équilibres régionaux. Ces puissances tutélaires ne sont plus là et, de nos jours ceux qui possèdent les carottes (Etats-Unis, CEE) ne sont pas veux qui manient les bâtons (Israël directement, Soviétiques, par livraisons d'armes interposées). En l'absence d'un génie tutélaire combinant l'un et l'autre, l'attraction du Liban dans le giron syrien peut-elle être évitée ?

IRAN

La théocratie,. telle qu'elle est pratiquée à Téhéran, n'est pas, on s'en doute, mon système politique de prédilection; mais il faut reconnaître que la communauté internationale a accumulé vis à vis de la République Islamique d'Iran les inconséquences, voire les provocations.

En septembre 1980, quand l'Irak envahit l'Iran, le Conseil de Sécurité commence, tout simplement, par ne pas se donner la peine de se réunir.

Quand il le fait, à la fin du même mois (le 28.9.80), c'est pour accoucher d'une résolution 479 qui n'appelle même pas au retrait des forces irakiennes, alors enfoncées de plusieurs centaines de kilomètres en territoire iranien.

Au cours de cette guerre - que l'Irak a déclenchée - ce pays a pris l'initiative de l'usage des gaz de combat - et à grande échelle -; l'initiative des attaques aériennes de navires marchands dans le Golfe; l'initiative du bombardement de populations civiles dans les cités. Jamais à ce jour, le Conseil de Sécurité en tant que tel, n'a condamné l'Irak pour ce qu'il faut bien appeler des crimes de guerre à répétition.

Au bout de six ans, est apparue la résolution 598 qui tombait à pic pour l'Irak, alors sérieusement menacé. Elle enjoignait à l'Iran de se retirer sur les frontières internationales contre la fumeuse promesse de créer ultérieurement une "commission impartiale" chargée de s'informer sur les responsabilités dans le déclenchement du conflit.

Tout cela fait que l'Iran se cabre ; a recours à toute de sortes de stratégies indirectes, domaine dans lequel il avait déjà des prédispositions ; joue au martyr partout où il le peut dans la communauté musulmane et, contraint d'accepter cette fameuse résolution 598, risque d'élever toute la jeune génération islamique iranienne dans l'idée de la vengeance et de la revanche.

Est-ce bien là ce que souhaitent les puissantes occidentales et européennes qui disposent d'une influence au Proche-Orient ? Est-ce bien conforme à nos principes en matière de Droit des Etats ? Si tes Droits sont à éclipses, brandis quand cela nous arrange et mis au placard quand ils ont cessé d'être utiles, faut-il s'étonner du jugement d'un jeune journaliste syrien parlant au nom de l'opinion publique Arabe aux récentes journées de l'Institut de Criminologie ? Il y évoquait notre conception des Droits de l'Homme, qu'il soupçonnait de n'être en réalité que les "Droits de l'Homme Blanc". Devons-nous accréditer de tels soupçons, par des politiques injustes et / ou incohérentes au Proche-Orient?

Xavier Raufer

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2 "De plus en plus, la culture, au lieu de s'intégrer à une galaxie de notions et de pratiques familières, devient un feu d'artifice d'images sonores. La magie des images tend à se substituer à la cohérence du discours. L'information, au lieu d'être progressive, assimilable, ordonnée aux autres connaissances, tend à se focaliser sur l'instant et devient un savoir en miettes, un produit jetable. Introduction par Maurice Prestat à "l'Art de la guerre" de Sun Zi, Ed. Economica, Bibliothèque stratégique, 1988

3 "Voyage en Orient", Gérard de Nerval, Julliard, 1964,