III - Recyclage : la ligne maginot planétaire

C'est une note confidentielle, signée de l'inspecteur général des risques d'une grande banque privée française très présente en Amérique latine. Elle est adressée "à monsieur le Président et messieurs les membres du comité consultatif". Et c’est un document accablant : "Nos succursales de Panama, Cayman et Miami ont de bons dépôts et résultats et elles ont une apparence relativement brillante. En réalité, leur situation est loin d'être saine car leurs dépôts ont l'origine que l'on sait..." Le point 3 de la note est plus clair. Intitulé "recyclage des ressources provenant du trafic de la drogue", on peut y lire ceci : "Il est admis sur la place que le plus gros déposant de la succursale de Medellin, pourtant client ancien, est intimement lié au milieu de la drogue". Cri d'alarme final de l'inspecteur : "Si la banque ne raisonne pas en termes de morale, elle devrait tout au moins raisonner en termes de prudence".

Une phrase révélatrice de l'attitude d'une grande partie des élites bancaires de la planète. Un milieu où l'on ne divulgue jamais rien à l'extérieur. Où le linge, même le plus sale est toujours lavé en famille. La preuve ? le rapport cité plus haut est daté du 7 décembre 1988. Et à ce jour, rien n'en a filtré hors du cercle dirigeant de la banque.

"Dans la profession bancaire" m'explique un expert ès-criminalité financière "il y a d'abord, les réseaux, comme par exemple la Société Générale. Là, pas trop de problème. Ces établissements ont une clientèle privée, aux dépôts plutôt modestes. On a ensuite les banques d'affaires qui font de l'ingénièrie financière souvent complexe impliquant de gros mouvements de fonds. Là règne une petite caste qui abuse souvent du secret bancaire - obligation professionnelle au demeurant légitime. Ces hommes à ce jour intouchables me rappellent les mandarins de la transfusion sanguine, avant que n'éclate le drame que l'on sait : même pratique d'une sorte d'Omerta malsaine, même mépris de la loi. Et à terme, même risque d'un scandale majeur."
 

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