Le terrorisme au regard de la convention européenne des Droits de l’Homme.
(Intervention de Michel de Salvia)

A chacun son rôle. Le mien, qui rejoint ma conception professionnelle de la chose, est de présenter, de défendre si je le puis, la jurisprudence de la Commission de la Cour Européenne des Droits de l’Homme face au phénomène terroriste.

J’ai beaucoup entendu parlé ce matin de ripostes au terrorisme et de moyens que l’Etat peut et doit mettre en oeuvre.

Je voudrais pour ma part également faire mention des moyens autorisés, ceux là, donc, par la Convention Européenne des Droits de l’Homme mais également les limites à cette riposte. Certes les sociétés démocratiques se doivent d’organiser une riposte solidaire, le vent se lève dans cette direction et le Professeur Decocq a mentionné quels sont les jalons de cette stratégie, mais il est des limites impérieuses que les sociétés, nos sociétés, doivent s’imposer par respect des citoyens eux mêmes et par égard aux droits de l’Homme qui sont, et ne l’oublions pas, les Droits de tous les Hommes. Or, de longue date, s’est établi en Europe, un accord aux implications multiples et profondes. Il veut que les libertés individuelles fondamentales n’aient de signification que si elles s’exercent dans le cadre d’une société démocratique. C’est l’idée qui a présidé à la naissance du Conseil de l’Europe qui, depuis près de 40 ans, oeuvre pour la défense des institutions démocratiques. Dans le prolongement de l’action commune, et ainsi entreprise par les Etats, au niveau européen, a vu le jour un ordre public communautaire des libres démocraties d'Europe. C’est une expression qui a été utilisée à la Commission Européenne des Droits de l’Homme pour préciser la nature et la portée des engagements assurés par les Etats. Ordre public communautaire dont le cadre juridique est représenté par la Convention Européenne des droits de l’homme. Comme l’indique le préambule, un régime véritablement démocratique est étroitement lié à la protection des libertés fondamentales. A la base d’un tel régime, il y a des principes largement partagés. La liberté politique, le pluralisme, l’esprit d’ouverture, la solidarité, tous ces principes cependant procèdent d’une même idée-force : une société démocratique doit nécessairement être une société de tolérance. Or une telle société se trouve naturellement exposée à des périls qui tous, bien qu’à des degrés divers, se rattachent à une idée fort simple, mais en même temps dévastatrice car elle mine les consciences avant d’armer les bras, c’est l’intolérance .

De nos jours, loin d’être comme par le passé,l'apanage presque exclusif d’un Etat autoritaire, l’intolérance est essentiellement le fait d’individus ou de groupements. Ainsi, les actions violentes du terrorisme organisé représentent -et de loin- les plus graves formes d’intolérance qu’ont connu nos sociétés. Les activités terroristes ont fait et font courir à nos sociétés et à nos libertés de réels dangers à plus d’un titre car si il est vrai que protéger la société démocratique est un impératif qui s’impose à tout,à chacun et donc nécessairement à l’Etat démocratique qui doit être le premier garant des Libertés individuelles, il est tout aussi vrai que la menace terroriste peut engendrer par des législations qu’elle appelle une dégénérescence du système juridique et porter ainsi atteinte à nos libertés d’une manière plus indolore certes mais plus pernicieuse encore que ne pourrait le faire une situation grave mais passagère menaçant la vie de la Nation.

Ni la Convention, ni la jurisprudence ne donnent une définition de ce qu’est le terrorisme. A la supposer souhaitable, elle n’en serait pas moins incomplète car elle ne pourrait pas rendre compte des multiples mobiles et vérités dont se parent les terrorismes endogènes ou exogènes. Essayons toute fois d’en donner sinon une définition, du moins une idée : dans une société démocratique telle qu’envisagée par la Convention, la démarche terroriste consiste me semble-t-il à mettre une forme extrême de violence au service de l’intolérance. Ce que les terroristes ou du moins les mouvances politiques dans lesquelles ils se situent, n’arrivent pas à atteindre par les bulletins de vote, ils veulent le conquérir par la violence. En d’autres termes, entre tolérance et terrorisme, il n’y a souvent qu’un pas qui peut être franchi aisément pour peu que les conditions socio-économiques s’y prêtent. Tout en combattant avec fermeté le terrorisme, il faudrait surtout pas oublier de s’attaquer ardemment à réduire l’intolérance.

Les activités terroristes ont sérieusement mis à l’épreuve les garanties individuelles tout comme les moyens de défense de la société démocratique. Comment en effet dans une situation grave, protéger les droits fondamentaux revendiqués et également par ceux-là même qui se livrent à des activités terroristes. De quelle façon, d’autre part, peut-on éviter les abus éventuels d’une législation sur le terrorisme et parer aux dangers, et je cite la Commission, " inhérents à pareille législation de saper, voir de détruire la démocratie aux motifs de la défendre. "

Malgré les difficultés de concilier l'inconciliable ou du moins ce qui l’est difficilement, la jurisprudence de la Commission et de la Cour a mis toujours l’accent sur la nécessité de protéger en toutes circonstances les droits individuels essentiels, sans méconnaître pour autant l'inévitable nécessité de restreindre la jouissance de certains droits en vue de parer à une menace d’une particulière gravité pesant sur les institutions. Ce qu’il importe de réaliser est une certaine forme de conciliation, inhérente d’ailleurs au système même de la convention, entre les impératifs de la défense de la société démocratique et ceux de la sauvegarde des droits individuels. Les impératifs qu’imposent la défense de la société apparaissent avec netteté, des moyens que la convention met à la disposition des Etats lorsqu’ils se trouvent confrontés à des situations d'émergence. L’équilibre à respecter entre les intérêts en présence, ceux des individus et ceux, légitimes, de la société, collectivité, ce qui implique toutefois et nécessairement que l’ingérence dans la sphère individuelle doit malgré tout demeurer à l’intérieur de la limite qu’il appartient à la jurisprudence de la Commission et de la Cour de tracer dans chaque cas d’espèce.

Sans conteste, le moyen de défense principal réside dans la faculté dévolue aux Etats par l’article 15 de la Convention de pouvoir déroger aux obligations prévues et je cite : "en cas de guerre ou en cas d’autres dangers publics menaçant la vie de la Nation, il incombe à chaque Etat, et je cite la Cour dans l’affaire Lowless (?), en contact constant avec les réalités pressantes du moment de déterminer si un danger public le menace, de préciser l’étendue des dérogations pour le conjurer." l’hypothèse prévue à cette disposition désigne en particulier, je cite encore "une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’Etat".

En matière de dérogations, il appartient en dernière analyse aux organes de la Convention de déterminer si les mesures prises par les autorités nationales l’ont été comme l’exige l’article 15 dans la stricte mesure où la situation l’exige. De ce fait, le principe de proportionnalité qui se range parmi les principes généraux d’interprétation de la Convention trouve à s’appliquer à un domaine où le pouvoir d’appréciation de l'Etat, par exemple sur le choix des politiques de lutte contre le terrorisme, demeure en principe entier. Il n’en demeure pas moins que le jugement ultime dans cette matière est celui que pourra porter l’organe européen sur l’adéquation des mesures prises aux buts recherchés. But qui ne peut être, ne l’oublions pas, que la défense des institutions démocratiques.

Selon la Commission et la Cour, une situation de crise à un danger exceptionnel ont existé par exemple en République d’Irlande dans les années 56-57 du fait notamment des activités terroristes menées et je cite "par une armée secrète agissant en dehors de l’ordre constitutionnel et usant de la violence pour atteindre ses objectifs". Ainsi, compte tenu de l’aggravation progressive et alarmante des activités terroristes survenues à cette époque-là, la Cour a estimé dans cette affaire Lowless (?) que pour conjurer les dangers pesant sur les institutions, le recours à une détention administrative de ceux qui étaient soupçonnés d’activité terroristes, se présentait, malgré sa gravité comme une mesure exigée par les circonstances et strictement limitée aux exigences de la situation au sens de l’article 15 .

Quelques temps après, au début des années 70, ce fut autour de l’Irlande du Nord de connaître une situation extrêmement difficile et aux implications biens plus graves encore. En face d’une vague massive de violence et d’intimidation, le gouvernement britannique a pu selon la Cour, et je cite "raisonnablement estimer que les ressources de la législation ordinaire ne suffisant pas à la lutte contre le terrorisme, il avait été dès lors contraint à recourir à des mesures exorbitantes du droit commun sous la forme de privation extra judiciaire de liberté sans pour cela enfreindre la Convention."

Cependant pour contrer le phénomène terroriste, la convention dispose d’autres ressources qui rendent superflues hormis cas extrême, la faculté de recourir à l’article 15. Faculté dont les Etats n’ont au demeurant usé qu’avec parcimonie. En effet, lorsqu’il est appelé à adopter des mesures de protection de l’ordre public et donc des institutions, l’Etat jouit normalement d’une marge d’appréciation qui peut être plus ou moins étendue selon la nature du droit en cause. L’ingérence toute fois pour demeurer dans les limites acceptables doit répondre toujours à un critère de nécessité et donc de proportionnalité. L’impérieuse nécessité de défendre la société démocratique a ainsi amené les organes de la Convention à rechercher quelle forme d’équilibre pouvait le mieux concilier et la liberté et la sécurité dans le respect de la convention.

Là, je voudrais vous parler de quelques cas précis en les rangeant en deux catégories. Il y a des cas qui concernent le respect de la dignité de la personne humaine; d’autres se réfèrent au respect de l’équilibre dans la riposte c’est à dire dans le traitement judiciaire et dans le traitement policier du phénomène terroriste.

Les cas se rangeant dans la première catégorie, concernent notamment les articles 2 et 3 ; l’article 2 qui protège le droit à la vie et l’article 3 qui interdit la torture et les peines et traitements inhumains et dégradants.

En ce qui concerne le droit à la vie, je vous parlerai de deux affaires dans lesquelles il y a eu mort d’homme. Vous savez que le principe est que toute personne a droit à la vie mais qu'une mort n’est pas infligée intentionnellement si elle résulte d’un recours à la force rendu absolument nécessaire, dit la convention, au maintien de l’ordre public. Alors qui juge de l’absolue nécessité ? C’est en définitive la Commission, voir la Cour. La force employée, dit la commission, doit être strictement proportionnelle à la réalisation de ce but c’est à dire le maintien de l’ordre public. En évaluant si tel a été bien le cas, il faut tenir compte de la nature du but, du danger pour les vies humaines, de l’intégrité corporelle inhérente à la situation et de l’ampleur du risque que la force employée fasse des victimes. Dans une requête n° 104444 en 1982, décision du 10 juillet 84, la requérante s’était plainte de la mort de son fils tué après avoir été frappé à la tête par une balle en plastique tirée au cours d’une émeute par un soldat britannique faisant partie d’une unité servant en Irlande du Nord. La commission a estimé que cette mort avait été le résultat d’un recours à la force rendu absolument nécessaire pour réprimer une émeute. La Commission s’est fondée principalement sur le fait que le groupe de soldats avait été en butte à une foule hostile et violente de 150 personnes qui l’attaquait avec des pierres et d’autres projectiles et que le coup de feu avait été dévié au moment où le soldat tirait parce qu’il avait été atteint de plusieurs projectiles.

Dans une autre requête, la Commission a estimé en la déclarant recevable qu’un problème se posait. Il y a eu un règlement amiable dans cette affaire. Le mari de la requérante avait été tué par une patrouille de soldats britanniques en Irlande du Nord dans des circonstances qui selon elle ne justifiaient pas le recours à la force . Voici la déclaration faite par le gouvernement britannique en vue de ce règlement amiable qui a clos l’affaire devant la Commission " Le gouvernement considère que le décès de l’époux de la requérante a été une erreur malheureuse qui ne se serait pas produite si les soldats n’avaient pas cru à tort que l’intéressé tentait une attaque terroriste contre une banque. Le gouvernement est dès lors disposé pour des raisons humanitaires et pour mettre fin à cette affaire, sans pour autant que cela suppose aucune reconnaissance d’une violation de la convention ni aucun reproche aux soldats, à verser à titre gracieux la somme de 37500 livres ainsi qu’une contribution aux frais et dépens encourus par la présentation de l’affaire." Donc l’affaire est close sur cette base là. Je précise que la veuve n’avait pas obtenu satisfaction auprès des tribunaux d’Irlande du Nord.

En ce qui concerne les conditions de la détention, le grief est toujours : traitements inhumains et dégradants, torture. Nous avons eu plusieurs affaires émanant des membres de la Fraction armée rouge, qui ont posé le problème de l’isolement; l’isolement sensoriel, et l’isolement social, parfois conjugués auquel on avait soumis ces personnes. La Commissions a rejeté ces affaires après un examen très approfondi, presque byzantin. Elle a estimé que si l’isolement n’était pas en principe souhaitable, dans les circonstances de l’affaire, il n’y avait pas eu un élément pouvant constituer un traitement inhumain ou dégradant. Par exemple dans la deuxième affaire Baader, qui a donné lieu à une décision le 8 juillet 78, la commission a estimé "après examen très approfondi, aucun élément ne permet de penser que les requérants avaient été soumis à un isolement sensoriel provoqué par une réduction substantielle des stimulations des organes des sens" et avait conclu "qu’aucune violation de l’article 3 ne pouvait être décelée en l’espèce". Elle s’est interrogée parce que, disons, ces conditions de détention avaient pu donner naissance à des troubles pouvant pousser les requérants à se suicider. La Commission s’est donc interrogée sur ce point et a conclu que, si dans certains cas, la mort en prison d’une personne qui a prétendu y avoir été soumise à la torture ou à la violence physique ou psychique "peut être considéré comme l’aboutissement de ces mauvais traitements notamment lorsque l’isolement des détenus, systématiquement organisé et maintenu, a pu inéluctablement la pousser à attenter à ses jours. Dans le cas présent, il n’y a aucune indication objective dans ce sens" Je précise qu’une délégation de la Commission a visité la prison peu après le décès des requérants et a procédé à toutes les constatations qui auraient pu s’avérer nécessaires pour l'établissement des faits.

En ce qui concerne les autres griefs, ce qui se rangent dans la deuxième catégories, les traitements policiers ou judiciaires du phénomène, je crois qu’il faut faire justice d’emblée d'une idée qui est largement répandue et qui lie en quelques sorte le terrorisme à un phénomène, disons, politique. La conséquence est que les terroristes se considèrent alors comme des prisonniers politiques. C’est le grief qui a été fait dans la première affaire Baader : les requérants exposent qu'en tant que prisonniers politiques, ils ont été soumis à la torture de l’isolement et privés de tout contact tant à l’intérieur de la prison qu’avec le monde extérieur. Voici la réponse de la Commission "en ce qui concerne ce grief, la commission relève que tous les requérants sont inculpés de crimes particulièrement graves et notamment de meurtre, tentative de meurtre, vol qualifié et association de malfaiteurs. Ceci résulte des observations non contestées du gouvernement. Les requérants ne sont donc pas détenus en raison de leur opinion politique mais parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir commis des infractions représentant un danger social. A ce titre, ils ne peuvent être considérés comme des prisonniers politiques".

En ce qui concerne le traitement policier, le gouvernement britannique a été amené, en Irlande du Nord, sans pour cela faire appel à l’article 15 de la convention, à édicter un législation qui comportait la faculté pour des agents enquêteurs de priver une personne de liberté lorsqu’elle entrait sur le territoire britannique lors d’un passage de frontière.

Il y a eu une affaire fort intéressante, l'affaire Mekve qui a donné lieu à un rapport de la Commission le 18 mars 81. Les
requérants étaient trois citoyens britanniques qui avaient été détenus pendant 45 heures par l'agent enquêteur qui voulait
contrôler leur identité. Celui-ci ne s'était pas estimé satisfait des indications fournies au tout début et avait décidé, en application
de la loi, de les maintenir en détention.

La Commission dit : "Il ne faut pas perdre de vue le contexte général. de l'affaire. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que la convention doit être appliquée à la lumières des conditions d'aujourd’hui. L'existence d'un terrorisme organisé est une caractéristique de la vie moderne.

On ne saurait ignorer qu'il a surgi depuis la rédaction de la convention, pas plus qu'on ne peut faire abstraction des changement
de la situation sociale et de l'opinion morale qui se sont produites au cours de la même période. Ils placent les Etats
démocratiques devant une criminalité grave et organisée, qu'ils doivent juguler pour préserver les Droits fondamentaux de leurs
citoyens."

Dans cette affaire, la Commission a estimé que cette privation de liberté de 45 heures était prévue, donc couverte par une
disposition de la Convention, qui autorise une telle privation de liberté lorsqu'elle vise à satisfaire une obligation spécifique et
concrète. Or la Commission a estimé que le fait de devoir rendre compte de son identité et répondre aux questions des
enquêteurs constituait une obligation spécifique et concrète et que dès lors la privation de liberté n'était ni arbitraire, ni
irrégulière.

Ce concept a été développé dans une autre affaire. Toujours une affaire britannique qui concerne quatre citoyens britanniques
interpellés en Irlande du nord, eux aussi en vertu de cette loi. Ici, il ne s'agissait pas d'un contrôle de frontière mais d'un pouvoir
exorbitant conféré par la loi lorsque des policiers avaient à faire face à des menaces particulièrement graves, et la Commission
parce que l'affaire est pendante actuellement devant la Cour, a mis de nouveau en exergue la menace terroriste permanente. En
fait, les quatre personnes ont été ainsi interpellées puis toutes relâchées. La Commission est partie de l'idée dans ce rapport,
que ces quatre personnes n'avaient pas participé à des actes terroristes mais néanmoins elle a justifié cette privation de liberté
de quatre et cinq jours par l'article 5, § 1 qui prévoit la privation de liberté de toute personne soupçonnée d'avoir commis une
infraction pénale.

Ici la Commission a indiqué quelle était la philosophie de cette affaire : la lutte contre le terrorisme, a-t-elle dit, exige parfois des
sacrifices de chaque citoyen afin de protéger l'ensemble de la société contre ces actes criminels. Donc si elle a estimé conforme
à l'article 5 le fait de priver ces personnes de liberté, par contre, elle a estimé qu'une garantie prévue par l'article 5 n'avait pas
été satisfaite.

Il s'agit de la garantie prévue à l'article 5 § 3 qui prévoit que " toute personne arrêtée ou détenue doit être aussitôt traduite
devant un juge ou un autre magistrat habilité par la Loi à exercer des fonctions judiciaires".

Dans le cas d'espèce, deux des quatre personnes ont été maintenues en détention sans avoir été traduites devant un juge
pendant cinq jours et onze, heures pour l'une, six jours et seize heures trente pour la seconde, quatre jours et six heures pour la
troisième et quatre jours et onze heures pour la dernière.

Si la Commission a estimé qu'une personne ne devrait pas, dans les cas normaux, être détenue plus de quatre jours, c'est la
limite maximum, sans être traduite devant une autorité judiciaire, elle a estimé qu'elle doit équilibrer équitablement les intérêts
individuels et l’intérêt général se faisant, la Commission a estimé que les détentions de cinq jours et onze heures et six jours et
seize heures trente n'étaient pas conformes à l'article 5 § 3, elle a trouvé une violation de la Convention sur ces deux points.

Par contre, elle a estimé que les deux détentions de quatre jours étaient conformes aux prescriptions de l'article 5 §3. En
matière de durée de la procédure, la constatation qu'il y avait un danger terroriste a été prise en considération par la
Commission à propos d'une détention prétendument déraisonnable et d'une détention préventive en Italie. Le motif invoqué par
les autorités italiennes pour maintenir cette personne en détention était "le danger de fuite". La Commission s'est exprimée sur
ce point de cette façon : le danger de fuite est un élément inhérent à la nature même des infractions pénales (il s'agissait, en Italie
du procès du "7 avril 1979") s'inscrivant dans une stratégie visant à provoquer la guerre civile, et l'insurrection armée contre
l'Etat.

Le danger qu'une fois mise en liberté, une personne accusée de telles infractions, se soustraie à l'action de la justice est d'autant
plus réelle qu'il n'est pas malaisé pour une telle personne de gagner l'étranger En effet, les contrôles effectués à la frontière ne
font pas l'objet en Europe d'une application stricte et, d'autre, part nombreuses sont les possibilités de se servir de moyens
illégaux pour franchir les frontières. Lie cas de ce monsieur -c'est un co-inculpé qui avait gagné l'étranger - est à cet égard
extrêmement révélateur. D'autre part, en raison du caractère particulier de celles-ci nombreux sont les pays qui refusent
d'extrader les individus accusées de telles infractions. Ce qui d'ailleurs s'est produit pour des co-accusés qui, si je ne me
trompe, étaient en France à cette époque.

Je voudrais terminer ce rapide survol de la jurisprudence en vous indiquant que l'article 6 également a fait l'objet d'un examen
attentif dam une affaire très récente qui était portée devant la Cour. Celle-ci a conclu à une violation de cet l'article. De quoi
s'agissait-il ? Il s'agissait de trois prétendus terroristes espagnols-catalans qui étaient accusés du meurtre particulièrement
horrible d'un industriel, lui-même catalan : une bombe avait été posée sur la poitrine de cette personne puis déclenchée à
distance. Ces trois terroristes, ou prétendus tels, ont donc été jugés par une juridiction spéciale, l'Audiencia, Nacional, qui siège
à Madrid. La Commission a estimé que les circonstances de l'espèce avaient rendu le procès non équitable.

L'élément essentiel est celui de l'administration des preuves. Aucun témoin cité, n'avait reconnu les prévenus. 12 seule personne
qui avait accusé ces derniers, au stade de l’instruction, était en fuite et n'avait pu témoigner à l'audience; rien dans le dossier ne
venait étayer la thèse de la culpabilité des requérants. Dans cette affaire, la Commission, à une très forte majorité, à l'unanimité
même, a constaté la violation de l'article 6 de la Convention.

Quelles conclusions peut-on donc tirer de ce rapide survol de la jurisprudence de la Commision et de la Cour Européenne des
Droits de l'Homme ? A-t-on pu réaliser un équilibre, sinon heureux du moins satisfaisant, entre deux légitimités, celle de
l'individu et celle de la collectivité ? Il est indéniable que le terrorisme a révélé les contradictions de la société; les problèmes
que tout système juridique, celui de la Convention y-compris, rencontre lorsqu'il est confronté à une situation nouvelle où la
violence et l'idéologie se trouvent étrangement mêlées.

Malgré les réelles difficultés que la Commission et la Cour ont du surmonter en tant qu'organes juridictionnels européens
chargés de l'élaboration et de l'application d'un droit commun des droits fondamentaux, se pose une question essentielle :
comment un organe juridictionnel non national peut-il appréhender une réaction nationale complexe et juger de l'opportunité de la riposte au terrorisme mieux que ne le pourraient les législateurs et les tribunaux nationaux.

La Cour et la Commission ont échappé à un double danger me semble-t-il. Elles ne se sont pas, comme certains l'espéraient,
enferrées dans une approche à tout prix formelle de la lettre de la Convention. Fidèles à leur démarche jurisprudentielle, elles
ont recherché plutôt à cerner l'esprit de la Convention. A l'apparence d'une protection, elles ont préféré l'efficacité d'une
garantie pour qu'une justice, si relative soit elle, soit rendue par delà les travers du quotidien.

Mais à l'inverse, les organes européens n'ont pas, comme d'aucuns le redoutaient, refusé la confrontation avec la raison d'Etat
en justifiant par avance toute ingérence dans l'exercice des droits. L'examen scrupuleux parfois têtu des situations de faits
soumises à ces organes montre à l'évidence qu'ils ne sont pas satisfaits d'explications sommaires, incomplètes, parfois
embarrassées.

Si, dans les affaires qui leur ont été soumises, ils n'ont décelé des violations que dans un nombre limité de cas, les
développements qu'ils y leur ont consacrés n'en recèlent pas moins des indications précieuses en matière de condition de
détention, de garantie en cas de privation de liberté; en matière de procès équitable. Ils contiennent aussi des avertissements
qui, pour avoir été sans frais, n'en sont pas moins sérieux.

Donc malgré ces difficultés, je pense que l'essentiel a été préservé.
 

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