Terrorismes : l'inventaire des ripostes juridiques dans l'ordre international.
(Intervention d'André Bossard)

En cette seconde moitié du XXe siècle, le monde est confronté à deux phénomènes majeurs : le raz de marée du trafic illicite des stupéfiants et la terreur au quotidien.

L'importance des terrorismes se mesure moins au nombre des affaires qu'à l'impact qu'ils peuvent avoir sur le sentiment d'insécurité que nous ressentons sur la sûreté des transports, sur l'attitude politique, diplomatique ou militaire des Etats.

C'est au premier chef, une activité criminelle internationale.

D'abord parce que toutes les parties du monde sont concernées, Europe, Moyen-Orient, Subcontinent indien, Extrême-Orient, Amérique Latine, Afrique ... Ensuite parce que les groupes qui s'y livrent, même au seul plan national, entretiennent des relations, t se fournissent aide et assistance d'un pays, voire d'un continent à l'autre.

Enfin, parce que bien souvent des individus se servent de leur pays de résidence ou d'accueil comme d'un repaire, d'un dépôt d'armes et de matériel, et d'une base de départ de raids accomplis dans telle ou telle autre contrée, revenant le coup fait à l'abri de frontières protectrices. C'est la tactique qu'employait déjà Mandrin au XVIIIème siècle.

Et pourtant, il n'existe pas de convention internationale universelle sur le terrorisme, analogue à la Convention de 1929 sur la fausse monnaie, ou à la Convention unique de 1961 sur les Stupéfiants.

1- On trouve des Conventions spécifiques qui érigent en crimes internationaux certaines des activités criminelles fréquemment commises par les terroristes.

- C'est le cas de la Convention de New York du 14.12.1973 sur la prévention et la répression des infractions commises contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris des agents diplomatiques (meurtres, attaques violentes de nature à mettre la vie et la liberté en danger)
- C'est le cas de la Convention de New York du 18.12.1979 sur les prises d'otages.
- C'est le cas des Conventions de Chicago (1944), de Tokyo (1963), de La Haye (16.12.1970) et surtout de la convention de Montréal du 23.9.1971 sur les actes illicites contre l'aviation civile.
 

2- On trouve par ailleurs des Convention régionales qui, à l'échelon d'un continent ou d'un groupe de pays, traitent ou abordent la question du terrorisme.

- Ainsi, la Convention d'Extradition de la ligue des Pays Arabes du 3.11.1952.
- La Convention pour la prévention et la Répression des actes de terrorisme qui prennent la forme de délits contre les personnes ainsi que l'extorsion connexe à ces délits lorsque de tels actes ont des répercussions internationales, signée à Washington le 2 février 1971 par les Etats membres de l'Organisation des Etats américains.
- Egalement, et nous y sommes plus spécialement concernés, la Convention Européenne pour la répression du terrorisme, Strasbourg, 27 Janvier 1977 et l'accord signé à Dublin pour son application, le 4 décembre 1979 par les membres de la CEE.
 

Curieusement aucun de ces textes ne donne une définition du terrorisme.

Le mot lui même est seulement mentionné dans les deux premiers textes et dans le préambule de la Convention de Strasbourg.

Cette carence parait due à la difficulté d'obtenir un consensus, en raison du contexte politique dans lequel est abordée la question.

Et pourtant, dans la pratique, la motivation des actes énumérés par les Conventions peut être très différente :

- Détournements d'avions commis par des particuliers pour attirer l'attention sur une situation bloquée qu'ils jugent inextricable, par exemple en matière de garde d'enfants après le divorce.
- "Mad Bombers", malades mentaux, auteurs d'attentats par explosifs,
- empoisonnement de produit d'une marque pour des motifs de vengeance commerciale,
- Meurtres de juges ou de personnalités par des familles du crime organisé, ou les trafiquants de drogue Latino-américains; enlèvements suivis de demandes de rançon pour des motifs crapuleux.

En réalité, le terrorisme fait emploi d'actions criminelles destinées à inspirer la terreur ou l'intimidation, en vue d'obtenir l'exécution d'une exigence dont l'auteur pense qu'elle ne pourrait être normalement satisfaite. C'est un instrument au service de buts pouvant être privés, crapuleux, idéologiques, ou mixtes, ou diplomatiques.

D'ailleurs, lorsqu'un acte est commis, on est obligé d'attendre la revendication où les auteurs s'auto-proclament combattants politiques pour dire si il s'agit bien de terroristes au sens généralement donné à ce terme.

Encore faudrait il définir ce que l'on entend par motivation politique. Il y a très loin de la lutte contre un pouvoir tyrannique, à la commission de crimes pour obtenir la libération de complices emprisonnés pour faits de droit commun. Et on peut penser que les crimes du Cartel de Medellin ont plus d'incidences politiques, au niveau même du gouvernement des Etats, que ceux des anarcho-contestataires dont la doctrine est -c'est le moins qu'on puisse dire- peu compréhensible.

Et pourtant, c'est bien la possible motivation politique qui gêne l'action internationale. Parce qu'au cours du 19ème siècle, les délits politiques ont été exclus des Conventions d'extradition en vue d'éviter la répression du délit d'idées.

En outre, l'instrument que constitue le terrorisme a été récupéré par certains Etats qui l'utilisent dans le cadre d'une guerre subversive ou d'une diplomatie parallèle, pour gagner des avantages qu'ils ne sauraient sans cela obtenir.

Enfin, on l'a vu, la frontière est parfois difficile à établir entre groupes terroristes et mouvements d'indépendance nationale.

Ces difficultés trouvent leur écho dans la doctrine des Conventions que l'on pourrait qualifier -qu'on me pardonne le néologisme- de "dépolitication (?) tempérée".

Si la Convention des Pays de la Ligue arabe se borne à faire des "actes terroristes" une exception à l'exemption d'extradition qui s'attache aux crimes politiques (art 4), la Convention des Etats américains, comme la Convention européenne procèdent de façon différente : elles énumèrent l'une comme l'autre certaines infractions et les considèrent comme des crimes de droit commun, au point de vue de l'extradition et de l'entr'aide judiciaire.

Ces énumérations reprennent pour une large part les infractions internationales déterminées par les Conventions spécifiques : attentats contre les personnes internationalement protégées pour les deux conventions, actes contre la sécurité de l'aviation civile et prises d'otages pour la Convention européenne, qui prévoit également les attentats par explosifs et qui indique que les autres actes graves de violence contre la vie, l'intégrité corporelle ou la liberté des personnes pourront ne pas être considérées par les Etats comme infractions politiques connexes ou inspirées par des mobiles politiques.

Le principe est donc ainsi posé : les crimes ne sont pas considérés comme des crimes politiques. Mais des atténuations sont apportées à ce principe : c'est ainsi que selon l'art 5 de la Convention européenne, "si l'Etat requis a de sérieuses raisons de croire que la requête est faite dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de sa race, de sa religion, nationalité ou de ses opinions politiques, ou que la situation de cette personne risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons", l'extradition pourra être refusée.

L'article 6 de la Convention des Etats américains prévoit qu'aucune disposition de la présente convention ne pourra être interprétée comme portant atteinte au droit d'asile".

Ces dispositions, conformes aux principes du droit international, sont destinées à empêcher tout dérapage pouvant conduire à une répression contraire aux droits de l'homme.

Elles doivent, par ailleurs, assurer le respect des souverainetés nationales. C'est aux Etats qu'il appartient, en fin de compte, d'apprécier la nature politique d'une infraction et les réserves qu'ils peuvent formuler atténuent notablement la portée du principe. L'Accord de Dublin pris pour l'application de la Convention européenne, vise d'ailleurs à tenter de gérer ces réticences.

Il n'en reste pas moins que les Etats, souverains décideurs en fin de compte,peuvent s'abriter derrière ces aménagements pour moduler leur attitude en fonction des relations qu'ils entretiennent avec tel ou tel partenaire ou de leur diplomatie du moment.

Est-ce à dire que les textes internationaux sont pratiquement dénués d'efficacité ? Certainement pas.

1- Affirmant un principe, ils manifestent un consensus international et servent de référence aux législations nationales,

2- Les réserves et restrictions aux principes ne jouent en fait qu'en certains cas limités; l'obligation de juger à défaut d'extrader, qui résulte des conventions permet alors la répression.

3- La coopération internationale pour la lutte contre le terrorisme, prévue par le texte de la Convention Américaine, se développe en Europe "à l'ombre" de la Convention, comme le manifeste la recommandation n° R82.1 adoptée par le Comité des Ministres de la Communauté Européenne le 15 Janvier 1982

Je pense cependant qu'on ne pourra lutter efficacement contre le terrorisme international que si les Etats consentent à sacrifier à cette lutte une part de leur souveraineté.

Si l'action internationale semble quelque peu affaiblie par les restrictions nées de la souveraineté des Etats, les législations nationales de pays cibles ont manifesté, depuis quelques années, des tendances qui traduisent l'inquiétude des gouvernements et leur souci d'assurer une répression plus efficace des crimes commis dans le cadre du terrorisme, qu'il soit national ou international.

Ces législations sont complexes. Elles dépendent du système juridique auquel elles se rattachent. Elles peuvent assortir lois spéciales et dispositions générales. Il ne saurait donc être question de présenter ici un inventaire exhaustif et une étude approfondie des législations anti-terroriste passées dans les divers pays du monde. Qui pourrait d'ailleurs prétendre en dresser une liste complète et la tenir à jour ?

Il m'a semblé plus expédient de tenter de dégager les grandes tendances des innovations apportées par les législations spécialisées de quelques pays cibles :

Espagne : Loi organique du 26.12.1984 contre les groupes armés et les éléments terroristes.

Etats-Unis : Législation des Etats; Comprehensive Crime Control act 12.10.84, Title 18 USC Section 1203 ( Hostage Taking ) et Omnibus Diplomatic Security & Antiterrorism Act, 27.8.86.

France : Loi du 9 septembre 86 sur les infractions en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

Irlande : Loi sur les Crimes contre l'Etat de 1939, modifiée en 1972.

Italie : Loi n° 152 du 22 Mai 75, Loi n° 15 du 6.2.80, n°304 du 29.5.82, Loi n°34 du 12.2.87

RFA : Gesetz fŸr BekŠmpfung des Terrorismus 19.12.86, Kontakt Sperregesetz 1977

Royaume-Uni-Irlande du Nord : Emergency Provision Act du 8.8.73 et Prevention of Terrorism Temporary Provision Acts de 1976 et 1984.

Pas plus que les conventions, ces législations ne fournissent de définition globale du Terrorisme. Beaucoup procèdent par énumération d'infraction, le caractère politique de l'activité réprimée ne figure pas (voir US Comprehensive Control Act ... illisible), la plupart du temps, dans la lettre des textes et la doctrine estime qu'en général il convient de leur donner une interprétation restrictive aux actes revêtant ce caractère (Espagne, France) Passage peu clair. Il sera intéressant de voir la jurisprudence.

Ces législations tendent vers trois objectifs : renforcer la répression, faciliter le rôle des enquêteurs, rendre les jugements plus rapides et éviter la subversion de la justice.

Elles prévoient également des mesures de sécurité, dans le domaine pénitentiaire et administratif.

A- Renforcement de la répression:

Plusieurs Etats américains, 29 fin 81, ont crée des incriminations spéciales de " terrorisme" ou de "menace terroriste". En Europe, on trouve en Espagne, en Italie, en RFA et en Eire des incriminations essentiellement fondées sur la notion de constitution ou appartenance à une association interdite, d'apologie du terrorisme (en Espagne), de propagande en faveur du terrorisme et incitation à la violence (en RFA).

En outre, le terrorisme est considéré comme une circonstance aggravante commune (Italie) ou particulière à certains délits (Espagne,RFA).

Cependant, d'autres pays comme la France, n'ont pas crée d'infractions particulières, préférant réserver l'action au domaine de la procédure.

Enfin, il est intéressant de noter que la législation fédérale américaine, le "Comprehensive Crime Control Act" à propos de la prise d'otages, aussi bien que l'"Omnibus Diplomatic Security and Antiterrorism Act" en ce qui concerne les attentats à la vie, créent une compétence extraterritoriale sur des crimes commis hors des Etats Unis, et ayant pour auteurs ou victimes des citoyens américains - ou dans le but de contraindre, intimider ou exercer une vengeance contre un gouvernement ou une population civile.

B- Faciliter les investigations:

1- Il faut tout d'abord citer les mesures qui concernent les"repentis", c'est à dire les membres d'une association criminelle qui, coopérant avec les enquêteurs, fournissent des informations. Ils peuvent ou ont pu en Italie, en France, en Espagne, en RFA, bénéficier d'excuses absolutoires ou atténuantes.

Il s'agit à la fois de faciliter l'obtention de renseignements et de dissocier des groupes souvent très difficile à pénétrer. Un rapprochement pourrait être tenté avec la protection spéciale de certains témoins aux Etats-Unis.
 

  • Dans l'ensemble, les pays européens considérés se sont efforcés à faciliter la tâche de la police.
  • Cette volonté se traduit par des mesures:

    a) Qui touchent à l'arrestation et à la détention :

    -> Interpellation sans mandat (Eire et Irlande du Nord), d'ailleurs le terrorisme figure sans doute à l'arrière plan de l'institution d'une garde à vue pouvant aller jusqu'à 96 heures par le Police & Criminal Evidence Act de 84 au Royaume uni.
    -> Droit d'arrestation et d'interrogatoire par la police (Italie)
    -> Augmentation des délais de garde à vue (Irlande du Nord, France, Espagne)
    -> Augmentation des possibilités de détention préventive et réduction de la liberté provisoire (Italie, RFA)

    b) A la simplification des conditions de perquisitions :

    -> Sans mandat (Eire, Irlande du Nord, Espagne, Italie)
    -> Sans l'assentiment de l'intéressé (France)
    -> Aux écoutes téléphoniques et aux secret des correspondances (Italie, Espagne)

    c) Aux contrôles d'identité (RFA, Irlande du Nord).

    Le but recherché est l'efficacité, fût-ce au prix de diminutions des garanties données aux soupçonnés et inculpés par la procédure normale. Un rapprochement peut être fait avec les facilités données aux enquêteurs en matière de lutte contre le trafic illicite des stupéfiants, tant sur le plan de la garde à vue qu'à propos des perquisitions.

    C- Rendre plus rapides les jugements et éviter la subversion de la justice

    Tous les européens concernés ont, d'une façon ou d'une autre crée des juridictions spéciales, soit en confiant la charge de juger à des magistrats professionnels, soit en modifiant la composition des Jurys. Il n'est besoin que de se souvenir des conditions dans lesquelles, en 1986, un accusé utilisa en pleine audience la menace contre les jurés, pour se persuader de l'intérêt qu'il y a à confier ces affaires à des professionnels.

    En outre, en France, RFA, Eire, les procédures sont centralisées. La centralisation est une arme bien connue dans la lutte contre la haute délinquance spécialisée.

    En Italie, Irlande du Nord, Espagne, des mesures sont prises pour accélérer les procédures, ou créer des procédures d'urgence, un jugement rapide étant un gage de bonne répression.

    Il est également intéressant de noter que dans les pays de Common Law (Eire et Irlande du Nord) des dispositions particulières permettent l'admission en preuve de l'aveu non conforté, et de la déclaration faite par un policier d'un certain grade qu'ilÊest convaincu des liens d'un individu avec une organisation illégale. On retrouve des applications du renversement de la charge de la preuve à propos du crime organisé (Italie), du proxénétisme (France).

    D- Des mesures préventives existent dans certains pays :

    Certaines concernent l'administration pénitentiaire et visent à isoler les terroristes des autres détenus, à éviter tout contact avec d'autres personnes, et limiter ainsi la création de nouveaux foyers d'agitation (RFA, Espagne).

    D'autres concernent l'expulsion des étrangers suspects (France, Royaume uni) et sont destinées à contrecarrer l'emploi et la tactique de Mandrin.

    Ce bref survol des tendances des législations nationales appelle quelques commentaires :

    1- Il s'agit de législations adaptées à une délinquance particulière commise par des groupes difficiles à pénétrer, de malfaiteurs qui considèrent procès et incarcérations comme des moyens de déstabilisation.

    2- Pour lutter contre ces groupes la procédure constitue l'arme privilégiée.

    3- Cette action manifeste une priorité accordée à la défense de la société, comme une sorte d'état de nécessité sociale. Ce faisant, elle restreint les garanties généralement accordées à l'individu.

    Parfois, il ne s'agit que d'élargir des délais sans toucher à la substance même de la garantie (garde à vue), parfois, l'atteinte est plus profonde, et vise la nature même de la garantie : c'est le cas des arrestations sans mandat, des admissions en preuve et des restrictions aux contacts avec l'avocat (RFA) Il s'agit en quelques sortes de mini états d'urgence.

    4- J'ai mentionné au passage quelques unes des ressemblances existant entre certaines dispositions des législations anti-terroristes et d'autres concernant le trafic illicite des stupéfiants et le crime organisé. Il est permis de se demander si, dans plusieurs pays, nous ne sommes pas en train d'assister à la naissance d'un droit pénal à double vitesse : une vitesse "normale" pour affaires ordinaires, une vitesse supérieure pour lutter contre les grandes manifestations criminelles avec pour critère leur caractère dangereux et comportant encouragements aux repentis, garanties amoindries, délais réduits, etc. C'est là un phénomène important qui requiert une grande attention et qui mériterait d'être normalisé internationalement, car l'"extraordinaire" emploie souvent les techniques de l'ordinaire, notamment dans le domaine du lessivage ou du blanchissage des capitaux, qui constitue d'ailleurs un aspect non négligeable du terrorisme international.

    Pour conclure, me sera-t-il permis d'évoquer l'avenir ?

    Faut il envisager une Convention Universelle sur les terrorismes?

    Certainement, en les considérant dans leur globalité et en y abordant non seulement extradition et entr'aide judiciaire, mais, comme l'ont fait la Convention de 1929 sur le faux-monnayage et la Convention Unique sur les stupéfiants, en y jetant les bases d'une coopération organisée.

    Il ne faut pourtant pas se leurrer, un consensus général me parait très difficile à obtenir en raison des considérations politiques qui s'attachent au sujet; c'est en tout cas un travail de longue haleine.

    L'harmonisation des législations nationales ? On en parle souvent et dans bien des domaines. Elle est très difficile à réaliser, car la Loi est le reflet du génie propre des peuples.C'est là aussi un très long processus qui demandera beaucoup de temps. Reste la coopération technique entre professionnels. Il y a Interpol qui depuis quelques années a surmonté les obstacles venant de la lettre de son statut... L'Association Européenne des magistrats jette les bases d'un "Interjuges". Mais à quand "Interlois"?

    Et l'Europe? Il nous en faut soucier car en 1992, l'économie ne pourra pas se développer dans un continent sans frontières, sans être protégée contre le Crime International et les terrorismes en particulier.

    Alors on peut rêver

    1- Je rêve d'une Convention Européenne pour la lutte contre la grande criminalité d'habitude et professionnelle incluant tous les terrorismes; un espace judiciaire européen.

    2- Je rêve d'une Loi communautaire européenne pénale, un peu sur le modèle de la Loi fédérale américaine, n'empiétant pas sur les législation des Etats, mais fixant des règles communes en cas de passages d'un Etat à l'autre, instituant des crimes fédéraux, et servant de référence pour la création d'une police communautaire européenne intégrée ayant ses compétence et ses règles d'intervention.

    D'ores et déjà existe à Interpol un bureau régional européen, et la création d'une Europol continue de faire l'objet de discussions où les particularismes nationaux, bien entendus s'expriment.

    3- Je rêve d'une chambre criminelle de la cour de justice européenne, qui pourrait devenir la cour Suprême de l'Europe pour les affaires pénales, former une jurisprudence, contrôler l'action de la Police intégrée et au besoin faire des injonctions aux pays qui soutiennent ou tolèrent les terroristes, conférant valeur juridique à ce qui est aujourd'hui laissé à l'initiative diplomatique ou militaire des Etats.

    Est-ce de l'utopie?

    Deux grandes affaires de prises d'otages et une de détournement se sont produites récemment. Deux d'entre elles ont été résolues par la négociation et la diplomatie (les auteurs courent toujours), la troisième par une action militaire, elle débouche sur une polémique.

    Le droit pénal a-t-il encore sa place dans un tel contexte?

    Il faut maintenir cette place. Il faut maintenir l'importance du Droit, garantie des démocraties.

    Et je pense que certaines utopies, qui sont peut être les réalisations de demain, sont de nature à maintenir la prééminence du Droit. Il faut nous y cramponner.

    La Commission dit : "il ne faut pas perdre de vue le contexte général de l'affaire. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que la Convention doit être appliquée à la lumière des conditions d'aujourd'hui, l'existence d'un terrorisme organisé est une caractéristique de la vie moderne. On ne saurait ignorer qu'il a surgit depuis la rédaction de la Convention, plus qu'on ne peut faire abstraction des changements de la situation sociale et de l'opinion morale qui se sont produits au cours de la même période. Ils placent les Etats démocratiques devant le problème d'une criminalité grave et organisée qu'ils doivent juguler pour préserver les Droits Fondamentaux de leurs citoyens. Dans cette affaire, la Commission a estimé que cette privation de liberté de 45 heures était prévue donc couverte par une disposition de la Convention qui autorise une telle privation de liberté lorsqu'elle vise à satisfaire une obligation spécifique et concrète. Or la Commission a estimé que le fait de devoir rendre compte de son identité et de répondre aux questions des enquêteurs constituait une obligation spécifique et concrète et que dès lors la privation de liberté n'était ni arbitraire, ni irrégulière." Ce concept a été développé dans une autre affaire. Toujours une affaire britannique qui concerne quatre citoyens britanniques qui ont été interpellés en vertu de cette Loi spéciale en Irlande du Nord. Et là évidemment, il ne s'agissait pas d'un problème de contrôle lors du passage d'une frontière mais il s'agissait d'un pouvoir, disons, exorbitant conféré par la Loi lorsque les policiers avaient à faire face à des menaces particulièrement graves et si la Commission, parce que l'affaire est pendante actuellement devant la Cour, a mis de nouveau en exergue la menace terroriste permanente. En fait, les 4 personnes, qui ont été ainsi interpellées, ont toutes été relâchées et la Commission est partie de l'idée, dans ce rapport, qu'ils n'avaient pas participé à des actes de terrorisme mais néanmoins elle a justifié cette privation de liberté de quatre et cinq jours par l'article 5 paragraphe 1, qui prévoit la privation de liberté de toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction pénale. Ici la Commission a indiqué quelle était la philosophie de cette affaire : la lutte contre le terrorisme a-t-elle dit, exige parfois des sacrifices de chaque citoyen afin de protéger l'ensemble de la société contre ces actes criminels.

    Il s'agit de la garantie prévue à l'article 5 paragraphe 3 qui prévoit que "toute personne arrêtée ou détenue doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la Loi à exercer des fonctions judiciaires". Dans le cas d'espèce, deux des quatre personnes ont été maintenues en détention sans avoir été traduites devant un juge pendant cinq jours et onze heures pour l'une, six jours et seize heures trente pour la seconde, quatre jours et six heures pour la troisième et quatre jours et onze heures pour la dernière. Si la Commission a estimé qu'une personne ne devrait pas, dans les cas normaux, être détenue plus de quatre jours, c'est la limite maximum, sans être traduite devant une autorité judiciaire, elle a estimé qu'elle doit équilibrer équitablement les intérêts individuels et l'intérêt général; se faisant, la Commission a estimé que les détentions de cinq jours et onze heures et six jours et seize heures trente n'étaient pas conformes à l'article 5 paragraphe 3, elle a trouvé une violation de la Convention sur ces deux points. Par contre, elle a estimé que les deux détentions de quatre jours étaient conformes aux prescriptions de l'article 5 paragraphe 3 . (tout le passage précédent doublonne avec le texte de De salvia. On fait quoi ?) En matière de durée de la procédure, la constatation qu'il y avait un danger terroriste a été prise en considération par la Commission à propos d'une détention prétendument déraisonnable et d'une détention préventive en Italie. Le motif invoqué par les autorités italiennes pour maintenir cette personne en détention était "le danger de fuite". La Commission s'est exprimée sur ce point de cette façon "le danger de fuite est un élément inhérent à la nature même des infractions pénales (il s'agissait d'un procès connu en Italie sous le nom de procès du 7 avril 1979) du genre de celles qui sont reprochées au regroupement, infractions qui s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie visant à provoquer la guerre civile, et l'insurrection armée contre les pouvoirs de l'Etat. Le danger qu'une fois mise en liberté, une personne accusée de telles infractions, se soustraie à l'action de la justice est d'autant plus réelle qu'il n'est pas malaisé pour une telle personne de gagner l'étranger. En effet, les contrôles effectués à la frontière ne font pas l'objet en Europe d'une application stricte et d'autre part nombreuses sont les possibilités de se servir de moyens illégaux pour franchir les frontières. Le cas de ce monsieur, c'est un co-inculpé qui avait gagné l'étranger, est à cet égard extrêmement révélateur. D'autre part, en raison du caractère particulier des infractions en question, nombreux sont les pays qui refusent d'extrader les personnes accusées de telles infractions. Ce qui d'ailleurs s'est produit pour des co-accusés qui si je ne me trompe à cette époque étaient en France.

    Je voudrais terminer ce rapide survol de la jurisprudence en vous indiquant que l'article 6 également a fait l'objet d'examen attentif et dans une affaire très récente qui était portée devant la Cour. Celle ci a conclu à une violation de l'article 6. De quoi s'agissait il? Il s'agissait de trois prétendus terroristes espagnols-catalans qui étaient accusés du meurtre particulièrement horrible d'un industriel catalan. Une bombe avait été posée sur la poitrine de cette personne puis déclenchée à distance. Donc ces trois terroristes, ou prétendus tels, ont été jugés par une juridiction spéciale, l'Audiencia nacional qui siège à Madrid. La commission a estimé que les circonstances d'espèce avaient rendu le procès non équitable.

    L'élément essentiel est celui de l'administration des preuves. Aucun témoin, c'est à dire cité, n'avait reconnu les regroupements. La seule personne qui avait accusé ces derniers, au stade de l'instruction, était en fuite, et n'a pu témoigner à l'audience et rien dans le dossier ne venait étayer la thèse selon laquelle la culpabilité des requérants pouvait être admise. C'est une affaire dans laquelle la Commission, à une très forte majorité, a constaté la violation de l'article 6 de la Convention, à l'unanimité même et qui actuellement est devant la Cour européenne des Droits de l'Homme.

    Donc quelles conclusions peut on tirer de ce rapide survol de la jurisprudence de la Commission et de la Cour Européenne des droits de l'homme. A-t-on pu réaliser un équilibre sinon heureux du moins satisfaisants entre deux légitimités -celle de l'individu et celle de la collectivité. Il est indéniable que le phénomène terroriste a été comme une sorte de révélateur des contradictions de la société et des problèmes que tout système juridique et donc également celui de la Convention rencontre lorsqu'il est confronté à une situation nouvelle où la violence et l'idéologie se trouvent étrangement mêlées.

    Malgré les réelles difficultés que la Commission et la Cour ont du surmonter en tant qu'organes juridictionnels européens chargés de l'élaboration et de l'application d'un droit commun des droits fondamentaux, la question essentielle qui est souvent posée : comment un organe juridictionnel non national peut il appréhender une réalité nationale complexe et juger de l'opportunité de la riposte aux terroristes mieux que ne peuvent les faire les législateurs et les tribunaux nationaux.

    Donc malgré ces difficultés, je pense que l'essentiel a été préservé.

    La Cour et la Commission ont échappé à un double danger me semble-t-il. Elles ne se sont pas, comme certains l'espéraient, enferrées dans une approche formelle quoi qu'il en coûte de la lettre de la Convention. Fidèles à leur démarche jurisprudentielle, elles ont recherché plutôt à cerner l'esprit de la Convention à l'apparence d'une protection, elles ont préféré l'effectivité de la garantie pour qu'une justice si relative soit elle soit rendue par delà les travers du quotidien.

    Mais à l'inverse, les organes européens n'ont pas, comme d'aucun le redoutait, refusé la confrontation avec la raison d'Etat en justifiant par avance toute ingérence dans l'exercice des droits. L'examen scrupuleux parfois têtu des situations de faits soumises à ces organes montre à l'évidence qu'ils ne sont pas satisfaits d'explications sommaires, incomplètes, parfois embarrassées.

    Si, dans les affaires qui leur ont été soumises, elles n'y ont décelé des violations, dans un nombre somme toute limité de cas, les développements qu'elles y ont consacrés recèlent cependant d'indications précieuses en matière de condition de la détention, de garantie pour la privation de liberté en matière de procès équitable voir des admonestations substitutives de même que des avertissements qui pour avoir été sans frais n'en sont pas moins sérieux.

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