Les Conventions Européennes sur le terrorisme.
(Intervention de A. Decocq )

Ces conventions sont au nombre de deux. Tout d'abord la Convention européenne pour la répression du terrorisme faite à Strasbourg le 27 Juin 77 dont la ratification a été autorisée près de 10 ans plus tard par la loi n° 87542 du 16 Juillet 87. Ratifiée le 21 Septembre 87 et est entrée en vigueur car les conditions qu'elles prévoyaient étaient réunies et publiée par le décret n°871024 du 21 Décembre 87.

La seconde de ces Conventions est l'accord entre les Etats membres de la CEE concernant l'application de la Convention Européenne pour la répression du terrorisme, fait à Dublin le 4 décembre 79. Sa ratification a également été autorisée par la loi n°87543 du 16 juillet 87. Ratifiée le 15 octobre 87, elle n'est pas entrée en vigueur et n'a donc pas été publiée, les conditions prévues (sur le nombre des ratifications) n'étant pas réunies.

Telles sont les deux conventions. Indivisible d'elles est la loi, également du 16 Juillet 87 et portant le n° 87541 qui a pour objet d'introduire dans le Code de Procédure Pénale un article 689-3 rendu inévitable par les Conventions en cause ainsi que de fixer l'application dans le temps de ces nouvelles dispositions sur lesquelles nous sommes appelés à réfléchir ensemble.

Je voudrais dire tout de suite que le commentaire que je puis en faire sera et ne peut être qu'une plate redite du rapport présenté devant l'Assemblée Nationale au nom de la Commission des affaires Etrangères sur les projets de loi autorisant la ratification de la Convention de Strasbourg et de l'accord de Dublin par notre ami et collègue le Professeur Jean Foyer.

Ce rapport, document de l'Assemblée Nationale n°784 de la deuxième session ordinaire de 86-87 est une somme inégalable et l'on peut tout au plus le résumer dans une intervention telle que celle-ci.

Dans quel contexte juridique s'inscrivent ces Conventions et la loi qui en est indivisible ?

La Convention de Strasbourg se rattache aux dispositions conventionnelles et législatives en vigueur sur l'extradition et l'entraide judiciaire.

L'accord de Dublin, lui, comme son titre en préjuge, se rattache à la Convention de Strasbourg et donc à partir de là, il est indispensable de situer exactement ces deux conventions, de définir les dispositions sur l'entraide judiciaire et sur l'extradition dont il s'agit.

En ce qui concerne l'extradition, l'instrument principal est la Convention Européenne d'extradition faite à Paris le 13 décembre 87, Convention du Conseil de l'Europe ratifiée en exécution d'une Loi du 31 décembre 85, elle-même entrée en vigueur et publiée par un décret du 14 Mai 86. Cette Convention Européenne d'extradition se substitue aux instruments internationaux relatifs à l'extradition en vigueur entre les mêmes parties. Elle se substitue donc aux 10 conventions bilatérales qui existent entre la France et d'autres pays européens, à savoir la RFA, l'Autriche, la Grèce,l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Espagne, la Suisse, on laisse de côté Israël puisqu'elle ne fait pas partie de la Convention qui nous intéresse.

En revanche, et le point n'est peut être pas suffisamment perçu faute de ratification par les Etats intéressés de cette Convention européenne d'extradition, les accords bilatéraux avec la France restent en vigueur pour des pays comme la Belgique, le Portugal, et le Royaume-Uni. Cette convention européenne d'extradition crée également un lien conventionnel qui jusque là n'existait pas avec d'autres pays européens à savoir la Turquie, Chypre, le Danemark, l'Irlande, la Norvège, la Suède, la Finlande, le Lichtenstein.

C'est à cet ensemble de conventions relatives à l'extradition que se substitue pour partie; que se rattache pour partie notre convention de Strasbourg.

En ce qui concerne l'entraide judiciaire, l'instrument international qui est en vigueur entre tous les Etats parties à la Convention de Strasbourg, ce qui va nous simplifier la tâche, est la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 59 qui a été publiée en France par un Décret du 23 Juillet 67.

Tel est l'environnement juridique de nos conventions. Elles se rattachent donc à ce Droit extraditionnel et à ces instruments internationaux sur l'entraide judiciaire qu'elles complètent et qu'elles modifient, ou qu'elles interprètent de la manière que nous allons voir.

Dans quel environnement politique ont-elles été conclues?

Tout part semble-t-il de l'attentat commis à Munich par des palestiniens contre la délégation israélienne aux Jeux Olympiques d'août 72. Cet acte a provoqué aux Nations Unies une réaction -dont il vaut mieux ne pas parler pour ne pas verser dans l'amertume ou l'indignation- et également une réaction du Conseil de l'Europe, une recommandation de l'Assemblée et une résolution du Conseil des Ministres ouvrant la voie à l'élaboration d'un projet de Convention européenne sur la répression du terrorisme. Cette élaboration s'est trouvée accélérée à l'époque par le développement en Europe du terrorisme autochtone, du type "communiste combattant" pour reprendre les catégories de notre ami Xavier Raufer. Ce sont les activités des Brigades Rouges, de la Bande à Baader etc. qui ont, si je puis dire, donné un coup d'accélérateur à la procédure contractuelle. Or ces activités terroristes que l'on voit s'accroître dans les années 74-75 -et il a été suffisamment dit pendant ces Journées que le terrorisme même autochtone, même national ne pouvait vivre et prospérer que grâce à une dimension internationale- jouant sur le passage des frontières, la réaction contre celles-ci se devait d'être elle même internationale.

L'idée générale qui animait les rédacteurs de ce projet de Convention était ancienne, classique remontant aux glossateurs (?), à savoir que les Etats devaient extrader ou à défaut juger; mais la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice font que les Etats ne peuvent pas s'engager à juger, ils peuvent seulement s'engager à poursuivre, l'idée générale n'est donc pas exactement "ut dedere ut delire" mais "ut delire ut prosecui" (vérifier la citation latine) -ou juger ou livrer, ou faire juger, poursuivre-.

Finalement la Convention est signée le 21 Janvier 77 par les 17 Etats membres du Conseil de l'Europe dont la France. Mais voilà que la France qui avait été l'initiatrice avec la RFA de cette convention, donne tout à coup l'impression, j'allais dire, de "traîner les pieds", au moment de la signature. Elle commence par faire une déclaration aux termes de laquelle cette convention est signée bien entendu sous réserve de ne pas porter atteinte au droit d'asile -c'est une question que nous retrouverons, il n'y avait en soi pas la moindre incompatibilité entre les dispositions de la Convention et le droit d'asile. Puis elle fait une seconde déclaration aux termes de laquelle, tous comptes faits, elle n'acceptera l'entrée en vigueur de la Convention de Strasbourg que lorsque préalablement les Etats membres de la CEE auront eux mêmes convenus de s'entendre sur la répression du terrorisme. Reculade donc, reculade a priori surprenante. C'est qu'un certain nombre d'orchestres qui nous sont bien connus, dont la musique nous est familière, s'étaient déchaînés dès qu'il avait été question de ce projet de Convention. Orchestre dont nous connaissons les instrumentistes (il s'agit d'une expression de Vladimir Volkoff), quelques agents d'influence et les gros contingents fournis par l'ignorance la moins sondable et la bêtise la plus grasse. Au passage quelques autorités spirituelles ou soi disant -nous connaissons bien ce mélange, souvent explosif.

Et il y a un témoin dans la salle de ce qu'a pu être cette campagne. Mon maître le Professeur Levasseur se rappelle peut-être un petit colloque qui est improvisé au Sénat à la suite de l'affaire Abou Daoud. Sur ce colloque organisé, si j'ai bonne mémoire par l'association des magistrats résistants, s'est greffé un débat sur le projet alors en discussion. Nous sommes alors en décembre 76 je pense. Nous en avons entendu de belles dans cette petite salle du Sénat : la "bête immonde" allait réapparaître sous les espèces de la Convention de Strasbourg et fouler aux pieds toutes nos libertés.

Il faut dire que nous avons entendu aussi au cours de cette même séance -pardon de cette digression, mais elle est éclairante- un magistrat de la chancellerie qui, essayant de défendre la solution donnée dans l'affaire Abou Daoud, s'est retrouvé comme on dit en terme de Boxe "dans les cordes", exprimant in fine le cri du coeur suivant : mais ça n'a aucune importance, c'était une infraction politique, le massacre de Munich. Mesdames et Messieurs voilà ce qui donne la tonalité de cette campagne. Lien était donc établi, je ferme cette parenthèse, entre la répression du terrorisme et l'appartenance à la CEE. A partir de là, on va voir à différentes reprises lancer de grandes idées dont on peut se demander si elles auraient pour effet de retarder l'entrée en vigueur de la Convention de Strasbourg; voire de la renvoyer dans les cartons.

La première de ces idées a été celle de l'espace judiciaire européen. Belle formule dont on ne sait trop ce qu'elle signifiait, elle a été lancée à la fin 77. Beaucoup plus modestement, les Etats membres de la CEE qui il est vrai sont habitués à traiter des questions concrètes se sont mis d'accord sur ce qu'on avait appelé un projet belge, tendant tout simplement à mettre en vigueur au moins entre les 9 Etats alors membres de la CEE cette Convention de Strasbourg qui ne parvenait pas à entrer en vigueur entre les autres. Ce texte a été adopté avec une atténuation, il n'est autre que notre seconde Convention : l'accord de Dublin.

Avant que la France ne finisse par le ratifier, il ne l'avait été que par la Belgique, l'Italie et les Pays Bas. Or il faut dire tout de suite que cet accord ne peut entrer en vigueur que si tous les Etats membres de la CEE l'ont ratifié. Les mêmes orchestres se sont mis à l'oeuvre contre l'accord de Dublin - et ici je dois citer ici jean Foyer : "Spontanément, ou plus vraisemblablement sous l'action de campagnes souterraines, des organisations s'émeuvent à propos de projets de loi ou de convention, d'atteinte aux Droits de l'Homme et aux Libertés Fondamentales, dangers que ces textes ne comportent en aucune manière. Sans prendre la peine de les lire, elles se fient aux commentaires tendancieux et parfois malhonnêtes de juristes engagés. Ces campagnes relayées par les média et à l'occasion par des forces spirituelles désinformées qui ont négligé elles aussi de procéder à d'élémentaires analyses juridiques, inhibent assez aisément les volontés gouvernementales" et il ajoutera plus loin "pourtant les dispositions de l'accord ne sont de nature ni à éveiller des craintes, ni à susciter les cris de volatiles qui peuplent le capitole juridique."

Il faut attendre 87 pour que les procédures de ratification soient engagées. Dans l'intervalle, j'ai parlé tout à l'heure de l'épisode de l'espace judiciaire européen, on a assisté à une initiative française saugrenue dérisoire et pour tout dire indigne, car on peut difficilement imaginer qu'il se soit agi d'autre chose que de renvoyer dans les limbes tout accord européen sur le terrorisme. De quoi s'agissait il? Pas moins que d'instituer une Cour Criminelle Européenne. Ce que, bien entendu, on allait pouvoir faire en quelques semaines, procédures de ratification achevées. N'insistons pas.

Et donc voilà nos Conventions ratifiées, voilà la Convention de Strasbourg même entrée en vigueur, il nous faut l'analyser et, du même coup, l'accord de Dublin.

Puis nous interroger sur la portée pratique de ces deux accords internationaux. Leurs analyses d'abord.

Nous trouvons dans la Convention de Strasbourg des dispositions majeures qui concernent l'extradition et des dispositions mineures relatives à l'entraide judiciaire.

Sur l'extradition, nous voyons mis en oeuvre la maxime "ut dedere ut prosecui" (vérifier). L'objet de la Convention, en simplifiant, est de définir des infractions qui donnent lieu à extradition en application du droit extraditionnel en vigueur. Plus précisément, il s'agit de délimiter les infractions politiques et non politiques, de préciser que les actes de terrorisme ne constituent pas des infractions politiques. On a pu dire qu'il s'agissait de décider une exclusion de l'exclusion. Les infractions politiques sont exclues de l'extradition, les infractions de terrorisme sont exclues de cette exclusion. Telle est l'économie d'ensemble de cette exclusion. Mais ces dispositions, elle les adopte avec beaucoup de réticences voir de pusillanimité, elle institue à vrai dire un régime double, un régime en l'absence de réserves, que l'on peut considérer comme le régime de principe de cette convention et un régime qui résulte de la réserve prévue par l'article 13. Il y a tout d'abord un certain nombre de cas dans lesquels la Convention de Strasbourg prévoit une obligation de principe d'extrader, obligation qui va pouvoir se résoudre en obligation simplement de poursuivre mais enfin il y a une obligation de principe. Ces cas sont ceux qu'énumère l'article 1er.

Pour les besoins de l'extradition entre Etats contractants aucune des infractions mentionnées ci après ne sera considérée comme une infraction politique, comme une infraction connexe à une infraction politique ou comme une infraction inspirées par des mobiles politiques et suit l'énumération en 6 points :

a) Infractions comprises dans le champ d'application de la convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs signée à La Haye le 16 décembre 70.

b) Infractions comprises dans le champ d'application de la Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de l'aviation civile signée à Montréal le 23 sept 71.

c) Infractions graves constituées par une attaque contre la vie, l'intégrité corporelle ou la liberté des personnes ayant droit à une protection internationale y compris les agents diplomatiques.

d) Infractions comportant l'enlèvement, la prise d'otages, ou la séquestration arbitraire.

e) Infractions comportant l'utilisations de bombes, grenades, fusées, armes automatiques ou de lettres ou de colis piégés dans la mesure où cette utilisation présente un danger pour des personnes.

f) La tentative de commettre une des infractions précitées ou la participation en tant que co-auteur ou complice d'une personne qui commet ou tente de commettre une telle infraction.

Voilà la liste des infractions de terrorisme qui ne sont pas considérées comme politiques et impliquent en principe l'obligation d'extrader.

L'article 4 du traité précise que pour les besoins de la convention et pour autant qu'une des infractions visées aux articles 1 et 2 ne figure pas sur la liste des cas d'extradition dans un traité ou une convention en vigueur entre les Etats contractants, elle est considérée comme y étant comprise.

Voilà comment cette convention se rattache aux traités sur l'extradition.

Mais l'article 5 de la convention va immédiatement restreindre la portée de cette obligation. Aucune disposition de la présente convention ne doit être interprétée comme impliquant une obligation d'extradition si l'Etat requis a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction visée à l'article 1 ou 2 était présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinion politique, ou que la situation de cette personne risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons.

Donc l'obligation d'extrader est tempérée par ce pouvoir reconnu à l'Etat requis de sanctionner un éventuel détournement de la procédure d'extradition .

Et c’est alors que l’article 7 substitue à l’obligation d’extrader l’obligation de poursuivre. Un Etat contractant sur le territoire duquel l’auteur soupçonné d’une infraction visée à l’article 1 est découvert et qui a reçu une demande d’extradition dans les conditions mentionnées etc., soumet, si il n’extrade pas l’auteur présumé de l’infraction, l’affaire sans aucune exception et sans retard injustifié à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale; ces autorités prennent leur décision dans les conditions identiques pour toutes infractions de caractère grave conformément aux lois de cet Etat. Cette formule pouvant d’ailleurs soulever quelques difficultés sur lesquelles je n’insiste pas.

Pour rendre possible cette poursuite, l’article 6 dispose que tout Etat contractant prend les mesures législatives nécessaires pour assurer la compétence de ses juridictions en pareille hypothèse, pratique de la compétence universelle (peu clair). C’est la raison pour laquelle a été introduit dans le code de procédure pénale l’article 689-3 que j’ai mentionné tout à l’heure. Tel est ce régime de l’obligation d’extrader. Dans d’autres cas qui sont visés eux à l’article 2 le traité prévoit une possibilité d’extrader. Pour les besoins de l’extradition entre Etats contractants, stipule-t-il, un Etat contractant peut ne pas considérer comme une infraction politique, comme une infraction connexe à une telle infraction ou comme une infraction inspirée par des motifs politiques tout acte grave de violence qui n’est pas visé à l’article 1 et qui est dirigé contre la vie et l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes, paragraphe 2; il en sera de même en ce qui concerne tout acte grave contre les biens, paragraphe 3; il en sera de même en ce qui concerne la tentative et la complicité - je résume - Dans ce cas, il n’y a pas d’obligation d’extrader mais simplement une possibilité. Encore ce régime, régime principal institué par la convention, va-t-il se trouver atténué si les Etats membres adoptent la réserve de l’article 13. Article 13 de la Convention de Strasbourg qui énonce en effet : " tout Etat peut au moment de la signature, au moment du dépôt de son instrument de ratification déclarer qu’il se réserve le droit de refuser d’extrader en ce qui concerne toute infraction énumérée dans l’article 1 qu’il considère comme une infraction politique, comme une infraction connexe à une infraction politique ou à une infraction inspirée par des mobiles politiques à condition qu’il s’engage à prendre dûment en considération lors de l’évaluation du caractère de l’infraction, son caractère de particulière gravité y compris qu’elle a crée un danger collectif pour la vie, l’intégrité corporelle, ou la liberté des personnes, ou bien qu’elle a atteint des personnes étrangères aux mobiles qui l’ont inspirée ou bien que des moyens cruels ou perfides ont été utilisés pour sa réalisation. Ces réserves pouvant être par la suite retirées. On voit que cet article 13, non content que la convention ait dans l’article 5 permis de refuser l’extradition au cas de détournement de procédure, vient rendre en fait discrétionnaire l’extradition de la part des Etats parties à la Convention ce qui revient à dire qu’il n’y a plus d’obligation d’extrader. Que reste-t-il ? L’obligation de réfléchir à la gravité des faits, à partir des caractéristiques qui sont énumérées par la convention. Obligation sans doute de motiver le refus, ce qui peut donner lieu à la mise en oeuvre d’une procédure de règlements des différends entre Etats, qui est instituée par les articles 9 et 10 de cette convention. Il peut subsister, il subsiste surement l’obligation de poursuivre mais cela, la convention ne le dit pas, il faut se référer au rapport explicatif qui fournit cette interprétation pour y trouver écrite noir sur blanc cette solution. L’Etat qui a formulé la réserve prévue par l’article 13 et qui refuse en conséquence, en vertu de son pouvoir discrétionnaire d’extrader un terroriste aurait le devoir de le faire poursuivre. Or, il faut savoir que la France a utilisé cette réserve, le gouvernement de la République française déclare qu’il se réserve le droit de refuser l’extradition en conformité avec les dispositions de l’article 13 de la convention.

En ce qui concerne l’entraide judiciaire, on peut être plus bref. L’article 8 de la Convention dans son paragraphe 1 décide que l’entraide judiciaire ne peut pas être refusée en invoquant le mobile politique des actes à raison desquels elle est demandée. Mais dans son paragraphe 2 cet article 8 laisse à l’Etat requis la possibilité de refuser l’entraide au cas de détournement de procédure selon une formule analogue à celle de l’article 5. Voilà pour la Convention de Strasbourg, vous voyez que sa portée est quand même en soi assez limitée.

En ce qui concerne l’accord de Dublin, ces dispositions sont encore plus modestes. Il prévoit le règlement des questions soulevées par l’extradition des terroristes entre deux Etats membres de la CEE dont l’un au moins est partie à la convention avec réserves ou bien n’est pas partie à la Convention. Un exercice élémentaire de logique formelle vous permettant de déduire que quand tous les Etats membres auront adhéré sans réserve à la Convention, l’accord de Dublin deviendra ipso facto caduc. Cela dit voyons ce qu’il décide dans les deux cas envisagés.

1er cas : l’un au moins des Etats est partie à la Convention avec des réserves. Dans cette hypothèse, le paragraphe 1 de l’article 2 dispose d’une manière assez sibylline que la Convention s’applique dans les conditions que prévoit l’accord. Quelles sont ces conditions ? Pour les trouver, il faut se reporter à l’article 3 paragraphe 1 qui décide que tout Etat ayant fait des réserves doit déclarer si pour l’application de l’accord il entend en faire usage (c’est à dire s'il utilise ou pas les réserves qu’il a faites) par conséquent ce qu’il faut en retenir c’est que l’accord de Dublin n’écarte pas la possibilité des réserves même entre Etats membres de la CEE.

2ème cas : l’un des Etats membres au moins n’est pas partie à la convention, la solution est alors fort simple, cet Etat peut faire usage lors de la ratification de l’accord du droit de réserve ouvert par l’article 4 de la Convention ramené au même régime. Ici l’article 3 paragraphe 3 de l’accord de Dublin énonce expressément que cet Etat s’engage alors à poursuivre. On se trouve ramené à l'hypothèse prévue par la convention de Strasbourg de l’obligation d’extrader sans réserve. Telles sont ces dispositions encore qu’elles soient elles mêmes modestes.

Le moment est venu d’en cerner la portée pratique. Portée normative, d’abord. C’est la question qu’on se pose en présence de tout texte nouveau ; que change-t-il au droit positif ? En quoi abroge-t-il ce droit ? E n quoi le modifie-t-il ? En quoi y déroge-t-il. Et bien en fort peu de choses. En ce qui concerne la définition des infractions politiques et de droit commun, les délimitations de leurs domaines respectifs, ni la Convention de Strasbourg, ni l’accord de Dublin ne changent quoi que ce soit au droit commun en vigueur.

Si vous prenez l’article 1 de la Convention de Strasbourg, cette énumération d’infractions à l’égard desquelles existe une obligation de principe d'extrader, vous constatez que les trois premiers cas énumérés entraînent déjà une obligation d’extrader en vertu d’autres conventions internationales (Montréal, Genève, La Haye). En ce qui concerne les cas prévus par les deux derniers sous-paragraphes de l’art 1 et par l’article 2, ils sont conformes au droit commun français tel qu’il résulte de la jurisprudence française du Conseil d’Etat, aujourd’hui solidement établie pour ne citer que des arrêts d’assemblée (arrêt Croissant 7 Juillet 78; arrêt Winter (?) du 15 Février 80; arrêt Larambio (?) du 26 Septembre 84) Les infractions contre les personnes et contre les biens ne pouvant être considérées comme politiques quelque soit le mobile de leur auteur. La convention de Strasbourg ne dit pas autre chose. Institue-t-elle une obligation d’extrader, ce qui serait une nouveauté par rapport à la plupart des conventions en vigueur ? Certainement pas, puisque l’article 5 réserve l'appréciation du détournement de procédure et surtout puisque l’article 13 n’oblige pas à accepter. Même obligation de principe d’extrader. Porterait elle par hasard atteinte au droit d’asile ? Ceux qui disent cela n’ont généralement pas pris la peine de lire les conventions d’où résulte ce droit d’asile ; c’est qu’en effet le droit d’asile est tout à fait exclu à l’égard de ceux qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’être admis comme réfugiés, article 1 f de la Convention de Genève de 1951. C’est offenser un auditoire de juristes de votre qualité que d’insister longuement sur l’autre objection. C’est bien évidemment à tort que l’on a prétendu que cette convention portait atteinte à la souveraineté nationale, comme si elle avait permis aux autorités policières ou judiciaires des autres Etats d’opérer en France. Ce dont il n’a jamais été question. Cette convention ne fait que définir les infractions pouvant donner lieu à extradition en se rattachant au droit antérieur; cela ne mérite même pas discussion.

Alors quelle est la portée normative en définitive de notre convention ? Elle se résume à l’obligation de poursuivre à défaut d’extrader, en admettant que cette obligation existe en cas d’usage du droit de réserve prévu par l’article 13 de la Convention de Strasbourg mais dans les autres cas elle est certaine.

C’est ce qui explique les règles de compétence universelle qui ont été édictées par l’article 689-3 du CPP qui pour toute une liste d’infractions, dont je ne vais pas vous infliger la lecture mais qui correspondent exactement aux définitions de l’article 1 de la convention, énonce que les tribunaux français seront compétents ce qui sous- entend qu’ils appliqueront la loi de fond française, bien entendu même à l’égard d’une infraction commise à l’étranger par un étranger.

Telle est cette portée normative modeste de notre convention. Sa portée pratique se résume-t-elle à cela ? Certainement pas. Il faut y joindre sans doute une portée symbolique. Réfléchissons-y, la France a été à l’origine de la conclusion de la convention de Strasbourg et à celle de l’accord de Dublin qui est un avatar de l’idée d’espace judiciaire européen. Pour des raisons propres, divers gouvernements s'étant succédés, la France a beaucoup tardé à ratifier ces instruments internationaux. Elle l’a fait finalement en un temps oùÊles pouvoirs publics manifestaient l’intention de réagir de manière diverse contre le terrorisme. Si sous le prétexte ou pour le motif que ces conventions étaient quasiment inutiles à l’obligation de poursuivre près, elle ne les avait pas finalement ratifiés, le résultat symbolique eut été désastreux. C'est la vertu que l’on peut reconnaître à cette ratification, à l’entrée en vigueur de la convention de Strasbourg. En définitive, elle manifeste la volonté de considérer la lutte contre le terrorisme comme une chose sérieuse.

Remerciements.

Question du professeur Levasseur : Environ toutes les semaines, je pose aux personnes informées, la question suivante : l’accord de Dublin a-t-il ou non été ratifié ?

Réponse du Doyen Decocq : Lors des réponses aux questions écrites de l’Assemblée Nationale (édition du 25 Janvier 1988) une réponse du Garde des Sceaux à Monsieur Jean Charbonnel : la France a ratifié le 10 Février 86 la convention européenne d’extradition de 1957 à laquelle sont parties 9 Etats membres de la CEE, il rappelle en outre que la France a ratifié successivement, le 21 septembre et le 15 octobre 87, la Convention européenne et d’autre part l’accord de Dublin (attente de ratification de la part de la Grèce et de l’Espagne), accord non en vigueur mais ratifié par la France le 15 Octobre 87.
 

Question du Professeur Solange Troisier :

Sur l’affaire Croissant (arrêt du Conseil d’Etat de 1978) Pourquoi était-ce fondé sur les conventions appliquées ? Pourquoi a-t-il été extradé?

Réponse du Doyen Decocq: En exécution de la convention franco-allemande d’extradition datée de 1951, qui est aujourd’hui caduque de part l’entrée en vigueur de la Convention de Strasbourg; sur le fondement d’un article de cette convention qui donnait une définition de l’infraction politique, définition objective mais sans clause de détournement de procédure, dans la Loi de 1927.

Parmi l’ensemble des chefs d’accusation retenus par la requête allemande, la Chambre d’accusation en avait écartés certains et retenus d’autres. Le motif pour lequel le Conseil d’Etat a rejeté le recours contre le décret d’extradition est qu’en raison de leur gravité, les faits qui avaient été retenus ne pouvaient pas être considérés comme politiques même si leur mobile était politique, il existe un seuil de gravité au delà duquel, il n’y a plus de politique qui compte. Très important aussi, les média s’étaient emparés de l’affaire.
 

Professeur Jean-Claude Soyer : De nombreux avocats de l’époque, dont la clientèle se situe dans les multinationales, ont soutenu que les membres de la bande à Baader avaient été soumis à des traitements inhumains et dégradants. Ils auraient été soumis à une privation sensorielle. En les isolant, on les privait d’une perception normale du temps, de l’espace, d’où un déboussolement grave. Vérification faite, la bande à Baader n’avait reçu dans sa prison, pour la période considérée, que 1800 visites d’avocats. Voila la vérité anatomique des faits dont nous parlait le Doyen.

Monsieur le Recteur Haussling : Le chef d’accusation retenu à ce moment là était celui de l’association criminelle; un chef d’accusation très discuté comme élément matériel du Droit pénal, chez nous assez clairement défini. L’association criminelle est une notion définie en Allemagne pour lutter contre le terrorisme et contre des mouvements d’opposition extra-parlementaire. Il faut savoir que la RFA est la seule république qui a interdit en 1957, deux partis démocratiques : le parti d'extrême-droite Deutsches Rechts Partei et le parti communiste.

Sept ans plus tard, s'est constituée la grande coalition CDU-sociale-démocrate et il s’est formé une opposition extra-parlementaire violente, toute une suite d'événements qui a donné naissance à la bande à Baader. Est-ce punissable que de soutenir une association à buts criminel? Cela suffit-il à établir matériellement un crime?

Articles 26 et 27 : transformation en droit commun de toute convention européenne en RFA, cela implique d’autres conséquences législatives, comme pour la France : partie spéciale du code pénal, et effet immédiat d’application de la convention comme droit pénal en RFA . (Un juriste pourrait-il transformer ce petit-nègre teutonique en français ?
 
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