CONCLUSION : TERRORISME : MENACES ET RIPOSTES
par Jean-Claude SOYER (1)

Professeur à l'Université de Droit de Paris
Membre de la Commission européenne des droits de l'homme
 

Au terme des ces deux journées de débats1 , respectivement consacrées au terrorisme, quant aux menaces qu'il fait peser sur nos sociétés, quant aux ripostes que ces sociétés peuvent et doivent lui opposer, il faut tout naturellement considérer : l'évolution des menaces(I); l'adaptation des ripostes (II).

I ) L'EVOLUTION DES MENACES

Les menaces ont atteint une extrême gravité pour les Etats-cibles. D'où provient cette escalade du terrorisme ?

De ce que, pour des raisons multiples mais convergentes, le rapport de forces entre le terrorisme et l'Etat-cible se trouve profondément modifié.

Dans le monde présent, tandis que le terrorisme devient plus fort (A), l'Etat-cible devient plus faible (B). Il faut décrire ce double processus.

A) Force accrue du terrorisme.

A ce propos, l'un des orateurs (Professeur Alain BESANCON) a fourni le mot-clé. C'est celui de professionnalisme. Conformément à toute activité de type moderne, le terrorisme est maintenant le fait, sauf rares exceptions, de professionnels.

On conçoit mal, aujourd'hui , qu'une opération terroriste d'envergure ne soit pas le fait de spécialistes. Ce qui se marque par quatre traits. Le terrorisme est mieux entrainé (a), mieux armé (b), mieux financé (c), mieux encadré (d).

a) terrorisme mieux entraîné.

Il existe des camps destinés à l'entraînement des terroristes. Entraînement qui n'est pas seulement matériel, c'est-à-dire d'ordre sportif et balistique, mais aussi doctrinal et psychologique; une part de l'entraînement consiste à pénétrer les terroristes de la justesse de leur cause, par une dialectique appropriée.

On leur inculque l'attitude qui réfute le regard et l'opinion d'autrui, on désarme - en les "pavlovisant" par la haine - leurs réflexes d'horreur devant les abominations que le fanatisme conduit à commettre.

A cet égard, il faut rappeler une citation qui éclaire ce comportement. Elle est de TROTSKY : "l'intimidation est le plus puissant moyen d'action politique; la révolution tue quelques personnes; elle en effraie mille". "

Comme on le voit, cette "littérature" a préparé le terrain, c'est-à-dire ici le camp où l'on entraîne le terroriste à sa sinistre tâche.

b) terrorisme mieux armé.

La préparation, pour importante qu'elle soit, n'est pas tout. Le matériel n'est pas moins primordial. Le terroriste moderne dispose d'arsenaux de plus en plus puissants, qui incluent parfois des armes terrifiantes.

Lors de son intervention, très remarquée, le Commissaire CATHALA, présentement Directeur de la police de l'air et des frontières à Hendaye (ville-frontière entre la France et l'Espagne, au coeur du pays Basque où le terrorisme sévit), révélait hier un fait significatif. Lors d'une perquisition à BAYONNE, on a trouvé, dans une cache terroriste, deux missiles du modèle qui, précédemment, avait abattu au Tchad deux avions Français Jaguar (les missiles terroristes étaient même d'un modèle plus récent).

L'armement des terroristes n'augmente pas seulement leur puissance de tir, mais il consiste aussi, parfois, en documents juridiques qui facilitent le camouflage ou permettent l'impunité. On munit ces "combattants" de faux-papiers, ou de passeports diplomatiques, réellement délivrés par certains Etats complices.

c) terrorisme mieux financé.

Lors de la première journée de nos débats, un intervenant soulignait que les terroristes "sérieux" ne manquaient pas de voyager en première classe d'avion, pour ménager leurs nerfs et leur concentration. Un autre orateur a rappelé que l'O.L.P. - durant sa splendeur - disposait d'un budget mensuel de dix millions de dollars.

De même, en France, les figures marquantes du mouvement Action Directe, Marc ROUILLAN et Nathalie MENIGON, menaient-ils grand train lors de leur arrestation : restaurants pour gourmets, et dans leur gentilhommière, vidéothèque bien garnie, ainsi que salle d'audience pour procès révolutionnaires (elle n'eut pas le temps de servir).

Et, comme l'un des orateurs l'a révélé, lorsque les policiers interrogateurs s'étonnèrent de voir ces révolutionnaires "purs" vivre dans un luxe facile, MARC ROUILLAN répondit : "ah! c'est bon d'être bourgeois !".

d) terrorisme mieux encadré.

Hier, le Conseiller d'Etat Français, Alain PLANTEY, grand connaisseur des réalités internationales, a dit : "les actions terroristes, le plus souvent, s'insèrent dans une stratégie globale qui les dépasse".

C'est qu'en effet, les camps d'entraînement, les arsenaux, les passeports, les subsides font de plus en plus dépendre les terroristes de leurs financiers et pourvoyeurs, qui ne sont évidemment pas des philanthropes. C'est dire que l'encadrement se complète souvent de "téléguidage".

Certains Etats instigateurs, à la longue, ont d'ailleurs baissé le masque. On a pu désigner durant ce colloque, en s'appuyant sur des sources nombreuses et concordantes, un tiercé d'Etats terroristes : l'Iran, la Libye, la Syrie. Ces Etats s'efforcent - plus ou moins ardemment selon que les périodes traversées sont propices ou non - d'accroître leur hégémonie politique à l'encontre d'autres Etats, qu'ils choisissent bien entendu parmi les plus vulnérables. Car - théorie du ventre mou - le terrorisme choisit de frapper les Etats faibles.

B) Faiblesse accrue des Etats-cibles.

Les Etats-cibles sont, dans l'immense majorité des cas, les démocraties occidentales. De par leur nature même, elles offrent quatre raisons de vulnérabilité, quatre motifs de faiblesse. Car ces Etats sont: ouverts (a), médiatisés (b), libéraux (c), légalistes (d).

a) Etats ouverts

Leurs frontières sont faciles à franchir. Ces Etats supportent des flux importants de population, ou de vastes contingents d'immigration. La constitution de gros centres urbains multiplie les facilités de cache et de refuge pour les terroristes. Les démocraties occidentales sont à la fois maisons de verre, maisons sans porte. De plus, elles pratiquent le droit d'asile de façon assez large.

Certes, ce droit d'asile pourrait être légitimement refusé aux terroristes. La déclaration Universelle des droits de l'homme proclame que ces droits sont destinés à affranchir les hommes de la Terreur. Comment admettre que les terroristes, dont le but manifeste consiste à faire régner la terreur, puisse se prévaloir du droit d'asile ? La réponse est claire. Mais en fait, un terroriste a beau jeu de se présenter comme un opposant politique persécuté dans son pays.

b) Etats médiatisés

Une des conséquences de la surmédiatisation qui souvent, entoure dans les démocraties occidentales les manifestations de terrorisme, c'est de banaliser ces manifestations. Si horribles soient-elles, leur répétition même produit un "écrétement" de l'indignation publique.

Il faut d'ailleurs constater que les média réalisent un effet de "loupe", un multiplicateur. Bien que les journalistes prétendent n'opérer que des "constats de réalité", il est clair que les terroristes parviennent à grossir les effets de la terreur en obtenant l'attention privilégiée des média.

On sait d'ailleurs, en ce sens, que les terroristes - s'ils connaissent bien leur "métier", ce qui est souvent le cas- savent se servir des média. Leurs opérations, dûment préparées, prennent en compte l'importance cruciale de la publicité. Et l'on a relevé que la vue d'une caméra de télévision transforme le comportement des terroristes.

c) Etats libéraux

Libéraux, c'est-à-dire toujours soucieux de comprendre le point de vue de l'autre; libéraux, c'est-à-dire quelque peu "complexés", pour reprendre un mot dont on abuse. Ces Etats ont eu souvent un passé colonial, et les terroristes appartiennent fréquemment au tiers Monde. Ces Etats sont riches, les terroristes viennent fréquemment de pays pauvres...

De plus, les démocraties occidentales ont opéré leur propre désarmement psychologique. Le refus de la répression est véhiculé par de multiples canaux dans l'opinion publique. Et, sur toile du fond, l'Etat- gendarme s'efface devant l'Etat-providence, qui est - par nature - débonnaire et sensible.

Une idée reçue s'installe alors. On dira du terroriste (comme de tout criminel) : "il faut le comprendre"; au lieu de dire : "il faut nous défendre". Et l'on répète, comme un axiome : "Juger, c'est ne pas comprendre".

Voulant comprendre, on trouve à l'adversaire des excuses, et pourquoi pas, de bonnes raisons. Du même coup, on se découvre des torts. Ce faisant, les Etats occidentaux tombent dans le péril que Paul VALERY résumait si bien : "L'ennemi a gagné, lorsqu'il nous fait croire ce qu'il dit de nous".

Une telle attitude, anesthésiante, est d'ailleurs confortée par le fait que nos Etats occidentaux sont des Etats de Droit, des Etats légalistes.

d) Etats légalistes

Les terroristes bafouent le Droit, mais, pour leur riposter, on entend se maintenir dans le respect strict du Droit. L'attitude peut être noble; elle n'en conduit pas moins à rompre l'égalité des armes. Edgard FAURE, en ce sens, disait : "nous ne gagnerons pas la guerre contre le terrorisme, puisqu'ils peuvent faire des morts et que nous ne pouvons faire que des prisonniers".

A ce propos, on notera que l'invocation fétichiste, excessive, de l'Etat de Droit, peut entraîner des scrupules qu'il ne requiert pas. C'est ainsi que, contrairement à ce que l'on entend dire, la peine de mort n'est pas contraire aux instruments internationaux qui régissent les droits de l'homme. Même le protocole n° 6, additif à la Convention européenne des droits de l'homme, autorise cette peine de mort au cas de guerre ou de danger imminent de guerre. Lorsque le terrorisme se généralise et met en péril l'existence de l'Etat, n'en va-t-il pas ainsi ?

Autre exemple: lorsque la loi Républicaine, comme il arrive, prévoit que les terroristes "repentis" échapperont à la peine, sous condition d'avoir dénoncé leurs compagnons de réseau, certains y voient une menace pour la démocratie. Elle serait rebelle à la délation. Mais l'histoire Républicaine dément cette assertion. Sous la Révolution Française, les assignats portaient cette mention sans détours : "la nation récompense le dénonciateur".

conclusion sur les menaces

Les menaces terroristes s'amplifient, les terroristes se font plus forts, les Etats-cibles deviennent plus faibles. Comment s'étonner que le terrorisme prospère, et qu'il recherche, parmi les Etats occidentaux, celui qui fera montre de la plus grande pusillanimité ?

A cet égard, il faut se rappeler un petit fait vrai, mais combien révélateur, que nous a livré le Commissaire CATHALA, directeur de la police de l'air et des frontières au pays Basque Français. Les attentats séparatistes y ont été innombrables. Pour l'Espagne, si l'on considère la période 1959-1988, on doit distinguer deux phases.

La première phase, qui va de 1959 à 1975, se place sous la dictature du général Franco, qui préférait la manière forte et ne s'encombrait pas toujours de nuances légalistes. En 16 ans, il s'est produit 3,1 % de tous les attentats 1959-1988.

La seconde phase va de 1975 à 1988 : Franco mort, l'Espagne reçoit - et l'on peut s'en réjouir - une injection massive de démocratie, de permissivité. Mais en 13 ans, il s'est produit 96,1 % de tous les attentats 1959-1988...

Ces chiffres montrent qu'un Etat-cible est d'autant plus menacé qu'il se montre timide envers le terroriste, et les traite en "patate chaude". Le terroriste brûle les doigts, il faut vite le repasser au voisin.

Cette donnée devient essentielle, dès que l'on essaie d'organiser, pour les Etats menacés, l'adaptation des ripostes.

II ) L'ADAPTATION DES RIPOSTES.

On doit partir d'une constatation simple, celle-là même qui découle de l'évolution des menaces: devant un terrorisme devenu plus fort, les Etats se montrent plus faibles.

Que faire ? Se résigner ? Ce fut hélas souvent le cas. On courbe la tête, on subit. Certes l'on s'indigne par devant sa propre opinion publique, on dénonce la férocité des attentats, on promet une implacable rétorsion. Mais en fait, face aux terroristes, l'attitude de l'Etat-cible combine deux réactions, l'une et l'autre capitulatrices. D'une part, et suivant la formule célèbre : "vous n'avez pas honte de frapper un lâche ?". D'autre part : "ne vous fâchez pas, on peut s'entendre, négocions".

Or, un comportement efficace et rationnel doit être tout autre. Puisque l'Etat en cause n'est pas assez fort, il ne dispose logiquement, pour sa contre-attaque, que de deux solutions.

Ou bien il se renforce tout seul : c'est la riposte isolée de l'Etat en cause. Ou bien, s'avisant que l'union fait la force, il s'allie avec d'autres puissances : c'est la riposte concertée des Etats en cause.

A) Riposte isolée d'un Etat en cause.

Si - par hypothèse - l'Etat veut se muscler, et terroriser les terroristes, afin qu'ils se découragent, comment s'y prendre ? Il parait bon de distinguer la période ordinaire et la période exceptionnelle.

a) riposte isolée durant la période ordinaire.

Entendons, par période ordinaire, celle où le terrorisme, même s'il se manifeste un peu, reste sporadique. Les attentats ne sont ni trop nombreux, ni féroces. C'est, en d'autres termes, le "régime de croisière", le "terrorisme de basses eaux".

Alors, il convient de connaître mieux l'adversaire, ce qui concerne le renseignement, ou si l'on préfère les investigations (1°). Puis, lorsqu'on sait, il faut réagir de façon ferme, ce qui concerne la dissuasion (2°).

I° les investigations.

Pour les rendre plus efficaces, on doit organiser : d'une part, la collecte des témoignages (sans eux, pas de fil directeur menant aux terroristes); d'autre part, la centralisation des poursuites répressives (sans elle, pas de cohérence dans l'action anti-terroriste).

* La collecte des témoignages doit être favorisée. En ce sens, on a suggéré de redonner vie à l'incrimination de faux témoignage. En France, elle existe déjà, bien sûr; mais elle exige la réunion d'éléments qui sont définis de façon très étroite, de sorte que son application est quasiment théorique.

Certes, une application plus large du faux témoignage ne générait pas directement les terroristes, qui disposent légalement du droit au silence, du droit de ne pas s'auto-incriminer. Mais elle aurait la plus grande utilité à l'encontre de ceux qui forment les "réseaux de soutien", et dont la langue se délierait si l'obligation de ne pas mentir était drastiquement sanctionnée.

Dans le même sens, il conviendrait d'améliorer l'institution des repentis. L'Italie, la France aussi, connaissent ce moyen de démanteler les réseaux. Peut-être faudrait-il faire un meilleur sort aux repentis, en les protégeant - de façon durable - contre d'éventuelles représailles. C'est ce que suggérait ici même, hier, Alain MARSAUD (chef, au Parquet de Paris, de la section qui a pour charge d'unifier la lutte nationale contre le terrorisme).

*La centralisation des poursuites existe présentement. Elle est indispensable. Face aux professionnels que sont les terroristes, il faut - du côté de l'Etat, symétriquement - des professionnels.

Si compétent soit-il, tel parquetier, tel juge d'instruction d'un petit tribunal de province, saisi d'une grosse affaire de terrorisme survenue dans son ressort, ne peut pas acquérir, en quelques mois, la connaissance des données complexes, enchevêtrées, fuyantes, évolutives, qui caractérisent le terrorisme.

Qu'il s'agisse de l'imbrication des réseaux terroristes, de leur repérage, de la multiplicité des polices compétentes, du moyen de coordonner leur ardeur et d'assoupir leurs éventuelles rivalités, tout cela est affaire de spécialistes.

On peut même avancer qu'un test de la fermeté que montrera tel ou tel futur Gouvernement de la France face au terrorisme sera son attitude quant à la centralisation des poursuites. Ou bien la mettre en veilleuse, par des mesures indirectes, ou bien au contraire la renforcer dans ses moyens d'action et ses prérogatives.

Mais bien entendu, si des investigations améliorées sont nécessaires pour identifier les coupables de terrorisme, elles ne suffisent pas à organiser pour autant la dissuasion, qu'il faut maintenant considérer.

2° La dissuasion.

Elle devrait être renforcée, contre les terroristes, par des sanctions financières et, comme le réclame avec persistance l'opinion publique, par la peine de mort.

* Les sanctions financières. L'ancien Secrétaire général d'Interpol, M. BOSSARD, a fait une très intéressante suggestion lors des débats de ce colloque. Il part de l'idée que le terrorisme vit d'idéal, peut-être, mais à coup sûr d'argent. Le sacrifice est inséparable du financement. Or, l'argent se traque, on peut frapper à la caisse.

On admet bien, en matière fiscale, que la seule détention de capitaux dont le détenteur ne peut justifier l'origine est constitutive d'infraction. Pourquoi ne serait-ce pas concevable en matière de terrorisme, comme on commence d'ailleurs à l'admettre pour le trafic de stupéfiants ?

* La peine de mort.
On retrouve ici la réflexion d'Edgar FAURE: "nous ne pouvons faire que des prisonniers, les terroristes font des morts". Et si l'opinion publique réclame le châtiment capital, c'est bien à l'encontre de ces criminels résolus, prêts à l'abomination d'attentats aveugles.

Dira-t-on que la mort fait des martyrs, dont le futur terrorisme se servira ? C'est oublier qu'une peine de mort peut n'être pas exécutée, que la grâce est discrétionnairement possible de la part du chef de l'Etat. Et cette "discrétion" ne serait pas inutile, dans certains cas, à mener des négociations.

Car l'on disposerait alors d'un "levier", parfaitement admissible dans un Etat de Droit. La politique des échanges, traditionnelle en matière d'espionnage, est plus honorable, et moins dangereuse pour l'avenir, que celle des rançons.

Dira-t-on que les terroristes "ne demandent qu'à mourir" ? Ce peut être le fait de quelques fanatiques isolés (d'autant plus fanatiques, peut-être, que leur non-enthousiasme à servir "la cause" pourrait offrir de graves inconvénients pour eux-mêmes ou leur famille). Mais, sauf cette exception, l'on ne sache pas que les terroristes soient immunisés, par mesure spéciale, contre l'instinct de conservation.

Rappelons à ce sujet un petit fait édifiant. Après leur arrestation, les leaders d'Action directe, Marc ROUILLAN et Nathalie MENIGON furent séparés durant leurs interrogatoires respectifs. Quand enfin, une confrontation leur permit de se retrouver, ROUILLAN dit à MENIGON, dans un cri du coeur : "Tout va bien, nous sommes vivants !".

b) riposte isolée en période exceptionnelle.

Lorsque le terrorisme s'installe, que la tension est permanente, les attentats quotidiens, il y a changement d'échelle dans le phénomène. On se rapproche de la zone de guerre.

A ce propos, notre Collègue Jacques LEAUTE, pourtant abolitionniste notoire, énonce un point de vue fort intéressant, dans son livre "Droit pénal et criminologie", P.U.F. 1956, p. 552. Il écrit :

"La peine de mort reste, certes, justifiée en temps de guerre par un retour de la société à un stade antérieur de son évolution, où la vie des individus compte moins que la survie de la Nation. Il serait absurde d'interdire l'exécution de criminels, alors que la société se reconnait le droit d'exposer à la mort, pour sa défense, d'honnêtes citoyens.

"La peine de mort pourrait même être maintenue, en temps de paix, à l'encontre des traîtres et des espions. Les techniques de la guerre totale et du conflit rattachent en effet étroitement l'espionnage et la trahison du temps de paix à la préparation du conflit. A cet égard, la guerre se gagne et se perd avant le déclenchement des hostilités".

Traîtres et espions...On doit, évidemment, y assimiler les terroristes. La position de Jacques LEAUTE se montre conforme à ce que décide le protocole n°6, valant additif, pour ses adhérents, à la Convention européenne des Droits de l'homme. On sait que ce protocole - s'il supprime en principe la peine de mort - l'admet "en temps de guerre ou de danger imminent de guerre". N'est-ce pas précisément le cas lorsque le terrorisme s'institutionnalise dans un pays, qu'il en menace les forces vitales ?

Dans le même ordre d'idées, on notera que la Convention européenne des Droits de l'homme prévoit, dans son article 15, que nombre des garanties souscrites par les Etats Parties peuvent être suspendues "en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la Nation". Or, c'est bien sûr l'hypothèse quand le terrorisme déferle et risque d'engloutir les institutions démocratiques.(2)

Mais, parler de la Convention européenne, c'est déjà évoquer les tentatives qui s'efforcent de mener vers un Droit largement commun aux démocraties occidentales. Est-ce par là se rapprocher d'une riposte concertée des Etats contre le terrorisme ?

B) Riposte concertée des Etats en cause.

La riposte concertée, c'est l'union de toutes les démocraties occidentales, qui constituent, pour la plupart d'entre elles, l'Europe.

Qu'il s'agisse de l'Europe économique, de l'Europe des marchands (marché commun rassemblant 12 Etats), ou de l'Europe civique, de l'Europe des valeurs (Conseil de l'Europe rassemblant aujourd'hui 21 Etats), l'Europe ne peut pas vivre et s'épanouir dans ce qui la caractérise, c'est-à-dire la liberté, sous la menace et dans l'effroi du terrorisme.

Mais comment organiser la riposte ? Il existe deux degrés de concertation. Ce peut être la coopération (a), ce peut-être, allant plus loin, l'intégration (b).

a) la coopération entre Etats.

Il serait minimal, dans une Europe composée de démocraties, toutes dédiées au respect du Droit, toutes dotées d'un judiciaire indépendant, que les Etats cessent de se frapper, entre eux, d'un "suspicion illégitime".

Il s'impose de mettre en vigueur effective les conventions européennes sur le terrorisme (convention de Strasbourg, Conseil de l'Europe - accord de Dublin, Communauté économique européenne). Il s'impose de créer l'espace judiciaire européen, au sein duquel chaque Etat-membre extrade facilement envers les autres Etats-membres, à moins de se déterminer à poursuivre lui-même.

Dans ce champ de l'Europe, où circulent si facilement les terroristes et leurs arsenaux, on voit mal comment se passer d'une justice non moins fluide, et qui ne dépende plus des frontières.

Mais, pour parvenir à cette fin souhaitable, ne faut-il pas aller plus loin que la coopération, et passer à l'intégration ?

b) l'intégration des Etats.

On en reviendrait à créer des mécanismes quasi-fédéraux. Ils existent déjà: la Commission et la Cour européenne des Droits de l'homme.

Or, précisément, M. le Contrôleur général BOSSARD, ancien secrétaire général d'Interpol, se demandait hier : après Interpol, pourquoi pas "Interlois" ? Cette harmonisation des lois est certes difficile; mais on commence à y parvenir dans certains secteurs de l'Europe économique et, pour les droits de l'Homme, dans l'Europe civique. La tâche serait-elle bien plus difficile, dans la perspective d'une lutte sans merci contre le terrorisme ?

Et puis, en horizon plus lointain, pourquoi pas "interjuges" ? Sans faire oublier le rôle, irremplaçable, des juridictions internes, une Justice répressive européenne de type fédéral mettrait en oeuvre, autour de concepts communs de défense, une riposte unitaire contre le terrorisme.

Est-ce voir trop loin ? Même des autorités réticentes à ratifier les conventions européennes pour la répression du terrorisme (Convention de Strasbourg - accord de Dublin) ont préconisé la création d'une Cour européenne jugeant les terroristes. Ainsi (en 1982), Mr Robert BADINTER, alors Ministre de la Justice en France. Il suivait en cela la suggestion précédemment faite par le Président de la République Française, Mr François MITTERRAND.

conclusion générale

Au total, on redécouvre les vieilles évidences : contre un péril commun, ici le terrorisme, la désunion conduit toujours à la défaite; l'union produit toujours la victoire.

Or, cette victoire est la condition même d'une Europe enfin délivrée des convulsions de la guerre, mais dont l'épanouissement suppose, pour le bonheur de tous, la disparition de la terreur.

Et c'est là l'idéal premier, l'espoir immense que la déclaration Universelle des droits de l'Homme exprime : qu'un jour, l'être humain soit libéré de la misère et de la terreur !

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(1) Cet article n'est autre que le "propos de synthèse", prononcé par l'auteur, Directeur de l'Institut de criminologie de Paris, à l'issue du Colloque de cet Institut, consacré au "terrorisme : menaces, ripostes". Colloque tenu les 6 et 7 Juin 1988 à l'Université de Droit de Paris (Panthéon-Assas).
(2) La Grande-Bretagne vient précisément d'invoquer l'article 15 de la Convention, compte tenu de la situation créée par le terrorisme en Irlande du Nord.