Le blanchiment, entreprise globale

Australie, printemps 1993. "Pouvez-vous transférer 10 millions de dollars, par télex, vers le Pakistan" ? Cette demande suspecte, émanant d'un client inconnu, pousse une banque de Sydney à prévenir la police. Qui découvre - bien tard - une entreprise de recyclage des profits de la vente en gros de 10 tonnes de cannabis pakistanais : 51 millions de dollars. Les premiers 41 millions se sont, eux, évaporé dans la nature, grâce aux stratagèmes suivants :
 

. 35 millions en espèces sont dissimulés dans des machines de dessalement d'eau de mer spécialement aménagées et transférés à Singapour, où ils disparaissent.

. Une fausse société religieuse australienne est autorisée à recevoir des "dons charitables" - évidemment en liquide - puis à les virer à l'étranger afin d'y poursuivre son "apostolat".

. Une société-écran de joaillerie achète pour 3 millions de dollars d'or et l'exporte vers Hongkong. Là, l'argent de la revente est viré télégraphiquement dans des paradis fiscaux.

Londres, mars 1993 : les policiers anglais découvrent une extraordinaire "boîte noire" financière : la Tchétchènie, enclave de 19 000 km2 - et gorgée de pétrole - au sein du Caucase russe. L' "ambassadeur" de la République - autoproclamée - de Tchetchenie et son frère sont en effet retrouvés abattus chacun de trois balles dans la tête, les mains liées dans le dos. L'enquête révèle qu'en trois mois de présence à Londres, Rouslan et Nazarbek Outsyev ont monté un vaste réseau de sociétés entre l'ex-bloc de l'est : Russie (Moscou, Saint-Pétersbourg), Pologne (Varsovie) et Bulgarie (Burgas) et le monde occidental, Londres, Paris, Dublin, Hambourg mais aussi des paradis fiscaux comme Guernesey, Nicosie (Chypre) et les Iles Vierges britanniques. Et dans la société qu'ils ont montée en Floride, les Outsyev ont pour associés d'authentiques mafieux de Philadelphie .... Toutes les "entreprises", les frères Outsyev sont reliées par une véritable toile d'araignée électronique : une quarantaine de comptes - ouverts dans les banques les plus réputées d'Europe et des Etats-Unis - entre lesquels dollars US, marks, francs suisses et livres sterling circulent par millions. Sans que l'on sache bien, aujourd'hui encore, l'origine ou la destination de ces mystérieux fonds tchétchènes...

New-York, hiver 1993 : des anomalies dans les flux de mandats de la poste locale - plus exactement des régularités suspectes - poussent le FBI a lancer une enquête. Trop tard : par le biais de "fourmis" expédiant chaque jour pour cent mille dollars de modestes mandats-poste de moins de 1000 dollars, les cartels colombiens ont blanchi en moins d'un an 198 millions de dollars - plus d'un milliard de francs. La technique ? Elle est enfantine et ne fait pas le moins du monde appel aux technologies sophistiquées. Chaque jour, des centaines de mandats internationaux fournis par la Poste ou des sociétés de chèques de voyage, sont émis a l'ordre de 28 sociétés-écran colombiennes portant des noms - bien rassurants - de PME comme "Audio Central", "Mundo Video" ou "Textiles Universales". A partir de New York, mais aussi de Miami et de Porto Rico. Tous ces mandats sont ensuite expédiés par paquets à une banque de Panama - précisément la filiale d'un important établissement financier de Hongkong. Il en arrive ainsi pour près de 500 000 dollars par jour, pendant près d'un an... Comme par hasard, nos PME colombiennes ont toutes des succursales dans la zone franche de Colon, à Panama... L'argent ainsi perçu est enfin renvoyé sur la Colombie. Mais comment savoir ce qui, dans ce pipe-line financier, revient à chaque élément du Cartel ? Au dos de chaque mandat-poste récupéré par les policiers américains, une marque identique à celles des paquets de cocaïne. Pour avoir une idée de la complexité de la structure financière des cartels colombiens : à ce jour, les services postaux US ont identifié plus de 800 de ces tampons. Les plus fréquents : la lettre E dans un bouclier, une lune souriante, un aigle, un crabe, un cygne dans un cercle, etc. Mais, selon notre expert du FinCEN, ces méthodes relèvent encore du bricolage, en comparaison des sommes recyclées par le biais de transactions d'or fictives entre les deux Amériques. "Vous voulez un exemple, me demande mon interlocuteur ? Entre janvier et juin 1990, la Bolivie a exporté mondialement, nous dit-elle, pour 39, 6 millions dollars d'or. Or les seules douanes américaines ont enregistré au premier semestre 90 pour 80 millions de dollars d'importation d'or bolivien....
 

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