"C'est là qu'il faut rendre hommage à une grande figure
du blanchiment, injustement tombée dans l'oubli" ironise un membre
de la commission "criminalité organisée" de la Chambre des
représentants américains. "Il s'agit de José-Antonio,
Fernandez. Un gros importateur de marijuana colombienne aux Etats-Unis,
a la fin des années 70. A travers toute une série de sociétés-écran,
Fernandez est parvenu à prendre le contrôle d'une petite banque
de Floride, la "Sunshine State Bank". Elle a fonctionné comme une
blanchisseuse géante jusqu'à son arrestation, en 1984. Comme
la "Great American Bank" de Miami avait suivi la même voie, mais
pour les coca-dollars cette fois-ci, on a fini par durcir le système
bancaire local. En attendant, le concept de banque-pirate était
né."
Les banques-pirate, qui ouvrent des comptes à des sociétés
louches, aux activités peu claires et acceptent d'importants dépôts
en espèces de clients inconnus, opèrent désormais
à partir des plus opaques des paradis fiscaux. Mais elles ont fait
place dans des pays sans tradition financière, comme l'ex-bloc soviétique
par exemple, à des banques carrément fictives, en réalité
de simples boîtes aux lettres. Fin 1992, une certaine "Banque pour
le développement du Bâtiment" de Poznan, en Pologne a ainsi
écoulé pendant sa météorique existence, et
notamment en Allemagne, 145 millions de dollars issus d'un fonds particulièrement
opaque de Hongkong.
Reste la Rolls-Royce du blanchiment : certains instruments financiers très sophistiqués. Les marchés à terme des marchandises, par exemple, qui sont extrèmement spéculatifs, très dérégulés et dépourvus de bases matérielles stables, puisque bénéfices et pertes s'y réalisent, non sur la livraison de denrées physiques, mais sur la revente de contrats anticipant l'évolution des cours. Qui plus est, des millions de transactions s'y déroulent chaque jour sur un rythme ultra-rapide. Comme nous le confirme un financier de Wall Street : "Prenez une opération de blanchiment, disons, de 150 millions de dollars. Sur un marché à terme, des transactions-miroir, où les pertes et profits circulent entre deux comptes contrôlés en sous-main par un seul individu, ont toutes les chances de passer inaperçu. Il faudrait une éternité pour en dénicher une seule, au milieu de milliards de dollars quotidiens de transactions légitimes".
En son temps, une telle opportunité n'avait pas échappé
à la BCCI, la "Mère de toutes les Banques-Pirates" aimablement
baptisée "Bank of Crooks and Criminals International" par certaines
de ses consoeurs. Et où, de fait, Abou Nidal, Saddam Hussein, Pablo
Escobar et une bonne dizaine de services secrets disposaient de comptes
bancaires. Dès 1984, la BCCI ouvrait la "CAPCOM financial services",
filiale spécialisée dans les marchés à terme,
qui brasse jusqu'en 1988 des milliards de dollars anonymes sur les marchés
de Chicago et de Londres - 5,5 milliards de dollars en 1985, par exemple.
Ce pour une clientèle dont le dictateur panaméen Manuel Noriega
constituait à coup sûr l'élément le plus présentable...